Lorsque j’étais petite, ma mère aimait m’emmener dans ces salons de coiffure achalandés, où le bruit, la musique, les ragots, les rires, l’insalubrité et la proximité aussi, étaient présents. Je m’asseyais, et une coiffeuse devait généralement m’être affiliée après qu’elle « ait fini l’autre carré de tissage, dans deux minutes… ». Les deux minutes devenaient facilement quarante minutes, et parfois, ma mère (dont la patronne prenait vite la tête en charge), s’irritait et exigeait qu’on commence ma tête, car elle était pressée. Nous mangions aussi, dans ce lieu, ce qu’on y vendait à proximité : des brochettes et du pain à la salade ou à la boulette de viande, très huilée. Ma mère parlait avec la ‘patronne’, sa tête dandinant de ci de là, au gré de sa coiffure. Moi, je n’avais pas une esthétique en matière de tresses très affirmée, on me faisait généralement des « couettes, avec des mèches dedans », juste assez pour en augmenter la longueur naturelle, et parfois le volume.
Ma mère, comme les autres femmes dont l’expérience et l’art de la séduction avaient exercé l’inspiration, rivalisait de subterfuges afin de ‘tromper l’œil’. Elle avait découvert un tissage suffisamment naturel, et si bien placé qu’elle ne jurait plus que par lui. C’était sa coiffe à la mode, et les multiples compliments de ses amis et des inconnus la confortaient dans ce choix. C’est vrai que ce tissage lui allait bien, avec ses yeux bridés, elle avait l’air, avec ces mèches noires auburn et bouclées, d’une vraie asiatique ou d’une malgache.
Moi, j’aimais écouter les grands. La patronne, dont l’influence se mesurait à son professionnalisme, à son adresse à la coiffure, participait à toute conversation écoutée d’un ton sans appel. Ses doigts jonglaient et les cheveux informes prenaient soudain une forme, un air, un éclat, une beauté, et même un parfum : la laque nous emplissait les narines à nous écœurer après la coiffure.
Les conversations étaient invariablement les mêmes: un mari trompeur, une ‘folle de fille voleuse de gars’, ou ce genre de choses. Souvent, il y avait un gars, coiffeur, aux manières efféminées, qui s’occupaient du coin des ‘hommes’, expert en coiffure masculine, mais parfois aussi en coiffures féminines. Il participait aussi à la conversation, et riait comme une femme. Fort coquet, il était aussi très apprécié des femmes du salon, toutes des habituées, qui l’appelaient de son petit nom, et essayaient par respect de ressusciter une virilité perdue : « Edu, mon petit homme », « ah, ce gars là il est fort ! ». Et Edu paradait, la tête haute, fort de sa célébrité. Il entrait, et c’était des acclamations, chacune de ses tenues étaient détaillées. Ma mère aussi riait, mais elle se gardait bien d’en faire trop, elle gardait la plupart du temps ses pensées pour elle mais était très exigeante avec la coiffure : « ne serre pas », « mets une raie là », etc.
Mais ce qui me frappait le plus dans cela c’était les films. Les femmes, clientes comme coiffeuses, étaient souvent totalement subjuguées par les films Nollywood, qui passaient en boucles. Elles connaissaient chaque réplique, mais tremblaient aux mêmes parties : « là, son corps va se décomposer, tu vas voir… » ; « hihiiiii…pardon, je ne veux pas voir ça ! »
Les exclamations montaient, et des liens avec la réalité ne manquaient jamais de faire surface : « C’est vrai o, c’est ce qu’ils font dans la réalité ! Ils n’ont rien inventé ! Les clubs de milliardaires sorciers existent o ! »
Ma mère et moi nous rions de leur crédulité et de leur excitation. Nous savions que les sorciers existaient, mais nous ne prenions jamais un film comme un élément concret qui nous ferait nous exciter de la sorte. Mais pour ces femmes, toutes Nigérianes (pour les coiffeuses et le coiffeur, surtout, ou Maliennes et Sénégalaises), ces films étaient leurs liens avec leur vie. Un film finissait, et on en remettait un autre. Déjà dès le générique, il y avait une atmosphère de mort. La religion côtoyait immanquablement la sorcellerie. Les coups du sort ou malchance ne manquaient jamais de sanctionner l’imprudent qui s’était laissé vaincre par sa cupidité ou sa jalousie…
Ces films, je ne les supportais pas, car ils me faisaient peur. Une chaîne publique chrétienne prit à son compte d’en faire son fond de commerce principal, et je me hasardais d’en regarder un chez moi. Frida et Gloria sont deux sœurs. L’aînée est belle et gentille, la deuxième aussi est belle mais méchante. L’aînée, comme pour Cendrillon rencontre son prince, riche et beau. La seconde par jalousie tue son aînée, sans que (évidemment), personne ne sache. Elle console le veuf et le met dans ses bottes. Sauf que voilà, Frida était une fille versée dans la Bible, et Dieu s’en mêle. Frida ne trouve pas le chemin du Ciel, elle hante son ex maison conjugale. Gloria, finalement perd la boule, et elle est sommée par un pasteur de tout avouer « sinon tu resteras folle ! ». L’exorcisme a lieu, Gloria est libérée, mais le choc est tel qu’elle perd son mariexbeaufrère. Ah oui, …elle meurt finalement à la fin. Justice divine.
Ce film que je viens de vous raconter m’a hanté pendant au moins une semaine. Gloria m’apparaissait dans ma chambre, au réveil, aux waters, en route. Je devais rompre avec ce cinéma pour toujours.
Bien que moi mon expérience fut, pour l’enfant que j’étais, assez négative, force est de constater que ces films marchent. L’industrie Nollywood est aussi influente que Hollywood, et de ses bacs sortent autant des films ‘bas de gamme’ que de très bonnes productions tournées même avec de grands acteurs reconnus.
Le cinéma nigérian ne se résume pas qu'à celui que je regardais dans les salons de coiffure, avec des doublures mal placées, des images floues, où seule importait l’histoire. Aujourd’hui, il a ses lettres de noblesse, et peut se targuer d’influencer l’Afrique entière et même le monde. Ce cinéma, est avec Bollywood, un des plus regardés. Que l’on s’imagine que dans mon pays francophone, des demandes énormes imposaient des traductions bancales, pourvu qu’on ait le film, la trame. Le concept de ces films étudie très bien leur cible et joue avec les cocktails explosifs du succès : pouvoir, sorcellerie, argent, église, rivalités féminines et amour.
Dans le salon où j’allais, les hommes avaient beau jeu de faire ‘les indifférents’ mais ils suivaient quand même. Le film Le club des milliardaires parlait au désir de pouvoir de chacun d’entre eux. Pendant des jours, ils parleraient de ce film, feraient des avertissements en fonction de ce film, etc. J’ai donc eu ma coiffe, elle est comme je voulais : « des couettes avec des mèches au bout, pour qu’on croit que ce sont mes cheveux. Au fait, madame, vous pouvez me mettre des perles ? ». Réponse de la coiffeuse : « Héééé… il va se faire tuer !!!! »
Pénélope Zang Mba
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