Une condition noire

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Credit photo: PHOTO ARCHIVES AFP

« …car la vie n'est pas un spectacle, car une mer de douleurs n'est pas un proscenium, car un homme qui crie n'est pas un ours qui danse » Aimé Cesaire.

Quel habit porte le crime raciste ?

La tunique macabre d’un policier blanc de Ferguson, enivré par des siècles de nostalgie et de séquelles du KKK, qui tire, sur un jeune de 18 ans, avec la délectation de l’assassin qui joue avec sa gâchette. 6 balles fraîches. Etalées sur le corps et la tête d’un garçon désarmé et pacifique. La cible donc, un jeune, à la fleur de l’âge, mort d’être noir ; une famille, une communauté, éplorées. Et pourtant, l’indigence et la grossièreté se réinventent dans cette Amérique qui ne tarde jamais à offrir ses plaies en vitrine ; pic d’indécence en effet, une communauté blanche, prompte à afficher sans pudeur ni états d’âmes son soutien et son amour au bourreau. Michael Brown allonge la liste : pour sa mémoire, quelques émeutes, et l’inexorable victoire du quotidien qui absout tout, et la défaite de la justice qui autorise la récidive. Rideau.

Ou encore, le manteau de l’ignominie. Celle qui prend source dans le lointain esclavage arabo-musulman, qui fît escale pour se régénérer dans les geôles et désert de Kadhafi. Ce crime qui a pignon sur rue, dont s’accommode, presqu’avec fierté, un Maghreb où l’on peut égorger un jeune Sénégalais, sans que l’émotion, ni même l’humanité n’irriguent les cœurs. Le quotidien reprend son cours les lendemains de drames, on nettoie les litres de sang de Charles Ndour, on prend le jeune cadavre presque décapité, on l’envoie dans le premier avion vers Dakar, et Tanger renoue avec sa vie. Sauvagerie maghrébine, et comme souvent, caution passive islamique. La Oumma excelle dans le silence. Avant d’amonceler des charniers humains sous l’effet d’un islamisme tueur, le Sahara éventrait des noirs, malheureux migrants, que tous les gouvernements et passeurs ensevelissaient dans l’oubli du désert et la commodité d’entre deux eaux. Avec la charge de l’infamie, le racisme maghrébin se déshonore d’une tare supplémentaire, tenant d’une pratique culturelle, ancrée dans les mœurs, que les générations perpétuent comme seuls legs aux enfants : la presse, les familles, proclament le fameux Péril Noir, et visa est ainsi donné à tous les racismes : ceux bénins mais si dégradants du quotidien et ceux meurtriers. Rideau, malgré les tombeaux qui vrombissent.

Si bien lancé, nul besoin d’arrêter le crime raciste, il se drape des oripeaux des pogroms, des expéditions hostiles, de l’univers du confinement, le refus de certains droits au seul motif d’être noir. Où sommes-nous, dans un lointain passé bien sûr? Non monsieur, à Tel-Aviv. Le peuple élu, ensuite martyr, tend à être bourreau. En Israël, les communautés noires vivent le racisme presqu’institutionnalisé d’une droite glaciale qui, par le devoir annoncé de se protéger, bascule dans le harcèlement, la vindicte, la stérilisation d’une ethnie ; ce, dans une étonnante banalité, pour essayer de garder une pureté, oserai-je de race. Ca sonne le vacarme terrible du passé, le couperet en boomerang d’une histoire, celle qui malgré la bienveillance de Frantz Fanon, ne sert jamais ni de leçon, ni de jurisprudence. Des victimes aux bourreaux, c’est une question de temps pour l’inversion des statuts. La roue de l’histoire tourne et ils permutent. Rideau sur les ricanements et pieds-de-nez de l’histoire et quand bien même ils ne sont pas drôles.

Le tissu indien se joint à la macabre fête et se presse devant l’actualité pour contribuer. Autre mouture, c’est la variation de mélanine. Les pigments foncés élisent pour la haine. Des jeunes africains, il y a trois jours, se font molester dans les rues, devant une foule en délire, hystérique. La violence heureuse, rigolarde, une police complice. En Inde, chez Gandhi, on frappe des étudiants pour leur couleur de peau. En Inde, il est question de négreur, l’échelle sociale tient sa hiérarchie de la couleur de la peau. Et je me remémore, cette scène presqu’attendrissante d’une maman pakistanaise qui court derrière ses enfants dans les rues de Lyon un mois d’août, pour leur interdire de jouer au soleil, parce que se bronzer la peau, à la veille d’un voyage au Pakistan, c’est le signe de déclassement social. Elle s’épuise derrière ses gamins, finit par les maîtriser. On en rirait presque.

Et la vieille Europe civilisatrice ? Faut-il lui accorder une halte ? Elle qui s’ingéniait tant à sophistiquer le crime. Elle qui asservît et affranchît. Mal à l’aise avec une histoire, elle se rabat dans la perfidie d’un racisme au compte-goutte. Le racisme versé dans le quotidien, qui quitte, du reste, de plus en plus les périphéries et les antichambres. Il s’installe dans une rance Europe, où les foyers identitaires émergent, fiers et promis au plus radieux avenir. C’est assorti de crimes bénins et journaliers, de mépris, face auxquels la seule solution donnée aux victimes est la résignation et la mansuétude ; jugez du choix. Si le racisme perd de ses accents de crime, quand bien même en Russie et ailleurs, on y tue encore goulûment les nègres, le racisme européen a quitté, arithmétiquement l’horreur frontale pour se réfugier dans autre chose de plus pernicieux : l’hypocrisie et le racisme économique. Faut-il ici, convoquer le malheur brut, en invoquant les milliers de cadavres des rivages italiens espagnols, tués, pour la gaité des plages ?

Un seul constat : dans le racisme, sans en être les victimes exclusives, les noirs restent la cible de choix. Pas une parcelle de terre, dans toute la planète, n’est épargnée par le racisme négrophobe. Y a –t-il encore franchement, le temps de s’en émouvoir ? C’est tellement admis que l’émotion ne s’y attarde plus. La couleur noire, partout, reste frappée, du sceau de l’infériorité. Adossé au malheur d’un continent qui meurt, impuissant, siège de toutes les maladies, ce racisme a du chemin, de longs sentiers dégagés. Au Brésil, au Japon, en Chine, partout, le mépris de race frappe et s’ancre davantage. Devant un tel consensus, la tentation est forte, voire réelle, au sein des entités noires elles-mêmes, au racisme. En Mauritanie, au Soudan et ailleurs, l’esclavage suit son cours. Les femmes s’éclaircissement la peau, les communautés se toisent et finissent par se haïr, s’entretuer….

Que d’exemples, que d’exemples !

Installé dans les consciences, il y a une condition noire savamment distillée par des siècles d’usure et d’acceptation, difficile à désinstaller. Mais il ne faut jamais démissionner dans l’obligation de le combattre. Tout déficit d’alerte est une capitulation devant l’inadmissible. Le racisme n’est pas bénin. Il n’est pas drôle. Il n’est pas pardonnable. Il n’est pas justifiable.

Tous les accommodements, les pédagogies annexes qui essaient de l’expliquer, par des facteurs conjoncturels, démographiques, économiques, par l’enfumage du communautarisme, ou encore par le formidable tournemain de faire revêtir la responsabilité aux victimes, sont un souffle offert à la pérennité d’un crime. L’abus de langue, de formules, d’atténuations langagières qui viennent parler de racismes évidents en les qualifiant de dérapages, sont l’autre nid du mal ; celui de la banalisation, celui de la préparation des esprits à avaler docilement ce qu’ils auront vendu comme un fait divers bénin. Je désigne ici la presse et sa complice connivence. Je ne vais me répandre en parole tiède et bienveillante sur l’unité des Hommes. Ni opérer des généralisations douteuses qui procèdent sans distinction, mais il y a une urgence à combattre le racisme dans le dur. Il y a une brève tentation, faut-il l’avouer, de se radicaliser, face à la sale souillure qu’appose le racisme. S’il faut souhaiter en toute circonstance la mesure, il y a un besoin, une urgence de clarté, de responsabilité mais surtout de vérité. C’est assez dommage que seuls les extrémistes revanchards semblent avoir la cohérence entre le constat et la lutte. J’ai vécu les épisodes de ces derniers jours, dissous dans le flot des actualités, comme une blessure et surtout le rappel à une constante lucidité.

Cette lucidité, c’est défi culturel et économique, le seul qui affranchit.