Pateh Sabally’s Death: What is the Point in Rescuing a Mere Migrant?

Pateh Sabally, a 22 year-old Gambian refugee, died in the Grand Canal of Venice on Saturday 21st January. After the death of the Nigerian Emmanuel Chidi in July 2016 beaten by racists in Fermo, Italy has again become the theatre for another barbaric racist act.Pateh Sabally's death conveys something about our time; it demonstrates what Hannah Arendt called “the banality of evil”. In 2017, a young man drowned while bystanders and tourists were laughing. They let him die while hurling racist insults at him.  No one attempted to rescue him, but some picked up their phone to shoot the scene, you know, to “be there when it happens”. Inhumanity has reached a scary dimension through the mediation of cruelty.It is a tragic spectacle that Europe shows. The same Europe which keeps claiming to be a model of democracy, freedom and respect for human dignity all the day long. The Old Continent keeps lecturing Africa on morality about election and the conflicts which wreck our countries. But the way it treats migrants and refugees who are running away from atrocities, is nothing but degrading.

What is the point of rescuing a mere migrant?

Those Venetians and those tourists would have jumped to rescue anything, even a camera. Thus, their guilty behaviour results from the persistence, in Europe, of a certain discourse drummed by the press on the danger that others embody these include migrants, refugee or a simple foreigner. There are plenty of qualifiers used to refer to these people and they all show total disregard, these include  “Negro”, “invader”, “world’s misery”, “job thieves” …

Media channels have reported Pateh Sabally’s tragedy by invoking the indifference in which his death occurred. The expression is false. The young man died under the conscious sniggering of people which are nothing but indifferent. He was only a migrant, what was the point in rescuing him? They said to themselves! Others are going to die, regretfully. Just have a look at the debates in Europe: a politician says such outrageous things about the foreigners, refugees, Muslims and still enjoys a surge in popularity. Elsewhere, physical and symbolic barriers are being erected against those who were not born in the right country or who don’t have the right religious persuasion.

A wave of xenophobia is sweeping across the Western World that reminds us of the darkest days of our history. Tempers will not be calmed by the decree signed on January, 27, by Donald Trump, which bans the USA entrance for nationals from seven countries, including three Africans one : Somalia, Libya, Sudan.

Nothing can foretell when the horror cycle will end. On the contrary, we get caught by the verbal and murderous escalation which is the underlying cause of Emmanuel Chidi and Pateh Sabally’s death, who were trying to escape Boko Haram and Yahya Jammeh’s dark regime, respectively. Their death will be a burden on the mind of all those who, each day, point finger at others as the problem. That is the shame of Europe and the executioner of our young exiles.

Translated by:

Mame Thiaba Diagne

 

Comment expliquer la persistance des inégalités entre les Noirs et les Blancs en Afrique du Sud ?

Plus de vingt ans après la fin de l’Apartheid et l’élection de Nelson Mandela, l’Afrique du Sud demeure marquée par les stigmates de la ségrégation et des discriminations raciales.  La deuxième économie d’Afrique en termes de PIB (1) est aujourd’hui également « la société la plus inégalitaire du monde » selon l’expression de l’économiste sud-africain Haroon Bhorat, et présente un coefficient de Gini de 0,69 (2).

Dès 1994 des politiques volontaristes visant à réduire les inégalités ont été mises en place et l’Afrique du Sud a enregistré un taux de croissance permettant de faire reculer la pauvreté (3). Toutefois, les fruits de la croissance n’ont pas permis de modifier la structure des revenus et de réduire les inégalités entre noirs et blancs.

Si l’analyse économique des inégalités retient rarement le critère ethnique comme variable d’étude il convient compte-tenu de l’histoire de l’Afrique du Sud et de son passé ségrégationniste, d’évaluer la faiblesse des capabilités (4) dont dispose la population noire de ce pays pour rendre compte des discriminations structurelles qu’elle continue à subir de nos jours.

 

  1. Vingt ans après la fin de l’apartheid, les inégalités demeurent et menacent le développement économique du pays

 

  1. Inégalité de salaire, de patrimoine et de capital humain

Un rapport publié en 2015 par l’Institut national des statistiques sud-africain (5) rendait compte de l’inquiétante persistance des inégalités de revenu en Afrique du Sud. En effet, ce document révèle qu’avec en moyenne 6444 dollars par an les foyers noirs disposent toutes choses égales par ailleurs, d’un revenu moyen cinq fois inférieur à celui des foyers blancs qui plafonne à 30 800 dollars annuel.

Par ailleurs ces inégalités salariales sont amplifiées par les inégalités de patrimoines. En effet l’accès à la propriété foncière a longtemps été interdit aux populations noires reléguées en périphérie du Cap et de Johannesburg les ghettos lors de l’Apartheid.

Enfin, le système scolaire sud-africain est extrêmement polarisé. L’enseignement public et gratuit de ce pays compte parmi les plus défaillants du monde. Une enquête menée par le Boston Consulting Group montrait ainsi en 2015 que la majorité des enseignants ne disposaient pas du niveau requis en mathématique (6) ! Or les enfants issus des familles les moins aisées sont les principaux élèves des écoles publiques. Ils ne bénéficient donc pas d’une éducation de qualité comparable à celle dispensée dans les écoles privées plus coûteuses. Dès lors d’après la théorie du « signal » élaborée par Spence, pour un même nombre d’années d’études un lycéen ayant effectué toute sa scolarité dans un établissement sud-africain public et un lycéen ayant exclusivement fréquenté un établissement privé n’enverront pas le même signal à un potentiel employeur.

 

  1. Les tensions ethniques et sociales freinent le développement économique

 

Minée par les inégalités, l’Afrique du Sud est régulièrement en proie à des crises sociales majeures. En août 2012 les grèves parties de la mine de platine de Marikana ont causé la mort de trente-quatre  manifestants et se sont propagées vers d’autres secteurs industriels tels que l’or, le minerai de fer, le charbon et le chrome. Les pertes engendrées par ces échauffourées ont été estimées à plus d’un milliard de dollars tandis que le taux de croissance de l’économie sud-africaine a diminué de 0,9% lors du deuxième trimestre de l’année 2013. (7)

Outre ces affrontements marxistes et traditionnels liés au rapport de force à l’œuvre entre les détenteurs des moyens de production et les travailleurs, on observe également une augmentation des risques liés au sous-emploi. En 1993 C. Juhn révélait dans une étude l’existence d’une corrélation entre l’inégalité des salaires aux Etats-Unis et la recrudescence de la délinquance. En effet, à partir des années 1970, les populations noires américaines ont connu une massive sortie de la population active qui est allée de paire avec une nette augmentation de la population carcérale. Dans le cas sud-africain, le sous-emploi des travailleurs noirs les moins qualifiés a notamment été causé par les rigidités sur le marché de l’emploi (8).

Les structures syndicales héritées de l’apartheid sont restées très prégnantes et ont continué à influer sur le marché du travail sud-africain. Ainsi, l’instauration d’un salaire minimum trop élevé s’est faite au détriment des travailleurs les moins qualifiés qui n’ont pas pu profiter de la croissance économique et se sont massivement tournés vers les activités illégales ou informelles. Dans une enquête publiée en 2013 et intitulée “Job destruction in the South African clothing industry: How an unholy alliance of organised labour, the state and some firms is undermining labour-intensive growth”, Nicoli Nattrass et Jeremy Seekings témoignent des effets néfastes de l’action syndicale sur l’emploi dans les secteurs à faible intensité capitalistique comme l’industrie textile.

 

  1. De la redistribution à l’amélioration des « capabilités »

 

  1. Les tentatives de solution

Depuis la fin de l’apartheid, le gouvernement sud-africain n’a eu de cesse de développer des programmes de subvention et de redistribution fiscale. Toutefois ces solutions agissent en aval sur les conséquences de l’inégalité en capital humain mais ne permettent pas en amont d’accroître les capabilités des populations les plus démunies.

Pour l’heure le gouvernement sud-africain a préféré les solutions visant à corriger les effets des inégalités plutôt que d’engager des réformes touchant aux causes structurelles et historiques de ces inégalités.

 

  1. Recommandations : lutte contre les discriminations, politique de formation et mixité urbaine

La lutte contre les discriminations sur le marché du travail doit faire l’objet d’une politique publique afin de réduire les inégalités. Dans une enquête sur les inégalités économiques aux Etats-Unis, Phelps et Arrow analysent les discriminations en vigueur contre les noirs dans les années 1970. Les deux économistes ont ainsi montré que du fait des préjugés raciaux ancrés lors de l’époque ségrégationniste,  les employeurs anticipent que certains groupes ont objectivement moins de chances que les autres d’être productifs. Les anticipations des employeurs et les comportements engendrés par ces anticipations peuvent conduire à une persistance des inégalités de capital humain. En transposant cette analyse à l’Afrique du Sud post-ségrégationniste on comprend dès lors que la réduction des inégalités passera par une lutte active contre les discriminations à l’embauche notamment grâce à des campagnes de sensibilisation, à l’instauration de missions de testing, et à la prise de sanctions exemplaires contre les employeurs se rendant coupables de discrimination.

 

Par ailleurs, une politique de formation volontariste permettra d’unifier le système scolaire sud-africain et de le rendre plus égalitaire. La théorie du signal de Spence, affirme que les employeurs attendent des informations précises sur la qualité du diplôme et non pas seulement sur le nombre d’années d’étude. Dès lors l’octroi de subvention aux écoles publiques et une meilleure formation des personnels enseignant dans ces établissements permettra de réduire significativement les écarts en termes de capital humain et d’accès au marché de l’emploi.

 

Une refonte de l’enseignement public ne saurait se passer d’une politique urbaine audacieuse. En effet, le rapport Coleman publié en 1966 par l’administration américaine faisait état d’un échec des politiques publiques visant à augmenter les moyens des écoles des quartiers défavorisés, ainsi que d’une insertion médiocre sur le marché du travail. Plusieurs commentateurs du rapport ont rappelé que les résultats médiocres ne sont pas seulement imputables au fait que le milieu social détermine la réussite scolaire mais aussi à la composition des classes (peu d’émulation entre les élèves…). Le quartier d’habitation influe sur la réussite scolaire. Les externalités locales, au niveau micro-économique de la salle de classe, ont un effet global sur la dynamique des inégalités. Dans ces conditions, l’instauration d’une carte scolaire apparaît comme une solution pour favoriser la mixité sociale et ethnique tout en réglant le problème de la ségrégation urbaine qui sévit toujours en Afrique du Sud et est un vestige du régime de l’apartheid.

 

Daphnée Setondji

Sources

  1. http://afrique.lepoint.fr/economie/ou-va-l-afrique-du-sud-19-08-2014-1857787_2258.php
  2.  Haroon Bhorat, Fighting poverty: Labour markets and inequality in South Africa, 2001.
  3. http://www.rfi.fr/afrique/20170128-afrique-sud-inegalites-salaires-statitstiques-blancs-noirs-foyers-pauvres
  4.  Eric Monnet, La théorie des « capabilités » d’Amartya Sen face au problème du relativisme
  5. http://www.latribune.fr/economie/international/l-afrique-du-sud-champion-des-inegalites-de-revenus-478113.html
  6. http://www.agenceecofin.com/gestion-publique/2605-29246-lafrique-du-sud-occupe-le-2eme-rang-mondial-dans-le-domaine-des-inegalites-de-revenus
  7. http://www.slate.fr/story/80853/retombees-apartheid
  8. C. Juhn “Wage Inequality and the Rise in Returns to Skill”, 1993

Trop noir pour être clean !

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La publicité ouvertement raciste d’une marque de lessive chinoise a récemment défrayé la chronique. On y voit un noir taché de peinture à qui une jeune chinoise met de la lessive dans la bouche avant de le plonger dans une machine à laver. Il en ressort « plus blanc que blanc », sous un phénotype… asiatique. 

Ce n’est pas nouveau qu’une publicité fasse ainsi preuve de racisme sans équivoque. Et ce ne sera sans doute pas non plus la dernière. Mais nous avons le devoir, voire l’obligation, de ne point nous habituer au phénomène. 

Le racisme est un mal de nos sociétés et le banaliser signifierait verser dans le renoncement, qui est vecteur de culpabilité. Au même titre que dans l’espace politique, médiatique, ou sportif, la publicité est encore, trop souvent, un véritable véhicule du racisme. Même si elle pense faire appel au rire, à l’humour ou à l’intelligence émotionnelle.. 

Cette histoire tumultueuse d’une partie de l’Europe avec la publicité raciste a fait l’objet d’un admirable article de la journaliste Séverine Kodjo-Grandvaux. Certains se rappellent des fameuses marques de javel ou de produit nettoyant qui basaient leur renommée sur leur capacité à « blanchir même un nègre. »

Personne n‘oublie non plus le fameux « Y’a bon Banania », symbole d’une ségrégation raciale et d’une atteinte à la dignité d’hommes armés et impliqués dans une guerre qui n’était pas la leur. Même le poète Senghor s’en était offusqué à travers un vers resté célèbre. Qu’à cela ne tienne. Jouant sur un imaginaire collectif vassalisé, le visage ridiculisé du tirailleur a accompagné les petits déjeuners de France et de Navarre tout au long du 20ème siècle, au mépris du simple respect dû aux mémoires des Tirailleurs sénégalais.

Il n’y pas ni plus, ni moins de racistes. 

Notre époque n’est pas ni moins, ni plus raciste que par le passé. La médiatisation rapide des phénomènes donne seulement une plus grande résonnance à  une situation qui se déroule en Chine, loin de nous. Et qui, paradoxalement, est dans le même temps témoin des temps qui changent. Puisque la Chine compte une diaspora de plus en plus active et visible en Afrique. 

Mais il y a des choses que notre époque ne pourrait, ne saurait accepter. Il y a des maux devant lesquels on ne doit s’habituer. Un racisme, même sous un manteau ludique, demeure une ignominie qu’il faut dénoncer et combattre de façon vigoureuse. 

Il faut certes laisser place dans nos vies à l’humour, à l’ironie et à la plaisanterie, parfois à la blague lourdingue, même sur des sujets polémiques. Mais sans, comme c’est le cas pour la marque Qiaobi, tomber dans le grotesque, la grossièreté et le mauvais goût. Nous devons nous fixer des limites fermes et résolues devant l’inacceptable, et dénoncer avec force les productions qui s’appuient sur les ressorts de la division et l’incitation à la haine entre les peuples. 

Le racisme anti-noir est aussi un mal asiatique.

Le racisme asiatique vis-à-vis des populations noires est souvent moins connu. Or, il est aussi prononcé que celui que l’on peut rencontrer en Europe ou dans d’autres régions du monde. 

Même si nous avons tendance à nous focaliser très souvent sur ces dernières. Le lynchage sur les réseaux sociaux subi par Ariana Miyamoto, du fait de sa couleur de peau à la suite de son élection comme miss Japon en 2015 prouve ce mal asiatique. On a nié à la jeune femme, née au Japon, son identité nippone du fait de son métissage. Mais le racisme anti-noir ou la xénophobie de façon plus générale qui sévissent en Asie, semble étrangement bénéficier d’une certaine tolérance, sous le prétexte de la méconnaissance ou de l’ignorance de l’Afrique qui séviraient dans cette partie du monde éloignée de nous. Faux. 

A l’heure de la généralisation de la télévision, des médias en général et de l’Internet quasi gratuit, aucune excuse ne tient, et rien ne justifie de dévisager sottement un individu dans la rue sous prétexte qu’on n’est pas familier de sa couleur de peau.

 

Hamidou Anne

 

 

La Négation du Brésil  

Negacao da Brazil

Le film, La Négation Du Brésil  de Joao Zito Araujo retrace l'histoire des telenovelas (novelas) ou des soaps operas brésiliens,  ces séries bien connues, qui jouissent d'une grande popularité en Amérique latine et même en Afrique aux heures de grande écoute.

Le réalisateur parcourt certaines séries brésiliennes qui ont marqué son enfance en s'interrogeant tout le long sur le rôle des acteurs noirs dans lesdites séries et sur la perception qu'il en a  tiré des Noirs, dans sa jeunesse. Ces séries télévisées sont vues  de manière panoramique, depuis 1963  jusqu'à 1997. On y voit des noirs ou des mulâtres campant principalement des rôles de subalternes.

Le réalisateur, qui est lauréat de la Fondation MacArthur, a déjà produit des films primés à de nombreux festivals. La Négation Du Brésil,  malgré la polémique qui a suivi sa sortie en 2000 reste un témoignage poignant de la réalité d'un racisme latent dans les médias brésiliens. Joao Zito Araujo questionne l'absence d'une communauté qui représente 50% de la population. Un nihilisme frappant, quant on sait aussi que sur "36 millions de personnes représentant la classe moyenne, les noirs représentent 6 millions", et pourtant, ils ne sont pas visibles dans les médias, comme le dit Joao Zito. La négation réside ici dans un nihilisme de l'existence d'une communauté pourtant bien présente.

Les 'petits' rôles dont on affuble bon nombre d'entre eux, ne sont pas assez représentatifs de cette communauté tout au plus sont ils dévalorisants. La force de  Joao Zito  Araujo est qu'en universitaire, il parvient à montrer plusieurs séquences où le spectateur peut percevoir la place du Noir dans les telenovelas, et comprendre l'arbitraire. Les personnages noirs n'ont quasiment pas d'existence. Ou s'ils sont là, ils doivent servir de faire-valoir.

Le réalisateur s'enquiert alors de nous montrer les divers rôles consacrés des personnages noirs en questionnant la force des stéréotypes et pourquoi pas du racisme de ce milieu télévisuel. En premier lieu arrive le  rôle de  la mammy noire,  grosse, rude et maternelle (comme dans Carinthoso). La 'mammy' confirme aussi les clichés sur la femme noire, tels qu'on le voit dans la littérature du XXème siècle. Ensuite vient  le rôle du serviteur loyal, comme dans Roque Santeiro, et le serviteur joué dans la série par Toni Tornado. Puis vient le personnage du barbouze, sorte de noir révolté et dangereux.

Tout cela indique une volonté semble-t-il de cantonner les Noirs dans des rôles secondaires et des stéréotypes où ils ne peuvent occuper les rôles d'envergure, comme le montre la série La Case de l'Oncle Tom, où un acteur blanc Sergio Cardoso est choisi pour jouer le rôle de  l'oncle Tom, ce qui provoqua une polémique, le choix d'un acteur blanc se justifiant par son talent, au lieu sans doute d'y voir une discrimination et un refus de donner à un noir un rôle principal. Tout ceci s'expliquant, aux dires  d'un réalisateur, par le "manque de maturité des acteurs noirs à cette époque" ou encore par le fait que 'les premières séries s'adressaient surtout à une classe moyenne blanche' et encore le fait que pour l'époque, "les noirs n'étaient pas télégéniques". Le même phénomène se remarquera dans Escrava ISaura où une blanche sera choisie pour jouer une esclave.

Regroupant nombre des acteurs noirs présents dans ces telenovelas, comme Zeze Motta, Ruth De Souza, Clea Simoes,  Milton Goncalves et bien d'autres,  Joao Zito Araujo tente de recueillir des témoignages expliquant le ressenti de tels rôles, et aussi du contexte dans lequel se faisait ces séries. Certains acteurs-phares vont alors donner leurs témoignages d'une époque où il n'était pas évident de dissocier le rôle joué et l'identité réelle. Plusieurs séries contribuaient à renforcer des clichés ou même dénotaient d'un certain racisme.

Tout cela conteste farouchement l'image du Brésil se voulant 'le paradis de l'intégration raciale'. Les politiques voulant vanter l'existence d'une société sans identification raciale. Ceci s'avère finalement être un 'mythe' au regard des séries et même des sujets abordés.

Les personnages noirs n'ont d'existence que par leur proximité aux maîtres blancs. Si certains réalisateurs ont tenté de mettre en scène des Noirs avancés socialement, comme dans Setime Sentido (1982), qui montre un couple mixte de la classe moyenne, cela restait en fait une pure audace et non un signe des mœurs.
Les couples mixtes étaient rares à la télévision. Les séries qui s'y heurtaient recevaient des lettres de spectateurs, tout bonnement choqués par  cela. L'actrice Zeze Motta raconte de quelle manière étaient les réactions lors des diffusions de Corpo a Corpo, une série qui racontait la vie d'une famille mixte et recomposée. Un spectateur avait pu dire: "Si j'étais acteur de télévision et qu'on me forçait à embrasser une affreuse, horrible noire comme ça, et si j'étais en manque d'argent, je me désinfecterais la bouche au javel".  Ou encore : "Je ne pense pas que Marcus Paulo ait tant besoin d'argent qu'il s'abaisse à ce point".

Autant de réactions absurdes qui  en disent long sur le climat dans lequel se déroulait ces séries.

Une autre force du film est sans aucun doute sa  manière de nous faire vivre les telenovelas à diverses époques. Avec ces séries l'on peut percevoir la société brésilienne dans ses attentes et son évolution. Même le choix des actrices était un indicateur : on choisissait les femmes noires les plus claires possibles. Tout ceci questionne aussi sur un blanchiment de la télévision, une manière de  masquer la présence noire.
Un autre constat de ces séries réside dans le fait qu'elles restent dans le cadre blanc, bourgeois, et ne reflètent en rien les réalités des favelas (bidonvilles), qui, on le sait, jouxtent pourtant nombre de quartiers et de villes huppés du Brésil.
Cette non représentation des Noirs dans leurs propres médias amènent ces derniers comme l'acteur Milton Goncalves à  se battre pour la visibilité de ceux-ci.

Les thèmes abordés sont souvent empreints d'une certaine pudeur. Dans la série Por Amor, on  voit un couple mixte confronté à la venue de leur enfant. Le père qui est blanc, refuse catégoriquement la naissance à venir. La femme, noire lui dit enfin " tu refuses cet enfant parce qu'il est noir", ce que le père refusera d'admettre. Ce silence sur le refus de  la réalité d'un 'problème' noir, devient presqu'un secret de polichinelle. Certains réalisateurs vont choisir d'en parler par la suite afin d'exposer la réalité  de la question raciale.

Les jeux des acteurs sont également analysés comme dans une série où un jeune noir se fait accuser et presque molester, sans que celui ci ne réagisse.  Cette attitude sera critiquée par une association noire comme étant une mauvaise représentation des Noirs. Cette soumission du Noir dans le jeu, ne faisant plus partie de la  norme et confortant la domination blanche,

Le film La Négation Du Brésil,  est une réussite dans sa vision panoramique. Il permet de mesurer les avancements de l'industrie des séries brésiliennes. De plus, il nous offre à voir une société aux prises avec la réalité du métissage.

Pénélope Zang Mba

Cet article est écrit dans le cadre d'un partenariat avec le 5ème édition du FIFDA qui a eu lieu du 3 au 5 septembre 2015

Negacao da Brazil, de Joel Zito Araújo (2000, 90 minutes)

La polémique du «joueur typique Africain », est-elle le symbole d’un football africain pas encore indépendant?

En novembre dernier, les déclarations d’un entraîneur français relancent le débat du racisme au sein des institutions du football français, et le style du football africain. Des propos qui poussent à la réflexion. Explication en remontant le temps.

Retour sur la polémique

L’ancien international français (58 sélections), et entraîneur des Girondins de Bordeaux, Willy Sagnol, répondait aux questions de lecteurs d’un journal local. La thématique de la CAN, et le départ d’une partie de ses joueurs internationaux africains (12) furent abordés. L’entraîneur dérape et déclenche la polémique. Il annonce que sous son mandat la politique de recrutement du club bordelais ne sera plus tournée vers l’Afrique. Dans des propos remplis de préjugés, il y va de sa caricature en décrivant le joueur « typique » africain comme « pas cher quand on le prend, (…) qui est prêt au combat généralement, qu'on peut qualifier de puissant sur un terrain. Mais le foot (…), c’est aussi de la technique, de l’intelligence, de la discipline». L’entraîneur s’enfonce en appuyant son discours d’une comparaison avec les « Nordiques » et leurs « bonnes mentalités ». Des propos condamnables et condamnés qui seront rapportés par l’ensemble des médias nationaux, sortant de la grille de lecture sportive de cette intervention.  

Photo 1 (2)Symptomatiques d’une France schizophrène de sa diversité qui flirte avec le parti d’extrême droite à chaque élection, l’ensemble des joueurs noirs et maghrébins sont considérés comme des joueurs africains. Faisant abstraction de ceux qui sont nés, ont grandi, et ont été formés en France. Les propos sont jugés de racistes par certains, ou de maladroits par d’autres. Au final, ce fut un buzz médiatique, qui disparut dans des excuses publiques aussi rapidement qu’il est apparu. Seul l’auteur des propos restera avec ses propos sur la conscience. Beaucoup de bruit, pour une bonne leçon. Et une casserole de plus pour le football français, habitué des polémiques racistes dans ses plus hautes sphères.

 

Le paradoxe du style africain. L’histoire comme preuve. 

Depuis de nombreuses années, les sélections nationales de football d’Afrique subsaharienne ont la réputation d’être construites sur les qualités physiques et athlétiques de ses joueurs. 

Paradoxalement, ce ne sont pas des qualités qui correspondent à la pratique naturelle et généralisée du football. Les matchs joués sur des espaces réduits et pas toujours uniformes contribuent à développer la technique et l’agilité. Comme au Brésil, où les plus grands joueurs sortent des Favelas et de leurs terrains vagues. L’histoire elle aussi va dans ce sens-là.

Chercheur à l’Observatoire du football de Neuchâtel, Raffaele Poli date les premières filières de transfert dans les colonies africaines au début des années 50. Le Portugal recruta, en 1960, le meilleur joueur de son histoire au Mozambique. « O pantera Negra » EUSÉBIO. L’AS Saint-Étienne fera fuir illégalement Salif Keita pour qu’il puisse les rejoindre. Des efforts immenses à l’époque pour attirer des joueurs très talentueux qui avaient fait leurs preuves sur le continent. 

Photo 2 (1)Dans son livre sur le parcours du triple champion d’Afrique, le HAFIA FC de Conakry, Cheick Fantamady Condé nous rapporte des propos de Maitre Naby Camara. L’actuel président du CNOSF de Guinée était l’entraîneur de l’équipe de Conakry quand il répondait aux questions du journaliste Amady Camara. C’était juste après la défaite face au CANON de Yaoundé, en finale de la coupe des champions d’Afrique, perdue en 1978. (0-0 à Conakry, et 2-0 au Cameroun).  Questionné sur les ingrédients utilisés par l’entraîneur Serbe Ivan RIDANOVIC,  il déclare : « La recherche du résultat a tout pris a provoqué le recours à des tactiques peu spectaculaires, le béton, et à des expédients peu élégants comme l’antijeu. (…) Ce n’était pas le vrai visage du football camerounais. Les Leppé, Koum, Tokoto, Léa, Ndongo, Milla, etc., ce sont épanouis en jouant avant tout au ballon ».

Car le spectacle était de rigueur dans les tribunes africaines. En Guinée, le président Sékou Touré, avait la volonté de valoriser l’indépendance de son pays, en démontrant la supériorité de ses représentants. Pendant 8 ans, il contribuait à la réputation flatteuse du style de jeu d’une équipe qui portait le sceau de sa révolution.

Outre la philosophie de certains entraîneurs, qu’est-ce qui a conduit à ce changement radical? La réponse se trouve peut-être en France.

« L’arroseur, arrosé »

Depuis la victoire au mondial 1998, les orientations données par la Direction Technique Nationale de la Fédération Française de Football, prônent un style de jeu fondé sur la solidité défensive. Les éducateurs sont formés dans cette optique. La recette du succès du football français qui s’est généralisée dans les centres de formation s’appuie essentiellement sur le physique. Même si des exceptions existent, beaucoup de joueurs furent recalés, car trop petits ou pas assez rapides, et malgré leurs talents certains.

La France est le pays qui recrute le plus de joueurs africains depuis l’arrêt Bosman en 1996.  Et pour répondre aux attentes des clubs qui les emploient, les recruteurs Français, sont à la recherche de joueurs qui correspondent à ces critères. 

Une fois expatriés, le statut des joueurs suffit à en faire des joueurs internationaux. Accompagnés des bi-nationaux formés en France, au fil du temps,  certaines sélections africaines se sont transformées en armada de joueurs du même profil : physique et défensif. 

En caricaturant le footballeur africain, Willy Sagnol n’a fait que pointer le doigt sur le football de son pays, et les directives de ses dirigeants.

Photo 3 (1)Car bien au contraire, « Le joueur typique africain » avait pour mission de faire lever les foules grâce à ses dribbles et ses actions imprévisibles. C’est ce qu’ont fait chaque week-end les meilleurs joueurs du continent. Salif Keïta, Pierre Kalala, Laurent Pokou, Roger Milla, George Weah, Rashid Yekini, Japhet N’Doram,  Nwankwo Kanu, Samuel Eto’o, Mickael Essien, Yaya Touré… 

Mais seulement quand leurs entraineurs leur laiss(ai)ent la possibilité de s’exprimer, ce qui n’est pas toujours le cas. Comme Hervé Renard qui avant la finale de la dernière CAN 2015, déclarait que pour gagner, il faut : « bien fermer leurs joueurs offensivement importants (… ) Ce sera très serré. Peut-être que ça se décidera sur coup de pied arrêté ». Soit bétonner et être réaliste, comme le Canon de Yaoundé de Ivan RADINOVIC en 1978, malgré Roger Milla, malgré Gervinho, Yaya, etc… 

Pierre-Marie GOSSELIN

 

Source citation et données :

Lien vers l’intégralité de l’intervention de Willy Sagnol dans son face à face avec les lecteurs. La question que nous abordons est disponible à partir de la 18ième minute : https://www.youtube.com/watch?v=wv6JVci1XG4&feature=player_embedded

Cheikh Fantamady CONDÉ (2009) Sport et Politique en Afrique, Le Hafia Football Club de Guinée, L’Harmattan Guinée

Conférence de presse de Hervé RENARD le 08/02/2015 avant la finale de la CAN, source AFP, disponible sur www.lequipe.fr http://www.lequipe.fr/Football/Actualites/Renard-ne-pas-laisser-passer-cette-chance/534891

Bibliographie : 

Raffaele POLI : Migrations et commerce de footballeurs africain : aspect historique, géographique et culturel, We Are Football Association http://www.wearefootball.org/PDF/une-nouvelle-traite.pdf

Illustration :

Photo 1 : l’équipe de France en 2008, Willy Sagnol (n°19) entouré de Patrick Viera et Lilian Thuram

Photo 2: Le Hafia FC de 1977, photo de couverture du livre de Cheick Fantamady CONTÉ

Photo 3 : Caricature de Dadou, sur le style de jeu des girondins lors de la saison 2013/2014, et la réaction des supporteurs . www.foot-land.com

Le racisme local aux Comores

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Et si le racisme, cette fâcheuse tendance dont nous aimons tant blâmer les autres, prenait racine chez nous, en nous, dans nos foyers ? Il s’agit, dans cet article, non pas de ce que Frantz Fanon nomma plus justement « haine de soi », mais d’une forme de racisme qui se rapproche de la xénophobie. J’ai choisi de parler de celle qui sévit encore aux Comores, archipel connu pour son brassage multiculturel, et dont les mœurs sont encore, malgré un léger progrès, bien loin d’atteindre l’idéal du melting pot. Comme tout cas de xénophobie, ce cas a sa propre histoire. 

Washenzi, ou les barbares d’Afrique de l’Est

Les missionnaires Européens arpentant l’Afrique de l’Est se sont heurtés à une curieuse dénomination destinée à ce qu’ils appelaient une « mystérieuse tribu » rejetée par les habitants de la région : Washenzi. Depuis, Shenzi, un terme Swahili signifiant « sauvage », « barbare », a fait son petit bonhomme de chemin vers l’archipel voisin des Comores. Le terme fut d’abord attribué aux esclaves Makuwa importés de la côte mozambicaine. Ceux-ci, installés dans des cantons selon un système proche du féodalisme européen, étaient relégués vers l’intérieur des îles, soumis aux descendants d’Arabes venus de Zanzibar et constituants de la noblesse comorienne. Aujourd’hui, le terme a pris une connotation péjorative et désigne toute personne aux habitudes sales, indécentes, ou, dans les accès de colère, une famille ou un village dont la physionomie des habitants rappelle les ancêtres Africains…Une connotation qui agit encore aujourd’hui sur les choix de mariage. 

Sabena, les rescapés de Madagascar

Une compatriote me racontait un jour l’histoire houleuse de son mariage avec un jeune homme dont sa famille ne voulait pas. Les raisons du refus étaient motivées par un argument simple : ce jeune homme était un Sabena. 

La compagnie aérienne belge éponyme a joué un rôle majeur dans les années 70s, et son nom est resté dans les mémoires comme un hommage à l’un des conflits les plus destructeurs entre deux populations. Cette période, qui fut celle des indépendances et d’une toute nouvelle fragilité économique et identitaire aux Comores et à Madagascar, fut également le théâtre d’une haine latente entre les Comoriens immigrés sur la Grande Ile et les habitants de celle-ci. Le 20 décembre 1976, l’année suivant l’indépendance des Comores, un incident apparemment minime donne lieu à une escalade de violence qui coûtera la vie à 2000 Comoriens. Le gouvernement comorien fait alors appel à la compagnie belge Sabena pour rapatrier ses ressortissants. Démunis, traumatisés par l’expérience, certains ayant adopté les habitudes et la langue de leur pays d’accueil, d’autres étant des métis Comoriens-Malgaches, les rescapés hériteront du nom de la compagnie qui les ramena sur l’archipel. Aujourd’hui, comme une sangsue laissée par l’histoire sur une identité nationale qui se cherche encore, les « Sabena » sont encore méprisés par une partie de la population. 

Beau comme un Arabe, un Indien ou un Blanc 

Aujourd’hui, le résultat de ces préjugés est encore visible, même s’il s’est fondu dans des mœurs de moins en moins marquées par la division raciale de la société. On dit spontanément d’un nouveau-né qu’il est beau dès lors qu’il a la peau plus claire que la moyenne ; on se moque « gentiment » quand il naît avec les oreilles foncées, prélude à une pigmentation prochaine. On dit d’un homme bien habillé et plus basané que foncé qu’il est « beau comme un Arabe », d’une femme aux cheveux lisses et à la physionomie évocatrice qu’elle est « belle comme une Indienne ». Et si les parents rechignent moins à laisser leur enfant épouser la personne de son choix, quelle que soit sa couleur dominante, le changement dans le mode de pensée n’est visible qu’à l’échelle insulaire. Car entre les quatre îles qui composent ce petit archipel de quelques 700 mille habitants, les clichés ont, comme en n’importe quel pays, la vie dure. Ainsi, les habitants de l’île d’Anjouan sont des « travailleurs acharnés », mais des « fourbes dont il faut savoir se méfier » ; ceux de l’île de Mohéli de « simples paysans qui reculent sans cesse face au progrès » ; ceux de l’île de Mayotte les « traîtres » (parce qu’ils persistent à rester dans le giron Français) et des « incultes » ; les trois groupes sont nommés avec condescendance Wamassiwa, « Gens des îles », par les habitants de Ngazidja, et le nom français de cette île, Grande-Comore, n’offre qu’un aperçu de l’image que certains habitants gardent de leur terre (la plus grande île, celle dont la langue est mère des « dialectes » parlés dans les autres îles). 

 

Touhfat Mouhtare

Une condition noire

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Credit photo: PHOTO ARCHIVES AFP

« …car la vie n'est pas un spectacle, car une mer de douleurs n'est pas un proscenium, car un homme qui crie n'est pas un ours qui danse » Aimé Cesaire.

Quel habit porte le crime raciste ?

La tunique macabre d’un policier blanc de Ferguson, enivré par des siècles de nostalgie et de séquelles du KKK, qui tire, sur un jeune de 18 ans, avec la délectation de l’assassin qui joue avec sa gâchette. 6 balles fraîches. Etalées sur le corps et la tête d’un garçon désarmé et pacifique. La cible donc, un jeune, à la fleur de l’âge, mort d’être noir ; une famille, une communauté, éplorées. Et pourtant, l’indigence et la grossièreté se réinventent dans cette Amérique qui ne tarde jamais à offrir ses plaies en vitrine ; pic d’indécence en effet, une communauté blanche, prompte à afficher sans pudeur ni états d’âmes son soutien et son amour au bourreau. Michael Brown allonge la liste : pour sa mémoire, quelques émeutes, et l’inexorable victoire du quotidien qui absout tout, et la défaite de la justice qui autorise la récidive. Rideau.

Ou encore, le manteau de l’ignominie. Celle qui prend source dans le lointain esclavage arabo-musulman, qui fît escale pour se régénérer dans les geôles et désert de Kadhafi. Ce crime qui a pignon sur rue, dont s’accommode, presqu’avec fierté, un Maghreb où l’on peut égorger un jeune Sénégalais, sans que l’émotion, ni même l’humanité n’irriguent les cœurs. Le quotidien reprend son cours les lendemains de drames, on nettoie les litres de sang de Charles Ndour, on prend le jeune cadavre presque décapité, on l’envoie dans le premier avion vers Dakar, et Tanger renoue avec sa vie. Sauvagerie maghrébine, et comme souvent, caution passive islamique. La Oumma excelle dans le silence. Avant d’amonceler des charniers humains sous l’effet d’un islamisme tueur, le Sahara éventrait des noirs, malheureux migrants, que tous les gouvernements et passeurs ensevelissaient dans l’oubli du désert et la commodité d’entre deux eaux. Avec la charge de l’infamie, le racisme maghrébin se déshonore d’une tare supplémentaire, tenant d’une pratique culturelle, ancrée dans les mœurs, que les générations perpétuent comme seuls legs aux enfants : la presse, les familles, proclament le fameux Péril Noir, et visa est ainsi donné à tous les racismes : ceux bénins mais si dégradants du quotidien et ceux meurtriers. Rideau, malgré les tombeaux qui vrombissent.

Si bien lancé, nul besoin d’arrêter le crime raciste, il se drape des oripeaux des pogroms, des expéditions hostiles, de l’univers du confinement, le refus de certains droits au seul motif d’être noir. Où sommes-nous, dans un lointain passé bien sûr? Non monsieur, à Tel-Aviv. Le peuple élu, ensuite martyr, tend à être bourreau. En Israël, les communautés noires vivent le racisme presqu’institutionnalisé d’une droite glaciale qui, par le devoir annoncé de se protéger, bascule dans le harcèlement, la vindicte, la stérilisation d’une ethnie ; ce, dans une étonnante banalité, pour essayer de garder une pureté, oserai-je de race. Ca sonne le vacarme terrible du passé, le couperet en boomerang d’une histoire, celle qui malgré la bienveillance de Frantz Fanon, ne sert jamais ni de leçon, ni de jurisprudence. Des victimes aux bourreaux, c’est une question de temps pour l’inversion des statuts. La roue de l’histoire tourne et ils permutent. Rideau sur les ricanements et pieds-de-nez de l’histoire et quand bien même ils ne sont pas drôles.

Le tissu indien se joint à la macabre fête et se presse devant l’actualité pour contribuer. Autre mouture, c’est la variation de mélanine. Les pigments foncés élisent pour la haine. Des jeunes africains, il y a trois jours, se font molester dans les rues, devant une foule en délire, hystérique. La violence heureuse, rigolarde, une police complice. En Inde, chez Gandhi, on frappe des étudiants pour leur couleur de peau. En Inde, il est question de négreur, l’échelle sociale tient sa hiérarchie de la couleur de la peau. Et je me remémore, cette scène presqu’attendrissante d’une maman pakistanaise qui court derrière ses enfants dans les rues de Lyon un mois d’août, pour leur interdire de jouer au soleil, parce que se bronzer la peau, à la veille d’un voyage au Pakistan, c’est le signe de déclassement social. Elle s’épuise derrière ses gamins, finit par les maîtriser. On en rirait presque.

Et la vieille Europe civilisatrice ? Faut-il lui accorder une halte ? Elle qui s’ingéniait tant à sophistiquer le crime. Elle qui asservît et affranchît. Mal à l’aise avec une histoire, elle se rabat dans la perfidie d’un racisme au compte-goutte. Le racisme versé dans le quotidien, qui quitte, du reste, de plus en plus les périphéries et les antichambres. Il s’installe dans une rance Europe, où les foyers identitaires émergent, fiers et promis au plus radieux avenir. C’est assorti de crimes bénins et journaliers, de mépris, face auxquels la seule solution donnée aux victimes est la résignation et la mansuétude ; jugez du choix. Si le racisme perd de ses accents de crime, quand bien même en Russie et ailleurs, on y tue encore goulûment les nègres, le racisme européen a quitté, arithmétiquement l’horreur frontale pour se réfugier dans autre chose de plus pernicieux : l’hypocrisie et le racisme économique. Faut-il ici, convoquer le malheur brut, en invoquant les milliers de cadavres des rivages italiens espagnols, tués, pour la gaité des plages ?

Un seul constat : dans le racisme, sans en être les victimes exclusives, les noirs restent la cible de choix. Pas une parcelle de terre, dans toute la planète, n’est épargnée par le racisme négrophobe. Y a –t-il encore franchement, le temps de s’en émouvoir ? C’est tellement admis que l’émotion ne s’y attarde plus. La couleur noire, partout, reste frappée, du sceau de l’infériorité. Adossé au malheur d’un continent qui meurt, impuissant, siège de toutes les maladies, ce racisme a du chemin, de longs sentiers dégagés. Au Brésil, au Japon, en Chine, partout, le mépris de race frappe et s’ancre davantage. Devant un tel consensus, la tentation est forte, voire réelle, au sein des entités noires elles-mêmes, au racisme. En Mauritanie, au Soudan et ailleurs, l’esclavage suit son cours. Les femmes s’éclaircissement la peau, les communautés se toisent et finissent par se haïr, s’entretuer….

Que d’exemples, que d’exemples !

Installé dans les consciences, il y a une condition noire savamment distillée par des siècles d’usure et d’acceptation, difficile à désinstaller. Mais il ne faut jamais démissionner dans l’obligation de le combattre. Tout déficit d’alerte est une capitulation devant l’inadmissible. Le racisme n’est pas bénin. Il n’est pas drôle. Il n’est pas pardonnable. Il n’est pas justifiable.

Tous les accommodements, les pédagogies annexes qui essaient de l’expliquer, par des facteurs conjoncturels, démographiques, économiques, par l’enfumage du communautarisme, ou encore par le formidable tournemain de faire revêtir la responsabilité aux victimes, sont un souffle offert à la pérennité d’un crime. L’abus de langue, de formules, d’atténuations langagières qui viennent parler de racismes évidents en les qualifiant de dérapages, sont l’autre nid du mal ; celui de la banalisation, celui de la préparation des esprits à avaler docilement ce qu’ils auront vendu comme un fait divers bénin. Je désigne ici la presse et sa complice connivence. Je ne vais me répandre en parole tiède et bienveillante sur l’unité des Hommes. Ni opérer des généralisations douteuses qui procèdent sans distinction, mais il y a une urgence à combattre le racisme dans le dur. Il y a une brève tentation, faut-il l’avouer, de se radicaliser, face à la sale souillure qu’appose le racisme. S’il faut souhaiter en toute circonstance la mesure, il y a un besoin, une urgence de clarté, de responsabilité mais surtout de vérité. C’est assez dommage que seuls les extrémistes revanchards semblent avoir la cohérence entre le constat et la lutte. J’ai vécu les épisodes de ces derniers jours, dissous dans le flot des actualités, comme une blessure et surtout le rappel à une constante lucidité.

Cette lucidité, c’est défi culturel et économique, le seul qui affranchit.

Un racisme maghrébin ?

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Manifestation contre le racisme (Rabat – 11/09/2014). Credit photo: AFP PHOTO/FADEL SENNA

 

 

Il y a peu, je me suis réjouie, à l’occasion d’une conversation avec  Jack Lang, président de l’Institut du monde arabe de Paris, d’entendre dire que le  Maroc est un des rares pays qui valorise constitutionnellement ses héritages et arbore fièrement les couleurs de la mosaïque arabe, berbère, subsaharienne et hébraïque qui le compose.  Si je persiste à croire que tout cela est vrai, les événements dont le Maroc a récemment été le théâtre m’ont laissé un goût amer. 

29 août 2014, Tanger. Une bataille entre subsahariens et marocains portant des armes blanches dégénère dans  le quartier populaire de Boukhalef. Le bilan est de  3 morts, l’un d’eux, sénégalais, a été sauvagement égorgé.  Plus inquiétant encore, ces événements  sortent des profondeurs d’autres informations concernant les problèmes rencontrés par les populations subsahariennes vivant au Maroc, aussi bien avec  la société civile qu’avec les autorités. De quels problèmes est-il exactement question ? De quoi découlent-ils ? Le terme racisme est-il réellement pertinent ?

Une migration transitoire qui finit par s’inscrire dans la durée.

Revenons-en au contexte des faits. Depuis quelques décennies maintenant, le Maroc connait une migration transitoire en provenance d’Afrique subsaharienne, en direction de l’Europe. A elle seule, la région de Tanger compterait plus d’un millier de migrants subsahariens, dont environ 800 résidant dans le quartier Boukhalef.

Rêvant d’une vie meilleure de l’autre côté de la Méditerranée, ces migrants africains se heurtent à la réalité des frontières hermétiques et finissent par jeter l’ancre au Maroc. Ainsi, une migration, qui était initialement transitoire, finit par s’inscrire dans la durée en imposant, d'elle même, la question de la régularisation des sans-papiers. D’après les chiffres officiels, le Maroc compterait au moins 30.000 sans-papiers sur son territoire.

Ce qu’il ne faut pas oublier est que cette problématique n’est qu’une goutte d’eau parmi toutes celles qui agitent le pays et qu’aucune politique d’immigration claire n’a, jusqu’ici, été mise en place. Les sans-papiers sont donc doublement rejetés, pris en étau entre un gouvernement qui les délaisse – quand il ne les expulse pas – et une société civile dont les réflexes sécuritaires se déclenchent au contact de cet élément nouveau qui n’a pas politiquement obtenu « droit de cité » dans l’espace public.

Un conflit latent entre les communautés?

Mais, plus que le problème de la régularisation, ce qu’il y a d’alarmant, dans la situation des subsahariens en terre marocaine, est le caractère identitaire sur lequel se base le double rejet que nous évoquions précédemment. 

« Alcoolisme, concubinage, squattage », cette énumération, loin d’être exhaustive, regroupe cependant certains des traits culturels prêtés aux populations subsahariennes et constituant le principal argumentaire du rejet de la population civile – les promoteurs immobiliers, par exemple. Le problème est que la liste en question ne semble nullement exclusivement imputable aux migrants, ce sont des problématiques récurrentes pour toutes les personnes qui ne sont pas insérées socialement, y compris dans les pays musulmans. Quelle différence alors ? La différence est qu’ils sont noirs, et que, par facilité, on préfère mettre cela sur le dos de leur culture.  Ce qui est curieux, c'est que ces accusations semblent familières. Elles rappellent étrangement les propos racistes tenus envers les maghrébins en Europe. Il suffit donc d’un léger décentrement idéologique pour faire resurgir un racisme qu’on condamne pourtant furieusement chez le voisin.

Pour autant, le parallèle avec l’intégration des maghrébins en Europe a des limites. Le Maroc, pays en voie de développement, hérite en effet a posteriori d'une immigration qui n'a pas été politiquement et économiquement programmée et qui ne le visait pas initialement. Aussi, le Maghreb et l'Afrique subsaharienne partagent une identité commune dont le Maroc s'est récemment mis en quête en la célèbrant dans des festivals et autres expositions, je vous en parlais ici.  L’exercice périlleux consiste, en fait, à trouver un juste milieu entre la dénonciation légitime des actes racistes et l’évocation systématique de l’identité des subsahariens même lorsque ce n’est pas justifié. En effet, cette attitude contribue paradoxalement  à essentialiser cette population dans son identité d’étranger et dessert le processus d’intégration plus qu’autre chose. C’est pourquoi il est nécessaire de faire preuve de beaucoup de vigilance quant aux informations rapportées, ici et là, et veiller à ne pas confondre délinquance et conflits identitaires.

Le racisme, un débat occidental ?

D’aucuns poussent, cependant, le raisonnement précédent jusqu’à dire que le racisme est tout bonnement étranger à notre culture, justifiant, par un habile tour de passe-passe, l’absence d’évocation de la composante identitaire africaine dans le débat politique comme l’indice de l’assimilation tacite de cette population dans le creuset maghrébin. Ici et là, certains s’emparent ainsi de l’occasion pour voir, dans le débat sur le racisme, l’importation d’une problématique occidentale. Cet argument de base, d’un dogmatisme puissant et annihilateur, est valable pour tous les sujets qui posent problème (la femme, la modernité, la liberté, la démocratie…) et se révèle somme toute assez pratique pour faire avorter toute velléité de débat public. S’il est vrai qu’il faut tenir compte de l’histoire du Maroc, où les populations d’origine et de confessions diverses ont longtemps cohabité en paix, et se garder d’établir des parallèles avec un Occident dont l'immigration résulte d'autres facteurs ; on ne peut cependant pas fermer l’œil sur de telles expressions de barbarie. 

Ce que prouvent ces affrontements récurrents et les réactions qu’ils provoquent est qu’il est urgent d’intégrer la communauté noire comme un élément du débat politique. La régularisation ne suffit pas, une vraie politique d’intégration s’avère nécessaire.  Cette dernière permettrait d’inscrire politiquement les subsahariens dans l’espace public, leur donnant ainsi un  « droit de cité » qui les fait exister aussi bien dans l’espace, d’apparition, public que dans la psyché maghrébine.