Les carnets de notes du « prince » Charles

Je me demande bien ce qu’a pu noter Charles Taylor durant son procès. Costume impeccable, cheveux très court, lunettes de vue à très fine monture vissée sur le nez, de sa première apparition devant les magistrats du Tribunal Spécial pour la Sierra Léone (délocalisé à la Haye) à l’annonce de sa condamnation, il n’a cessé de gribouiller.  

Beaucoup d’enfants sierra-léonais et libériens ont perdu un bras ou plus, à cause de cet homme. Je donnerais bien le mien pour avoir accès aux carnets sordides de Charles. 

Vérifiait-il les comptes ? « 120.000 morts qu’il dit ? Monsieur le Juge. Cela me paraît excessif. Selon mes calculs, nous nous situons plutôt en dessous. Autour de 100. Oui, 100.000 si vous y tenez ! » 

Rédigeait-il le journal de son procès ?  « Voici venu le temps du réquisitoire. Le Procureur prononce des mots terribles et graves que je ne comprends pas toujours. Ils lui ont été la mort, mais il a gardé la haine. Il bouge les mains frénétiquement, comme pour chasser une mouche trop collante. La mouche c’est moi. Cet homme veut ma mort, mais ne peut l’obtenir. D’autres mots encore ‘complicité’, ‘fourniture d’armes’. ‘Fourniture’ ! Ce qu’ils sont cons quand même. Pensent-ils vraiment qu’on demandait des factures ? » 

Faisait tout simplement des mots croisés ?

En six lettres, feu rouge : Lénine

En cinq lettres, permet la traversée de la manche : hache

En quatre lettres, Qui seul n’est pas obligé : Dieu

En trois lettres, la faire plutôt que la subir : loi

En deux lettres, demi Brin d’acier : fi

En une lettre, léger comme l’air : p 

Le plus probable est qu’une fois encore, comme il le fit durant toute sa « carrière », Charles Taylor n’a fait que tenir les apparences. C’est Stringer Bell dans la Cour du Juge Phelan : fraude, goût de la provocation et violence. Il faut se souvenir de sa pathétique sortie du Libéria en veston blanc (virginité, agneau sacrificiel, Christ incarné etc.) Voici l'agneau de D*** qui rachète les péchés du pays. La bêtise s'étend au delà de l'oubli. L'abrutissement collectif finit évidemment en pardon sans justice : c'est la leçon de la proprement imbécile réconciliation entre la famille de Samuel Doe et – l’immonde crapule devenue nouveau chrétien puis Sénateur – son tortionnaire, Prince Johnson, dans une église évangéliste nigérienne  — chaque fois qu’une infamie se déroule en Afrique de l’Ouest,  Dieu n'est jamais très loin : c’est la règle de foi. 

Dommage que l’Enfer n’existe pas. Charles Taylor ne mériterait rien de moins.

 

Joël Té-Léssia