L’ethnologue et le sage, publié en septembre 2013 aux éditions Odette Maganga du Gabon, est le huitième et dernier roman en date de Sami Tchak. Au contact du titre, j’ai pensé à Tchak défricheur d’espaces lointains comme le dit souvent Kangni Alem. Mais ma lecture donne un autre verdict, plus évident du point de vue du contenu de l’œuvre : Sami Tchak signe son retour au pays natal !
Dans ce roman où l’auteur peint les rapports complexes d’un ethnologue français et les villageois tem de Tedi, On retrouve aisément les traces de Femme infidèle, son tout premier roman. Plus que des traces, on a l’impression que certains éléments qui avaient été laissés en creux dans sa première œuvre, trouve subitement consistance et importance sous la plume de l’écrivain. La plongée dans l’univers tem est totale avec le langage, le nom des personnages et l’espace. Justement Tedi, ce qui lui sert d’espace, est un mot tem (langue des Temba, peuple du Togo, résidant majoritairement dans le Tchaoudjo, l’Alédjo et le Fazao) qui suggère déjà "l’habitat" et la description de ce tout petit village de moins de cent habitants, p.7, révèle aux lecteurs sa logique coutumière incarnée par le chef Wourou Tou et sa logique religieuse incarnée par l’imam Alfa Salifou. Ce qui n’est pas sans rappeler Tchavadi, le village décrit dans Femme infidèle. Et la démarche de l’ethnologue citant certains mots et expressions en tem avant de les expliquer en français rappelle aussi la démarche du narrateur de Femme infidèle. Ces deux aspects évoqués sont très développés dans L’ethnologue et le sage : on y rencontre beaucoup de mots tem, avec ce solide prétexte que c’est l’ethnologue narrateur qui les explique, on y voit également tout le récit se dérouler à Tèdi, cela focalise l’attention du lecteur sur cet espace contrairement à Tchavadi qui n’était que l’espace secondaire dans le premier roman.
Par ailleurs, ce roman de Sami Tchak est un conte merveilleux qui plonge le lecteur dans la vie des contrées paysannes avec ses ferveurs et ses frayeurs, avec ses certitudes souvent ridicules, parfois salvatrices. Loin des "secousses narratives" de ses autres romans, cet écrivain togolais étale ici un schéma narratif et une écriture dans lesquels on a plaisir à entrer délicieusement. Une écriture par moments éminemment imagée, calquée sur le modèle langagier tem un peu à la manière de Kourouma avec le malinké , surtout dans le discours du chef, comme cet exemple où il s’adresse à l’ethnologue :
J’ai fini de parler. Maintenant, à toi de lier ta parole à la mienne, si tu estimes que ce que j’ai dit ne mérite pas l’insulte de ton silence. Sinon, on arrête nos bouches et chacun va rejoindre ses rêves dans le ventre de sa chambre.
pp. 83-84
Loin aussi des secousses modernes des villes, l’auteur oppose ici un espace relativement tranquille où tout est régi par le chef et l’imam avant l’arrivée du mauvais larron l’ethnologue Maurice Boyer – il n’est pas si mauvais que ça à mon goût! Et c’est cela qui me gêne dans le parti pris du titre de cette œuvre. Deux protagonistes dont le premier est présenté par sa fonction (ethnologue) et l’autre par un qualificatif(le sage). Même si on peut comprendre que le titre du roman soit peut-être une façon tem de titrer certains contes, qui du chef et de l’imam dans ce roman peut se gargariser de ce statut de sage ? À moins que la sagesse dans le cas d’espèce rime avec la tyrannie et la partialité du chef ou l’hypocrisie et le subtil cynisme de l’imam. A cet effet, la trahison du corps – belle métaphore pour désigner la diarrhée à la p.109 – de l’ethnologue n’est-elle pas l’œuvre de cet imam qui quelques heures plutôt avait fait envoyer chez leur hôte un plat copieux ? Ou encore l’œuvre du chef considéré par les Tèdiens eux-mêmes comme un grand envoûteur (p.11) ? Tant ces deux personnages ont des raisons de s’en prendre à cet Anansara, ce Blanc, venu faire voler en éclats leur parcelle du pouvoir. Si l’auteur tait l’origine de la diarrhée subite du Blanc, c’est pour mieux installer le flou, lequel flou fouette l’imagination et vient s’ajouter au brouillage de frontières entre le réel, le rêve et le fantasme de tout ce qu’il fait faire et dire à l’ethnologue narrateur de son roman.
Bonne découverte à vous tous et souhaitons que L’ethnologue et le sage soit traduit en tem comme Femme infidèle pour rendre fidèlement les belles métaphores que la langue française peine à me faire avaler en bon tem !
Anas Atakora, un article extrait de son blog Bienvenue sur mes monts
Photo Sami Tchak © Armand Borlant
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