Coup d’Étatisme et Etatisme du coup en Afrique : entrée ou sortie de la démocratie ?

Par Thierry AMOUGOU, économiste, Professeur à l’Université catholique de Louvain (UCL), dernier ouvrage publié: Pandémisme ou les tremblements de l’anthropocène. Esquisse d’une société pandémique moderne, 2022, Louvain-la-Neuve, Academia.

L’Afrique connaît ces derniers temps une cascade de coups d’Etat que la communauté internationale analyse plutôt négativement. Ce texte s’attèle à soutenir une lecture positive du coup d’Etat à l’aune des problèmes concrets du continent africain en montrant que les derniers coups de force qui ont eu lieu en Afrique s’apparentent à des révolutions populaires et que cela les différencie de l’Etatisme du coup contre lequel sont en lutte les peuples africains. Nous cherchons à débusquer les mouvements de fond intra-africains et internationaux qui expliquent la conjoncture politique africaine du moment et militent pour une non-condamnation systématique de l’usage de la crédibilité des armes pour prendre le pouvoir d’Etat.

  1. Coup d’Etatisme

Deng Xiaoping peut être considéré comme le père de l’hyperpuissance capitaliste actuelle qu’est la Chine. Il en est le père-fondateur via un coup d’Etat idéologique sur le parti communiste chinois qui, avec lui, et contrairement à Mao Tsé-toung, devint un parti promoteur d’une économie capitaliste en lieu et place d’une économie communiste. Ce changement idéologico-pratique opérationnalisé en s’accaparant de l’appareil dirigeant central chinois est analogue à ce que fit Thomas Sankara au Burkina Faso pour instaurer ce qu’il appela le « pays des hommes intègres » en contradiction avec la Haute-Volta au service, d’après lui, des intérêts de la domination étrangère et du néo-colonialisme. L’officier Jerry Rawlings installa le Ghana sur la route de la démocratie et de la bonne gouvernance après un putsch en 1979. Dans le cas de la France, la banque de France, le Franc, l’architecture administrative de base du pays, le Code civil et la légion d’honneur encore d’usage aujourd’hui sont des créations du général Napoléon Bonaparte suite à sa prise de pouvoir par coup d’Etat sur le régime issu de la révolution de 1789. Ces quelques exemples historiques parmi des centaines d’autres prouvent que le coup d’Etat peut avoir une valeur politique positive dans l’histoire politique du monde. Aussi, comme le stipule la suffixation[1] en –isme des noms de discours, nous pouvons valoriser la base coup d’Etat par sa modalisation positive et nominale coup d’Etatisme concevable comme l’omniprésence heureuse du coup d’Etat dans l’histoire politique mondiale et dans certaines conjonctures de cette histoire politique. Celle que vit actuellement l’Afrique en fait partie. Le coup d’Étatisme est donc une modalité idéologique et pratique d’organisation du pouvoir politique et de la transition de celui-ci vers une autre forme jugée meilleure via le coup d’Etat au sens d’instrument de prise de pouvoir et d’articulation temporaire du champ politique dans l’histoire longue des sociétés vers des régimes politiques que les auteurs du coup d’Etat pensent non seulement plus libres et plus justes, mais aussi plus productives et impossibles à atteindre sans au préalable une mise en ordre des hommes et des choses dans le sens des conditions de possibilités de cette justice, de cette liberté et de cette efficacité.

Dès lors, un coup d’Etat est parfois un coup heureux au sens de stratégie dans un jeu politique à plusieurs coups et à plusieurs acteurs. C’est un coup d’avance et de désaxement d’une dynamique politique en place au profit d’une autre via l’introduction d’un nouvel axe organisateur du pouvoir exécutif.

C’est une prise de responsabilité par l’entremise d’un moyen non constitutionnel mais objectif qu’est l’autorité et la force que l’Etat donne à une partie de l’Etat pour servir l’Etat et la société. Au sein de l’Afrique actuelle, une minorité numérique (au sein des armées) rencontre, via le coup d’Etat qu’elle orchestre, une majorité populaire sur le plan idéologique et des besoins politiques. Les sociétés africaines prennent donc désormais leurs politiques en main à travers le coup d’Etatisme. Que cela débouche sur des résultats positifs ou non dans les années à venir est moins important que cette maîtrise de leur réel qu’elles entament.

Dès lors, les gardes présidentielles africaines deviennent des « chiens de garde » des peuples et leurs caisses de résonnance en traduisant en action politique les rêves caressés et les désirs profonds des populations africaines réléguées à de simples statistiques par la démocratie libérale. C’est là où le coup d’Etat négatif, très souvent démographiquement minoritaire, se différencie du coup d’Etatisme et rejoint la révolution dans le cas de l’Afrique où les coups d’Etat rencontrent un soutien populaire.

Primo, ces coups d’Etat militaires sont applaudis par les populations africaines qui ne défendent en retour aucun régime déchu dit démocratiquement élu. Deuxio, les populations africaines contestent les troisièmes mandats mais ne contestent aucun des derniers coups d’Etat militaires dans leur continent. Tertio, les troisièmes mandats tuent plus que les coups d’Etat militaires. La preuve, la contestation liée au troisième mandat du président ivoirien Alassane Dramane Ouattara a tué plus de personnes en Afrique que les quatre derniers coup d’Etat en Guinée, au Mali, au Burkina Faso et au Niger.

Le constat est clair et sans bavures : d’un côté, les sociétés africaines accueillent favorablement les coups d’Etat militaires et, de l’autre, les conflits pré et postélectoraux liés aux troisièmes mandats sont, dorénavant, plus thanatologiques en Afrique que les coups d’Etat militaires. La question de savoir comment et pourquoi le coup d’Etat militaire redevient le modèle politique gagnant en Afrique est donc cruciale dans un continent engagé dans un processus démocratique depuis les années 1980. Ces coups d’Etat sont-ils la sortie de l’Afrique de la poursuite de l’idéal démocratique ? Sont-ce son entrée dans la barbarie politique ? Pourquoi, alors que les coups d’Etat sont très souvent des moments de terreur houspillés par les peuples, ceux qui se font en Afrique ces derniers temps, sont plutôt encensés par les peuples africains ? N’est-il pas un signe positif de liberté des peuples africains que les coups d’Etat qui y étaient majoritairement commandités et pilotés par les anciennes puissances coloniales s’y fassent dorénavant à partir des Africains eux-mêmes ?

  • Entrée dans la barbarie politique et sortie de la démocratie ?

Les récents coups d’Etat africains sont-ils le retour de la barbarie politique, c’est-à-dire d’une grossièreté politique propre aux peuples barbares qui montreraient ainsi qu’ils ne sont encore entrés dans le temps démocratique signe d’une civilisation moderne des mœurs politiques ? Sont-ils des preuves que les peuples africains manquent d’esthétique et de goût politiques tant en applaudissant les modes non-démocratiques d’accès au pouvoir qu’en célébrant l’avènement à la tête de leurs Etats d’hommes en treillis qui désertent les casernes et montrent ainsi que les armées africaines manquent cruellement de professionnalisme ? Sont-ce une démonstration d’une Afrique non encore convaincue de Winston Churchill suivant lequel la démocratie est un mauvais système mais le moins mauvais de tous les systèmes ?

Force est de constater que la barbarie politique a commencé en Afrique avec les puissances coloniales qui ont détruit les systèmes politiques africains pendant l’Etat colonial et ont parachevé cette œuvre lors des indépendances en 1960 par la liquidation du leadership nationaliste et panafricaniste du continent. Des figures comme Ruben Um Nyobè au Cameroun, Patrice Lumumba en RDC, Sylvanus Olympio au Togo, Louis Rwagasore au Burundi, pour ne citer qu’elles, ont été liquidées par ce premier épisode de barbarie politique faisant lui-même suite à la barbarie multi-centenaire du commerce triangulaire. La première vague de coups d’Etat en Afrique est donc constituée de ceux des anciennes puissances coloniales sous formes d’élimination physique et/ou d’éviction du pouvoir des leaders africains nationalistes et panafricanistes au profit des collabos locaux.

La deuxième vague de coups d’Etat (1960-1980) survient dans une Afrique postcoloniale. Elle est surtout causée par les balbutiements institutionnels d’Etats africains encore très fragiles car à peine sortis du système colonial proprement dit et tout de suite soumis aux affres du néocolonialisme et de la guerre froide. C’est ainsi que le président gabonais Léon Mba déposé par l’armée gabonaise en 1964 fut réinstallé sur son fauteuil présidentiel par le général de Gaulle suite à une intervention directe de l’armée française au Gabon alors que d’autres militaires comme Mobutu ou Eyadema se maintinrent au pouvoir grâce à la rente géopolitique de la guerre froide. Dans la mesure où le processus démocratique engagé en Afrique avec les ajustements structurels en 1980 se clôture de nos jours par une troisième vagues de coups d’Etat militaire, il semble indiqué de considérer que celle-ci, lorsqu’on prend en compte les processus sociétaux réels, essaie de sortir l’Afrique d’un processus démocratique devenue lui-même une nouvelle barbarie politique des temps modernes. Comment le processus démocratique est-il devenu une barbarie politique en Afrique ? Les lignes qui suivent s’attèlent à l’éclairer.

  • Etatisme du coup

Le coup d’Etatisme africain fait aussi du coup d’Etat une action politique positive en Afrique parce qu’il est en lutte contre l’Etatisme du coup en vigueur dans ce continent depuis la période coloniale. L’Etatisme du coup est une main basse, un délit, une mauvaise action sur les sociétés africaines. Il agit via plusieurs modalités interdépendantes (Etats occidentaux, Etats africains, institutions internationales, idéologies dominantes…) qui s’opérationnalisent toutes par le biais de la systématisation d’une intervention étatique qui, depuis l’Etat-colonial, a porté un mauvais coup à l’Afrique dans le sens d’un mouvement par lequel un corps politique (l’Etat colonial) vient à heurter un autre corps politique (la société africaine précoloniale) qui se retrouve désorganisée dans ses fondements dans tous les domaines.

L’Etatisme du coup s’est ensuite manifesté en Afrique postcoloniale, notamment francophone, par la Françafrique, réseau mafieux qui orchestra, après les indépendances, de nombreux coups d’Etat en passant par les Etats africains postcoloniaux. Il prit la forme du coup de main (aides et appuis divers) de l’Etat français au régime postcoloniaux en place, des coups de feux à travers l’armées française (cas du Gabon en 1964), des coups tordus (introduction de la fausse monnaie en Guinée Conakry par la France en 1958), des coups de force du mercenaire français Bob Denard via le renversement de plusieurs régimes africains de 1980 à 1995 et du coup de folie lors du soutient total de l’Etat français à l’Etat centrafricain pour le sacre de Jean-Bedel Bokassa comme empereur.

Depuis les programmes d’ajustements structurels l’Etatisme du coup a pris une dimension économique et idéologique dominé par le libéralisme autoritaire[2]. Il prend la forme du choc économique ou d’une thérapie de choc qui renvoie aux mesures impératives de libéralisation économique imposées aux Etats africains par les puissances occidentales et les instances financières internationales. Les Etats africains ont ainsi été sommés d’appliquer à leurs propres sociétés des mesures d’austérité et de libéralisme sans passer ni par un débat avec les instances internationales ni par une discussion avec leurs sociétés via les assemblées nationales comme cela fut le cas en Europe à travers le parlement européen lors de la crise de la dette souveraine faisant suite la crise des crédits hypothécaires. Les conséquences de l’application de cette thérapie de choc aux sociétés africaines par ce libéralisme autoritaire ont été désastreuses étant donné qu’il en a résulté une redistribution du pouvoir politico-économique en faveur des Africains déjà fortunés, un recul de l’action publique, une favorisation des conditions économiques des multinationales occidentales et une hausse de la pauvreté, des inégalités et de l’exclusion sociale. D’où un renforcement de l’Etatisme du coup électoral car c’est l’Etat africain qui fut chargé d’implémenter toutes ces réformes de libéralisation dont la démocratisation. Celle-ci, maîtrisée par les Etats africains structurés de façon néo- patrimoniale[3], a vu se renforcer leur capacité de contrôler les processus électoraux, de fabriquer des résultats aux profit des régimes en place et de faire usage d’une inflation de la réforme constitutionnelle au service des acteurs dominants historiques. C’est la sortie de tous ces aspects de l’Etatisme du coup que cherchent les coups d’Etat qui s’enchaînent ces derniers temps en Afrique.

  • L’Afrique fait un coup d’Etat à la démocratie en mode kit

Dans « L’esprit du capitalisme ultime »[4], un de nos ouvrages publié en 2018, nous comparions les démocraties africaines à un meuble IKEA. C’est-à-dire à un produit fini qu’on achète sans connaître son concepteur, l’origine du bois, les conditions de travail de ceux qui le fabrique et encore moins son processus de production et les chaînes de valeurs qui le structurent. Tout ce qui importe à l’acheter d’un tel mobilier est d’avoir avec lui le kit de montage afin qu’il le monte chez lui en jouisse des bienfaits. La démocratie africaine est semblable à un meuble IKEA en ce sens qu’imposée de et par l’Occident comme un produit politique fini de consommation, les Etats africains la reçoivent comme un kit à monter dont les principales pièces sont le multipartisme, des élections, des observateurs, une assemblée multipartiste, une commission électorale, une constitution démocratique et une société civile.

Cette démocratie africaine est donc moins le résultat d’une histoire des luttes politiques et sociales intra-africaines et entre l’Afrique et l’Occident qu’un produit fini de l’histoire des autres que l’Afrique doit juste consommer : C’est la démocratie en mode kit. Une démocratie qui méprise le réel des autres, ne prend pas en compte leur histoire et s’impose à eux comme volonté de l’Occident et des instances internationales à un moment donné de l’évolution du système-monde dont il a le contrôle et oriente la forme.

En conséquence, au lieu que la démocratie africaine soit le résultat politique de la recherche d’une réponse endogène aux problèmes concrets du continent, elle est devenue une réponse toute faite par d’autres à l’usage de l’Afrique dont on ne respecte ni les temporalités sociopolitiques et économiques, ni les problèmes concrets des populations. De là l’aboutissement à des démocraties désincarnées étant donné que le montage du kit démocratique dépend moins de sa capacité à répondre aux questions africaines concrètes qu’à signaler son alignement aux exigences de la communauté dite internationale. Une telle pensée participe non seulement de ce que Vico appelle la barbarie intellectuelle étant donné l’histoire sinueuse de la démocratie en Occident, mais aussi de la barbarie économique qui, à travers les programmes d’ajustements structurels, décapita les Etats africains tout en leur imposant une démocratie de marché. Qu’on aboutisse aujourd’hui à des peuples africains qui encensent des putschistes, ne défendent aucun régime dit démocratiquement élu, rêvent d’union africaine via des figures militaires et vomissent les troisièmes mandats, est tout à fait plausible et compréhensible.

L’explication est que cette forme de démocratie n’a amélioré aucun aspect de leur vie, a aggravé la pauvreté et les inégalités via le néolibéralisme, a orchestré l’affaiblissement de leurs Etats, et a entériné le règne sans partage des dictatures déjà en place depuis des décennies. Les peuples africains ne défendent pas une telle démocratie parce qu’elle n’a aucune légitimité ; et elle n’a aucune légitimité parce qu’elle ne résout aucun de leurs problèmes concrets de développement. Dans un environnement où le kit démocratique n’a aucun ancrage sociologique et culturel réel, un régime africain dit démocratique n’a aucun avantage comparatif politique par rapport à un régime militaire africain.

  • Les peuples africains refusent les dynasties au pouvoir et les troisièmes mandats

Les démocraties en mode kit sont fondamentalement procédurales au sens où elles pensent que la démocratie se limite au vote alors que le vote n’est qu’un mécanisme, un outil de choix qui vient sanctionner toute une évolution sociale, politique et structurelle des institutions politiques, économiques, sociales et spirituelles dans un contexte donné. Une telle approche de la démocratie aboutit depuis plusieurs années à un électoralisme maîtrisé par les Etats africains et ceux qui les dirigent étant donné que c’est le régime au pouvoir et l’appareil institutionnel sous sa domination qui mettent en scène le vote, le calendrier électoral, sa supervision, son effectuation, ses acteurs pertinents et la production des résultats officiels qui seuls font le président élu. Le cratos (le pouvoir) qui s’exprime en Afrique est donc moins celui du demos (le peuple) que celui de l’appareil étatique contrôlé par les dynasties et les clubs élitaires au pouvoir au Congo Brazzaville, au Togo, au Gabon, au Cameroun, au Tchad, en Guinée Equatoriale…

Résultats des courses, de 1980 à nos jours, aucun vote n’a pu évincer les familles africaines détentrices du pouvoir exécutif. Seul un coup d’Etat militaire à évincé Mubutu au Zaïre et c’est aussi un Coup d’Etat militaire qui vient d’évincer la famille Bongo au Gabon. Il en découle qu’une démocratie sans assises sociologiques et culturelles endogènes n’a nullement empêché la reproduction durable des familles régnantes et des club élitaires au pouvoir. Elle a été soit inapte à contrecarrer leurs malversations électorales pour garder le pouvoir, soit incapable d’endiguer la domination totale que ces familles et les clubs élitaires au pouvoir ont sur les sociétés politiques africaines grâce à leurs immenses fortunes accumulées depuis les années 1960. Qui plus est, les constitutions africaines qui auraient pu limiter le nombre de mandats au pouvoir en organisant institutionnellement l’alternance font l’objet de modifications pour les mettre au diapason du rêve démiurgique du pouvoir à vie. Le coups d’Etat militaire devient donc un moyen de sortir de la barbarie politique tant parce qu’il est le seul instrument capable de limiter le nombre de mandats au pouvoir des dictatures qui se veulent éternelles que parce qu’il met fin au troisième mandat et au mandat à vie qui ont pignon sur rue en Afrique. Là où la Constitution et le vote ne peuvent arrêter les troisièmes mandats et le pouvoir à vie, le coup d’Etat militaire le peut. Il devient ainsi paradoxalement plus crédible et plus légitime que la démocratie en mode kit.

Les populations africaines, sans être viscéralement favorables aux coups d’Etat militaires, ont compris qu’avec l’électoralisme les plus puissants au pouvoir depuis toujours le resteront et garderont le pouvoir par tricherie ou par domination totale des sociétés grâce à leurs capacités financières de redistribution des rôles à leur profit. Ainsi, même lorsqu’ils gagnent les élections sans tricher, les dynasties et les clubs élitaires au pouvoir depuis les indépendances dans les pays africains sont vécues comme une injustice majeure par les populations africaines. La démocratie en mode kit ne peut corriger une telle injustice si elle les maintient au pouvoir. C’est là une autre preuve de l’échec de l’approche de la démocratie comme du café instantané. Echec aussi du processus commencé avec les ajustements structurels, continué à la Baule et poursuivi avec la chute du Mur de Berlin. La grande présence et influence de l’international dans les changements politiques en Afrique depuis les années 1980 semble faiblir devant la revanche desdites sociétés qui, à travers leurs processus réels, font que les coups d’Etats en Afrique intéressent de plus en plus le monde mais le monde a de moins en moins d’influence sur eux. Ce mouvement militaire de prise de pouvoir peut donner un ancrage populaire et souverainiste aux démocraties africaines réelles si les transitions politiques et de régimes sont bien négociées. Il peut poser les bases d’une démocratie africaine incarnée.

  • Récusation d’une démocratie appauvrissante et incapacitante…

La démocratie libérale n’est pas en très bonne santé en Occident. Les populations européennes ne sont plus certaines que leurs enfants vivront mieux qu’elles dans des sociétés où les richesses privées augmentent plus rapidement que la richesse nationale qu’est la croissance économique[5]. Le renforcement de la place des institutions technocratiques comme la banque centrale européenne et la commission européenne sans être porteuses d’un mandat électif fait que les experts prennent le pouvoir au détriment des peuples européens qui se voient dicter un libéralisme non démocratique alors que lesdits peuples ne sont pas d’accord avec toutes les mesures libérales prises. Dynamique qui donne lieu à des formes de démocraties antilibérales (Hongrie, Italie, USA de Trump…) où de libéralismes antidémocratiques[6] (commission européenne, BCE…). Un mouvement social comme celui des Gilets Jaunes en France est une preuve que la démocratie libérale n’arrive plus à réduire la pauvreté et les inégalités dans ce pays alors que l’envahissement du Capitole par les partisans de Donald Trump suite à un scrutin contesté témoigne d’une démocratie libérale incapable d’endiguer la violence dans les sociétés occidentales. Le lien tant exalté entre libéralisme économique, démocratie et développement des sociétés est donc de plus en plus mis en mal par des évolutions contradictoires qui montrent que le capitalisme globalisé détruit les Etats, appauvri les sociétés et abîme les bases de la démocratie réelle. À ces difficultés s’ajoutent l’essor des fake news, de la post-vérité et des discours de haine suite aux innovations communicationnelles induites par les nouvelles technologies de l’information et de la communication.

L’Afrique, consommatrice en mode kit de cette démocratie libérale, est aussi face aux désillusions de son rôle prétendument positif sur son développement. C’est que la marchandise vendue à l’Afrique était frelatée de gros mensonges historiques. La démocratie n’a jamais été au début du développement des sociétés. L’Occident par exemple a construit l’Etat, le droit, l’économie et ses spiritualités en passant par cinq siècles de monarchie absolue sans aucune démocratie. Celle-ci est arrivée alors que toutes ces institutions étaient déjà en place. La Chine se développe de nos jours sans aucune démocratie mais avec un parti unique de nature communiste qui régente tout. Les exemples de développement qui nous viennent de l’Afrique ces derniers temps sont, entre autres, ceux du Rwanda et de Guinée Equatoriale dirigés par des dictatures militaires arrivées au pouvoir par coup d’Etat. Cela veut dire que la légitimité des pouvoirs dans des contextes africains en carence de développement est de nos jours supérieure et préférée à la légalité des pouvoirs. C’est-à-dire que les populations africaines préfèrent un régime dictatorial qui donne un accès à l’eau potable, à la santé, au travail, aux logements et à l’électricité à une régime démocratique incapable de fournir ces commodités essentielles et de base. Le moment semble être propice à l’ordre, au travail et à la production par tous et pour tous pour que la vie s’améliore de façon à ce que la démocratie soit d’abord celle de l’accès de tous au bien-être élémentaire et à ses attributs.

Un autre mensonge historique qui participe du processus démocratique africain a été d’assener aux populations africaines l’idée d’une linéarité du processus démocratique et d’une démocratie qui causerait le développement économique. Les deux sont fausses. D’un côté le processus démocratique n’a jamais été linéaire nulle part. Si nous prenons le cas de l’Afrique, des coups d’Etat ont joué un rôle majeur dans l’évolution démocratique du Bénin, du Ghana, du Nigéria et de bien d’autres pays africains de telle sorte qu’on peut parler de putschs démocratiques. D’autre part, les travaux scientifiques ne montrent pas une causalité univoque entre démocratie et développement économique[7]. Tous les pays se sont construits étant des dictatures et la démocratie a permis de mieux réaliser la justice et l’Etat de droit dans de nombreux domaines sans être la cause principale de la prospérité des sociétés. En d’autres termes, si les régimes militaires africains peuvent et veulent construire leurs pays et le continent, ils peuvent y arriver comme le firent les généraux en Corée du Sud aujourd’hui un pays parmi les leaders mondiaux des nouvelles technologies.

  • Le cas du Sahel : Un souverainisme en quête d’une vraie démocratie

Le coup d’Etatisme contre l’Etatisme du coup, du mauvais coup, dirions-nous, est aussi en marche dans le Sahel. Le mauvais coup ici est que ce ne sont pas des dictatures africaines qui sont responsables de ce qui se passe au Sahel mais les démocraties occidentales. Cinq chefs d’Etat africains dans un avion en direction de Tripoli pour négocier une solution pacifique et panafricaine à la crise libyenne ont été obligés de rebrousser chemin suite à la menace de l’OTAN d’abattre leur avion dans le cas contraire[8]. Ce sont donc deux démocraties occidentales (la France de Nicolas Sarkozy et les USA de Barack Obama notamement) qui ont détruit la Libye via des bombes dites à fragmentations démocratiques mais dont le résultat, aujourd’hui, sont d’avoir fait de la Libye un Far West dont les désordres structurels instabilisent et insécurisent le Sahel où les mêmes démocraties occidentales viennent désormais jouer aux pompiers pyromanes. La démocratie à coups de bombes a fait régresser la Libye d’un pays avec un niveau de vie envié par de nombreux pays africains à un pays où les factions islamistes et tribales se disputent le maillot jaune du plus violent des violents. Les rapports entre de nombreux pays du Nord dits démocratiques et les pays africains ne sont donc jamais démocratiques. Ils prennent le plus souvent la forme d’un étatisme du mauvais coup dont les modalités sont soit des conditionnalités pour accéder à l’aide au développement, soit des bombes censées apporter la démocratie, soit le capitalisme autoritaire via des réformes impératives de libéralisation[9].

En conséquence, les opérations Serval, Barkhane et Takouba se sont révélés être plus des stratégies géopolitiques de la France et de l’Europe au Sahel qu’une vraie coopération pour trouver des solutions durables aux problèmes du Sahel. Et pourtant, comprendre le Sahel pour lui-même et non de façon instrumentale pour les objectifs hégémoniques des autres, revient à le considérer à nouveau comme un territoire réel au-delà d’un simple point saillant de la carte du terrorisme en Afrique et dans le monde. C’est-à-dire qu’il faut prendre le Sahel comme un milieu de vie, un espace maîtrisé par des acteurs en conflits multiples dont les dynamiques ne sont pas seulement des marqueurs de violence, mais aussi des preuves d’une sociabilité et d’une vitalité politiques qui le caractérisent. Il s’agit de restituer l’historicité du Sahel. Celle-ci montre que ce que la communauté internationale connait et désigne aujourd’hui par Sahel est au cœur des constructions impériales les plus riches d’Afrique. L’empire du Ghana, l’empire du Mali, l’empire Songhaï, l’empire Ashanti, l’empire Oyo, l’empire Samori et l’émirat de Sokoto, constituent la mémoire spatiale, politique, sociologiques et environnementale d’une grande partie du Sahel actuel. Or, qui qui dit empires, dit constructions de grands ensembles territoriaux, politico-économiques et sociaux gouvernés de façon différenciés par des pouvoirs centraux hégémoniques. Il en découle que la dynamique historique de ce qu’on peut appeler le Sahel ancien a pour force motrice des rivalités et des conflits entre classes sociales au sein d’empires et entre les empires voulant se vassaliser les uns les autres. Frédéric Cooper, spécialiste internationalement reconnu de l’Afrique note que « l’Ashanti, un royaume situé à l’intérieur des terres, étendit son territoire au XVIIe et XVIIIe siècles en conquérant et en incorporant un large éventail de société de son voisinage […] Des routes commerciales reliaient ce royaume et la côte et, via le Sahel et le Sahara, à l’Afrique du Nord […]. Durant le XIXe siècle, les empires islamiques du Sahel occidental furent bâtis non seulement sur les réseaux transsahariens d’élites religieuses de commerçants et de pasteurs, mais aussi sur un projet réformiste : construire un État véritablement islamique en ajoutant de la rigueur aux mélanges d’éléments religieux et culturels qui caractérisent les royaumes sahéliens » [10]. Il en découle que le Sahel ancien est marqué par des constructions politiques impériales, des conflits entre empires concurrents, entre des populations aux statuts asymétriques (esclaves/hommes libres ; aristocratie pastorale/aristocratie religieuse…), une intense activité commerciale reliant l’Afrique du Nord et l’Afrique subsaharienne à travers les routes transsahariennes, une religion dominante (l’islam) et un projet de construction d’un État islamique. Il va sans dire que cette mémoire historique doit être connue et prise en compte dans les politiques sécuritaires car elle se retrouve dans la crise sécuritaire et humanitaire contemporaine du Sahel.

Le Sahel ancien devint, avec la Conférence de Berlin de 1884, le lieu de deux colonisations concurrentes. D’une part, la colonisation des autochtones animistes du Sahel préislamique par les islamisés et des religions animistes par l’islam, puis la colonisation des islamisés par les puissances coloniales occidentales à travers la construction des empires coloniaux[11]. L’approche instrumentale du Sahel est donc très ancienne de la part des acteurs hégémoniques islamiques et occidentaux qui vont travailler en interactions déjà pendant la période coloniale.

En effet, la colonisation du Sahel islamisé par les Occidentaux va reconduire les hiérarchies sociales et communautaires déjà existantes. C’est-à-dire que pour asseoir le règne des États coloniaux, les Occidentaux vont s’appuyer sur les chefs et les communautés islamiques déjà dominantes. D’où une nouvelle stratification du pouvoir où les Occidentaux commandent les islamisés qui commandent les autochtones non islamisés mais libres qui, à leur tour, commandent les esclaves. Un tel état des choses n’a pas complètement disparu aujourd’hui des pays comme le Mali, la Mauritanie, le Tchad, le Niger et même le Nord du Cameroun qu’on peut intégrer au Sahel au sens large, et où l’esclavage perdure autant que des tensions entre descendants d’esclaves et « nobles » très souvent dans une recomposition postcoloniale de leurs alliances hégémoniques avec les pouvoirs modernes en place[12]. L’accord pour la paix et la réconciliation au Mali signé le 14 mai 2015 sonne comme une sorte de reproduction postcoloniale des alliances coloniales entre acteurs hégémoniques occidentaux (la France) et locaux du mouvement de libération national de l’Azawad (MNLA) lorsqu’on se rend compte qu’il consacre l’Azawad comme territoire alors qu’il n’y a aucune trace dans l’histoire du Mali d’un royaume, d’un village ou d’une communauté qui y renvoie[13]

Dans ces conditions, le coup d’Etatisme qui prévaut au Sahel et dont les figures marquantes sont le colonel Assimi Goita du Mali, le capitaine Ibrahim Traoré du Burkina Faso et le général Tiani du Niger a pour objectif de fond de reconquérir la souveraineté/l’autonomie de leurs pays seule condition de possibilité d’une vraie démocratie. En fait aucune réelle démocratie n’est possible si un Etat n’a pas le monopole de la violence légitime via lequel il maîtrise son territoire, contrôle ses populations, gère ses ressources naturelles et calibre ses relations avec l’extérieur. Il devient donc compréhensible que les populations africaines dont le rêve panafricaniste reste vivace utilisent ces nouvelles figures révolutionnaires comme des chevaux de Troie du début de sa matérialisation à travers des relents d’une nouvelle indépendance après celles factices de 1960. Au Sahel comme partout en Afrique, ce sont les besoins réels des populations qui l’emportent sur les normes démocratiques et/ou institutionnelles consacrées. Ce sont ces besoins réels des populations qui inspirent les expériences politiques africaines du moment dans des sociétés qui font le constat amer que les normes démocratiques imposées par la communauté internationale sont conservatrices et ne peuvent, contrairement à leur transgression qu’entraîne le coup d’Etatisme, créer de nouvelles normes moins méprisantes du réel des sociétés africaines et capables de leurs émancipation.

Les peuples africains ne sont pas dupes. Ils savent bien que l’Afrique des militaires a déjà existé avant les années 1980 et que celle-ci s’est soldée par des transitions interminables sans aucun gain de bien-être individuel et sociétal. Le comportement favorable que ces peuples affichent face aux coups d’Etat du Sahel est qu’ils perçoivent, compte tenu de la crise d’épilepsie politique que leurs leaders donnent à la France, que ce sont des prises de pouvoir de rupture par rapport à la domination de cette ancienne puissance coloniale en Afrique. Le faible enthousiasme desdits peuples après le coup d’Etat au Gabon témoigne au contraire de leur conviction qu’il s’agit là non d’un coup d’Etat de rupture par rapport à la Françafrique, mais d’une stratégie d’endiguement d’un vrai coup d’Etat de rupture pouvant contrarier la Françafrique en Afrique centrale. Nos regards sont donc désormais tournés vers le Cameroun où, d’Après Achille Mbembe, « Réussir la succession de Paul Biya est un objectif politique stratégique du quinquennat d’Emmanuel Macron. »[14].

Thierry AMOUGOU, économiste, Pr. Université catholique de Louvain (UCL), dernier ouvrage publié. Pandémisme ou les tremblements de l’anthropocène. Esquisse d’une société pandémique moderne, 2022, Louvain-la-Neuve, Academia.


[1] G. AGBALIAN, 2019, « Isme : suffixe modal pour la formation de noms de discours », Travaux de Linguistique, n°79, pp.43-78.

[2] Concernant d’autres variantes du libéralisme autoritaire on peut consulter H. HELLER & C. SCHMITT, Du Libéralisme autoritaire, Paris, la Découverte, 2020.

[3] J-F. MEDARD, « L’Etat patrimonialisé », Politique africaine, n°39, pp. 25-36, 1990.

[4] T. AMOUGOU, L’esprit du capitalisme ultime. Développement, démocrate et marché, Louvain-la-Neuve, PUL, 2018.

[5] T. PICKETTY, Le capital au XXIè siècle, Paris, Seuil, 2013.

[6] Y. MOUNK, 2019, Les peuples contre la démocratie, Paris, LGF.

[7] T. AMOUGOU, Qu’est-ce que la raison développementaliste ? Louvain-la-Neuve, Academia, 2020.

[8] Cet épisode est relaté dans des vidéos par deux présidents africains encre en exercice que sont Téodoro Obiang Nguema de Guinée Equatoriale et Yoweri Museveni de Mozambique. Voir la vidéo sur  (20+) Facebook

[9] T. AMOUGOU, 2018, op.cit.

[10] F. COOPER, L’Afrique dans le monde. Capitalisme, Empire, Etat-nation, Paris, Petite bibliothèque Payot, 2022, pages 88 et 89.

[11] T. AMOUGOU, 2016, op.cit.

[12] R. ATIMNIRAYE NYELADE & A. BINDOWO, Lamidalisme, colonisalisme, esclavage et génocide des autochtones au Nord du Cameroun : Aux confins de l’expérience cachée des Fali, Canadian Scientific Publishing, 2021.

[13] A. BOURGEOT, « Accord pour la paix au Mali :  bilan et perspectives », Recherches internationales, 2021, pp.101-1016.

[14] A. MBEMBE, « Cameroun-France : Tout se joue aujourd’hui », Jeune Afrique, mis en ligne 4 Août 2022 et consulté le 4 septembre 2023. https://www.jeuneafrique.com/1366751/politique/cameroun-france-tout-se-joue-aujourdhui-par-achille-mbembe/

Les médias en Afrique subsaharienne : Enjeux et perspectives démocratiques

Par Christian Dior MOULOUNGUI, philosophe, enseignant de philosophie et Doctorant à l’Université Omar Bongo (Gabon)

Résumé

Cet article étudie le rôle indéniable et inéluctable des médias dans le processus de démocratisation en Afrique subsaharienne. En effet, les médias dans leur vocation première, celle d’informer, de divulguer la vérité et de dénoncer, à notre humble avis, participent à l’effectivité d’une organisation politique démocratique adéquate dans les États dits ouverts et consensuels. En principe, ils sont supposés être considérés comme la matrice de la plénitude démocratique. Malheureusement, l’obstacle de l’émergence médiatique en Afrique aurait donc un fondement politique, à savoir : de multiples tentatives despotiques de la volonté des pouvoirs politiques de contrôler la presse et les médias. Mais, notons-le, cet obstacle ne serait pas spécifiquement africain. En raisonnant ainsi, il s’agit donc de comprendre qu’il est incommode de vouloir mettre en exergue une organisation démocratique des médias libres et transparents en Afrique. Face à ce dilemme, il convient maintenant aux journalistes africains soit de rester fidèles à leur mission si noble afin de faire éclore la démocratie dont l’expression est la critique et la liberté au risque et péril de leur vie, soit ils renoncent au titre de grands gardiens de la démocratie et de grands prêtres de la liberté, en acceptant d’être amadoués et asservis pour des raisons hypothético-politiques.    

Abstract

This article studies the undeniable and ineluctable role of the media in the process of democratization in sub-Saharan Africa. Indeed, the media in their primary vocation, that of informing, divulging the truth and denouncing, in our humble opinion, contribute to the effectiveness of an adequate democratic political organization in the so-called open and consensual States. In principle, they are supposed to be seen as the matrix of democratic fullness. Unfortunately, the obstacle of media emergence in Africa would therefore have a political basis, namely: multiple despotic attempts by the will of political powers to control the press and the media. But, let us note, this obstacle would not be specifically African. By reasoning in this way, it is therefore a question of understanding that it is inconvenient to want to highlight a democratic organization of free and transparent media in Africa. Faced with this dilemma, it is now appropriate for African journalists either to remain faithful to their noble mission in order to bring about democracy, the expression of which is criticism and freedom at the risk and peril of their lives, or they renounce the title of great guardians of democracy and high priests of freedom, by agreeing to be cajoled and enslaved for hypothetico-political reasons

Introduction

          Parler des médias dans le processus ou effectivité de démocratisation, à notre humble avis, revient à évoquer une autre forme du pouvoir de surveillance. Justement, une forme du pouvoir de surveillance qui est censé informer, conscientiser et dénoncer les dérives du pouvoir politique ou peindre les actions de ce dernier. Laissons Pierre Rosanvallon entendre dire : « Les médias, pourrait-on dire, constituent la forme routinière et fonctionnelle d’une démocratie de surveillance dont les organisations militantes de la société civile incarnent en quelque sorte le pole activiste. Ils sont pour cela fonctionnellement complémentaires »[1]. D’où effectivement, dit-il, «  ce qui donne sa consistance au célèbre mot d’ordre : Ne détestez pas les médias, devenez les médias »[2]. En effet, il est fort probable d’estimer que cette observation nous permet logiquement de comprendre que les médias occupent une place primordiale dans le nouvel espace des pouvoirs de surveillance. A cet effet, ils sont le substrat d’une organisation de la vie démocratique adéquate dont les effets concours à la prise en compte de la volonté du peuple.

          A partir de là, il convient manifestement d’affirmer, qu’au-delà d’autres formes du pouvoir de surveillance, il y a bel et bien une contribution inestimable et avérée des médias dans la structuration démocratique pays africains subsahariens. Dans cette perspective, nous voulons montrer que dans son processus de démocratisation, l’Afrique subsaharienne doit rationnellement prendre en compte le rôle principal et substantiel des médias. Dans ces conditions, les Africains ont intérêt de promouvoir une politique de visibilité, de lisibilité et de transparence des médias dans la délibération politique en Afrique. Par ailleurs, il s’agit de noter que cet idéal médiatique, voire le rôle prépondérant des médias dans le processus de démocratisation en Afrique subsaharienne, souffre d’une invisibilité aiguë. Pour ainsi dire, à notre sens, l’émergence des médias en Afrique subsaharienne est, malgré tout, sujette à un certain nombre de blocages liés aux libertés d’expression et à l’effectivité structurelle provenant de la politique arbitraire des dirigeants africains. Emmanuel-Thierry Koumba n’en pense pas moins lorsqu’il affirme en substance que « nonobstant la volonté de porter certaines modifications positives dans l’organisation de la presse, au Gabon et dans d’autres pays africains, il existe de multiples  manœuvres totalitaires du contrôle de la presse et des médias par les pouvoirs politiques[3] ». Il est donc fort possible de croire que les médias en Afrique subsaharienne fonctionnent de façon arbitraire, tout comme la démocratie avance à pas de caméléon, pour emprunter l’expression de Richard Banégas[4]. De ce fait, la dynamique et la transparence des médias sont à l’image d’une démocratie authentique, et donc d’une structuration politique optimale prenant en compte les aspirations et la volonté du peuple. C’est pourquoi, bien évidemment, dans cet article, nous voulons analyser et démontrer le rôle que doivent jouer normalement les médias dans le processus de démocratisation en Afrique subsaharienne, au-delà de toute opposition totalitaire des pouvoirs politiques et la manifestation des aléas de la censure dont ils font face. Tout compte fait, il s’agira donc ici, nous semble-t-il, d’analyser concomitamment et corrélativement les médias écrits et audiovisuels dans le processus de démocratisation en Afrique subsaharienne, puis nous évoquerons Internet comme nouveau média à considérer dans la délibération politique sous la lumière de Pierre Rosanvallon[5] et enfin nous ferons un détour en ce concerne la publicité dans l’espace public par le canal de la lumière de Jürgen Habermas[6].         

La démocratie et la césure des médias en Afrique subsaharienne

    Les médias représentent-ils un atout ou un danger pour la démocratie en Afrique subsaharienne ? Dans cet article, il s’agit de montrer comment les médias sont censurés, aliénés et corrompus dans les États d’Afrique subsaharienne. Toutefois, nous analyserons en dernier ressort, bien entendu, la nécessité des médias dans le processus de démocratisation en Afrique subsaharienne. Bref, nous le savons, les médias sont un atout pour la démocratie, où que nous soyons et quel que soit l’État qu’il s’agisse, développés ou sous-développés. En effet, les médias, en l’occurrence la presse écrite, la télévision, la radio, ou encore Internet, sont l’image d’une réelle liberté d’expression, et donc de l’effectivité de la démocratie dans sa plénitude, malgré qu’elle soit toujours un processus politique en construction, voire en puissance. Partant de là, nous comprenons sans doute que les médias jouent un rôle crucial dans la vie démocratique. Ils sont relativement constitutifs et participatifs au bon fonctionnement de la démocratie. Pour ce faire, ils véhiculent auprès des populations l’action de la politique des gouvernants et dénoncent, quand il le faut, les revers et dérives du pouvoir en place. De même, ils permettent effectivement à l’opposition de rendre manifeste leurs actions politiques. C’est-à-dire, ils couvrent également la direction politique et la critique de l’opposition à l’égard des gouvernants.

          A l’évidence, ils travaillent pour la lisibilité de l’action politique des dirigeants et de l’opposition auprès des populations. C’est donc une mission caractérisée par l’information, la prise de conscience et la critique, pour tout journaliste qui se veut professionnel. Edouard Balladur note avec pertinence que « les journalistes, s’ils sont fidèles à leur mission, et même s’ils se trompent, remplissent une fonction indispensable. Grâce à eux et par eux, la critique s’exprime tous les jours.»[7]. Ainsi, ils contribuent à la constitution et au fonctionnement de l’espace public ouvert à la discussion, à la controverse et à la délibération. Toutefois, dans ce monde médiatisé où règnent abus et corruption du pouvoir, nous semble-t-il, il est difficile de s’exprimer, de transmettre et de comprendre l’information dans les États de l’Afrique subsaharienne. Dans ce cas de figure, la censure bat son plein dans la vie politique africaine. Tout compte fait, il faut dire que ces dernières années, en Afrique subsaharienne, la censure politique exercée sur les médias est devenue la nature de tout régime de la sous-région. C’est ce qui traduit logiquement l’éternelle problématique de la bonne gouvernance. Sachant bien que la presse et les médias constituent le quatrième pouvoir après le pouvoir exécutif, législatif et judiciaire. Pour dire les choses autrement, l’expression quatrième pouvoir désigne la presse et les médias. Par extension, le quatrième pouvoir regroupe tous les moyens de communication qui peuvent servir de contre-pouvoir face aux trois pouvoirs incarnant l’État (pouvoir exécutif, législatif et judiciaire), en recourant au principe de protection des sources d’information des journalistes.

Mais malheureusement, le problème est que ce quatrième pouvoir ne fonctionne pas comme l’aurait voulu l’idéal démocratique. Il devient à cet effet, de par sa critique, son sens d’informer les populations et sa dénonciation des revers du pouvoir, une menace pour les gouvernants. Dans ce contexte, il faut impérativement essayer de le faire taire par tous les moyens possibles, à savoir : censure, emprisonnement, corruption des journalistes. Les médias deviennent ainsi le cauchemar et la contrainte des hommes politiques, comme le pense Edouard Balladur. D’après lui, « Cauchemar du politique, qui les redoute tellement qu’il voudrait les amadouer, quand ce n’est pas les asservir »[8]. Pour ainsi dire, la critique des journalistes constitue une sorte d’opposition pour les gouvernants. Alors que nous savons que les journalistes sont là pour informer les populations des réalités de l’action gouvernementale, et dénoncer, si possible, les dérives autoritaires des pouvoirs politiques.

          Cela dit, les médias veillent au bon fonctionnement de la démocratie et donc ils sont considérés comme les garants de la liberté : « Les journalistes sont résolus à tout savoir, tout juger, convaincus d’être les gardiens de la démocratie, les grands prêtres de la liberté. C’est leur raison d’être »[9]. Il s’agit donc d’affirmer que les populations et les gouvernants trouvent le salut dans la presse, ils vivent de leurs écrits et paroles. C’est une aberration démocratique, pour les dirigeants africains, de vouloir corrompre ou stigmatiser le droit des journalistes de parler, d’informer, de juger et de dénoncer quand la nécessité se fait. En principe, personne ne peut échapper à la vérité des médias. Dans l’exacte mesure où ils sont à la recherche accrue de l’information pour rendre la vérité évidente. C’est pourquoi, d’ailleurs, Edouard Balladur estime que « le Politique est percé à jour, défini, jaugé, catalogué, et, quoi qu’il fasse, il lui sera difficile d’échapper à ce qui a été dit de lui »[10]. Ainsi, le politique ne peut être invincible ou impliciter sa politique démagogique face à la force des médias, il est soumis à leur critique, contrôle et jugement. Dans cette perspective, ils remplissent ainsi leur mission indispensable et humaniste : « Grâce à eux et par eux, la critique s’exprime tous les jours, alors que le peuple vote rarement ; ainsi la délégation de pouvoir qu’il consent à ceux qu’il élit n’exclut-elle pas un contrôle quotidien. Qui pourrait l’assurer, sinon les journalistes ? »[11]. C’est là même la signification de la liberté d’expression, et donc la survie de la démocratie. D’où effectivement, notons-le, « le Politique ne se sente jamais à l’abri, qu’il soit appelé à se justifier publiquement aussi souvent que l’opinion le réclame ; c’est l’une de ses servitudes les plus lourdes, mais la plus nécessaire »[12]. A ces propos, il faut noter au passage que la justification publique de l’action gouvernementale face au peuple se fait par le moyen des médias. Mais l’objectif des gouvernants africains est de chercher à faire taire ou amadouer les journalistes dans l’optique de les contrôler et de les corrompe. Heureusement, force est de constater que c’est dans le peuple et le souci de dire la vérité que les journalistes trouvent leur courage et leur secours de rester fidèle à leur mission, faute de quoi, à notre sens, ils seront prisonniers du pouvoir politique en exercice.

          C’est dans ce sens, justement, que les journalistes doivent être adeptes de la critique plutôt que la louange des gouvernants. Pour Edouard Balladur, « La presse préfère la critique à la louange. Elle demeure un contre-pouvoir, elle le restera ; le Politique ne tentera pas de l’en empêcher, ce serait peine perdue. A trop chercher à lui plaire, il témoignerait de sa faiblesse, elle réclamerait sans cesse davantage »[13]. De même, au niveau des réseaux sociaux ou d’Internet, les dirigeants africains tentent, lors des échéances électorales, de censurer les médias avec la dernière énergie. C’est dans l’optique d’étouffer la vérité des urnes et donc de promouvoir la fraude et de pérenniser le pouvoir. D’après Mai Truong, « En Afrique subsaharienne, nous constatons que les autorités dirigent souvent les fournisseurs de services internet, les FAI, pour bloquer une liste noire d’URL »[14]. Pour Mai Truong, les différents cas de censure d’Internet sont souvent dus à la mainmise de l’État sur les fournisseurs d’accès Internet qui ont, ou du moins, des liens étroits d’avec le gouvernement. Plusieurs États de l’Afrique subsaharienne, explique-t-elle, ont plus souvent eu recours à une forme de censure d’Internet. Par exemple, la suppression de contenus déjà publiés. Ils peuvent aussi procéder par la pression juridique ou militaire pour obliger les opérateurs de certains sites web à supprimer tous les textes et commentaires susceptibles de nuire au pouvoir politique en place. Partant de là, il faut comprendre que les autorités africaines sont prêtes à tout pour entretenir et conserver le pouvoir.

Il est d’autant plus raisonnable de dire que c’est ce qui sous-entend, de près ou de loin, que les médias sont d’emblée leurs premiers obstacles pour enraciner le peuple dans la corruption du pouvoir et toutes les dérives qui s’en suivent dans la gouvernance de la Cité. Pour illustrer de cas pratiques à la censure des médias en Afrique subsaharienne, Marie-Soleil Frère[15] évoque trois incidents dans la « Censure de l’information en Afrique subsaharienne francophone : la censure dans les régimes semi-autoritaires » :

D’abord, au Burundi, en septembre 2011, un groupe armé non identifié attaque un bar dans une localité, Gatumba, située à 15 km de Bujumbura, faisant plus de 40 morts. Trois jours plus tard, le ministère de l’information interdit aux médias burundais de publier, commenter ou analyser toute information liée au massacre. Plus encore, toutes les émissions en direct à caractère politique sont suspendues durant un mois. Le prétexte invoqué est celui de la nécessité de ne pas entraver l’enquête, un argument relevant de la sécurité nationale[16].

Ensuite, quelques mois plus tard, en République démocratique du Congo (RDC), en décembre 2011, suite au déroulement du second tour de l’élection présidentielle, le ministère de l’intérieur et de la sécurité ordonne la suspension du service SMS de tous les réseaux de téléphonie mobile. Raisons avancées : la préservation de l’ordre public et un aboutissement heureux du processus électoral en RDC[17].« Les SMS étaient en effet largement utilisés pour mobiliser l’opposition politique qui dénonçait la manipulation des résultats »[18].

Enfin, plus récemment, le 23 mars 2013, au Tchad, le blogueur et activiste Jean Étienne Laokolé, qui contribuait sous pseudonyme au blog d’un Tchadien de la diaspora, est arrêté par les forces de sécurité, après que son identité eut été révélée sur un autre blog. Après avoir passé cinq mois en détention, il est condamné à trois ans de prison avec sursis pour diffamation et complot d’atteinte à l’ordre public[19] n’ayant pas abouti[20].

Ces différentes formes de censure montrent qu’il s’agit d’une pratique qui intègre la nature de la politique des États de l’Afrique subsaharienne. C’est ce qui implique manifestement l’oppression et la privation des libertés d’expression, de conscience et d’agir. Cela sous-entend que « Les droits de l’homme associés aux démocraties libérales et républicaines n’offrent plus les garanties, ni ne constituent plus les systèmes de défenses imparables des individus qu’ils prétendaient être »[21]. Alors que nous sommes à l’ère de la gouvernance démocratique, où la liberté d’expression se doit d’être matérialisée, concrétisée. En réalité, c’est pourquoi, finalement, il faut affirmer que cette censure des médias traduit consensuellement le déficit de l’objectivité du droit dans les États d’Afrique subsaharienne.         

Quelle est la place pour des médias écrits et audiovisuels dans le processus de démocratisation ?

         On ne peut sans doute parler de la démocratie sans le concours médiatique dans les pays dits démocratiques en général et dans les pays d’Afrique subsahariens, en particulier. Dans l’exacte mesure où ils sont la voix du peuple sans voix et le substrat du fonctionnement de l’espace public, voire de la vie démocratique. Revenons aux médias écrits et audiovisuels dans le processus démocratisation. En effet, les médias ont toujours accompagné la démocratie dans son processus. C’est pourquoi, expliquons-le, dans leur participation au fonctionnement optimal de la démocratie, ils ont une fonction première : celle de dire la vérité, d’informer et de dénoncer lorsque le besoin se fait sentir. D’abord, dire la vérité fait partie de l’un des principes de l’éthique de la communication, dans la mesure où les médias constituent évidemment un espace public et critique face au fonctionnement du pouvoir politique en Afrique subsaharienne. C’est-à-dire, ils se font donc critique à l’égard de la politique autoritaire des gouvernants, à la corruption et donc aux dérives de la démocratie. Pour ce faire, les médias en disant la vérité des faits basés sur les sources fiables, non seulement participent ou contribuent à la fiabilité de la démocratie en Afrique, mais également ils remplissent pleinement leur tâche, celle d’être la voix du peuple sans voix. Car : « La communication n’est pas la perversion de la démocratie, elle est plutôt la condition de fonctionnement »[22]. Ensuite, les médias écrits ou audiovisuels doivent informer les populations africaines sur les différents domaines de la société, voire sur les faits sociétaux. Comme par exemple, nous pouvons le dire, dans le domaine économique, politique, éducatif, culturel, etc. ils doivent être à la quête de l’information avérée et tangible par le canal de sources sûres, afin d’édifier les populations. Bien sûr, un peuple qui n’est pas informé est un peuple ignorant et donne une nation faible. Si c’est le cas, les médias seraient alors en marge de l’éthique de la communication et mettraient en faute leur tâche, d’être la voix du peuple. Enfin, la dénonciation constitue un facteur primordial pour la presse parce qu’elle permet à la presse écrite ou audiovisuelle de mettre en lumière les abus, l’aliénation et la corruption du pouvoir politique en Afrique.

         Pour ce faire, c’est à travers la dénonciation ou des articles à caractère satirique que le journaliste prend la pleine mesure d’assumer son rôle d’éveiller les consciences des populations africaines. Comme pour dire, si le journaliste ne dénonce pas les dysfonctionnements de l’organisation d’un État, alors les populations africaines demeureraient dans un sommeil dogmatique, et qu’il faillirait à sa mission première. C’est pourquoi, bien entendu, dans les sociétés démocratiques ou encore dans les pays développés, l’éveil ou la conscientisation des populations passe par l’information et la dénonciation médiatiques. Le journaliste britannique, John Wilkes, dans son The North Briton incarne bien l’image de cette dénonciation. En effet, dans son journal, il aurait mis une mouvance satirique pour attaquer et se moquer du roi George et de Lord Bute. Il ne s’est pas arrêté avec eux, mais a ciblé aussi des politiciens. Cependant, quel rôle peut jouer Internet dans la vie politique ou démocratique aujourd’hui ?

Internet comme nouveau média : Pour quelle implication démocratique, selon Pierre Rosanvallon ?

          Aujourd’hui, bien sûr, Internet occupe une place importante dans la vie politique et sociale en démocratie en général et dans l’organisation politique africaine, en particulier. Pour dire les choses autrement, selon Pierre Rosanvallon, « La Toile est aussi devenue une forme sociale à part entière, en même temps qu’une véritable forme politique »[23]. Nonobstant les dérives d’Internet et ses aléas, nous mettons en exergue ici son rôle et sa nécessité dans le processus démocratique. Il apparaît dans ce cas de figure, finalement, comme un nouveau média participatif à la vie sociale et politique. Pierre Rosanvallon pense que nous devons « appréhender l’internet sous les espèces d’un nouveau média »[24]. Celui-ci permet effectivement, explique-t-il, la circulation des opinions, des informations et les analyses. A cet égard, affirme Pierre Rosanvallon, nous comprenons manifestement que l’Internet est donc bien un média spécifique en termes de coûts d’accès, de mode de production, de processus de diffusion, et régulation. Justement, à travers l’Internet nous avons une nouvelle vision de la sphère organisationnelle étatique promettant une politique africaine de visibilité et de lisibilité. Dans l’exacte mesure où, nous pouvons l’affirmer, qu’il est devenu à part entière une forme sociale et une forme politique que la vie politique africaine doit s’approprier. Ce qui nous permet de l’analyser sous deux angles : social et politique.

          D’abord Internet comme forme sociale. Lisons Pierre Rosanvallon pour l’entendre dire : « C’est une forme sociale originale en premier lieu, parce qu’elle concourt sur des modes inédits à la constitution des communautés »[25]. Il s’agit de comprendre, selon Pierre Rosanvallon, qu’Internet crée un univers social planétaire en mettant en évidence dynamiquement la circulation, l’interaction libre, succession de rendez-vous ponctuels, la possibilité ouverte de branchements arborescents[26]. Du point de vue de l’auteur, Internet est une forme sociale parce qu’il exprime de manière instantanée l’opinion publique. Dans cette perspective, Internet apparaît alors comme une somme d’intelligences et de toutes les volontés pour dire les tourments du monde social, où jeunes et adultes africains et du monde entier expriment leurs opinions. A cet effet, rappelons que les grands médias, radio, presse et télévision, ont toujours accompagné les mouvements culturels et sociaux. Toutefois, avec l’arrivée d’Internet et du multimédia, nous sommes dans un nouveau paradigme ou paysage médiatique contemporain. Ainsi, il sied de retenir, pour notre part, qu’Internet et les nouvelles technologies de la communication sont aujourd’hui considérés logiquement comme des éléments constitutifs et participatifs des pratiques culturelles et sociales.  

           Ensuite, Internet comme une forme politique. D’après Pierre Rosanvallon, « Dans les années 1980, l’idée dominante était que les nouvelles technologies de la communication allaient bouleverser les pratiques démocratiques en permettant une intervention plus directe des citoyens »[27]. Il faut dire que la forme politique d’Internet peut être comprise comme étant une révolution dans le domaine du pouvoir de la politique africaine. Bien entendu, c’est un changement de paradigme qui rend manifeste « une modification de l’architecture du droit dont la structure pyramidale ou hiérarchique cède du terrain au jeu horizontal des réseaux »[28]. Pourquoi ? Parce qu’Internet serait alors, à notre humble avis, le canal par lequel on diffuse de manière virale, rapide et transfrontalière l’émancipation de l’homme, certaines connaissances et surtout les opinions politiques et la transparence démocratique en Afrique. Autrement dit, c’est le symbole de la liberté d’expression, d’émancipation[29] et de contestation[30] citoyenne. Celui-ci aurait apporté de moult mutations dans le processus de démocratisation en Afrique subsaharienne, en posant de nouveaux rapports entre les citoyens africains et leurs gouvernants. Dans ce cas de figure, il est donc possible d’affirmer qu’Internet s’impose également comme un média qui met en évidence l’effectivité de la médiation de l’expression politique africaine, de par la quantité d’information qu’il propose. En quelques mots, il est un outil complexe à appréhender et peut revêtir de nombreux rôles dans la vie politique que sociale en Afrique subsaharienne. Mais le rôle d’Internet qui cadre dans notre analyse ici bien entendu, est celui de rendre visible la transparence de la vie démocratique que les institutions publiques africaines se doivent de rendre manifeste. Ainsi, cette politique de lisibilité[31] d’Internet permet aux citoyens africains d’exprimer leurs opinions politiques dans un espace à vocation publique.

           En outre, Internet en démocratie, démocratie électronique, d’e-gouvernement, de cyberdémocratie sont d’autant de nouvelles formes des médias de la participation démocratique de la politique du XXIe siècle[32]. Il apparaît bien, dans cette optique, contrairement à la radio et à la télévision, qu’Internet met en situation d’égalité l’émetteur et le récepteur en ce qui concerne l’information. Dans ce cas, c’est donc un outil idéal pour une démocratie participative où le citoyen africain pourrait sans doute intervenir dans un débat politique. En fait, Internet permet à toutes les catégories sociales de prendre la parole et de discuter de la chose publique. Ce nouveau monde électronique de la délibération démocratique favorise la multiplicité des opinions politiques. Bien évidemment, les réseaux sociaux sont maintenant considérés comme de « nouveaux espaces »[33] ou de nouvelles sphères ouvrant ainsi les perspectives au peuple. Par conséquent, Internet pourrait ainsi être le nouveau mode d’engagement du citoyen africain dans la chose politique. En d’autres termes, comme un nouvel espace de contestation et de reconstruction de la politique africaine. En réalité, le monde d’Internet suscite « chez l’individu un état conscient et permanent de visibilité qui assure le fonctionnement automatique du pouvoir. Faire que la surveillance soit permanente dans ses effets, même si elle est discontinue dans son action (…) et que les sujets soient pris dans une situation de pouvoir dont ils sont eux-mêmes les porteurs »[34].  Dit autrement, en matérialisant la visibilité des individus, Internet a permis à ces derniers de devenir manifestement porteurs de leur propre pouvoir. Il apparaît donc comme un outil de la réalisation de la citoyenneté, de l’expression de la liberté et de la délibération politique en Afrique.    

          De fait, il faut comprendre, en substance, qu’Internet peut en quelque sorte nous donner la dimension électorale-représentative de la vie ou de la délibération publique en Afrique subsaharienne dans le but de discuter du progrès démocratique. Toutefois, Pierre Rosanvallon pense, par extension, que le rôle effectif majeur d’Internet « réside plutôt dans son adaptation spontanée aux fonctions de vigilance, de dénonciation et de notation »[35]. Du point de vue de l’auteur, Internet est l’expression même de la réalisation de ces différentes formes du pouvoir de surveillance susmentionnées. Disons-le, dans la perspective rosanvallienne, nternet, dans la nature politique, doit être considéré comme un espace globalisé et universalisé de surveillance et d’évaluation du monde, le monde de l’organisation politique africaine. Justement, Internet « est la fonction même de la surveillance »[36]. C’est donc sans doute une forme politique, l’acte de l’activité des pouvoirs publics. Nous sommes ici, on peut le dire, dans une sorte d’agora électronique. Effectivement, notons au passage que le journaliste Howard Rheingold considère cette vision politique d’Internet comme un moyen capable de redynamiser la vie démocratique. En même temps, semble-t-il, il préconise un rapprochement entre Internet et la sphère publique chez Habermas.

          En effet, le projet habermassien réside dans le souci d’apporter ou de proposer une théorie contemporaine de la démocratie, afin de résoudre de multiples problèmes qui minent les sociétés démocratiques actuelles, en général et donc africaines, en particulier. C’est pourquoi, naturellement, il se propose de fonder le concept des sociétés dans une approche historico-structuraliste, en vue de montrer les différentes mutations qui se sont faites de façon formelle et intrinsèque au cours des différentes transformations des sociétés comme procédurale d’intégration sociale[37]. La particularité d’Habermas réside dans la prise en compte de l’agir communicationnel[38] comme principe fondamental susceptible de donner une explication rationnelle des sociétés contemporaines, comme sphère publique à l’intérieur duquel l’éthique de la discussion[39] est la matrice du fonctionnement de l’espace publique. Pour comprendre l’enjeu de cet espace public chez Habermas, on revient à aborder la notion de publicité en Afrique subsaharienne.         

La publicité dans l’espace public : Lecture habermassienne

         La notion de publicité, selon Habermas, est au fondement de l’espace public ou la sphère publique. Elle peut se comprendre comme étant une sorte de large diffusion des informations, des délibérations et des sujets de débats politiques africains ou du monde via les médias. Celle-ci est considérée comme un élément substantiel de la théorie habermassienne, elle doit être comprise comme une dimension constitutive de l’espace public et comme principe de contrôle du pouvoir politique africain. Habermas considère ici, à notre sens, la publicité comme un espace public médiatique et critique face au pouvoir en place, c’est-à-dire le principe de publicité (les médias) se fait donc critique face à la domination du pouvoir politique.

          Partant de là, pour Habermas, l’influence des médias dans la vie démocratique est incontournable et inévitable, dans la mesure où la démocratie d’un pays est à l’image de ses médias et que l’espace public s’est médiatisé et diversifié à cet effet. Pour ainsi dire, la publicité constitue un facteur primordial parmi tant d’autres pour l’effectivité de la démocratie. Même si, en Afrique, d’aucuns y voient une influence néfaste. Dominique Walton[40] n’en pense pas moins : « la communication n’est pas la perversion de la démocratie, elle en est plutôt la condition de fonctionnement »[41]. Il s’agit de comprendre que les médias de communication fournissent le principal lieu, l’espace public, commun de représentation et de débats des sociétés développées et démocratiques actuelles. Que ces débats, en Afrique, soient contradictoires, critiques ou confus, cela ne fait que souligner l’importance fondamentale de l’espace public médiatique. D’où logiquement le principe de publicité (Öffentlichkeit), pour Habermas, qui est l’exigence revendiquée d’un usage critique et public de la raison. Ce principe s’inscrit dans le cadre plus large de la démocratie délibérative que les Africains devraient politiquement considérée. En principe, pour Habermas, une décision n’est légitime que si la discussion qui y mène l’est également.

           Ceci dit, le débat public qui doit constituer l’effectivité démocratique en Afrique est donc un principe de légitimité relayé par l’espace public, en lequel Kant voyait un nouveau principe normatif[42]. De fait, la publicité devient alors une source de légitimation allant à l’encontre du despotisme, selon Kant. Il y a lieu d’estimer que le principe de publicité donne à l’espace public un véritable pouvoir critique, un pouvoir d’assiègement permanent, selon Habermas. Ainsi donc, l’espace public permet sans doute une revitalisation de l’État de droit par la délibération constante et publique des individus, voire de la vie politique africaine. En somme, l’un des mérites d’Habermas a notamment été de démontrer avec pertinence l’importance de la publicité (en tant qu’opinion privée dévoilée dans l’espace public) dans un débat politique. Certes, à l’origine la publicité garantirait l’usage public de la raison aussi bien avec les fondements législatifs qu’avec un contrôle critique de son exercice. En revanche, l’évolution de cette publicité vers les intérêts privés marque, selon Habermas, le déclin de la dimension critique de l’espace public. Pour lui, après son essor au XVIIIe siècle, l’espace public « gouverné par la raison » est en déclin. Pourquoi ? Parce que la publicité critique laisse progressivement la place à une publicité de manipulation, de commercialisation et de corruption, au service d’intérêts privés, affirme-t-il pertinemment.

          In fine, il convient donc d’affirmer que l’espace public doit être considéré comme un principe de la démocratie en Afrique subsaharienne. Puisqu’il est régie et structuré logiquement par le principe de la discussion. Comme tel, nous comprenons que c’est dans le Droit et démocratie[43] qu’Habermas redéfinit le principe de la discussion et lui confère une plus grande profondeur que celle d’un principe exclusivement moral. En raisonnant ainsi, le principe de la discussion se décline désormais en principe moral et en principe démocratique que les Africains subsahariens se doivent de prendre en compte, afin d’impliquer exhaustivement tous les membres du contrat social tant peint par Jean-Jacques Rousseau[44], dans son texte Du contrat Social. C’est-à-dire, en principe de règlement discursif des questions de validité dans le cadre d’interactions simple d’un côté, en principe de formation discursive et autonome de la volonté commune de l’autre. Car, explique-il, le principe moral de la discussion demeure inéluctablement inapplicable sans un principe démocratique de la participation paritaire à la formation discursive de la volonté générale. Voilà, pourquoi, en quoi le principe de la discussion ne fonde plus seulement une éthique de la discussion, mais plus généralement une théorie de la discussion qui peut prendre entre autres la forme d’une théorie morale ou d’une théorie du droit. Dans ce cas de figure, nous pensons que l’on peut estimer que le droit est plus profond que la morale. Parce que celui-ci s’efforce effectivement de sauvegarder l’existence adéquate d’un accord d’espace public, qui est soumis à l’équité de la parole et de formation d’un accord rationnel. A cet égard, un espace public où une sphère publique de la discussion est protégée tout à la fois contre les tentatives des systèmes impersonnels de l’agent et du pouvoir sur la liberté présumée des participants.

          En principe, affirmons-le, la théorie du droit, ou plus précisément de l’État de droit démocratique, est une théorie normative, elle articule normalement encore une fois l’historique et le transcendantal. C’est-à-dire qu’elle s’appuie démocratiquement sur la réalité de nos institutions démocratiques modernes pour y ressaisir à travers un effort d’autoréflexion les possibilités émancipatrices qu’elle peut raisonnablement nous permettre de réaliser. Justement, notons que le droit dont parle Habermas est donc d’abord le droit positif qui régit les États démocratiques modernes, mais seulement pour autant que ce droit positif prétende porter à travers un projet démocratique une promesse d’émancipation et incarner aussi un droit naturel que tous les hommes auraient en partage, au-delà de leurs disparités spécifiques à chaque Constitution africaine.

          Au regard de ce qui précède, à notre humble avis, le sens d’Habermas n’est pas d’aller chercher derrière le droit positif des États démocratiques la vérité originelle d’un droit prétendument naturel, équivalent de la raison pure pratique ou de la morale universelle. En effet, il s’agit d’abord de penser, plus précisément, un médium institutionnel qui puisse réellement filtrer l’intersubjectivité de la discussion qui libère pour les discussions pratiques l’espace public de la solidarité et de la reconnaissance. Dans la préface à l’édition de 1990 de l’Espace public[45], Habermas écrit que l’espace public politique constitue le concept fondamental d’une théorie de la démocratie. En tant que sphère de la discussion productrice d’une opinion publique, l’espace public constitue maintenant la base nécessaire de la société démocratique africaine. Idéalement parlant, nous comprenons que l’opinion publique africaine doit se constituer en juge du pouvoir politique en place et comme vecteur des demandes sociales de la société civile, c’est la naissance proprement parlé de l’espace public plébéienne : Droit et démocratie (1997). C’est pourquoi, naturellement, nous pensons qu’Habermas définit ainsi l’espace public comme le socle mouvant dont les frontières ne sont pas clairement définies par lequel doivent se dégager les problématiques discutées dans les différentes couches de la société. Logiquement, il doit s’entendre comme une caisse de résonance apte à répercuter les problèmes qui ne trouvent de solutions nulle part ailleurs.

Conclusion : Implication et considération des médias comme une forme de la démocratie contemporaine optimale

          Au terme de notre analyse, il sied de retenir que le rôle prépondérant des médias dans le processus de démocratisation en Afrique subsaharienne doit être pris en compte par les membres du corps politique. Ce qui revient à dire qu’il faut aménager un espace médiatique transparent de délibération dans l’organisation politique en Afrique subsaharienne, afin de promouvoir une démocratie authentique prônant les valeurs de la dignité humaine centrées sur les principes démocratiques. Comme pour dire, bien sûr, les acteurs politiques africains se doivent de mettre en place une structure démocratique des médias libres et dynamiques dans leur fonctionnement. A cet égard, cela impliquerait la profondeur et la délicatesse de la conscience des Africains à s’ouvrir à la culture politique de critique, de remise en cause et de l’essence de la liberté. Il faut le dire, la presse est censurée en Afrique subsaharienne parce qu’il y a le refus de l’altérité, de la critique, de concéder la liberté d’expression aux individus, au déficit à la transparence dans la gestion de la chose publique, et donc réfractaire à l’affirmation de la démocratie. Tout ce qui compte pour nous, les Africains, c’est l’acceptabilité et la conversion aux politiques caricaturales et démagogiques. C’est pourquoi, d’ailleurs, les médias sont devenus le cauchemar des hommes politiques, qui veulent à tout prix les asservir. Dans le cas contraire, en cas de refus de toute forme d’aliénation de la presse, la censure devient alors le mode opératoire pour intimider la force médiatique.

          Dès lors, on peut donc affirmer que l’idée d’une démocratie plausible tant prisée en Afrique subsaharienne ne serait effective que lorsque la presse prendra les règnes de sa mission première et salvatrice, celle de défende la voix du peuple, valoriser la critique et la liberté. Mais il faudra que celle-ci sorte aussi des carcans politiques et du joug des considérations partisanes, pour incarner la voix du peuple sans voix. En un mot, la presse doit avoir un espace public de délibération dans l’optique d’analyser, de discuter et d’informer la Cité sur les questions de gouvernance et d’État de droit en Afrique. Parce que, nous le savons, l’espace public véritable en Afrique ne saurait se comprendre, ni se réaliser sans le concours d’une presse dynamique, transparente et impartiale lorsqu’il s’agisse de discuter de la chose publique rationnellement et démocratiquement. Effectivement, l’espace public africain doit être un milieu qui permet non seulement de confirmer un pouvoir politique rationnel et efficace qui prend en considération la volonté des peuples africains, mais également capable de dénoncer les politiques totalitaires et népotistes. Ainsi, en Afrique, libération de la presse serait donc une manière de favoriser une organisation politique prenant en compte l’éthique de la discussion dans la gestion étatique. Oui, c’est l’affirmation même de la presse comme un pouvoir de contrôle de la gouvernance africaine voulant se convertir en despotisme.    

Par Christian Dior MOULOUNGUI, philosophe, enseignant de philosophie et Doctorant à l’Université Omar Bongo (Gabon), cdmouloungui@gmail.com
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[1] Pierre Rosanvallon, La Contre-démocratie. La politique à l’âge de la défiance, Paris, Éditions du Seuil, 2006,  p. 72.

[2] Ibid., p. 72. 

[3] Lire à ce sujet, Emmanuel -Thierry Koumba, Presse écrite et engagement politique au Gabon, Thèse 3è cycle, Bordeaux 3, 1997.

[4] Lire à ce sujet, Richard Banégas, Démocratie à pas de caméléon. Transition et imaginaires politiques au Bénin, Paris, Éditions Karthala, 2003.

[5] Pierre Rosanvallon est Professeur au Collège de France, né dans une commune française appelée Bois en 1948 (Il a 75 ans actuellement). Il est historien, philosophe, sociologue, politologue français. Voir la thèse en cours de Christian Dior Mouloungui, La crise de la démocratie représentative en Afrique subsaharienne à la lumière de pierre Rosanvallon. Pertinence et respectives, CENTRE D’ÉTUDES ET DE RECHERCHES PHILOSOPHIQUES (CERP) FORMATION DOCTORALE PHILOSOPHIE, SCIENCE ET SOCIETÉ (PSS), Université Omar Bongo, Libreville (Gabon).

[6] Jürgen Habermas, né le 18 juin 1929 à Düsseldorf, est un théoricien allemand en philosophie et en sciences sociales. Il est avec Axel Honneth l’un des représentants de la deuxième génération de l’École de Francfort, et développe une pensée qui combine le matérialisme historique de Marx avec le pragmatisme américain, la théorie du développement de Piaget et Kohlberg, et la psychanalyse de Freud. Il a pris part à de nombreux débats théoriques en Allemagne, et s’est prononcé sur divers événements sociopolitiques et historiques.

[7] Edouard Balladur, Machiavel en démocratie. Mécanique du pouvoir, Op. cit., p. 43.

[8] Ibid., p. 39.

[9] Ibid.

[10] Ibid., p. 40.

[11] Ibid., p. 43

[12] Ibid.

[13] Ibid., p. 92.

[14] Mai Truong est une experte du réseau de l’organisation non-gouvernementale américaine Freedom House. C’est une organisation non-gouvernementale (ONG) financée par le gouvernement américain et basée à Washington 1, qui étudie l’étendue de la démocratie dans le monde. Cette organisation a été fondée en 1941, bénéficiant de Wendell Willkie et Eleanor Roosevelt en tant que premiers présidents honoraires. Voir freedomouse.org

[15] Maître de recherche en sciences de l’information et de la communication, Fonds national de la recherche scientifique/Université libre de Bruxelles.

[16] Marie-Soleil Frère, « Censure de l’information en Afrique subsaharienne francophone : la censure dans les régimes semi-autoritaires », Presses universitaires de Rennes, 2016.

[17] Journaliste en danger (JED), Rapport 2011. La liberté de la presse pendant les élections, Kinshasa (…)

[18] Marie-Soleil Frère, Op. cit.,

[19] Voir sur le site de Reporters sans frontières, [http://fr.rsf.org/tchad-le-contributeur-d-un-blog (…)

[20] Marie-Soleil Frère, Op. cit.,

[21] Irma Julienne Angue Medoux, « Présentation de l’argument », Éducation et démocratie en Afrique et en Europe, Paris, Éditions L’Harmattan, 2014, p. 13.

[22] Wolton Dominique, Penser de la démocratie, Paris, Éditions Flammarion, 1997, p. 143.

[23] Pierre Rosanvallon, Op. cit., p. 72.

[24] Ibid., p. 72.

[25] Ibid., p. 72-73.

[26] Ibid., p. 73.

[27] Ibid., p. 73-74.

[28] Pauline Türk, « La souveraineté des États à l’épreuve d’Internet », RDP, 1er novembre 2013, n°6, p. 1489.

[29] Paola Seda, « L’internet contestataire. Comme pratique d’émancipation. Des médias alternatifs à la mobilisation numérique », Les cahiers du numérique, 2015, Vol. 11, p. 25-52.

[30] Thiery Barboni et Eric Treille, « L’engagement 2.0. Les nouveaux liens militants au sein de l’e-parti socialiste », Revue française de science politique, 2010/6, Vol. 60, p. 1137-1157.

[31] Nous reviendrons plus amplement sur la politique de la lisibilité au chapitre VI de notre travail intitulé : Le Bon Gouvernement comme expression démocratique. En effet, la politique de la lisibilité apparaît donc comme la justification de l’exercice du pouvoir politique et la vérification de comptes publics. C’est pourquoi, nous semble-t-il, la communication et la transparence deviennent comme des moyens de la lisibilité de la chose publique susceptible de restituer la confiance entre les gouvernés et les gouvernants. Car, rapport gouvernés-gouvernants semble tombé dans l’oubli de la politique démocratique des États actuels.

[32] Les États-Unis  en sont l’illustration parfaite de ces nouvelles formes des médias de la participation démocratique, en tant que la première et la grande puissance de la démocratie dans le monde.

[33] Lilian Mathieu, « L’espace des mouvements sociaux », Politix, 2007/1, p. 131.

[34] Lire à ce sujet, Jeremy Bentham, cité par Michel Foucault, Surveiller et punir, Paris, Éditions Gallimard, 1975.

[35] Pierre Rosanvallon, Op. cit., p. 75.

[36] Ibid.

[37] Lire à ce sujet, Pierre Ndong Meyé, Cours de philosophie de la communication, licence 3, parcours philo-lettre, Dispensé à l’Université Omar Bongo (Libreville/Gabon), 2013-2014.

[38] Lire à ce sujet, Jürgen Habermas, Théorie de l’agir communicationnel, tome 1 : Rationalité de l’action et rationalisation de la société, Paris, Éditions Fayard, 1987.

[39] Jürgen Habermas est l’un des penseurs de l’éthique de la discussion avec Karl-Otto Apel, éthique qui s’inscrit dans la même veine que l’éthique kantienne, tout en y apportant un certain remodelage, décentrage peut-on dire, en rapport avec l’impératif catégorique. Habermas développe en effet l’idée d’un principe de discussion capable de remplacer l’Impératif catégorique. Chez Kant, c’est au sein de l’individu qu’est déterminée la validité morale. En clair, Kant pense qu’il est possible de se mettre d’accord rationnellement sur ce qui est juste et injuste, mais que l’évaluation des normes se fait dans le for intérieur de chacun. Habermas considère que ce monologisme doit être dépassé par une compréhension dialogique de la morale, qui s’appuie sur les acquis de la pragmatique formelle et la théorie des « énoncés performatifs » (Voir Austin). Nous déterminons si une règle de conduite et d’action ou un comportement sont moraux par une discussion qui doit ressembler autant que possible à une situation de liberté de parole absolue et de renoncement aux comportements stratégiques. (Voir Jörgen Habermas, De l’éthique de la discussion, Paris, Éditions Champs essais, 2013).

[40] Dominique Wolton, né le 26 avril 1947 à Douala (Cameroun), est un sociologue français. Directeur de recherche au CNRS en sciences de la communication, il est spécialiste des médias, de l’espace public, de la communication politique, et des rapports entre sciences, techniques et société. Ses recherches contribuent à valoriser une conception de la communication qui privilégie l’homme et la démocratie plutôt que la technique et l’économie. Cf. « Les sciences de la communication », Journal du CNRS, n° 231,  avril 2009.

[41] Dominique Walton, penser la communication, Op.cit., p.143.

[42] En 1962, en Allemagne un ouvrage intitulé, L’espace public, du nom du concept qu’aborde Jürgen Habermas. Ce dernier s’est sans doute inspiré de la notion d’espace public forgée par le philosophe des lumières Emmanuel Kant, dans ses textes parus en 1784 notamment, Idée du point de vue cosmopolitique ainsi que dans Qu’est-ce que les lumières ? Pour qui, établir une « constitution civile parfaitement juste », l’homme doit être libre de raisonner publiquement avec ses semblables. Cette conception kantienne de l’espace public récupérée par Habermas, qui a su l’amplifier et l’adapter au contexte socio-politique des temps modernes.

[43] Lire à ce sujet, Jürgen Habermas, Droit et démocratie, Paris, Éditions Gallimard, 1997. Dans cet ouvrage, affirmons-le, Jürgen Habermas procède à une reconstruction du système des droits et de la citoyenneté modernes. Il tente de démontrer la co-originarité de l’autonomie privée et de l’autonomie publique et de résorber la tension entre droits de l’homme et souveraineté populaire, libéralisme et républicanisme. Le présent ouvrage, issu d’un travail de doctorat, se propose de restituer les différents moments de ce paradigme procédural tout en montrant qu’il ne peut fonctionner sans le secours d’une éthique de la responsabilité. Cet ouvrage se présente comme une synthèse critique de la théorie habermassienne de la citoyenneté et tente de mettre en perspective cette théorie dans l’économie générale de l’œuvre de Habermas. Les positions les plus récentes du philosophe (par exemple en matière de clonage ou de religion) sont également discutées.

[44] Lire à ce sujet, Jean-Jacques Rousseau, Du Contrat Social, Paris, Éditions Bookking International, 1996.

[45] L’ouvrage, L’Espace public, constitue un jalon fondateur dans l’œuvre du philosophe allemand. Après avoir obtenu une thèse de doctorat (Dissertation) en 1954 consacrée à L’Absolu et L’Histoire. Du dualisme dans la pensée de Schelling, il est devenu l’assistant d’Adorno à Francfort, dans les années de la refondation de l’Institut de recherches sociales. Entre 1959 et 1961, en pleine « querelle du positivisme » au cours de laquelle il a défendu la place de la philosophie dans les sciences sociales, il a soutenu sa thèse d’habilitation – L’espace public – sous la direction de Wolfgang Abendroth, après le refus de M. Horkheimer de la diriger. « Publié en 1962, L’espace public constitue donc un important travail de jeunesse. Dans ce texte, Jürgen Habermas tente de rendre compte de l’évolution du débat rationnel concernant la chose publique au sein de la société occidentale, en analysant ses structures sociales et ses principes fondamentaux. La problématique précise de l’ouvrage pourrait être la suivante : comment le principe du débat critique dans l’espace public classique a-t-il été profondément remis en cause au cours des XIXe et XXe siècle ? » Cf. https://hemispheregauche.fr/author/adrien-madec.

Sur la lancinante question de la démocratie en Afrique

L’édition 2022 de l’indice de démocratie du groupe de presse britannique The Economist qui a été publiée en février 2023 fait état d’une stagnation démocratique globale au cours d’une année marquée, d’une part, par la guerre en Ukraine et, d’autre part, l’absence de renouveau démocratique suite aux restrictions de libertés liées au COVID-19. Selon l’indice de démocratie 2022, 8 % de la population mondiale dans 24 pays vivent dans une démocratie complète, 37,3 % dans 48 pays dans une démocratie imparfaite, 17,9 % dans 36 pays dans un régime hybride et 36,9 % dans 59 pays dans un régime autoritaire. Concernant l’Afrique, le classement identifie seulement une seule « démocratie complète » – l’île Maurice – et six « démocraties imparfaites ». Dit autrement, étant donné que ledit indice se base, pour l’Afrique, sur un échantillon de cinquante pays, il y a donc quarante trois pays en Afrique qui sont considérés comme des régimes hybrides ou autoritaires. Voilà le fait majeur! Il est euphémique de dire que le portrait du continent africain en matière de « démocratie » brossé par The Economist est peu reluisant. Toute personne n’écoutant pas l’actualité africaine d’une oreille distraite sait que la « démocratie », si obscure et nébuleuse que soit sa définition, est fragile dans le contexte africain. Qu’on se souvienne du fait selon lequel, depuis 2000, onze chefs d’Etat africains ont changé leur Constitution pour rester au pouvoir. Qu’on se souvienne du fait selon lequel, dans une ambiance de « désillusion décromatique », quatre coups d’État se sont succédé, d’août 2020 à janvier 2022, en Afrique francophone : au Mali, au Tchad, en Guinée et au Burkina Faso. Donc, que le groupe de presse The Economist dise, à travers son indice, que la « démocratie » va mal en Afrique, voilà une chose qui ne surprend guère. Et, c’est de là que part la raison d’être de cette tribune.

Sans me lancer dans une benoîte entreprise de critique des systèmes d’évaluation de l’état de la démocratie comme celui de The Economist, je veux faire remarquer que ces indices ne mesurent pas les processus démocratiques en eux-mêmes mais leurs aboutissements (libertés politiques, administrations non corrompues, etc.). Les soixante critères regroupés en cinq catégories sur lesquels est fondé l’indice de démocratie mesurent les démocratisations « par le haut » et ignorent complètement les démocratisations « par le bas » soit les processus endogènes construits par les associations, les lanceurs d’alerte, les web activistes, etc. Pour être clair, The Economist fait une « photo » de l’état de la démocratie ; ce qui est fort utile pour les grandes démocraties occidentales mais peu utile pour le contexte africain en raison de ce que l’Afrique est en démocratisation. Les gens de science comprendront que je fais valoir ici le couple statique/dynamique. Une vision statique est peu informatrice. C’est la dynamique du processus de démocratisation africaine qu’il faut chercher à comprendre. Car, un État parvient à un régime démocratique durable si et seulement si cet état de choses résulte des contradictions internes du corps social. Pour saisir cela, remontons à la naissance de la démocratie dans la Grèce antique.

L’on sait, grâce à Arnold Toynbee, qu’à la fin du VIII siècle av. J.-C, il y a eu un problème de surpopulation (excès de population par rapport aux moyens de subsistance) dans plusieurs cités-États grecques. Face à cette crise, les différents cités-États ont réagi différemment.  Certains comme Chalcis et Corinthe ont employé leur surplus de population à coloniser des terres cultivables au-delà des mers – en Sicile, en Thrace, en Italie du Sud et ailleurs. En revanche, d’autres cités-États ont cherché des solutions qui ont entraîné des changements profonds dans leur « superstructure ». Sparte était à l’origine une cité-État composée d’agriculteurs. Avec l’augmentation de la population, les Spartiates ont eu besoin de plus de terres à cultiver. Pour en obtenir davantage, ils ont envahi leurs voisins, les Messéniens. Après une longue guerre, ils ont finalement conquis les riches terres de Messénie en 715 av. J.-C et ont fait des Messéniens leurs esclaves. Sparte n’a obtenu ses terres supplémentaires qu’au prix de guerres obstinées et répétées avec des peuples voisins. Pour faire face à cette situation, les hommes d’État spartiates furent contraints de militariser la vie spartiate de fond en comble, ce qu’ils firent en revigorant et en adaptant certaines institutions sociales primitives, communes à plusieurs communautés grecques, à un moment où, à Sparte comme ailleurs, ces institutions étaient sur le point de disparaître. 

Athènes a réagi au problème de la surpopulation d’une autre manière. Elle spécialisa sa production agricole pour l’exportation, se lança dans la fabrication de produits “manufacturés” également destinés à l’exportation. Ces innovations économiques ont créé de nouvelles classes sociales. Les hommes d’État athéniens développèrent des institutions politiques de manière à donner une part équitable du pouvoir politique aux nouvelles classes afin d’éviter une révolution sociale : c’est le début de la démocratie. Ils ont incidemment ouvert une nouvelle voie de progrès pour l’ensemble de la société hellénique.

La leçon à retenir est que la démocratie comme toute institution politique naît des contradictions internes d’une société. Les grandes démocraties occidentales puisent leur origine dans des révolutions sociales : la révolution des Pays-Bas, la révolution anglaise, la révolution américaine ou la révolution française. Il n’y a pas de raison que l’Afrique échappe à cette Histoire Universelle.

Par ailleurs, il est prématuré de condamner les efforts de démocratisation des pays africains tant ces derniers sont de jeunes Etats. L’Etat, dans son acception moderne, est une idée neuve en Afrique car les structures proprement politiques africaines historiques étaient à petite échelle. George Peter Murdock, anthropologue américain, a proposé une classification des institutions politiques selon les « niveaux de hiérarchie juridictionnelle » (levels of jurisdictional hierarchy, en anglais) dans son livre Ethnographic Atlas, 1967 qui est une base de données sur 1167 sociétés. Dans sa base de données, il a codé une variable (le second chiffre de la colonne 32 dans le dataset) qui varie de 0 à 4 : 0 pour “société sans autorité politique”, 1 pour « petites chefferies », 2 pour « chefferies plus importantes »? 3 pour « États » et 4 pour “grands Etats”. Quand on combine cette classification de Murdock avec les estimations de la population en Afrique en 1880 du projet HYDE (Historical Database of the Global Environment), nous pouvons calculer la proportion d’Africains qui vivaient dans des états en 1880 (voir cette étude : https://ideas.repec.org/p/nbr/nberwo/28603.html) . Il en ressort qu’en 1880, seulement 30% des Africains vivaient dans des sociétés qui avaient un État si l’on considère comme Etat, les groupes ethniques de la base de données de Murdock qui sont codés comme ayant au moins 3 « niveaux de hiérarchie juridictionnelle ». Dans le cas où l’on adopte la définition plus restrictive de “grand État” de Murdock, seulement 4,4% des Africains vivaient dans des sociétés qui avaient un État. Quoi qu’il en soit, une très grande majorité d’Africains ne vivaient pas dans des États au cours de la période précoloniale. Le pouvoir était confiné à l’échelle locale. L’on comprend donc que les coups d’Etat en Afrique ne sont que la manifestation de la maturation des Etats africains.

Par ailleurs, examinons le problème de la démocratie en Afrique sous le rapport des trois conditions préalables à l’accomplissement démocratique de Pierre Rosanvallon.

D’abord, la confiance des citoyens dans les institutions. Cette condition n’est vérifiée qu’à moitié en Afrique subsaharienne. Selon Afrobarometer, à travers 36 pays en 2014/2015, les Africains expriment plus de confiance envers les institutions informelles telles que les chefs religieux et traditionnels (72% et 61% respectivement) qu’envers les organismes exécutifs publics (en moyenne 54%). Ensuite, la possession d’un langage commun pour décrire les faits et affronter la vérité pour formuler des accords et des désaccords. Cette condition, si elle est vérifiée dans quelques pays africains, est loin d’être validée dans la majorité des pays où l’on observe l’existence de plusieurs dizaines de langues sur le même territoire en dépit de la langue officielle du pays. Enfin, la capacité à organiser des élections libres. Il est inutile que cette condition est loin d’être vérifiée dans la majorité des cas.

Tout mon propos, dans ce billet, trouve son résumé dans une pensée marxiste : la superstructure (l’ensemble des formes politiques, juridiques et idéologiques) s’élève sur l’infrastructure (l’ensemble de l’organisation économique de la société). Le lent changement de l’infrastructure dans beaucoup de pays africains porte les germes d’une superstructure plus en phase avec le monde contemporain.

Corruption, Bad Governance, and Development Outcomes: The Case of Senegal (1/2)

By Souleymane Gueye Ph.D, Professor of Economics and Statistics, College of San Francisco

This first part of our article examines the economic effects of corruption on the Senegalese economy. How corruption and bad governance have generated an endemic misery in Senegal? What is the relationship between corruption and real GDP per capita? How corruption affects the Human Development Index and the Private consumption?  It also illustrates the relationship between corruption, income inequality and poverty. The role of good governance in modulating the effects of corruption on economic growth and poverty in Senegal will be examined in the second portion of the study.

While traveling through Senegal and talking to people from different backgrounds, I could not hide my frustration and sadness as I contemplated the despair, anguish, and sorrow in the eyes of the people I met throughout my journey in Senegal, who are struggling to make ends meet. For example, in the coastal zone of the region of Dakar from Yarah to Toubab Jalow and the small coast (Dayane to Joal), the advance of the sea and the scarcity of fish due to the fishing licenses that the government signed with the EU, China, and Japan have installed an unimaginable misery associated with poverty, poor health, low life expectancy, an unequal distribution of income and wealth that remain endemic. This misery is the outcome of the growing phenomenon of corruption “the abuse of an entrusted power for private gain” (1) in the public sector and the private sector in Senegal and bad governance as well.

Economic and Social misery

The social and economic misery is visible everywhere after a decade of mismanagement of public resources (Flooding fund , Program National des Domaines Agricoles Communautaires (PRODAC), Covid 19 Fund), embezzlement of taxpayers’ money by unaccountable chief executives officers at many state owed enterprises such as ( La Poste, L’IPRESS , CMS, LONASE, COUD , SAPCO, SAR, etc.. ), corrupt politicians , and  crooked businesspeople under a more authoritarian government that is dimming hopes for a whole young generation to build a future in Senegal. 

This misery is also compounded by an attitude of resignation of many Senegalese people because of a tacit coalition between some religious leaders, crooked politicians, and civil servants pursuing their self- interest, and safeguarding French and other foreign business interest (Turks, Chinese, Indian, Moroccans etc.).

The endemic misery has generated an abject poverty conducive to extreme violence and insecurity in many places in Senegal, social fractionalization, and a fertile ground for an exploitation of the masses by corrupt political leaders and executives who are accumulating insane amount of wealth without any rational justification (not based on their productive capacity). Senegal is one of the few countries in which civil servants are the wealthiest.

Under this dire situation, record numbers of Senegalese are leaving the country. The flood of Senegalese emigres spans socio economic classes, with professional, the working class, and the destitute represented among those risking their life in the Mediterranean Sea as Russian’s invasion of Ukraine pushes up the price of different imported staples (wheat, rice,) gas, and oil; hence creating an inflationary pressure which is undermining the purchasing power of almost 95% of Senegalese households. 

Other desperate Senegalese are attempting illegal routes into Europe, South and North America and dying in record numbers according to Geneva- based civil – society group” Global Initiative Against Transnational Organized Crime.”  Senegal is the sixth largest nation of origin for migrants, according to the international migration Organization (IOM). 

This exodus from Senegal constitutes a blow to the legacy of the Democratic principles that generated hopes after the political transition of 2000 when a president from an opposition party was elected and ten years later the election of a young president who promised a “sober and virtuous “management of public resources and equitable justice. 

Unfortunately, under their reign, public money has been transformed into a private kitty in the service of a suspicious generosity, open to all the audacity of capture and predation. This has paved the way for stealing state money, enrich friends and relatives, while impoverishing the country, and consequently put the Senegalese people in misery – the misery index is more than 25% (2).

The consequences are dire:  an underutilized agricultural sector, a growing informal sector, an inflated public sector, a weak private sector unable to create enough employment to absorb the rising supply of labor due to the demographic explosion, poor infrastructure, poor health facilities ( poor women are still dying in childbirth and are transported on carts), poor education, (many school children receive their education in temporary shelters – about 6000 ), weak institutions and last but not least an anemic economy in which corruption prevails at all levels of the decision-making process –  executive, judiciary , territorial administration, public security ( police and gendarmery), health and education sectors. 

In Senegal, bribery (public servant accepting bribes to certify unsafe building in violation of many cities planning code), frequent embezzlement of contract fund so that a promised infrastructure project is delayed and over budget ( Universities of Amadou Mathar Mbow and Ibrahima Niasse , and many schools and hospital projects), as well as the  theft of public fund in a way that inflates public budgets ( recent report of the court of Audit regarding the Covid Fund ), nepotism, influence peddling, conflicts of interests are erected as a mode of management of public resources..

Currently, the “Corruption Perceptions Index” for the public sector is at 57 points slightly higher than the index in 2021, making Senegal one of the most corrupt countries with a rank of 75th

Figure 1. [Corruption Perception Index by Transparency international]

There are a host of causes of this endemic corruption in Senegal: incentives, institutions, and personal ethics. With respect to incentives, we can identify low salaries of the civil servants with a weak purchasing power. As for the institutions, some key variables can be identified such as political structure with a strong executive branch headed by a president who has at his disposal a discretionary budget without accountability to the Senegalese people. The systemic corruption is also due to a lack of ethic, an alarming disappearance of our traditional values of Diom (dignity) Deugou (faith), Dioub (honesty), leguey (travail),

Economic Effects of Corruption on the Senegalese Economy

This ingrained corruption in the public sector undermines different aspects of the Senegalese society since the corruption carries negative social and economic consequences: it harms economic efficiency, increases social inequities, undermines the functioning of democracy, and exacerbates poverty and social exclusion. Furthermore, it reduces the effectiveness of public and industrial policies, making running a business more expensive, and thus encourages business to operate in the informal sector in violation of tax and regulatory laws (3). Senegal is suffering from this endemic corruption with respect to economic growth, human development, food security, and poverty alleviation.

Corruption and GDP per Capita

There is strong evidence of a negative correlation between corruption and the low level of GDP per capita ($1590) in countries like Senegal with high level corruption (140th on a list by Transparency International of 175 countries ranked by how corrupt their public sectors appear to be.). 

The theorical literature does not provide a clear answer on this issue –relationship between corruption and economic growth and poverty alleviation.  One strand of the literature argues that corruption affects positively economic growth by making it easy for investors to avoid red tape (bureaucratic delay) by bribery /kickbacks and by incentivizing low paid civil servants to work faster and harder if they could supplement their income by levying bribes (De Soto, 1989) (Egger and Winner, 2005) (4). This belief is rooted in the impressively rapid economic growth that the East Asian- and Southeast – Asian countries have achieved since the early 70’s despite widespread corruption.

This situation known as the “East – Asian paradox” has justified the view that corruption is not a key barrier to economic growth; hence countries should not waste time designing policies or instrument to deal with corruption. However, what this strand failed to acknowledge is the fact that these Asian countries were autocracies in which the perceived credibility of the commitment of ruling political elites to economic freedom, associated with a massive investment in education and a higher domestic saving rate created a favorable economic environment, hence providing confidence to multinational firms to invest, leading to long term economic growth. It is almost impossible to quantify and attribute to corruption the sustained increased of real GDP per capita of these countries over the last three decades. For example, in Sub Saharan Africa, there are many autocratic regimes (RDC, Republic of Congo, Cameroon, Tchad, Equatorial Guinea, Gabon, Angola, Zimbabwe where high rates of corruption had a deleterious effect on economic growth and poverty reduction (Haber, 2002) (5).

I believe that the negative effect of corruption on real GDP per capita is more common as many examples in Developing countries in general and Senegal demonstrated. In this strand in which I subscribe, corruption has a negative impact on GDP per capita because it reduces investment in physical and human capital in one hand and leads to a misallocation of public expenditures away from growth enhancing sectors such as education and health towards areas that are less productivity enhancing but are more corruption intensive.; namely large and expensive infrastructural projects on the other hand.

For example, Senegal with the current government is a perfect illustration of this choice. The government has chosen to build an arena, a stadium, TER (train express rapid), and BRT (rapid transit) instead of investing in more efficient project such as rebuild the railroad throughout the country, increases the sanitary tray and invest efficiently in the education sector to set the foundation for a skilled labor force with a strong productivity of labor. 

Studies (Fishman and Svenson 2001) have shown that a 1 % increase in corruption leads to a 3 % reduction in firm growth and reduce the growth rate by about 0.72% (6)

In Senegal Real GDP per capita of Senegal increased from 1,092 US dollars in 1972 to 1,437 US dollars in 2021 growing at an average annual rate of 0.62%. while corruption continued to increase substantially (Senegal is the 73 least corrupt nation out of 180 countries in 2021 and previously Senegal was the 67 least corrupt nation. Corruption Index in Senegal averaged 36.63 Points from 1998 until 2021, reaching an all-time high of 45 Points in 2020. The perception corruption index has deteriorated (score continue to drop, 2 points compared to last year and the poverty rate continued to increase.). This is evidence that the negative correlation between corruption and GDP per capita growth is more observable in countries like Senegal than the positive relationship.

World Bank: development indicators

This is explained by the fact that the waste or the diversion of public funds due to corruption leaves Senegalese governments with fewer resources to fulfil its human rights obligations (provide shelter, food, and education), to deliver services and to improve the standard of living of Senegalese people. 

Corruption and Human Development Index

Consequently, the insidious corruption prevailing in Senegal is negatively impacting human development of the country and is increasing social vulnerabilities within the country. In Senegal, an estimated 500 billion CFA francs in public health spending is lost globally to corruption every year, undermining health services and health equipment. Furthermore, 60% of school children do not complete primary school (high rate of illiteracy). This can be linked to a lack of state resources to build schools and maintain a qualified labor force due to bribery, embezzlement, privatization of public schools to enrich well connected people and civil servants.

Fighting corruption in Senegal is thus considered a key element to achieve the sustainable development needed to improve the HDI of Senegal as corruption (racketing by the police officer on the road, frequent embezzlement at the office of Taxes and Domain, and  the Treasury as well , justice splashed every day by corruption scandal, Customs which is perceived as a quick mean to accumulate wealth, a press which traffic in influence and marketing for amoral politicians, military with rumors smuggling overseas missions, etc. ), is at the center of most of the socio-economic problems that Senegal is facing. 

Corruption, Food Security, and Level of Consumption

Corruption is also affecting food security in Senegal since the level of corruption in land and water (land scandal in local communities such as Degleer, Dougaar etc.)  is impacting small scale farmers which constitutes most of the agricultural providers (67% of agricultural product). 

This high level of corruption is also impacting the level of consumption in Senegal as demonstrated in some  economic studies (7) since many households are forced to reduce their expenses on good and services to compensate the money wasted on bribery daily (money given to the police officers on the road, to the civil servants to receive an administrative act, to bribe a person to gain access to people making decision on behalf of Senegalese citizens etc.). 

The recent drama of Sikilo in the department of Kaffrine with its 50 dead and Sakal with its 18 dead highlights the danger of corruption in a country like Senegal. This sector is one of the most corrupt areas in Senegal as the fake has become so embedded in our country and at all levels that it part of the DNA of Senegalese citizens. The overwhelming majority of drivers bought their driving licenses, have fake registration cards, have bought their technical inspection certificate, and drive without insurance. This is possible because of a corrupt administration unable to enforce the law and punish bad behavior.

Overall Impact of Corruption and Bad Governance on the Senegalese Society

This situation can only be blamed on systemic corruption prevalent in the Senegalese society and on bad governance.  Corruption, nepotism, clientelism, impunity have been erected as modes of government in Senegal; this is the root cause of increasing poverty, increasing income inequality, decline of industrialization, incapacity to satisfy the basic needs and build basic infrastructure as well as allowing foreigners to grab land and exploit Senegalese workers. Foreign national are taking advantage of this corrupt environment to gain favor under the pretense of creating enterprises that will create jobs and repatriate easily profit at the expense of local citizens and the Senegalese economy overall hence contributing to an alarming trend of capital flight. This corrupt system has destroyed opportunities for many Senegalese people to generate wealth for themselves and the society. 

These challenges exacerbated by incompetent, corrupt leaders, and obedient population educated, molded, shaped in corruption, easy money and compromise that has created a system of “politique alimentaire” prevent Senegal from moving forward in term of development outcomes (job creation and poverty reduction).  

Addressing the entrenched corruption due to a lack of ethic, abject poverty, ignorance, and low wages that is prevalent in Senegal will open greater opportunities for the youth like entrepreneurship in different sectors (primary, secondary, and tertiary) of the economy that can lead to job creation. 

Conclusion

Unfortunately, the current government of Senegal is not only unable to come up with an effective economic strategy to deal with these socio-economic problems because of a lack of political will, a president who exercises an excessive liberality with the public purse, the politicization of managers with the express request of their possible political involvement by the President, and a population that institutionalized the practice of corruption to gain favor with the possible involvement of the justice and the security forces, but also to deal with this endemic problems: Corruption. Furthermore, this regime is incapable of solving the challenges of bad governance, because of a conscious choice of a clientelist model which is inseparable from corruption by the current regime. 

Reversing these trends and characteristics of the current Senegalese economy should be the primary focus of any credible person aspiring to lead this nation. Hopefully, the current administration will reverse course and start the process of creating a stable political environment in which a productive debate among all the interested parties will take place so that the Senegalese people will get all the relevant information to make an informed choice as to the selection of the person who will lead the country in a new direction for the benefit of all Senegalese citizens. 

Looking towards the 2024 election, many politicians and presidential hopefuls are proposing policies and strategies to improve Senegal. However, no matter how great these policies and strategies are, no meaningful or impactful change can come from them unless we address the deep issues at the core of Senegalese government which are the cracks in the institutions and the constitution that allows for the executive branch to wield unchecked power. This allows them to use the state for personal enrichment, pursuing vendettas and state sanctioned embezzlement. Senegal can’t win the fight against poverty without winning the war against corruption.

Notes

(1) Ray Fisman “corruption: what everyone needs to know”

(2) The misery Index is calculated as the sum of the inflation rate and the unemployment rate.

(3) The evaluation of the tax system of Senegal by Souleymane Gueye

(4) Egger, P and Winner, H (2005) “Evidence on corruption as an incentive for foreign direct investment, European journal of Political Economy

(5) Haber. S (ed) Crony Capitalism and Growth in Latin America: Theory and Evidence, Stanford, CA Hoover Institution Press

(6) Fishman and Svenson (2001) Are corruption and Taxation Harmful to growth? Firm level evidence Manuscript, IIES Stockholm University

(7) Impact of Corruption on the Private consumption in Senegal by Souleymane Gueye. Working paper CCSF 2016

Ecologie : l’exception africaine

Par Giovanni DJOSSOU pour l’Afrique des Idées

La préservation de l’environnement en Afrique est un sujet soulevant de multiples questions comme : Peut-on préserver l’environnement sans altérer le développement économique des pays du continent ? Ou encore la gestion occidentale de l’environnement en Afrique cause-t-elle un problème de souveraineté comme nous avons analysé dans une récente tribune sur le procès contre le projet pétrolier de TotalEnergies en Ouganda et en Tanzanie (voir le lien en bas de page).

Pourtant, la question n’est pas récente. Depuis près de 150 ans, l’enjeu de la sauvegarde de la nature en Afrique a engendré des conséquences lourdes, sans pour autant atteindre son objectif supposé.

En 2020 l’enseignant-chercheur en Histoire, Guillaume Blanc, écrit « L’invention du Colonialisme vert : pour en finir avec le mythe de l’Eden africain », essai dans lequel il tente de démontrer que la politique de développement des parcs nationaux en Afrique est un désastre humain, social et politique. Ainsi, à travers l’ouvrage et les interviews de l’historien, nous chercherons à savoir en quoi les tentatives de préservation de l’environnement en Afrique parlent bien plus d’histoire coloniale, de stratégies politiques et économiques et de bouleversements socioculturels que de nature. Nous nous demanderons également si la politique des parcs est si écologique qu’elle le prétend.

Les parcs nationaux : espaces de violence

Guillaume Blanc, maître de conférences en Histoire à l’Université Rennes II, a soutenu sa thèse sur les parcs nationaux au Canada, en Ethiopie et en France. En Ethiopie, le chercheur va se pencher sur le parc du Simien, dans lequel il passe trois années cumulées, entre 2007 et 2019. Dans le cas spécifique de ce parc, ce sont plus de 2 500 personnes qui sont expulsées par les experts. « Des gardes leur disent de signer des papiers et partir. Le départ est volontaire officiellement mais, il n’y pas réellement de choix. Les habitants ne conçoivent pas de dire non à un représentant de l’autorité », explique Guillaume Blanc. De fait, les populations locales intègrent l’idée qu’il faut préserver la nature et qu’elles sont, par leurs simples activités et leur simple existence, un obstacle à cette préservation. Mais bien plus que des espaces de violence psychologique, les parcs sont aussi des espaces qui mettent en question la survie des agriculteurs et des bergers. Environ 14 millions d’habitants ont été expulsés de leurs résidences au XXe siècle en Afrique et encore plusieurs dizaines de millions reçoivent amendes et peines de prison. Leurs fautes : cultiver la terre et chasser. Le parc détruit ainsi tout un écosystème et des modes de vie.

Historiquement, on observe une césure entre la pré-décolonisation et la post-décolonisation. Avant les indépendances, les colons ménagent les populations car ils les administrent. L’exemple étasunien où l’économie extractive asséchant les sols avait provoqué le déplacement des populations et entraîné des révoltes, est retenu. Il ne faut pas reproduire des situations pouvant engendrer des soulèvements. Après la décolonisation, seule la nature compte. Les expulsions sans ménagement se multiplient, tout comme les peines de prison pour chasse du petit gibier. Des villages sont aussi brûlés. Le tout sous le regard de l’Unesco qui se félicite des « actions écologiques » menées sur le continent, tout en gardant le silence sur la nature desdites actions.

Le procès contre le projet pétrolier de TotalEnergies en Ouganda et Tanzanie, le démontre (voir en bas de page l’analyse de l’auteur parue dans nos colonnes).  Guillaume Blanc rappelle, néanmoins, que la violence est inhérente à la création des parcs et non au seul cas africain. A l’inauguration du parc de la Vanoise en 1963 (Premier parc national en France), des habitants du parc, refusant la transformation forcée de leur territoire accueillent le ministre avec des fusils.

La spécificité africaine : un fétichisme depuis la colonisation

Pour Guillaume Blanc, il est impossible de comprendre l’expulsion des cultivateurs du parc du Simien si l’on ne revient pas au mythe de l’Eden africain datant de la colonisation. Les colons qui migrent en Afrique quittent l’Europe en pleine post-révolution industrielle ; une Europe où l’urbanisation est grandissante. Arrivés en Afrique, ils trouvent la forêt, la savane, des lieux qu’ils pensent non-altérés par l’Homme. Pourtant, pour l’historien : « On a une idée absurde consistant à croire en une Afrique vierge, naturelle, sauvage. Idée aussi absurde que de croire que l’homme africain n’est pas entré dans l’Histoire ». Mais, pour ces colons, la nature africaine devient une mission : protéger, ici, ce qu’ils n’ont pas été en mesure de protéger chez eux. « A partir des années 1930, se développe l’idée que l’on peut détruire en Europe parce que l’on protège en Afrique. Plus la nature disparaît en occident, plus elle est fantasmée en Afrique ». Ainsi, le chasseur local devient un braconnier dont il est bon de stopper les nuisances. En réalité, ce sont les expropriations commises par les colons, afin de réaliser leurs ambitions minières et extractives, qui transforment les habitudes des populations locales et accroissent les activités de chasse. « Les colons de l’époque sont incapables de voir que les désastres écologiques auxquels ils assistent sont dus à leur présence », précise Guillaume Blanc qui donne en exemple le développement fulgurant du trafic de défense d’éléphants en Afrique de L’Ouest, à l’arrivée des colons, avec 65 000 pachydermes tués par an ; les braconniers locaux ayant trouvé un nouveau débouché en la personne du colon européen et américain, très demandeur. «Plus le colon détruit la nature africaine, plus il la met en parcs ».

En 1960, l’UICN (l’Union Internationale pour la Conservation de la Nature) lance le Projet Spécial pour l’Afrique, lors de sa septième assemblée générale à Varsovie. Ce projet, soutenu par l’Unesco et la FAO (l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’Agriculture), consiste, dans un premier temps, à inscrire l’idée de la conservation dans les programmes des dirigeants africains. Ensuite, lors de la conférence d’Arusha (Tanzanie) en 1979, est créée la WWF (World Wildlife Fond) dont le but est, à la fois, de financer la venue d’experts occidentaux en Afrique pour aider les dirigeants africains dans les projets de préservation, mais également « faire face à l’Africanisation des parcs » selon les termes des experts de l’époque, ce qui signifie : contrecarrer les conséquences des décolonisations. Durant ces années, « on assiste à la reconversion des administrateurs coloniaux en experts internationaux, qui vont poursuivre leur combat préservationniste en Afrique : mettre plus de terres en parcs et empêcher les hommes et les femmes de cultiver », décrypte Guillaume Blanc.

Deux poids, deux mesures

Dans ma tribune TotalEnergies en Afrique de l’Est : l’environnement face au développement, je demandais comment un pays comme la France – qui a sacrifié une part considérable de ses ressources vertes à la révolution industrielle- pouvait aujourd’hui, via des ONG, altérer les stratégies de développement de pays africains, au nom de l’écologie. Là aussi, le deux poids deux mesures n’est pas nouveau. L’historien nous apprend, par exemple, que l’Unesco classe au patrimoine mondial de l’Humanité le parc des Cévennes, en France, au nom de l’agropastoralisme. La valeur universelle du parc s’expliquerait par la manière dont l’activité des bergers et des cultivateurs a façonné le territoire. Le parc des Cévennes est une histoire d’adaptation : comment l’homme adapte la nature à son activité.

Pourtant, lorsque l’on se penche sur le parc du Simien, en Ethiopie, sa valeur universelle qui lui vaut d’être classé à l’Unesco, réside dans « Les paysages spectaculaires et les espèces endémiques ». Ainsi, l’activité humaine est valorisée en France mais considérée comme néfaste en Afrique. L’agropastoralisme est, en France, une histoire d’adaptation de la nature, là où, en Ethiopie elle est une affaire de dégradation de celle-ci. « Attention au vocabulaire, nous met en garde Guillaume Blanc. Nous, nous avons des peuples, eux, ils ont des ethnies. Nous on défriche, eux, ils déforestent. Nous on exploite eux, ils dégradent ».

La faute à la pop-culture et aux textes-réseaux


Cette mythification de l’Afrique sauvage est, selon le professeur-chercheur, largement entretenu par deux phénomènes : l’imaginaire et les experts. Le Guide du Routard, Lonely Planet ou encore les voyages de David Attenborough diffusés sur la BBC, sont autant de programmes qui inscrivent dans l’esprit des gens que l’Afrique est une terre quasiment vierge. Dans National Geographic, les braconniers sont régulièrement déshumanisés, tandis que l’on prête aux animaux des caractéristiques et des sentiments humains. Les animaux en Afrique ont une identité, ont un libre arbitre et sont plus précieux que l’Homme africain. Dans son ouvrage, Guillaume Blanc illustre cette anthropomorphisation à outrance avec le film d’animation Disney de 1994 Le Roi Lion. « Dans ce film, les lions sont des autocrates éclairés seuls capables de restaurer le cycle de la vie. Pour cela, ils vont devoir se battre contre des hyènes qui, elles, brûlent la savane. Les conservationnistes en Afrique sont les lions. Les rois détrônés qui sont les seuls à préserver la nature. Ils ne s’en prennent pas à des hyènes mais à des paysans. (…) Sans compter que dans cette Afrique [de Disney], il n’y a aucun Africain». Cette anthropomorphisation fait que: «Nous nous sentons plus proches des éléphants ou des lions que de l’Africain. (…) C’est ce que fait également que nous ne sommes pas choqués par les injustices sociales créées par les actions de l’Unesco et la WWF ».

Ensuite, Guillaume Blanc décrit le concept des textes-réseaux, à savoir de fausses vérités assénées tant de fois, par des experts autoproclamés, que l’on finit par les prendre pour des vérités absolues qu’il devient impossible de remettre en question. Les textes-réseaux, aussi, entretiennent les clichés sur la nature africaine. Par exemple, l’historien accuse les botanistes européens d’avoir lu l’histoire à l’envers dans leur analyse du couvert forestier ouest-africain. Ils découvrent des villages entourés d’une ceinture forestière. L’hypothèse des botanistes étant que, précédant l’Homme, se trouvait une grande forêt primaire, détruite au fur et à mesure de l’accroissement de la population humaine. La réalité est inverse. En Afrique de l’Ouest, avant les Hommes, il y avait de la savane. Puis, l’arrivée de l’Homme, l’agriculture et la fertilisation des terres, ont permis la pousse des arbres. Et les populations se dotent elles-mêmes, de cette couverture forestière.

Puis, Guillaume Blanc livre un exemple, plus parlant encore, de ce phénomène de textes-réseaux : dans les années 1960, un expert de la FAO, H.P. Hoefnagel, visite Addis-Abeba durant une semaine. Il étudie le rapport d’un forestier canadien datant de 1946, dans lequel est stipulé qu’il y a, à Addis-Abeba, 5% de couverture forestière, à cette époque. Puis, il consulte une seconde estimation, d’un forestier allemand qui affirme qu’aux alentours de 1900 cette couverture forestière représentait 40% du territoire. Dans son rapport, Hoefnagel proclame donc que la forêt est passée de 40% du territoire à 5% en un demi-siècle, dans la capitale éthiopienne et que l’Homme en est la cause. « Ces chiffres vont circuler partout, à une époque où l’on a peur de l’explosion démographique africaine. Le problème est que, lorsqu’on lit ‘’Une Vérité qui dérange’’ d’Al Gore, livre grâce auquel il obtient le prix Nobel, on retrouve ces chiffres qui ne reposent sur aucune enquête scientifique localisée ».

Le parc : un outil au service des dirigeants africains

Si l’on mentionne souvent l’utilisation des dirigeants africains par les experts occidentaux pour contrôler la nature, Guillaume Blanc rappelle que les dirigeants africains y trouvent également leur compte. Voilà pourquoi, selon lui, la politique des parcs revêt une dimension post-coloniale et non néo-coloniale. Dans une interview accordée à la librairie Mollat en 2020 -à l’occasion de la sortie de son ouvrage-, le professeur-chercheur confit les propos tenus par Julius Nyerere en 1960, alors qu’il est Premier ministre de Tanzanie : « Nyerere présidait la conférence concernant le Projet Spécial pour l’Afrique. Devant les experts, il dit ‘’nous voulons poursuivre le travail accompli’’, mais lorsqu’il s’adresse aux Tanzaniens, il dit ‘‘je n’ai pas l’intention de passer mes vacances à regarder des crocodiles, mais apparemment, les occidentaux sont prêts à investir des millions pour le faire’’ ».

Mais les revenus du tourisme ne sont pas l’unique gain lié au développement des parcs, pour les dirigeants africains. Toujours en Tanzanie, pays socialiste dans les années 1960, qui cherche à collectiviser les campagnes- les parcs vont favoriser le déplacement de populations. Ces déplacements forcés faciliteront le processus de collectivisation par la construction de grands villages. Idem en Ethiopie où l’Empereur Haïlé Sélassié tente de façonner un état centralisé. Il décide de construire ses parcs chez les nomades, dans les maquis, sur les territoires sécessionnistes. Le mouvement de populations seront coercitifs, violents, mais se réaliseront avec la bénédiction de la communauté internationale, étant donné que l’argument premier avancé sera la préservation de la nature.

Enfin, en République Démocratique du Congo (ex-Zaire), le président Mobutu Sese Seko, exploitera les parcs pour essayer de maîtriser l’insurrection. Il fait construire les parcs de Kahuzi-Biega et de la Maiko, dans le Kivu (l’Est du pays) où Laurent-Désiré Kabila monte son opposition. « Les parcs sont un excellent moyen de s’imposer, de planter un drapeau dans des territoires que les dirigeants peinent à contrôler. Dans cette alliance entre l’expert et le dirigeant, le grand perdant est, systématiquement, l’habitant ».

Les parcs sont-ils écologiques ?

En lieu et place de préserver la nature, les politiques environnementales, en Afrique créent des dommages sur de nombreux pans de la société, tout en insérant dans l’esprit des occidentaux des idées répandues fausses : « Dans les théories néomalthusiennes, les trop nombreux sont toujours les autres. La supposée surpopulation africaine est une idée sans fondement », lance Guillaume Blanc.

Comme le précise l’historien Nicolas Patin, maître de conférences à l’Université Bordeaux- Montaigne : « Tout le monde a un avis sur la manière dont l’Afrique devrait être préservée de sa propre population », sans pour autant se demander si la politique des parcs est réellement écologique.

Selon Guillaume Blanc : « Le coup écologique des visites dans les parcs équivaut à détruire le ressources mises en parc, en Afrique. Il ne s’agit pas d’une protection de la nature mais d’une consommation de la nature ».

Pour l’auteur de L’invention du colonialisme vert : pour en finir avec le mythe de l’Eden africain, les solutions sont multiples : « Les bergers et cultivateurs, que l’on expulse des parcs, produisent eux- mêmes leur nourriture, se déplacent à pied (…) n’achètent que peu de viandes, de poissons, de nouveaux vêtements. Ils n’ont ni smartphones ni ordinateurs. Bref, si l’on voulait sauver la planète (…) il faudrait vivre comme eux, ou s’en inspirer. Pourquoi s’en prendre à eux ? Tout simplement pour éviter de s’en prendre à nous-mêmes. Pour s’exonérer des dégâts que l’on cause partout ailleurs ». Par ailleurs, il préconise un système de co-évolution où humains et non-humains sont sur un pied d’égalité : « Cela fait 150 ans qu’une idée reçue existe : l’Homme africain détruit sa nature. Mais, après 150 ans, elle n’est toujours pas détruite. Pourquoi ne pas faire en Afrique ce que les institutions internationales font en Europe : soutenir le pastoralisme et l’agriculture. L’écologie qui répondrait à une idée de la nature sans les Hommes ne marchera jamais, car les humains font partie du vivant ».

Références

  • Guillaume Blanc, 2020, L’invention du colonialisme vert : pour en finir avec l’Eden africain, Editions Flammarion.  
  • Giovanni Djossou, TotalEnergies en Afrique de l’Est : l’environnement face au développement, https://www.lafriquedesidees.org/totalenergies-en-afrique-de-lest-lenvironnement-face-au-developpement/
  • Interview de Guillaume Blanc à la Librairie Mollat (2020) https://www.youtube.com/watch?v=I5MzCxdWvuk

Démocratie au Gabon: Quelle direction?

Christian Dior MOULOUNGUI, est philosophe. Il est enseignant de philosophie et Doctorant en troisième année à l’Université Omar Bongo (Gabon) , cdmouloungui@gmail.com Libreville / Gabon

Résumé

Cette tribune étudie l’état de la démocratie tel qu’il se présente au Gabon. La démocratie dans cet État de l’Afrique centrale, nous semble-t-il, fonctionne à pas de caméléon. Nonobstant l’ouverture démocratique amorcée dans les années 1990 prônant pour le pluralisme politique dans plusieurs pays d’Afrique subsaharienne, l’opacité de l’organisation politique au Gabon apparaît alors comme un obstacle à l’effectivité démocratique. Cette problématique de la gouvernance au Gabon est asymétrique à la question de l’alternance démocratique, bien qu’il y ait d’autres formes des dérives du pouvoir. Comment comprendre effectivement que plus d’un demi-siècle, voir plus de 55 ans, de règne présidentiel avec un même parti (PDG) au pouvoir depuis1968 ? Dans ce cas de figure, plus de trente ans plus tard, la promesse tant entendue de la démocratie est fille d’une attente sempiternelle et l’espoir du peuple gabonais de voir les jours meilleurs s’enlise dans le désenchantement total.     

Abstract

This article examines the state of democracy as it stands in Gabon. Democracy in this Central African state, it seems to us, is working at a chameleon’s pace. Notwithstanding the democratic opening that began in the 1990s advocating political pluralism in several sub-Saharan African countries, the opacity of political organization in Gabon then appears as an obstacle to democratic effectiveness. This problem of governance in Gabon is asymmetrical to the question of democratic alternation, although there are other forms of power abuses. How can we understand that more than half a century, or even more than 54 years, of presidential rule with the same party in power since 1968 ? In this case, more than thirty years later, the long-heard promise of democracy is the daughter of an eternal expectation and the hope of the Gabonese people to see better days is bogged down in total disenchantment. 

Introduction

Le triomphe de la démocratie libérale prédit et soutenu par les Occidentaux est bel et bien significatif dans l’œuvre Francis Fukuyama à la fin de la guerre froide. Pour lui, dans La fin de l’histoire et le dernier homme[1], la fin de la guerre froide marque une nouvelle ère de paix et de la fin des combats idéologiques. Et donc, finalement, la fin du communisme, des régimes totalitaires et le triomphe de la démocratie libérale et du capitalisme dans le monde. A cet effet, il prédit alors que cette nouvelle période des relations internationales,  post-guerre ou post-historique, est considérée comme une expansion, une émergence de la démocratie libérale dans le monde. Avant lui, François Mitterrand n’en pensait pas moins en s’appuyant sur la nécessité de la démocratie dans la gouvernance africaine :

Lorsque je dis démocratie, lorsque je trace un chemin, lorsque je dis que c’est la seule façon de parvenir à un état d’équilibre au moment où apparaît la nécessité d’une plus grande liberté, j’ai naturellement un schéma tout prêt : système représentatif, élections libres, multipartisme, liberté de la presse, indépendance de la magistrature, refus de la censure : voilà le schéma dont nous disposons[2].

A ces propos, au-delà de l’objectivité première de ce discours, il s’agissait d’une sorte d’injonction préconisée aux pays africains d’adopter le régime démocratique. Un régime idéal pour une organisation politique libérale et garant des libertés des individus. C’est-à-dire, la démocratie comme régime politique idéal, pour l’instant, qui exprime ou affirme le mieux les attentes des peuples : égalité, liberté et justice.

Dans ces contions, pour les pays africains, il apparaît alors difficile d’organiser une vie politique à la marge de cet idéal politique occidental. C’est dans ce contexte que le peuple gabonais se veut iconoclaste par le canal de multiples mouvements de contestations pour dire non aux politiques centralistes et au népotisme du pouvoir en exercice. En effet, après plus de 22 ans de politique de parti unique, le Gabon renoue enfin avec le multipartisme dans les années 1990. En réalité, c’est le contexte de l’ouverture politique et institutionnelle. Mais l’effectivité de cette mouvance démocratique sera actée en 1990 avec la Conférence Nationale[3] et en janvier 1991 avec la légalisation optimale des partis politiques d’opposition. C’est l’aboutissement d’une longue crise politique et sociale au sortir de la chute du mur de Berlin en 1989, le début de l’ère démocratique dans les années 1990. Partant de là, le Gabon peut maintenant rêver de construire un espace politique démocratique qui prend en compte l’intérêt général et la volonté de ses citoyens, et donc du corps politique dans sa totalité organique. C’est l’espoir du peuple gabonais de connaître un futur meilleur à travers un monde d’égalité, de justice et de liberté. Mais plus de trente ans après, l’idéal occidental et la prédiction de Fukuyama sur le triomphe de la démocratie n’ont pas atteint les résultats escomptés[4]. Lisons Ana Pouvreau pour l’entendre dire : « En 1989, lors de la chute du Mur de Berlin, la démocratie paraissait triomphante et son avenir s’annonçait sous un jour radieux. Trois décennies plus tard, force est de constater que les démocraties sont malades »[5]. Bien sûr, aucun État démocratique aujourd’hui, petit ou grand soit-il, n’est en marge de mouvements de contestations : « Partout se sont élevées des contestations condamnant le déficit de représentation, de légitimité et de constitution de la volonté générale »[6].  Pour ainsi dire, dans cette perspective, la politique gabonaise retombe dans ses travers. C’est pourquoi, finalement, on constate qu’après la mouvance de l’ouverture politique, l’organisation de la vie politique au Gabon est flétrie par le déclin de la démocratie. Quand bien même, nous le savons, la démocratie est et reste le régime politique par excellence dans le monde et la finalité de tout gouvernement qui se veut humain.

 En raisonnant ainsi, il n’en demeure pas moins de noter que bon nombre de spécialistes et citoyens pensent manifestement que l’effectivité des principes démocratiques pose problème en Afrique, en général et au Gabon, en particulier. A cet égard, il apparaît fort probable de constater que la sphère politique gabonaise est caricaturée par le blocage de l’alternance démocratique, le népotisme, le despotisme, et donc un dysfonctionnement de l’affirmation de l’État de droit et de la souveraineté du peuple. A partir de là, nous comprenons que l’enjeu de notre démonstration est de montrer en substance que la crise de la démocratie est belle et bien évidente au Gabon. Lisons Pierre Rosanvallon pour l’entendre dire : « L’idéal démocratique règne sans partage, mais les régimes qui s’en réclament suscitent presque partout des vives critiques. C’est le grand problème de notre temps »[7]. C’est un fait qui pose aujourd’hui, en substance, le problème de la méfiance et défiance des citoyens vis-à-vis des régimes démocratiques.

Approche diachronique de la démocratie au Gabon

 Après les indépendances dans les années 1960 en Afrique subsaharienne, plusieurs pays africains connaitront leur premier président élus par la voie des urnes. Cela fut la première marche vers une autonomisation et émancipation politiques. C’est le moment de l’affirmation de la souveraineté des États africains. Par ailleurs, il faut noter au passage que nous sommes dans le contexte des partis uniques, et donc du processus électoral à parti unique. Pierre Jacquemot  note avec pertinence que « les régime à parti unique s’installèrent quasiment partout, avec des pouvoirs centralisés, niant les choix concurrentiels, satisfaisant médiocrement le vœu des Africains de choisir librement leurs représentants »[8].

C’est dans ce contexte que le Gabon prend son indépendance le 17 août 1960. Et le 12 février 1961, Léon Mba fut élu le premier président du Gabon. Cette élection du Président Léon Mba prend forme après négociation avec l’opposition dirigée par Jean-Hilaire Aubame :

Fragilisé par ces arrestations des membres de son propre parti, Léon Mba se rapprocha du leader de l’opposition, Jean-Hilaire Aubame, pour négocier une entente. Celle-ci, très vite conclue, prit le nom d’ « Union nationale ». Elle regroupa le B.D.G., l’U.D.S.G. et le P.U.N.GA Sous ses auspices furent élus, le 12 février 1961, le premier président de la République gabonaise − en l’occurrence, Léon Mba[9].

Mais après sa mort le 28 novembre 1967, selon l’idéal constitutionnel, Albert-Bernard Bongo devient le Président de la République gabonaise : Comme le stipulait la Constitution, révisée à dessein le 17 février 1967, le vice-président Bongo lui succéda le 2 décembre 1967 »[10]. A partir du 12 mars 1968, le nouveau président, Albert-Bernard Bongo, « créa un parti unique dénommé Parti démocratique gabonais, qui abolit toutes les libertés démocratiques[11].

A ces propos, une fois au pouvoir, le Président Albert-Bernard Bongo met en place un parti politique dynamique, le Parti démocratique gabonais le  12 mars 1968, autour duquel il va assoir sa stratégie politique. A cet effet, à partir des années 1968 jusqu’à la mouvance démocratique en 1990, le Gabon est en plein essor économique. Ce développement économique est propulsé par les recettes pétrolières.  De même, il convient de dire que politiquement, le parti unique (PDG), sous l’égide du Président Albert-Bernard Bongo, assure l’équilibre du pays à travers le dialogue et l’intégration de différents bords politiques. En un mot, il faut comprendre que sur le plan économique et politique, en ce temps, le Gabon est considéré comme un prototype en matière du développement économique et de stabilité politique au niveau de l’Afrique centrale.   

La dérive du pouvoir

 Outre ses prouesses en matière de développement économique et de stabilité politique, la politique du parti politique unique menée par les gouvernants gabonais met en place une politique du ventre[12], autoritaire et clientéliste au Gabon. A partir de là, il y a une sorte d’implantation et de manifestation de la privation des libertés d’expression, de conscience et d’agir : « Le 17 mars, les autorités ont suspendu les activités de la Convention nationale des syndicats du système éducatif (CONASYSED), le principal syndicat d’enseignants du pays, invoquant le « trouble à l’ordre public » causé lors du début du mouvement de grève en octobre 2016 »[13]. En plus, ladite politique semble être caractérisée par la mauvaise gestion de la manne pétrolière, et donc soldée par une gouvernance opaque de ressources naturelles :

Selon le rapport du Fonds monétaire international sur le Gabon, […] la gouvernance déficiente et les fuites de recettes du pays sont dues à l’absence de transparence des accords de partage de la production ; l’absence de vérification des coûts déclarés par des entreprises ; le manque de transparence des déclarations de recettes pétrolières. A cela s’ajoute la mauvaise gestion des entreprises pétrolières publiques, Gabon Oil Compagny (GOC) et la raffinerie nationale gabonaise, la Sogara, qui s’accompagne de transferts financiers peu transparents entre elles et l’État[14].

Cette mauvaise gouvernance des ressources pétrolières a plusieurs conséquences, à savoir : la pauvreté et les inégalités sociales plausibles dans la société gabonaise. Selon le rapport Gabon : Profil de Pauvreté 2017, « pour l’ensemble du pays, la pauvreté se situe à 33,4 pour cent en 2017, tandis que l’extrême pauvreté (ou pauvreté alimentaire) concerne 8,2 pourcent des gabonais »[15]. L’incidence de la pauvreté (PO) par milieu de résidence au Gabon, selon ce rapport, présente les données suivantes : « Nous constatons que la pauvreté est plus élevée dans le Sud rural où elle concerne plus de deux tiers des individus, tandis qu’elle concerne 21 pour cent des individus à Libreville, la capitale Gabon. Port-Gentil et le reste de l’Ouest Urbain se situe également en dessous du taux de pauvreté national de 33,4 pour cent »[16]. Et l’extrême pauvreté : «  Au niveau national, l’indice de la pauvreté extrême est de 8,2 pour cent en 2017. Une ventilation des résultats selon le milieu de résidence montre que la pauvreté extrême est beaucoup plus important en milieu rural avec un taux de 25,4 pour cent »[17].

 En outre, on peut ainsi dire que le Gabon sombre dans l’aristocratie[18], le despotisme[19] et le népotisme[20] depuis l’ère du Président Omar Bongo Ondimba[21] à la succession en 2009 de son fils, Ali Bongo Ondimba[22] jusqu’aujourd’hui. Cette succession du père au fils est bien loin d’être la règle de l’alternance démocratique, mais, en réalité, elle est beaucoup plus une succession monarchique, dynastique. Le pouvoir du père au fils, cette alternance politique typique devient un prototype en Afrique subsaharienne, notamment en février 2005 au Togo et en mars 2021 au Tchad. Aujourd’hui plus qu’hier au Gabon, les libertés d’expression et de manifestation sont souvent opprimées. Donc, semble-t-il, cette répression face  à tout mouvement de contestations montre en suffisance que l’expression des libertés individuelles ou collectives apparaît sans doute aliénée. Les conflits post-électoraux de 1993, 2009 et 2016 traduisent le caractère oppressif des gouvernants en exercice. A cet égard, même malgré le multipartisme et donc le triomphe de la démocratie des 1990, on peut comprendre que la démocratie gabonaise peine à se réaliser.         

En effet, comme nous l’avons dit, nonobstant l’ouverture politique caractérisée par la mouvance démocratique dans les années 1990 en Afrique, l’organisation politique au Gabon fonctionne en marge des principes de la démocratie. Pour dire les choses autrement, la démocratie fonctionne à pas de caméléon, pour emprunter l’expression de  Richard Banégas[23]. Cela dit, depuis ces années 1990 symbolisant le retour à la vie démocratique et au pluralisme des partis politiques au Gabon, le régime politique n’a jamais changé. D’après Lassaad Ben Ahmed, « Au Gabon, la famille Bongo cumule plus d’un demi-siècle à la tête du pays, d’abord avec Omar Bongo durant 42 ans, depuis 1967, succédé ensuite par son fils Ali Bongo et toujours en poste »[24]. De même, l’élection des députés et sénateurs par le peuple gabonais, comme leurs représentants au Parlement, n’a jamais changé de paradigme ni pour une organisation politique adéquate et optimale, ni pour la confiance du peuple qu’ils sont censés représenter. L’enquête menée au Gabon par l’Afrobaromètre[25] en 2020, semble-t-il, nous donne une idée plus ou moins distincte de la situation démocratique dans ce pays. D’après cette enquête, « La moitié (50%) des Gabonais ne font pas du tout confiance  aux députés et sénateurs, en plus de 29% qui leur font juste un peu confiance. Seulement 6% leur font « beaucoup confiance »[26]. Dans ce cas de figure, nous dit Pierre Rosanvallon, nous sommes dans Le Parlement des invisibles[27]. C’est-à-dire, l’abandon exaspéré de nombreux gabonais qui se disent oubliés, incompris et pas écoutés par leurs représentants. Il faut donc comprendre que :

La forte majorité des enquêtés disent que ni les sénateurs (74%) ni les députés (63%) ne les écoutent jamais. La très large majorité des Gabonais jugent négative la performance des députés (78%) et des sénateurs (83%). Aussi, six Gabonais sur 10 (61%) estiment que la plupart ou « tous » les parlementaires sont impliqués dans les affaires de corruption[28].

 De même, Alix-Ida Mussavu n’en pense pas moins, en reprenant les sondages d’Afrobarometer  sur l’appréciation de la démocratie au Gabon : « Selon les résultats du 8e tour d’Afrobarometer au Gabon sur l’appréciation de la démocratie, 70% des Gabonais préfèrent la démocratie à toute autre forme de gouvernement mais plus de 88% ne sont pas satisfaits de son fonctionnement dans le pays »[29]. Au final, par ces sondages dont les données nous paraissent fiables, nous pouvons dire sur la base de l’expérience et d’appréciation que la manière de gouverner et la qualité de la vie au Gabon permettent de comprendre que la démocratie est d’autant plus chimérique et fataliste que réaliste.          

La mal-représentation

  Le problème de la politique gabonaise, à notre humble à vis, c’est la mal-représentation. Et celle-ci est la conséquence directe de la mauvaise gouvernance. Pour comprendre les choses autrement, le fait que les dirigeants gabonais n’assurent pas leur fonction des représentants du peuple de manière adéquate et optimale, il n’est pas sans conteste étonnant d’être dans la situation de gouvernance chaotique que connaisse le Gabon actuellement. Le clan dirigeant se livre, semble-t-il, au pillage sans précédent de ressources et richesses du pays. Selon Rose Moussaoui, dans Le Clan Bongo, un demi-siècle de règne et de pillage,  « ces richesses n’ont jamais profitées aux Gabonais, privés d’infrastructures et de services de base »[30]. Les conséquences immédiates de cette gouvernance opaque  sont : le népotisme, le clanisme et surtout, bien sûr, le chômage chronique des jeunes gabonais : « Dans son rapport publié le 11 août dernier à la veille de la célébration de la journée internationale de la jeunesse, l’OIT estime à 73 millions le nombre de jeunes chômeurs en 2022, soit 14,9%, en baisse par rapport à 2021 (75 millions), mais supérieur de 6 millions par rapport à 2019 »[31]. Parce que les postes dans l’administration gabonaise sont à la solde des collaborateurs et parents. Plus déplorable encore en ce qui concerne cette mal-représentation, c’est qu’elle a posé une scission entre le peuple gabonais et ses représentants. C’est-à-dire, les citoyens n’ont plus confiance à ceux qui les dirigent, et donc ils deviennent alors méfiants vis-à-vis d’eux et distants à l’organisation politique. Pierre Rosanvallon, dans son texte Le Parlement des invisibles, n’en pense pas moins : « Une coupure s’est creusée entre la société et les élus censés la représenter. Ce constat est aujourd’hui bien établi »[32].

  A ces propos, pour revenir à la situation démocratique du Gabon, il faut comprendre que l’érosion de la confiance s’est établie entre le peuple gabonais et ses représentants. Ces dirigeants gabonais auraient oublié volontairement, puisqu’ils en connaissent la nature et les enjeux d’une organisation politique démocratique, l’intérêt général et la souveraineté du peuple gabonais dans leur « gouvernementalité ». Autrement dit, le problème, justement, est que ces dirigeants gabonais excluent toute transparence dans la gestion de la chose publique, déclinent toute responsabilité, favorisent le partisanisme et rejettent consciemment l’écoute du peuple. De ce fait, Il apparaît donc fort probable de justifier, finalement, la méfiance, les critiques, le désarroi et le mécontentement des citoyens gabonais à l’égard de leurs dirigeants.

Partant de là, il sied d’affirmer que les dirigeants gabonais n’ont visiblement pas la volonté de penser démocratiquement la société gabonaise, ni comment gérer la chose politique démocratiquement de telle sorte que le bien-être des gabonais soit effectif. Mais dommage, bien évidemment, parce que leur souci n’est visiblement que d’assouvir leurs intérêts individualistes et partisans. Encore plus inquiétant dans leur gouvernance, nous semble-t-il, ils cherchent inéluctablement comment garder de facto ou par tous les moyens le pouvoir. Par conséquent, ils utilisent tous les mécanismes possibles pour pérenniser effectivement leur pouvoir. Pierre Rosanvallon note avec pertinence que la vie politique moderne et contemporaine « tend de plus en plus à s’organiser autours des enjeux de conquête et de l’exercice du pouvoir, et non autour du souci d’exprimer la société ou de gouverner adéquatement l’avenir »[33]. Comme telle, cette conquête du pouvoir au Gabon a mis en place une machine à broyer la scène politique gabonaise, et donc le Parti-État, Parti démocratique gabonais (PDG) : « le Parti démocratique gabonais (PDG), comme parti unique et dirige d’une main de fer »[34].

 A cet effet, cette marginalisation de la démocratie justifie non seulement le non-respect de la Constitution gabonaise, caractérisée par sa revisitation à des fins politiques, mais également pour asservir le peuple gabonais et de maintenir le pouvoir. Noël Bertrand Boundzanga[35] qualifie cette démocratie gabonaise de meurtrière  dans son ouvrage Le Gabon, une démocratie meurtrière[36]. Dans cet ouvrage, Noël Bertrand Boundzanga met en exergue l’analyse de la démocratie au Gabon, et donc ses avancées et ses malheurs. Pour lui, la démocratie telle qu’elle fonctionne au Gabon ne peut prétendre à aucun développement. En effet, l’État de droit au Gabon n’est pas respecté. Dans ces conditions, la vie politique devient l’apanage du système du pouvoir en place, en réduisant au silence les acteurs politiques et les acteurs de la société civile qui se veulent critiques, démocratiques. Pour ainsi dire, pour étouffer tout mouvement de contestation, le pouvoir politique en exercice utilise les intimidations. Christ Olivier Mpaga[37] ne peut rester indifférent face à cette politique caricaturale de la démocratie au Gabon en signant la lodiciquarte, c’est-à-dire la quatrième de couverture[38] dudit ouvrage, Le Gabon, une démocratie meurtrière. Pour lui, en substance, l’état actuel du Gabon ne peut favoriser la transition démocratique. Parce qu’il faut repenser la société gabonaise dans toute sa dimension de l’organisation politique. En commençant par la « légitimité et le statut du chef de l’État, des acteurs politiques, le rôle des intellectuels et les auxiliaires du pouvoir que sont la police, l’armée, les partis politiques, les syndicats et la société civile »[39].

 Il s’agit donc ici de repenser la vie politique au Gabon à travers la restructuration et la recomposition de son corps politique de façon organique. C’est une sorte d’iconoclasme révolutionnaire du contrat social de la politique gabonaise. Ainsi, l’ouvrage Le Gabon, une démocratie meurtrière se veut donc, à notre humble avis, une critique profonde de la mauvaise gouvernance au Gabon. Pour ainsi dire, Noël Bertrand Boundzanga, par Le Gabon, une démocratie meurtrière, se fait le chantre de la démocratie et le défenseur des valeurs humanistes. Par une opération intellectuelle chirurgicale, il peint une critique et un iconoclasme révolutionnaire totalisant de l’acte de « la gouvernementalité gabonaise » dans sa substance. Ainsi, il convient d’affirmer que l’opacité démocratique au Gabon se comprend, au-delà de tout raisonnement analogue ou analogique, par le despotisme et le népotisme exacerbés. Cette crucifixion de la démocratie présume, d’une certaine manière ou par extension, une disposition de l’État-policier[40] dans la mesure où l’aliénation des libertés fondamentales et l’impossibilité d’effectiviser les recours contre le pouvoir se font sentir dans la société gabonaise. René Dumont note avec pertinence que « Sans la démocratie, qui est la charpente, les droits de l’homme ne sont pas qu’une coquille vide »[41]. Alors que le Gabon a besoin d’un État-protecteur garantissant le bien-être et les droits de ses citoyens. 

Peuple passif ?

Peut-on dire que le peuple gabonais n’est pas à la hauteur des circonstances historiques ?         Nous présumons ici qu’au Gabon, la politique se fait manifestement sous forme de dysfonctionnements en mélangeant les institutions démocratiques et les pratiques autoritaires[42], estime Khalid Tinasti. Dans cette perspective, nous sommes dans un État soi-disant démocratique où  les dirigeants ont naturalisé l’acte politique par la politique des dons, du ventre et du culte de la personnalité, au lien de poser les fondements d’une politique démocratique de construction de l’État de droit recouvrant le bien-être et l’idéal de la population gabonaise. Mais malheureusement, les citoyens gabonais qui sont censés revendiquer cela sont dans un sommeil dogmatique. Bien évidemment, pour dire qu’ils ont succombé dans la servitude volontaire, pour reprendre l’expression d’Étienne La Boétie[43]. Dans ce texte d’Étienne La Boétie, considéré effectivement comme un réquisitoire contre le pouvoir absolu, il dénonce en substance l’acceptation du peuple d’être aliéné volontairement face au pouvoir politique. Pour lui, si le peuple est assujetti, c’est parce qu’il admet d’être dominé. De ce fait, la servitude du peuple, dit-il, est une servitude consentie parce qu’il demeure volontairement à l’état de minorité[44].

 En un mot, le peuple se donne volontairement à être manipulé, dressé et aliéné à la soumission et à la domination du pouvoir politique. Bien sûr, il est fort probable d’affirmer que c’est l’unique occasion et préoccupation possibles que les représentants souhaiteraient en avoir. En effet, pour Louis Auguste Blanqui, après plus de trente ans de démocratie jalonnée « de népotisme, de despotisme, de servitude et d’abrutissement systématique, la souveraineté du peuple » ne peut qu’être le produit ou l’éclosion d’un scrutin garni relativement et naturellement par « la graine semée dans les cerveaux »[45] par les prétendus gouvernants. A cet égard, pour revenir au peuple gabonais, nous comprenons donc que sa passivité face aux enjeux politiques, économiques et sociaux actuels qui prévalent dans le pays traduit implicitement son mutisme face à sa tâche de s’affirmer dans le jeu démocratique. Il apparaît bien, dans cette perspective, affirme Pierre Rosanvallon : « Le peuple dans son ensemble n’est pas encore, à ses yeux, à la hauteur de sa tâche historique »[46]. Autrement dit, il n’y a pas de bon peuple sur lequel l’énergie du droit de vigilance pourrait effectivement prendre appui. A l’évidence, le peuple gabonais, comme la masse des électeurs manipulés, ne limite ses droits que dans l’accrochage  à la duperie ou à l’illusion électorale. Pour le dire autrement, « Le suffrage universel est son esclave »[47]. En réalité, comme le pense Pierre Rosanvallon, si :

Le peuple est la source de tout pouvoir démocratique. Mais l’élection ne garantit pas qu’un gouvernement soit au service de l’intérêt général, ni qu’il y reste. C’est pourquoi un pouvoir n’est désormais considéré comme pleinement démocratique que s’il est soumis à des épreuves de contrôle et de validation à la fois concurrentes et complémentaires de l’expression électorale majoritaire[48].

  Alors, il convient ici de comprendre la nécessité de l’orientation du renouveau politique africaine. C’est-à-dire, l’une des solutions pour pallier aux dysfonctionnements institutionnels du pouvoir représentatif en Afrique, c’est que le peuple africain doit être constamment vigilant dans l’action gouvernementale au-delà des échéances électorales. C’est donc la problématisation du citoyen-électif passif que l’Afrique ait toujours connu dans son organisation politique. En principe, nous comprenons ainsi qu’il est important et subtile de redéfinir ou de reconstruire le rôle incontestable dans l’organisation étatique que doit désormais incarner le peuple africain, en général et le peuple gabonais, en particulier. Justement, c’est celui du citoyen-vigilant et juge dans la gestion de la politique africaine moderne et contemporaine. En effet, le peuple africain, voire le peuple gabonais, doit sortir du mirage du suffrage universel que Louis Auguste Blanqui qualifie de « bévue démocratique[49] »[50]. Dans l’exacte mesure où, pense-t-il, le suffrage universel installé au centre de la démocratie représentative est susceptible d’être un principe qui donne lieu à la manipulation et à la falsification électorale. Somme toute, loin pour nous d’ostraciser ou de nier catégoriquement le vote dans le processus de démocratisation en Afrique ou au Gabon, puisqu’on le sait, il en fait partie de l’un des principes substantiels du jeu démocratique, mais on aimerait plutôt se demander pourquoi le peuple gabonais est loin d’être manifeste et vigilant dans l’acte de la gouvernance étatique au-delà de ce vote.    

L’éternel problème de la modification constitutionnelle

 La disposition de la Constitution qui régit l’organisation politique au Gabon et dans d’autres pays africains ne favorise pas l’effectivité et le bon fonctionnement de la démocratie. C’est ce qui explique logiquement le rôle de la Constitution, souvent modifiée pour l’avantage des gouvernants, dans ces pays afin de favoriser le maintien au pouvoir des dirigeants  en exercice :

La réforme de la Constitution de 2010 qui a vidé la Loi Fondamentale de toute sa subsistance et qui a permis au Chef de l’Exécutif de s’arroger tous les pouvoirs, d’exercer une hyper prépondérance sur les autres institutions constitutionnelles au point qu’il détient seul la capacité de nomination des membres desdites institutions. Par ailleurs, cette réforme n’offre aucune possibilité d’alternance et de limitation du mandat présidentiel. Elle n’assure encore moins l’indépendance de la justice et le contrôle démocratique des forces de défense de sécurité. A cet effet, le Président de la République, sans passer par le Parlement peut désormais décréter, l’état de siège ou l’état d’urgence. Assurément, la Constitution actuelle du Gabon a été imposée au peuple en violation des principes et des objectifs de la Charte Africaine de la Démocratie, des élections et de la Gouvernance signée par le Gabon le 02, février 2010 et du Pacte International sur les Droits Civils et Politiques ratifié par le Gabon en 1983[51].

C’est pourquoi, finalement, les textes relatifs à la Constitution en Afrique, ou du moins au Gabon, sont apocryphes. C’est-à-dire, ces textes constituant la Constitution souffrent d’authenticité et de véracité. Parce qu’ils sont souvent amendés pour les intérêts de ceux qui dirigent. A contrario, ces derniers devraient être canoniques, c’est-à-dire revêtir l’authenticité et la véracité basées sur l’intérêt général et la souveraineté des citoyens africains, en général et des citoyens gabonais, en particulier. C’est ce qui relève manifestement le critérium fondamental de toute Constitution qui se veut républicaine. Pour ainsi dire, la Constitution qui promeut l’intérêt général, la chose publique et donc la démocratie.

 Cela dit, à notre sens, il est fort probable que les dirigeants gabonais, voire africains, ne devraient pas confondre l’autorité politique et la responsabilité politique dans l’effectivité constitutionnelle. Car, l’autorité politique, à notre humble avis, est dotée de la personnalité juridique permettant de faire assoir l’État de droit au Gabon. Et, disons-le, non l’autorité autoritaire dont ils font montre. Quant à la responsabilité politique, nous disons qu’elle relève de la responsabilité morale. Celle-ci demande à nos dirigeants d’être vertueux afin de comprendre naturellement la substance de la responsabilité qui est la leur de respecter leurs engagements politiques, en répondant à l’intérêt général des gabonais. C’est la politique adéquate qui répond aux besoins des conditions de vie des gabonais et à la prise en compte de leur réalité quotidienne. Il est donc urgent que les autorités gabonaises mettent en place une stratégie d’expérimentation politique, économique, sociale et intellectuelle plausibles de la bonne gouvernementalité, et donc de valoriser la meilleure Constitution au Gabon.

La place de la contestation comme expression de la critique démocratique au Gabon

 Ici, il est question d’admettre la critique dans la démocratie à travers les mouvements de contestation vis-à-vis du pouvoir politique en exercice au Gabon. En effet, les gouvernants gabonais doivent s’accoutumer avec les réalités d’expression populaire et citoyenne de contestation lorsque le besoin de revendiquer le droit des citoyens se fait savoir. Pour ce faire, les dirigeants gabonais doivent promouvoir la critique et non nullement adopter la politique autoritaire afin de vouloir dissiper la contestation par la répression, comme c’est toujours le cas actuellement. C’est l’ouverture politique d’acceptation de l’altérité, du droit de résistance à la volonté de dire non aux inégalités, du droit à l’opposition à la gouvernance caricaturale et hypothétique. C’est dans l’objectif de promouvoir l’objectivité du droit, la société d’égalité, et donc la politique de lisibilité, de visibilité, de proximité, de réflexibilité et  d’impartialité comme action démocratique de la vie politique au Gabon.

  A cet égard, la responsabilité politique, comme l’État de droit, doit permettre d’aménager « la reconstitution progressive d’un véritable espace protestataire »[52] dans la vie politique démocratique gabonaise. C’est pourquoi, manifestement, la contestation populaire et citoyenne doit être au centre de l’organisation politique au Gabon. En réalité, la contestation de tout pouvoir en exercice est du ressort même de l’idéal démocratique. C’est l’héritage de la transition démocratique que l’Afrique aurait professé dans les années 1990. Car, les mouvements de contestations « en Afrique remonte aux années 1990, en pleine transition démocratique »[53], estime Ousmanou Nwatchock A Birema. C’est pourquoi, bien évidemment, il souligne que les mouvements de contestations en Afrique subsaharienne ces dernières années auraient réussi à bouleverser la donne politique dans certains pays africains. Lisons-le pour l’entendre dire :

Les émeutes de la faim13, les mouvements citoyens tels que « le balai citoyen » (Burkina Faso) et « Y’en a marre » (Sénégal) ou encore les « vendredis en noir » ou le mouvement « 11 millions de citoyens de Cabral Libii (Cameroun) sont quelques-unes des modalités d’expression populaire et citoyenne ces toutes dernières années en Afrique subsaharienne[54].

 En un mot, l’aménagement d’un véritable espace d’expression populaire et citoyenne constitue effectivement l’une des solutions parmi tant d’autres de repenser le processus démocratique au Gabon. C’est la dimension relativement réaliste  d’une démocratie pragmatique et totalisante qui fait défaut à la vie politique au Gabon aujourd’hui. Il s’agit ici de comprendre que l’espoir d’un futur meilleur du Gabon réside dans « la lassitude des pouvoirs en place et sur l’adhésion conséquente des masses à l’idéologie de contestation qu’ils entretenaient à l’échelle du continent »[55]. Dans ce cas, le corps politique gabonais se doit de prendre en compte tous les contours de la matérialisation de l’expression populaire et citoyenne, en restituant les lieux de contestations tels que les démarches  institutionnelles, l’affirmation de la rue et des réseaux sociaux comme une sorte de défiance démocratique à l’égard de l’aliénation du pouvoir qui se veut nécessairement autoritaire ou népotiste. Au final, selon Ousmanou Nwatchock A Birema :  

La rue et les réseaux sociaux (re)deviennent les lieux d’expression de la défiance des pouvoirs (les soulèvements Afrique du nord par exemple ont eu leur large succès du fait de la capitalisation des réseaux sociaux par les leaders d’opinion), les diasporas sont utilisées pour travailler positivement ou négativement l’image des pays à l’étranger, ou pour agir dans les circuits de conquête du pouvoir[56].

A ces propos, il convient de comprendre qu’il faut redonner vie à l’espace publique gabonais sous toutes ses formes afin que l’idéal de l’expression populaire et citoyenne soit au centre de la vie politique au Gabon. Ainsi, il faut noter au passage qu’il apparaît donc urgent que la nécessité se fait de souscrire la manifestation de cette expression populaire et citoyenne dans la Constitution de l’État gabonais. En principe, c’est dans l’objectif de promouvoir une politique ostentatoire dans l’objectif de mettre en évidence les qualités et les avantages d’une Constitution démocratique au Gabon.

La transparence dans la gestion politique gabonaise

 Au Gabon, les citoyens ressentent le sentiment d’impuissance face au manque de transparence dans la gouvernance de leurs dirigeants. En effet, la transparence dans la gestion politique gabonaise demande effectivement « la restauration d’une volonté politique salvatrice »[57], affirme Pierre Rosanvallon. C’est pourquoi, semble-t-il, on pense qu’il faut que la transparence politique au Gabon mette en évidence les valeurs démocratiques telles qu’une administration républicaine et non partisane, le contrôle de l’affaire publique par des institutions indépendantes, le contrôle de l’action de l’État, la lutte contre les abus du pouvoir, la transparence des procédures budgétaires et la séparation des pouvoirs de l’État. A partir de là, il y a la possibilité de faire face à « la montée en puissance d’une démocratie qui est devenue essentiellement négative »[58]. Dans ce cas de figure, l’objectif de la transparence est de promouvoir la bonne gouvernance. C’est l’acte restaurateur même de la confiance entre les gouvernants-gouvernés, selon la perspective rosanvallienne. En outre, il faut comprendre sans doute que la transparence est supposée permettre un parfait contrôle de l’organisation étatique. D’après Pierre Rosanvallon :

La perspective de la transparence se substitue dorénavant à un exercice de la responsabilité que l’on a désespéré de pouvoir organiser ; elle accompagne une sorte d’abandon des objectifs proprement politiques au profit de la valorisation de qualités physiques et morales[59].

A cet égard, la transparence permet manifestement de lutter contre une organisation politique gabonaise opaque, en affirmant la primauté à l’attention des citoyens gabonais désabusés. En réalité, la transparence implique impérativement l’effectivité de « l’idéal démocratique de production d’un monde commun »[60], note Pierre Rosanvallon. Pour ainsi dire, la transparence est une vertu salvatrice qui restitue la bonne gouvernance telle que pensée par une politique démocratique, et donc responsable et compétitive. C’est l’affirmation de l’intérêt général dans une sphère politique submergée par l’indécision et l’incertitude des gouvernants gabonais. Pour Pierre Rosanvallon, la transparence est sans conteste constitutive et participative d’une politique de volonté manifeste et d’intérêt général. Car, dit-il, « La transparence est devenue la vertu qui s’est substituée à la vérité ou à l’idée d’intérêt général dans un monde marqué par l’incertitude »[61]. Il s’agit de comprendre qu’avec la transparence, les dérives du pouvoir autoritaires sont supposées disparaître, laisser place à la manifestation optimale des principes démocratiques dans la société gabonaise.

  En raisonnant ainsi, l’État gabonais doit comprendre que la politique de transparence implique donc une gouvernance de visibilité, d’impartialité, de réflexibilité et de proximité. A cet égard, elle sous-entend le moteur d’une organisation démocratique de la vie politique que réclament les citoyens gabonais. C’est un idéal organisationnel de clarification et  de gestion de la bonne représentation politique valorisé par le contrat social. Il faut donc que les dirigeants gabonais promeuvent une transparence de l’action gouvernementale en redynamisant démocratiquement les institutions dans leur fonctionnement. En cas de non-application de la transparence dans la gestion étatique, qui serait la prédominance du dysfonctionnement politique, le développement des pouvoirs de surveillance, d’empêchement et de jugement doit prévaloir dans toutes les actions des membres du corps politique. Parce que, nous semble-t-il, les pouvoirs contre-démocratiques sont relativement l’effectivité de l’équilibre de la division des pouvoirs constituant un État.

 Nous sommes ici en présence d’une dynamique politique impliquant subtilement le contrôle de la chose publique de façon à rendre plausible le fonctionnement étatique devant la communauté politique. C’est de cette manière, démocratiquement et objectivement, que chaque membre du contrat social contribue à encadrer l’intérêt général. Ainsi, la gouvernance démocratique au Gabon doit prendre en compte la transparence dans son fonctionnement tant recommandé par ses sujets. A contrario, l’application des pouvoirs de surveillance, d’empêchement et de jugement s’impose inéluctablement et de facto. C’est pourquoi, d’ailleurs, l’implication des principes démocratiques dans la gestion des affaires publiques permet de comprendre le degré de transparence et de volonté des gouvernants. Cela suppose donc la proximité et l’écoute des gouvernants gabonais face aux demandes de leurs citoyens. C’est pour dire que la citoyenneté au-delà du droit de vote, implique également le droit de professer les opinions, de délibérer et de proposer, affirme Rousseau[62]. Car, l’activité démocratique basée sur la souveraineté du peuple est corrélativement liée à l’écoute des attentes de la société dans laquelle la politique s’organise. Pour ce faire, l’élaboration de la Constitution gabonaise ne peut se comprendre ou s’effectiviser en marginalisant la souveraineté du peuple et ses aspirations. C’est pourquoi, notons-le, le Gabon doit renforcer la transparence dans l’appui de l’émergence de mouvements des citoyens, la construction d’opinions publiques nationales, l’autonomie de la justice et des médias, la lisibilité et la visibilité de la gestion des affaires publiques, l’affirmation d’un véritable espace d’interpellation démocratique et la légitimation d’une représentation démocratique, etc.      

Conclusion : Optimisme pour un renouveau politique au Gabon

  Préconiser un état des lieux de la démocratie au Gabon peut avérer une entreprise délicate, et donc susceptible d’avoir certaines désapprobations et approbations. Mais que cela ne tienne, semble-t-il, nous le faisons au nom de la science, en général et au nom de la vérité philosophique, en particulier. Si le sacerdoce de l’intellectuel est de dire la vérité, alors nous mourrons au nom de cette vérité en tant que philosophe. Cela dit, nous avons vu que la démocratie au Gabon a pris une direction décadente et problématique. Elle devient sujette aux maux qui minent l’organisation politique adéquate qui se veut transparente, et donc démocratique. Penser un renouveau de la politique gabonaise est l’une des possibilités pour sortir de la mauvaise gouvernance qui déstabilise tant l’effectivité et la survie de la démocratique dans ce pays.

  Somme toute, l’orientation de la politique au Gabon laisse à désirer la redéfinition de nouvelles bases de l’organisation gouvernementale. Cette nouvelle dynamique politique préconisée, à notre sens, permet de sortir de l’image d’un Gabon morcelé par un État démuni des institutions fortes qu’offre le pays aux yeux du monde. Partant de là, il est temps que le Gabon se prenne en charge, se pense elle-même et s’ouvre aux défis mondiaux avec une organisation politique conséquente, dynamique et permanente. A notre humble avis, il faut sortir du sentiment de la logique fataliste selon lequel le Gabon ne se développera jamais tant que ce même régime politique dominant (Parti démocratique gabonais) reste au pouvoir. Parce que nous pensons que le Gabon n’est pas soumis aux réalités déplorables actuelles, mais plutôt à un avenir meilleur si il redéfinit sa direction politique en matière de gouvernance et sa gestion économique en matières de ressources premières dont il dispose.

           A cet effet, en partant de l’idéal selon lequel le Gabon est le pays de l’avenir, nous devons refuser avec la dernière énergie les propos de l’Ancien Président français Jacques Chirac, qui affirmait : la « démocratie n’est pas faite pour l’Afrique », en général et pour le Gabon, en particulier. Pour cela, il convient de penser que le Gabon a des atouts qu’il doit mettre en valeur, en promettant un espace politique de délibération adéquate pour l’effectivité d’une nouvelle organisation politique de responsabilité, d’égalité et de compétitivité que son peuple rêve tant. C’est l’organisation pleinement démocratique d’un Gabon futuriste dynamique et meilleur. Lisons Flavien Enongoué pour l’entendre dire : « Au Gabon, malgré l’échec du passé, marqué par une « démocratie ambiguë », et les incertitudes du présent, résultant de l’équation à mille inconnues du parti dominant, il faut peut-être garder espoir que demain se lèvera un jour nouveau »[63].  


[1] Lire à ce sujet, Francis Fukuyama, La fin de l’histoire et le dernier homme, 1992.

[2] Voir Extrait du discours de François Mitterrand à La Baule, 20 juin 1990. Il se prononçait sur la situation économique de l’Afrique, les possibilités d’aide des pays les plus riches et la position française en matière de coopération et d’aide financière.

[3] La Conférence Nationale au Gabon s’était tenue du1er mars au 19 avril 1990.

[4] Lire à ce sujet, Samuel Huntington, Le choc des civilisations, 1996. Quelques années plus tard, Huntington pour s’opposer à la thèse de Fukuyama, écrira que l’achèvement de la fin de la guerre froide n’est pas le triomphe de la démocratie. Mais plutôt, la fin du conflit en terme idéologique et le début de choc de cultures entre les différentes civilisations. 

[5] Lire à ce sujet, Ana Pouvreau, « Le siècle du populisme de Pierre Rosanvallon », Dygest, 2022.

[6] Ibid.

[7] Pierre Rosanvallon, La Contre-démocratie. La politiquent à l’âge de la défiance, Paris, Éditions du Seuil, 2006, p. 9.

[8] Pierre Jacquemot, De l’élection à la démocratie en Afrique (1960-2020), Op. cit., p. 7.

[9] Nicolas Metegue N’nah, Roland Pourtier, « GABON », Encyclopaedia Universalis. Voir en ligne https://www.universalis.fr/encyclopedie/gabon/ . Consulté le 9 novembre 2022.

[10] Ibid.

[11] Ibid.

[12] Lire à ce sujet, Jean-François Bayart, L’État en Afrique. La politique du ventre, Paris, Éditions Fayard, 1989.

[13] Voir Amnesty international, « Liberté d’expression, d’association et de réunion », Rapport sur le Gabon, 2017/ 2018.

[14] Voir Loïc Ntoutoume, « Gouvernance déficiente : Le Gabon veut inverser la tendance », Gabon Review, 8 septembre 2021. 

[15] Voir  CRCHUS, Université de Sherbrooke et Université Laval, Gabon : Profil de Pauvreté 2017, Août 2018. damien.echevin@usherbrooke.ca

[16] Ibid., p. 6.

[17] Ibid., p. 8.

[18] En politique, c’est une forme de gouvernement où le pouvoir n’est possédé que par un certain nombre de personnes constituant une classe privilégiée.

[19] C’est une forme de gouvernance soumise à une autorité arbitraire et absolue, qui opprime les libertés fondamentales des individus.

[20] C’est le fait que l’autorité mène une politique mettant en avant le favoritisme de son entourage, à savoir : Ses collaborateurs et les membres de sa famille. 

[21] Omar Bongo Ondimba fut le deuxième président du Gabon de 1967 à 2009.

[22] Ali Bongo Ondimba, fils du défunt président gabonais, Omar Bongo Ondimba, est élu à la tête de l’État gabonais, le 30 août 2009 jusqu’à nos jours.

[23] Lire à ce sujet, Richard Banégas, Démocratie à pas de caméléon. Transition et imaginaires politiques au Bénin, Paris, Éditions Karthala, 2003.

[24] Lire à ce sujet, Lassaad Ben Ahmed, « Gabon : Les Bongo, 54 au pouvoir », Afrique, Agence Anadolu, 02/12/2021.  

[25] L’Afrobaromètre (en anglais afrobarometer) est une étude régulière réalisée par un réseau de recherche panafricain, indépendant et non-partisan, qui réalise des sondages de l’opinion publique sur des sujets économiques, politiques et sociaux à travers le continent africain. Il a été créé en 1999 par la fusion de trois projets de recherche menés par Michael Bratton, Robert Mattes et Emmanuel Gyimah-Boadi3. Il est, en 2019, dirigé par E. Gyimah-Boadi. Voir http://www.afrobarometer.org/node/39.

[26] Lire à ce sujet, Afrobarometer, le communiqué de presse. Libreville, Gabon 2 octobre 2020. Voir www.cergep.org, www.afrobarometer.org (Christian Wali Wali, Téléphone: +241 (0) 77061701 Email: cergepgeo@gmail.com).

[27] Lire à ce sujet, Pierre Rosanvallon, Le Parlement des invisibles, Paris, Éditions du Seuil, 2020.

[28] Voir Afrobarometer, le communiqué de presse. Libreville, Gabon 2 octobre 2020. 

[29] Voir post d’Alix-Ida Mussavu, Gabon Rewiew (L’information au quotidien sur la vie du Gabon), 14 octobre 2020.

[30] Voir Rosa Moussaoui, « Le Clan Bongo, un demi-siècle de règne et de pillage », L’Humanité, vendredi 2 Septembre 2016.

[31] Voir Griffin Ondo Nzuey, « Emploi : 73 millions de jeunes chômeurs en 2022 », Gabon Review, 18 août 2022.

[32] Pierre Rosanvallon, Le Parlement des invisibles, Op. cit., p. 23.

[33] Ibid., p. 43.

[34] Voir Lassaad Ben Ahmed, « Gabon : Les Bongo, 54 au pouvoir », Afrique, Op. cit.

[35] Noël Bertrand Boundzanga Membre de la société civile, Écrivain, Essayiste et Enseignant-Chercheur à l’Université Omar Bongo (Département de Littératures Africaines).

[36] Noël Bertrand Boundzanga, Le Gabon, une démocratie meurtrière, Paris, Éditions L’Harmattan, 2016.

[37] Christ Olivier Mpaga, Philosophe, Maître de conférences en Philosophie  et Enseignant-Chercheur à l’Université Omar Bongo (Département de Philosophie).

[38] La dernière page extérieure de l’ouvrage, plat verso.

[39] Christ Olivier Mpaga, Quatrième de couverture, Le Gabon, une démocratie meurtrière, Op. cit.

[40] État-policier pourrait se comprendre comme étant un régime politique dans lequel l’accent est mis sur le contrôle des individus, au détriment des libertés individuelles. C’est-à-dire, il est souvent difficile que les pouvoirs des autorités soit encadré par le droit. Comme pour dire, le gouvernement exerce son pouvoir de façon autoritaire et arbitraire, en utilisant les forces policières pour réprimander directement les individus ou par discrétion par la police secrète. 

[41] René Dumont, Démocratie pour l’Afrique, Paris, Éditions du Seuil, 1991, p. 205.

[42] Lire à ce sujet, Khalid Tinasti , Le Gabon, entre démocratie et régime autoritaire, Paris, Éditions L’Harmattan, 2014. « Ce livre revient longuement sur l’histoire politique et la construction institutionnelle de l’État gabonais, indispensables pour l’analyse des facteurs contribuant à la non-démocratisation du pays. Il est aussi question d’évaluer le néo-patrimonialisme du régime au travers du présidentialisme, du clientélisme et de l’appréciation de la participation et de la compétition politiques. Ce système prébendier est le résultat du comportement du Président en place, autant qu’il l’est des structures même de l’État. Aussi, un régime hybride s’est installé à la suite de la réintroduction du multipartisme, car la tenue d’élections, même compétitives, ne peut à elle seule justifier de toutes les conditions démocratiques. Cet ouvrage revient sur l’émergence du modèle de régime autoritaire compétitif au Gabon, en analysant les pressions internationales de démocratisation sur le Gabon, sa capacité de résistance à ces dernières, et surtout la capacité organisationnelle interne au pouvoir. Ce dernier facteur se caractérise par la force mobilisatrice du Parti démocratique gabonais, par la puissance coercitive de l’État, ainsi que par la cohésion ou non de l’opposition politique ». Voir Quatrième de couverture de l’ouvrage.

[43] Lire à ce sujet, Étienne de La Boétie,  Discours de la servitude volontaire (1835).

[44] Lire à ce titre, Emmanuel Kant, Qu’est-ce que les Lumières ?, Paris, Éditions Flammarion, 2020. Les Lumières se définissent comme la sortie de l’homme hors de l’état de minorité, où il se maintient par sa propre faute. La minorité est l’incapacité de se servir de son entendement sans être dirigée par un autre. Elle est due à notre propre faute quand elle résulte non pas d’un manque d’entendement, mais d’un manque de résolution et de courage pour s’en servir sans être dirigé par un autre. Sapere aude ! Aie le courage de te servir de ton propre entendement ! Voilà la devise des Lumières. La paresse et la lâcheté sont les causes qui expliquent qu’un si grand nombre d’hommes, alors que la nature les a affranchis depuis longtemps de toute direction étrangère, reste cependant volontiers, leur vie durant, mineurs ; et qu’il soit si facile à d’autres de se poser comme leurs tuteurs.

[45] Louis Auguste Blanqui, La Patrie en danger, Paris, Éditions Hachette Livre, 1871, p. 272.

[46] Pierre Rosanvallon, La Démocratie inachevée, Op. cit., p . 158.

[47] Ibid., p. 158.

[48] Pierre Rosanvallon, La Légitimité démocratique, Op. cit., Quatrième de couverture, voire lodiciquarte (La dernière page extérieure de l’ouvrage, plat verso).

[49] Erreur commise par ignorance ou par inadvertance.

[50] Louis Auguste Blanqui, La Patrie en danger, Op. cit., p. 271.

[51] Voir Georges Mpaga, « Gabon : La démocratie gabonaise des années Ali Bongo », Bongo Doit Partir, 10 Novembre 2011.

[52] Ousmanou Nwatchock A Birema, « La démocratie en Afrique subsaharienne. Une question de volonté ? », CARPADD | Note d’analyses sociopolitiques N° 03, Mai 2018, p.  8.

[53] Ibid., p. 8

[54] Ibid.

[55] Ibid.

[56] Ibid., p. 9.

[57] Pierre Rosanvallon, La Contre-démocratie. La politique de la défiance, Op. cit., p. 261.

[58] Ibid., p. 261.

[59] Ibid., p. 262.

[60] Ibid.

[61] Ibid.

[62] Lire à ce titre, Jean-Jacques Rousseau, Du Contrat social, Op. cit., livre IV, chap. I.

[63] Flavien Enongoué, « Le pluralisme politique au Gabon : l’espoir d’un troisième âge », In Dominique Etoughé Mba et Benjamin Ngadi (dir.), Refonder l’État au Gabon. Contributions au débat, Paris, Éditions L’Harmattan, 2003, p. 99.

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The threats to the democratic institutions of Senegal: An autocracy in the making

 By Souleymane Gueye, Ph.D, professor of International Economics and Statistics, College of San Francisco

Seduced by authoritarianism, the current president of the Republic of Senegal has begun to erode the democratic norms to set the foundations for an autocratic regime. Is Senegal moving away from democratic principles rather than strengthening them? The recent events in Senegal suggest that democracy is in decline in this Sub-Saharan Africa country that used to be branded as an exception in Africa.

Stability of Political Institutions and Economic Environment

Today, there is a sense in the general population, particularly among the youth that they are ignored and forgotten by the government, particularly, in terms of the decision-making process aimed at improving the welfare of citizens and the well-being of the nation. Sixty years after independence, Senegal has managed to build a democratic nation with harmony and peaceful cohabitation amongst the different ethnic groups and religious denomination. Yet, we are witnessing an erosion of the pillars of the democratic institutions that made Senegal the envy of the other states in Sub Saharan Africa. A very serious issue, that is compounded by a failure of the government to deliver an inclusive economic growth with equity (equitable distribution of the income generated in the production process), jobs creation, construction of appropriate infrastructures, efficient investment in health, education, agriculture, and technological sectors.

Before 2012, Senegal had a stable political environment, in addition to an advantageous geographical position and abundant natural resources. Despite this favorable environment, many Senegalese people still face immense hardship. Many families still live in remote rural areas, subsisting on family-run plots of land. Additionally, 70% of the youth remain unemployed laboring in the informal sector daily to earn a meager income to feed their families. Numerous Senegalese families still lack access to running water, basic sanitation, electricity, health care and education.

However, this somewhat stable political environment barely conceals the grinding poverty that prevails in the entire country as jobs are almost nonexistent, access to health care very limited, and numerous children are stunted by poor diets or are living in abject poverty with their families, with an increased probability of experiencing hunger and starvation due to the various external shocks. Namely, the pandemic of 2019, the Ukraine war, and the rising energy cost that are being felt all over the world.

Numbers don’t lie. The Senegalese economy is in a very dire strait:

  1. Low level of national per capita income ($1540) and insufficient income growth to allow convergence in per capita income toward that achieved in the countries that were at the same level of Senegal sixty years ago (most of the East Asian countries and the So – called the “Asian Tigers”)
  2. Extensive material poverty accompanied by food insecurity and hunger (66.8% poverty rate); leading to a worsening of the life expectancy (Senegal’s position dropped from 140th to 141st; life expectancy for women 70.2 and for men 66.01)
  3. Inequality in the distribution of income and inequity in chances to succeed (growing inequality in Senegal).
  4. Vulnerability to shocks (internal and external as well) and risk of falling into poverty (66.8%) and poverty trap.
  5. Lack of satisfaction of basic needs in human development, especially health and education. Human Development Index (HDI) has barely improved. Senegal’s position changed from 165 to 168 and the HDI improved from 0.487 to 0.512.
  6. Unsatisfactory “ quality of life” in a number of dimensions such as individual freedom, human rights (The Human Right Commission just condemned heavily the Senegalese authority by highlighting the arbitrary arrests of opposition figures, use of excessive force by security forces, restrictive civic space, serious human rights abuse; approved of two flawed and overly broad counterterrorism laws with life imprisonment for those found guilty of flouting the laws, but with a partisan judiciary system; sexual and gender based violence unpunished ) capabilities, and happiness or life satisfaction[1].

The Process of Undermining the Political Institutions

Instead of looking at how to reverse the trend of the underdevelopment of the economy, the Senegalese government has embarked on repression and weakening of the key political and economic institutions. For example, the previously inclusive institutions, namely a broad-based representative system that has contributed to the election of four presidents with peaceful political transition since independence would be converting to an extractive political institution characterized by narrow representation through a manipulation of the electoral file, the strict control of the issuance of national identification card, the erection of barriers to register legitimate voters, control of the electoral process.

This is done through the elimination of the Ministry of Elections created by the previous regime to satisfy the opposition after a day of national protest in 2011 for political transparency and credibility in the electoral process. The new government gave back to the Ministry of Interior all its former prerogatives in the organization of elections, de facto removing these two characteristics of the electoral process, namely transparency and credibility.

Recent political events in Senegal demonstrate this changing political stability, events such as:

  • Preventing the main opposition coalition (Yewi Askan Wi) to legitimately participate in the election by a controversial decision (May/ June 2021) of a very partisan Constitutional Court which plays a very important role in the electoral process.
  • Preventing the National Assembly from operating with transparency by not respecting the separation of power between the executive branch and the legislative branch since the former disrespectfully decided to occupy the National Assembly with the security forces (September 2022).

Other subtle methods are also used to weaken the democratic norms and corrupt the Senegalese institutions:

  • Taking down virtuous civil servants and replacing them with cronies, proteges and family members (the President appointed his brother to CNDC (Caisse National de Dépôt et de Consignation) and his brother-in-law as a super minister with very important responsibilities).
  • Reassigning honest civil servants to less important roles by switching their portfolios as punishment (judge Souleymane Telico and many other judges and civil servants).
  • Asking trusted official to prepare evidence against political opponents that the regime wants to neutralize (case of Khalifa Sall ex-mayor of Dakar, a former political rival of the current president).
  • Building case that could tar the opponent’s reputation particularly if the target has a reputation for being honest and competent (Ousmane Sonko, the main opponent of the current president and the recent event of the Gendarmery National that has led to the arrest of a prominent investigative journalist). (NB: Sonko’s trial in Dakar court is still ongoing).
  • Authorizing investigation against people and uses it to blackmail politicians and civil servants so that they can demonstrate their loyalty (list of civil servants embezzling public funds and grabbing land illegally prepared by OFNAC (National Office Against Fraud and Corruption created in December 2012).

This approach known as “digging at the foot of a wall” according to Joseph Torigian[2], is prevalent in autocratic societies such as China, Russia, Turkey, Hungary, North Korea, that value pliant people in certain key positions (Attorney General, Interior Ministry, Secretary of Defense. Constitutional Court, Territorial Administration) for the sole purpose of executing the will of the autocrat.

The freedom of the press which is critical to a democratic society in which the government is accountable to the people is under assault in Senegal (An investigating journalist Pap Ale Niang who just revealed a plot within the security forces with the complicity of some members of the government, is under arrest).

This event is very worrisome as independent journalism and investigative journalism is under threat in Senegal. Most of the mainstream media has been neutered and muzzled by intimidation and conflict of interests created by the sprawling press groups and the irruption of scrupulous businessmen in this sector that control much of Senegalese media. Maintaining a free and accessible public square for debate is crucial to defending Senegal’s democracy. Unfortunately, the current government would intent on muzzling the free press.

All the above facts have culminated in the deterioration of the democratic institutions and the erosion of democratic norms in Senegal. In addition to corrupting the government institution as management strategy – this government would have compromised the judicial and territorial administrations by appointing people belonging to the inner circle of the current president.

The Beginning of a Repressive Regime in Senegal

Here are the examples of outright repressions and undermining of the Senegalese people constitutional rights:

Right now, we are witnessing a continued purge of political rivals through an increasingly sophisticated and treacherous campaign of anticorruption purge that sidelined opponents and suppressed potential challengers – real and perceived- to the government under the guise of fighting corruption and graft through CREI (Court of Repression of Illicit Enrichment).

Additionally, the power of the state and executive branch is being used for heavy handed repressive policies that are imperiling the Senegalese’society (manifestation and protests are prohibited or brutally repressed by the security forces).

The internet is perceived as threatening the authority of the current president; hence a mass electronic surveillance is being in all likely put in place to assert the power of the state which is risk averse. This systematic repression would be the most extreme manifestation of the obsession of the president of Senegal with eliminating political rivals -reduce the opposition to their bare bone- at the risk of criticism and domestic suffering in all parts of the society.

The desire to hold on to power due to fear of prosecution under a new regime has led the government to invest heavily in more coercive capacity: military, paramilitary and police forces (proposed budget for police, and the army, recent scandal of the purchase of military equipment for 45 billion CFA). The resulting outcome of this fear of losing the power is manifested in the following actions:

  • Jailing people (mostly youth) who are perceived to support the opposition.
  • Incentivizing competition amongst subordinates to make them prove their loyalty by carrying out the repressive policies designed by the executive branch.
  • Policing the web to the point of transforming the Senegalese society to a kind of a “police state” because of the efficient use of social networks by the youth to vent their frustration about petty corruption, denounce the government, an onerous bureaucracy that frustrate their aspirations, to discuss the everyday corruption that complicates life in Senegal.

These flagrant violations of the Senegalese constitution, coupled with the use of the security forces to prevent a portion of the Senegalese citizens to exercise their right to express

their displeasure – a right guaranteed by our constitution – , the erosion of the rule of law, the normalization of violence, the desire to undermine the stability of the country and create chaos while ignoring the growing inequality constitute the precursors of the making of an autocrat willing probably to violate the constitution through forcing a third term in the throat of the Senegalese people. These are some of the symptoms that Larry Diamond[3] called “democratic recession” and unfortunately, we are seeing them in Senegal.

Furthermore, these examples of repression and control are altering the democratic fabric of Senegal and are akin to the directives of an autocrat in the making for the final battle – a third term with a will power to blur the lines between economic policies and state benefactors that will perpetuate this systemic corruption. Senegal’s enduring corruption under Macky Sall has put it in 140 th on a list by Transparency International of 175 countries ranked by the level of corruption in public sectors. Studies[4] have shown that corruption kills because with the money lost, we could invest five times as much into public health and lift millions of Senegalese out of poverty. This problem is systemic in Senegal– kickbacks have become standard operating procedure in government – controlled enterprises (Post Office and Telecommunication, Dakar Dem Dikk, CMS, LONASE, IPRESS, SAPCO, SAR, Covid 19 Fund etc.), and the administration.

Therefore, the only conclusion one can arrive to is the current president would be preparing to run for a third term which is contrary to the constitution.

This would set the country in a self-destruction path, hence planting a seed for a destruction of what is Senegal. Example of this abounds throughout Sub Saharan Africa (Mali, Burkina Faso, Guinea, Tchad, Gambia, Niger, Soudan, etc.)

But this is not what was generally expected in 2012 when the Senegalese people elected a president of the Republic of Senegal. Back then, an ambitious plan for good governance, respect of the rule of law, food self- sufficiency, job creation for the youth and expanding the economy was laid out through the Senegal Emergent Plan[5] as well as a pledge to build a more secure and egalitarian nation based on the rule of law

Hopefully, the actual president and the government will envision a peaceful transition of power for the good of Senegal, and work toward a robust and independent security and judicial system.

By risking making the political system less resilient overtime and prioritization of politics over economic goals the president and his collaborators are clouding Senegal’s long term growth prospects – the only way to reduce poverty is through sound macroeconomic policies and good governance.

These economic objectives will be difficult to achieve because political instability, misallocation of scarce resources, impunity, and of the favoritism, nepotism, clientelism in awarding of “public contract” at the expense of the efficient Senegal’s private sector.

By practicing blatant favoritism for less efficient enterprises owned by those closed to the government or their political supporters, and putting efficient domestic private businesses at a disadvantage, the government is exacerbating the long term economic problems of Senegal, including slowing down the weak productivity of labor, job creation,  wage growth, and poverty alleviation.

Needless to remind the actual government that despite the perceived stability of Senegal’s government and political institutions, this democracy could die due to the extreme partisan polarization fostered by the government along almost ethnic lines and regional divide.

This is very scary and dangerous as direct effects of political instability and unaccountability can produce unpredictable investment related policies which influence the inflow of capital by impeding the level of attractiveness of Senegal, Economic growth, and poverty.

This is the reason why we should not allow the government to create an environment of political instability and violence by subverting the will of the people of Senegal.

Let work for peace, stability, and an inclusive economic growth in Senegal so that all the children of Senegal will be able to contribute to the development of the country for the welfare of our people.


[1] Human Right Report (2022)

[2] Prestige, Manipulation, And Coercion: Elite Power struggle in the Soviet Union and China by Joseph Torigian

[3] Facing up to the Democratic Recession by Larry Diamond

[4] Economic Effects of Corruption in Senegal by SJG Working Paper

[5] Senegal Emergent Plan (2014 – 2018) Public Treasury, Ministry of finance

Les coups d’Etat en Afrique: malédiction ou point de passage nécessaire ?

Le 17 mai 2016, François Soudan, actuel directeur de la rédaction de Jeune Afrique, écrit dans une de ses tribunes : « […] Tout démontre que le continent le plus touché par la fièvre des complots est en voie de guérison. Un militaire qui, aujourd’hui, voudrait renverser par les armes un gouvernement, fût-il impopulaire, sait qu’il sera immédiatement condamné et banni par l’Union africaine, l’ONU et la communauté internationale, et qu’en cas de dérapage, la Cour pénale internationale l’attend. » Les récents événements politico-militaires en Afrique francophone liquident cette analyse qui prenait une simple accalmie pour une tendance lourde. En effet, dans une ambiance de « désillusion décromatique », quatre coups d’État se sont succédé, d’août 2020 à janvier 2022, en Afrique francophone : au Mali, au Tchad, en Guinée et au Burkina Faso. Il est vrai que les pays africains se distinguent par le caractère prétorien de leur gouvernance. Selon les données de Jonathan Powell, spécialiste des relations internationales, sur les 486 coups d’État réussis ou ratés depuis 1950, 214 – dont 106 réussis – ont eu lieu en Afrique; ce qui fait de l’Afrique, la région la plus touchée au monde.

A la suite de cette observation, il y a un désir naturel de recherche de causes : « Tout ce qui naît, naît nécessairement d’une cause », aphorisme axiomatique proclamé par Platon dans le Timée. La question : Quels sont les facteurs favorisant les coups d’État en Afrique ? a trouvé plusieurs réponses. Par exemple, dans son communiqué de presse du 29 Mai 2014, le Conseil de paix et de sécurité de l’Union africaine déclare : “Les changements anticonstitutionnels de gouvernement et les soulèvements populaires étaient profondément ancrés dans les insuffisances en termes de gouvernance. […] Les situations de cupidité, l’égoïsme, une mauvaise gestion de la diversité et des opportunités, la marginalisation, la violation des droits de l’homme, le refus d’accepter la défaite électorale, la manipulation des constitutions, ainsi que la révision anticonstitutionnelle des constitutions en faveur d’intérêts restreints et la corruption sont des déclencheurs puissants de changements anticonstitutionnels de gouvernement et de soulèvements populaires”. Sur son site, Jonathan Powell indique que « les coups d’État sont de plus en plus limités aux pays les plus pauvres du monde, et la récente vague de coups d’État s’inscrit dans ce contexte ». Simple corrélation ou profonde causalité ? Si causalité, alors quel est son sens ? Est-ce c’est la pauvreté qui favorise les coups d’Etat ou ce sont les coups d’Etat qui favorisent la pauvreté ?  Par ailluers, en 2016, les chercheurs américains Aaron Belkin et Evan Schofer ont publié un papier de recherche (Toward a Structural Understanding of Coup Risk) dans lequel ils expliquent que la solidité de la société civile d’un pays, la légitimité du gouvernement vis-à-vis de la population et le passé d’un pays en termes de putschs sont des facteurs prédictifs importants des coups d’État. 

Les différentes explications du phénomène des coups d’État en Afrique ci-dessus sont satisfaisantes à bien des égards mais ont la faiblesse de ne pas monter en épingle la cause « fondamentale » – première, en quelque sorte – me semble-t-il. Je veux soutenir dans ce billet la thèse suivante : Les coups d’État en Afrique sont dus à la maturation des États africains. En quelque sorte, les coups d’État dans les pays africains caractériseraient « l’adolescence » de la vie des jeunes États africains et annonceraient même leur passage à la vie adulte. C’est, en somme, le chaos qui annonce l’ordre. Leibniz avait raison de dire : « Il est dans le grand ordre qu’il y ait un petit désordre » ; le mal fait ressortir le bien.

Revenons à ma thèse pour la démontrer.

D’abord, l’État, dans son acception moderne, est une idée neuve en Afrique et pour les Africains car les structures proprement politiques africaines historiques étaient à petite échelle. George Peter Murdock, anthropologue américain, a proposé une classification des institutions politiques suivant les « niveaux de hiérarchie juridictionnelle » (levels of jurisdictional hierarchy, en anglais) dans son livre Ethnographic Atlas, 1967 qui est une base de données sur 1167 sociétés. Dans sa base de données, Murdock a codé une variable (le second chiffre de la colonne 32 dans le dataset) qui varie de 0 à 4 : 0 pour “société sans autorité politique”, 1 pour « petites chefferies », 2 pour « chefferies plus importantes », 3 pour « États » et 4 pour “grands États”. Quand on combine cette classification de Murdock avec les estimations de la population en Afrique en 1880 du projet HYDE (Historical Database of the Global Environment), nous pouvons calculer la proportion d’Africains qui vivaient dans des États en 1880 (voir cette étude : https://ideas.repec.org/p/nbr/nberwo/28603.html) . Il en ressort qu’en 1880, seulement 30% des Africains vivaient dans des sociétés qui avaient un État si l’on considère comme état, les groupes ethniques de la base de données de Murdock qui sont codés comme ayant au moins 3 « niveaux de hiérarchie juridictionnelle ». Dans le cas où l’on adopte la définition plus restrictive de “grand État” de Murdock, seulement 4,4% des Africains vivaient dans des sociétés qui avaient un État. Quoi qu’il en soit, une très grande majorité d’Africains ne vivaient pas dans des États au cours de la période précoloniale. Le pouvoir était confiné à l’échelle locale. La raison fondamentale de ce fait réside dans ce que les africains ont développé un scepticisme profond à l’égard de l’autorité politique (surtout à grande échelle) – le lecteur curieux peut aller lire The Children of Woot de Jan Vansina

La constitution des États africains tels qu’ils sont de nos jours est un phénomène qui a, dans la plupart des cas, moins d’un siècle et demi d’âge. C’est un monde nouveau pour les Africains qui, pour la majorité, ont vécu dans des sociétés presque sans niveau de hiérarchie juridictionnelle tant le scepticisme à l’endroit de l’autorité politique est profondément ancré. Cela a créé un énorme problème au moment des indépendances ; celui de rassembler toutes les institutions endogènes diverses et souvent contradictoires dans un contrat social post-colonial. Le résultat a été l’instauration d’un magma bureaucratico-politique sur le continent. La nature ayant horreur du vide, la situation post-coloniale a permis la montée des dictateurs et des autocrates, souvent aidés par les puissances coloniales en partance. Ainsi, la mentalité de “The winner takes all” a gagné la vie politique des jeunes États en Afrique.  Cette attitude de “The winner takes all”, bien expliqué par Carlos Lopes dans son livre “L’Afrique est l’avenir du monde”, génère du ressentiment chez les “perdants” qui se vengent par plusieurs moyens dont les coups d’Etat. 

Les coups d’Etat en Afrique sont donc un phénomène “normal” dans le processus de consolidation des “nouvelles” structures politiques sur le continent. Nous savons de Hésiode qu’au commencement était le Chaos et qu’après, Zeus, triomphant de son père et de la race des géants et des Titans, s’impose en maître et instaure l’Ordre parmi les dieux et les hommes. Les coups d’Etat en Afrique donnent une impression de chaos. Mais, l’ordre est proche. Les Etats africains se consolident. Ils arriveront à maturité comme nous l’enseigne l’histoire des autres régions du monde. Je pèche, peut-être, dans ma conclusion par déterminisme historique.

TotalEnergies en Afrique de l’Est : l’environnement face au développement

Par Giovanni DJOSSOU pour l’Afrique des Idées

Le 7 décembre 2022 s’est ouvert à Paris le procès contre les projets pétroliers de TotalEnergies en Ouganda et en Tanzanie. Selon les différentes ONG ayant assigné la firme française en justice, ces projets engendreraient des dommages colossaux et irréversibles tant sur l’environnement que sur les droits humains. Face à ces accusations, Total se défend en mettant en avant sa bonne foi via son « plan de vigilance ». Quant au gouvernement Ougandais, partie prenante à 15% dans ces projets, il en appelle au « droit à se développer ».

Pour entendre correctement la situation, un retour en arrière s’impose. En 2006, un important gisement de pétrole (l’équivalent 6,5 milliards de barils) est découvert sous les eaux et les rives du lac Albert, l’un des plus grands lacs d’Afrique (5 270km2), à la frontière entre l’Ouganda et la République Démocratique du Congo. En 2007, la compagnie pétrolière britannique Tullow Oil, spécialisée dans l’exploitation des gisements en Afrique et en Amérique du Sud, acquiert les droits d’exploitation de ce gisement. En 2020, après plusieurs années de négociations, TotalEnergies rachète la quasi-totalité des droits pour un montant de 575 millions de dollars. En 2021, le Conseil des ministres ougandais adopte le projet du géant pétrolier français.

La nature des projets Tilenga et EACOP

Le projet de TotalEnergies est double. D’un côté, le projet Tilenga qui prévoit la construction de puits forés et le projet complémentaire EACOP (EAST African Crude Oil Pipeline) qui prévoit l’acheminement du pétrole extrait d’un oléoduc chauffé de 1 443 km traversant l’Ouganda et la Tanzanie, ce qui en ferait le plus long pipeline chauffé du monde.

Ce « mégaprojet », évalué à 10 milliards de dollars, est porté par trois entités : TotalEnergies, à hauteur de 62%, les compagnies pétrolières nationales d’Ouganda et de Tanzanie (30% (15% + 15%)) ainsi que la troisième plus importante compagnie pétrolière chinoise, CNOOC (8%).

Le programme d’exploitation comprend la production de 216 000 barils de pétroles par jour au travers des 419 puits créés.

Un projet dangereux pour l’environnement et les populations locales

Dès 2019, avant même l’approbation du projet par le gouvernement ougandais, quatre associations ougandaises (Afiego, CRED, Nape, Navoda) et deux ONG françaises (Les Amis de la Terre, Survie) assignent TotalEnergies en justice. Parmi les griefs les plus notables, les ONG pointent du doigt le fait qu’un tiers des puits forés l’est dans le parc naturel de Murchison Fall, le plus vieux et plus grand parc naturel du continent. L’oléoduc de 1 443km, traversant 16 aires protégées dont des parcs nationaux et des réserves animalières, met en grand danger la survie de certaines espèces et plus largement, la biodiversité. Enfin, selon Me Louis Cofflard, avocat de l’ONG Amis de la Terre, le programme conduira à l’émission de 33 millions de tonnes de CO2 par an, soit trente fois les émissions annuelles de l’Ouganda et de la Tanzanie réunies.

Si le projet entraîne des conséquences sur la nature, il en a tout autant sur les droits humains et l’activité humaine. La construction des infrastructures liées au projet d’extraction a provoqué le déplacement des plus de 18 000 foyers. Selon les ONG assignant TotalEnergies en justice, ce déplacement de populations provoque des situations de famine en chaîne ainsi qu’une forte hausse de la déscolarisation d’enfants. Enfin, le risque de contamination des deux grands lacs de la région (Albert, Victoria) est une menace pour l’accès à l’eau potable, pour 40 millions de personnes.

TotalEnergies montre patte blanche

Face à si mauvaise presse, les conséquences négatives pour TotalEnergies ne se sont pas fait attendre. Le programme Tilenga-EACOP a été placé sur la liste rouge de l’UICN (l’Union Internationale pour la Conservation de la Nature) et onze banques partenaires, parmi lesquelles trois françaises (BNP, Société Général, Crédit Agricole) ou la britannique HSBC, se sont désengagées du projet, dès avril 2021.

Les opposants à l’initiative de TotalEnergies reprochent à la firme l’établissement d’un « plan de vigilance » trop léger. En effet, la loi Rana Plaza (du nom de l’immeuble s’étant effondré en 2013 au Bangladesh du fait de la négligence des multinationales de la « fast-fashion ») créée en 2017, oblige les entreprises à « établir une stratégie explicite visant à prévenir les atteintes graves aux droits humains et à leurs libertés fondamentales ».

Dans un communiqué datant du 12 octobre 2022, TotalEnergies défend son plan de vigilance en présentant les conclusions des « experts tiers » qu’elle a mandatés (sans plus de précision sur leur identité). La compagnie pétrolière affirme agir sur la préservation de la biodiversité avec 1 000 hectares de forêts restaurés, pour permettre le déplacement des chimpanzés, 10 000 hectares de forêts préservés, mais aussi la mise en place d’un programme dont l’objectif sera l’accroissement de 25% des populations de lions et d’éléphants dans le parc nature de Murchison Fall.

Concernant les habitants, le groupe assure avoir signé des accords de compensation avec la très large majorité des 18 000 foyers concernés par les relocalisations. Ces accords viseraient en priorité le développement de l’emploi, de l’éducation et « le respect du droit des femmes ».

Préservation de lenvironnement plutôt que développement économique ?

Dans son communiqué et toujours selon les experts mandatés, Total garantit que 70% des habitants concernés par les déplacements déclarent observer une amélioration de leur vie depuis l’indemnisation, pendant que 28% ne notent aucun changement, ne laissant supposément que 2% de mécontents. Sur ce point, Matthieu Orphelin, député EELV de Maine-et-Loire, affirmait dans une tribune au journal Le Monde, le 28 mars 2022, que 100 000 personnes ne pouvaient plus cultiver leurs terres librement et que journalistes et activistes ougandais subissaient des pressions, des menaces et des arrestations par des « personnes associées à la major pétrolière ainsi que des Etats ougandais et tanzanien ».

Au-delà de ces questions -pourtant essentielles évidemment- une plus importante encore semble s’imposer à la vue de ce dossier: comment concilier préservation de l’environnement et développement économique ?

Pour Me Louis Cofflard : « C’est la survie de la planète qui est en jeu, au travers de ce genre de projet. (…) L’Agence internationale de l’Energie estime qu’il faudrait arrêter tous les projets d’exploitation des énergies fossiles, si l’on veut respecter les accords de Paris ». Ce discours s’entend. Peut-être est-il plus facile de le tenir lorsqu’on est résident de la 7e puissance mondiale, qui n’a été que très peu regardante sur les effets négatifs de son industrialisation sur la nature. En d’autres termes : comment des pays dont les ressources reposent essentiellement sur l’exploitation des énergies fossiles (ce qui est le cas d’un grand nombre de pays d’Afrique) sont-ils censés se développer ?

L’Ouganda est un pays dont 41% des 40 millions d’habitants vit sous le seuil de pauvreté. Depuis de nombreuses années déjà, les grands groupes mondiaux de l’énergie, dont TotalEnergies fait partie, établissent des programmes « développement contre pétrole », dont les termes de l’échange sont inégaux mais qui semblent être la stratégie suivie par l’Ouganda, la Tanzanie et bien d’autres Etats du continent. Peut-on les blâmer ? Pour exemple (même si le nombre est dérisoire), en plus des programmes d’éducation et de droit des femmes, Total affirme avoir créé 279 emplois locaux grâce à son projet Tilenga-EACOP.

Pourtant, malgré la trajectoire que semble emprunter l’Ouganda, sa ministre de l’Energie Ruth Nankabirwa, assure que le pays a « engagé un processus de transition écologique. (…) Le but est de sortir de la cuisson au charbon et au bois ». Néanmoins, les coûts engendrés par cette transition sont un obstacle de taille.

Un verdict dans le procès de TotalEnergies est attendu pour le 28 février 2023. Me Ophélie Claude, avocate de la multinationale française prévient d’ores-et-déjà : « Aucun plan de vigilance ne sera jamais assez parfait. C’est impossible et trop complexe à mettre en œuvre ». Si Total perd son procès, le projet est- il avorté ? Si oui, quid des stratégies établies par les gouvernement ougandais et tanzanien ?

L’Afrique peut-elle se permettre d’avoir comme préoccupation première la préservation de son environnement? La question peut paraître provocatrice et semble assurément anachronique. Pourtant, c’est un choix de société auquel les dirigeants des Etats du continent sont, et seront davantage encore, confrontés demain. La position des ONG occidentales, qui ne voient le problème que par leur prisme, doit-elle primer sur la volonté des pays concernés ? Est-il normal qu’une ONG, à des milliers de kilomètres puisse, par son action, influer sur un projet de développement d’un pays africain (quoique l’on pense dudit projet) ?

Plus important que tout : comment faire en sorte que la protection de l’environnement ne devienne pas une arme redoutable dans le jeu de la compétition internationale, empêchant les « petits » de devenir moins petits ? Cette question fait déjà rage concernant l’exploitation de l’Amazonie, par le Brésil et ses voisins.

En une question comme en cent -et reprenant les propos de François Soudan, rédacteur en chef de Jeune Afrique- : « l’Afrique doit-elle rester pauvre pour que la planète respire » ?

Références:

https://www.nouvelobs.com/ecologie/20221208.OBS66869/au-proces-de-total-pour-ses-projets-en- ouganda-et-tanzanie-c-est-la-survie-de-l-humanite-qui-est-en-jeu.html

https://www.ouest-france.fr/economie/energie/petrole/climat-le-mega-projet-petrolier-de-total-en- ouganda-symbole-de-ce-qu-il-ne-faut-plus-faire-8a7712ae-10bc-11ec-9117-940091b907ce

https://www.lemonde.fr/idees/article/2022/03/28/totalenergies-doit-stopper-ses-projets-eacop-et- tilenga-en-ouganda_6119509_3232.html

https://www.jeuneafrique.com/1219536/societe/lafrique-doit-elle-rester-pauvre-pour-que-la- planete-respire/

https://totalenergies.com/fr/medias/actualite/communiques-presse/Devoir-de-vigilance- TotalEnergies-regrette-le-refus-par-les-ONG-de-la-mediation-proposee

https://www.cairn.info/revue-mondes-en-developpement-2008-3-page- 97.htm#:~:text=La%20d%C3%A9forestation%20en%20Amazonie%20br%C3%A9silienne%20r%C3%A9 sulte%20en%20grande%20partie%20des,g%C3%A9n%C3%A9rant%20d’importantes%20cons%C3%A 9quences%20environnementales.

Faut-il réformer le capitalisme ?

Plutôt que de collaborer, les capitalistes et les socialistes s’extrémisent et engendrent le populisme. L’heure n’est plus à la polarisation politique, estime Stephen Dossou, étudiant à CentraleSupélec, mais à la réconciliation des tempéraments par un capitalisme rénové qui répond aux enjeux économiques et sociaux de notre temps.

Le capitalisme est l’un des sujets polarisants qui souffrent malheureusement d’un arbitrage marqué par la diversité des tempéraments. Dans cet article, j’essaierai dans la mesure de mes aptitudes de faire une analyse de ce système, orientée par la littérature économique et alimentée par des données scientifiques.

Par capitalisme, j’entends :

  • Propriété privée des moyens de production
  • Recherche du profit
  • Liberté de marché
  • Intervention minimale de l’Etat

Critique du capitalisme

Dans un premier temps, résumons brièvement les idées des détracteurs du capitalisme. L’économiste Richard Wolff (2016) résume la critique marxiste du capitalisme par l’équation :

C’est une simple caricature mais supposons que la production rapporte 200€ :

  • 100€ serviront à renouveler les moyens de production
  • 50€ permettront de rémunérer les travailleurs
  • 50€ constitueront alors le surplus

Sans prêter de mauvaises intentions aux capitalistes, le surplus permet naturellement de :

  • se maintenir en position de pouvoir (lobbying, héritage, formations élitistes)
  • former et fidéliser les travailleurs (financement d’écoles, primes)
  • générer davantage de surplus (réinjection des dividendes, optimisation des méthodes)

Résultat, les riches s’enrichissent (Ray Dalio, 2018) :

  • Les 1% plus riches possèdent plus de richesses que le bottom 90% combiné.
  • Les 60% moins riches n’ont pas connu d’augmentation de richesse depuis 1980 et les richesses des 10% ont doublé et les 1% ont triplé.

Et dans le même temps, l’ascension sociale est dysfonctionnelle (Ray Dalio, 2018) :

  • En France, les gens dont les parents font partie des 20% moins riches au monde y restent pour 35% des cas.
  • En France, 70% des élèves dans des collèges désavantagés auraient des problèmes sociaux ou émotionnels significatifs.

Le problème c’est que la recherche du profit, prise isolément, produit une boucle infernale qui menace l’égalité des chances en concentrant les capitaux dans les mains des plus riches. Les capitalistes font trop souvent le choix de l’optimisation des revenus parfois au péril du bien commun (délocalisation, automatisation, pollution, surproduction, etc.).

Points forts du capitalisme

Si le capitalisme a ses torts, il n’en demeure pas moins qu’il a énormément rendu service à l’humanité : depuis son invention, le PIB par habitant et l’espérance de vie ont connu une croissance exponentielle.

 

Source : Principles for Dealing with the Changing World Order (2021), Ray Dalio

 Le système capitaliste est en effet :

  • un motivateur efficace (la rémunération est fonction de la valeur accordée par le marché au travail fourni)
  • un bon producteur de ressources (un capitaliste peut difficilement permettre que la valeur de son produit soit en dessous de celle des moyens de production et de la capacité de travail de ses employés).

Note : Si on reprend l’exemple au-dessus, si le produit vaut 150€ alors que la capacité de production des travailleurs vaut 100€, il n’y a plus de marge de bénéfice pour le capitaliste.

Les structures d’investissement (les banques, etc.) permettent alors :

  • de garantir la sauvegarde des ressources des individus
  • d’investir dans l’économie et l’innovation.

Ainsi, le capitalisme récompenserait les productifs et les audacieux pour leur participation à l’économie et à l’innovation, et le progrès social serait possible par la découverte des capacités individuelles (Ayn Rand, 1957).

Le communisme / le socialisme historique

Malgré ces points forts du capitalisme, le communisme et le socialisme sont des systèmes qu’on pourrait lui préférer parce qu’elles sont des critiques de ses dérives. Historiquement, le communisme se définit par : « Chacun selon ses capacités et à chacun selon ses besoins ». C’est la mise en commun des moyens de production pour une distribution égale des richesses.

Dans Le Manifeste du parti communiste (1848), Karl Marx énonce dix lois du communisme. Si ces lois ne sont plus nécessairement d’actualité, il convient de les énoncer pour mieux comprendre l’Histoire :

  1. L’abolition de la propriété de terre et l’utilisation de tous les paiements de loyer pour des fins publiques.
  2. Une lourde, progressive et graduelle taxe sur le revenu.
  3. L‘abolition de tout droit d’héritage.
  4. La confiscation de la propriété de tous les émigrants et de tous les rebelles.
  5. Une responsabilité égale de tous pour le travail et un établissement d’armées industrielles, particulièrement pour l’agriculture.
  6. La combinaison de l’agriculture avec les industries de manufacture : abolition graduelle de la distinction entre ville et pays par une distribution plus équitable de la population dans un pays.
  7. L’éducation gratuite pour tous les enfants dans les écoles publiques : l’abolition du travail des enfants et la combinaison de l’éducation avec la production industrielle.
  8. La centralisation du crédit dans les mains de l’Etat, par les moyens de la banque nationale avec un Capitalisme d’Etat et un monopole exclusif.
  9. La centralisation des moyens de communication et de transport dans les mains de l’Etat.
  10. L’extension des usines et des instruments de production détenus par l’Etat, la culture des terres non utilisées et l’amélioration du sol conformément à un plan commun

Points forts historiques du communisme / socialisme

 Le communisme tel que défini ci-dessus a eu l’occasion de faire ses preuves.

  • En Russie, pendant les premières heures du communisme, le PIB a augmenté, l’espérance de vie s’est allongée, la mortalité infantile a baissé et les niveaux de nutrition et d’instruction se sont améliorés (Asatar Bair, 2021).
  • Depuis Deng Xiaoping (1978), la Chine connaît une croissance exponentielle.

Source: Principles for Dealing with the Changing World Order (2021), Ray Dalio.

Note : En ordonnée, on a un indicateur qui prend en compte la force économique, le commerce, les forces militaires, les finances, la monnaie, la technologie et l’éducation

Critique du communisme / socialisme

Pourtant, les détracteurs du communisme ont plusieurs griefs à lui faire. Tout d’abord, pour conjuguer la productivité et la motivation des travailleurs avec la distribution équitable des richesses, le socialisme a historiquement eu recours à l’autoritarisme (et/ou a échoué). Je suspecte aussi que certaines lois du *Manifeste du parti communiste (1848) de Karl Marx soient la cause de cette tendance.

Par ailleurs, dans Les Frères Karamazov (1879) de Dostoïevski, le père Païsius déclare à propos du socialisme :

« […] le socialisme […] c’est […] la question de l’athéisme, de son incarnation contemporaine, la question de la tour de Babel, qui se construit sans Dieu, non pour atteindre les cieux de la terre, mais pour abaisser les cieux jusqu’à la terre. »

 En effet, selon Jordan Peterson (2017), le communisme s’explique par le mépris des hiérarchies naturelles générées par le capitalisme. Le capitalisme produit en effet des individus dont les compétences leur permettent de se hisser au sommet de leurs secteurs d’activité respectifs. Les moins bien récompensés éprouveraient du ressentiment contre les productifs.

L’histoire d’Abel et de Caïn me permettra de mieux expliquer ce point :

« Abel fut berger, et Caïn cultivateur. Au bout d’un certain temps, Caïn apporta des produits de la terre en offrande pour le Seigneur. Abel, de son côté, apporta en sacrifice des agneaux premiers nés de son troupeau, dont il offrit au Seigneur les meilleurs morceaux. Le Seigneur accueillit favorablement Abel et son offrande, mais non pas Caïn et son offrande. […] Caïn se jeta sur son frère Abel et le tua.« , Genèse 4, 2-4;8

 Il existe une différence de rémunération entre un chirurgien et un infirmier, qui travaillent tous deux des heures équivalentes, en raison de l’évaluation du marché de la valeur de leur travail. Selon le capitalisme, si une profession est considérée comme cruciale et que peu de personnes sont capables de la remplir, il est mis en place un système de récompense pour inciter une poignée de personnes à fournir les efforts nécessaires pour y parvenir.

Cependant, il est également logique que certaines personnes souhaitent limiter les fortunes excessives, car elles confèrent à certains individus des pouvoirs similaires à ceux des monarques et reproduisent ce qui était critiqué dans la sphère politique dans le domaine économique (Richard Wolff, 2020).

Pourtant, lorsque ce sentiment de ressentiment entraîne une violence incontrôlable, comme dans l’histoire de Caïn et Abel, cela peut devenir dangereux. Alexandre Soljenitsyne a expliqué dans « L’Archipel du Goulag » (1973) que l’un des facteurs profonds de la création du Goulag était une haine similaire à celle de Caïn pour Abel. De tels extrêmes devraient nous alerter pour des raisons évidentes

Le communisme / le socialisme moderne

Toutefois, je ne suis pas totalement insensible aux idées du socialisme moderne. De nombreux socialistes/communistes actuels critiquent Marx et l’interprétation historique de ces systèmes. Je pense que les idées de Richard Wolff et de Slavoj Zizek méritent d’être prises en compte et défendues.

Selon Richard Wolff (2020), et certains partis socialistes (comme le Labor Party), dans une société socialiste, le surplus sera collectivement et démocratiquement utilisé pour la collectivité. L’idée est d’apporter la démocratie sur le terrain du travail et de l’entreprise (avec les notions de suffrage et de représentation).

Zizek Slavoj (2020), lui, parle d’un Etat d’urgence permanent, justifié par la pauvreté, avec des mesures similaires à celles prises pendant la crise COVID-19 : un système qui viole les lois du marché pour garantir la santé et la distribution de la nourriture.

Ces idées ne sont pas nécessairement incompatibles avec la productivité et la liberté défendues par le capitalisme et ont pour mérite de prioriser le bien commun.

L’urgence d’une réorganisation de la société

Malheureusement, plutôt que de collaborer, les capitalistes et les socialistes s’extrémisent et engendrent le populisme. Des leaders forts émergent et attisent les tensions. Place à la caricature : d’un côté, les capitalistes sont des bourreaux qui exploitent les pauvres et de l’autre, les socialistes sont des sentimentaux ou des paresseux irréalistes.

 » L’intelligence des peuples démocratiques reçoit avec délice les idées simples et générales.  » Alexis de Tocqueville, De la Démocratie en Amérique (1835)

Cette forte polarisation de la société s’inscrit dans un contexte particulièrement sensible : **une crise économique de la même envergure que celle de 1929 est à craindre**.

Note : La crise de 2008 et la crise COVID-19 ont créé une forte impression de billets et l’achat d’actifs financiers par les banques centrales qui crée de l’inflation et des écarts de richesses amplifiés par les nouvelles technologies. Pour plus de détails, voir Principles for Dealing with the Changing World Order (2021) de Ray Dalio.

Dans un tel contexte, l’heure n’est plus à la polarisation politique mais à la réconciliation des tempéraments par une politique réfléchie qui répond aux enjeux économiques et sociaux de notre temps.

Réformer le capitalisme

Un des problèmes des gouvernements capitalistes actuels est qu’ils ne pensent qu’en termes de budget et pas en termes de retour sur investissement. Je simplifie, mais les conservateurs sont pragmatiques mais ne sont pas visionnaires tandis que les libéraux sont optimistes mais irréalistes. Si ces deux groupes travaillaient ensemble, ils pourraient investir de manière à obtenir de bons résultats économiques et sociaux.

Pour réformer le capitalisme, Ray Dalio (2018) pense qu’il faut :

  1. en finir avec les inégalités de chance
  2. unir la gauche et la droite pour mieux distribuer les richesses et maintenir la productivité
  3. définir des indicateurs clairs pour mesurer le succès du point 2
  4. créer des partenariats public-privés pour réaliser le point 2 (gouvernements, philanthropes, entreprises, etc.)
  5. investir dans les sujets qui améliorent les conditions de vie en même temps que l’économie (investir dans la taxe de la pollution qui dégrade la santé et l’économie, investir dans les infrastructures avec un retour sur investissement de 10-20%)
  6. taxer davantage les riches mais de telle sorte que la productivité globale ne soit pas endommagée
  7. investir davantage dans l’alimentation (3 millions d’enfants pauvres en France (20%) – l’aide alimentaire des enfants augmente de 18% leur accès au supérieur)
  8. investir davantage dans l’éducation (aux EU, le top 40% investit 5 fois plus dans l’éducation de leurs enfants que le bottom 60%)
  9. mieux payer les enseignants (d’après l’INSEE (2019), les enseignants gagnent 25% moins que les autres diplômés en France)
  10. accorder davantage de crédit aux moins riches pour dynamiser l’économie réelle (les riches ont tendance à sécuriser leurs richesses – pour chaque dollar investi en microfinance, environ 12$ est prêté, rendu et réinvesti)

Commentaire sur le point 6 : En taxant les riches, on prend le risque de la fuite des capitaux et d’une dégradation des performances économiques sur le court terme. Sur le long terme, si les taxes sont « judicieusement » fixées, on augmente potentiellement la productivité par la réduction des inégalités de chance et on obtient de bons résultats économiques et sociaux. C’est une direction dans laquelle il vaut la peine de regarder.

Le capitalisme tel qu’on le connaît aujourd’hui n’est pas viable. Soit on cède à la polarisation de la société et on prend le risque de semer la graine de la violence ou on opte pour la réconciliation de la société par une politique intelligente qui conjugue résultats sociaux et économiques.

Stephen Dossou, étudiant à CentraleSupélec

(Petite) théorie de l’économie numérique au service de l’action

Nous vivons des temps révolutionnaires (sur le plan technologique). Les différentes révolutions industrielles constituent une manifestation d’un désir profond, caractéristique du genre humain : multiplier les quantités et les vitesses qui sont deux facteurs clés de la civilisation humaine. Un homme qui aurait fait une longue sieste entre 1890 et 1990 ne reconnaîtrait pas le monde dans lequel il s’éveillerait. La troisième révolution industrielle c’est-à-dire la révolution numérique – les historiens de la technique récusent l’existence d’une quatrième révolution industrielle- a complètement bouleversé les genres de vie. Le fait majeur de la révolution digitale est :  les tâches (physiques ou mentales) systématiques et répétitives sont automatisées. De ce fait, découle une pléthore de conséquences qui peuvent constituer une (petite) théorie de l’économie numérique pouvant guider l’action stratégique.

Que reste-t-il au travailleur si les tâches répétitives et systématiques sont automatisées ? Il lui reste les tâches non répétitives faisant appel à la créativité, à l’initiative, au discernement. L’ouvrier du 21ème siècle ne travaille plus avec sa “main” mais avec son “cerveau”. Comme le dit fort bien l’économiste Michel Volle, avec la révolution numérique, on passe de la main d’œuvre au cerveau d’œuvre. Le premier étage de notre théorie est le suivant: l’économie numérique est une économie de la compétence. L’économie digitale redéfinit les attributs des êtres humains et appelle de nouvelles compétences. Des ingénieurs en microélectronique, des développeurs informatiques, des ingénieurs d’affaires, des responsables de service après-vente, des directeurs de systèmes d’information, des analystes de données, etc… tant de compétences nécessaires à l’informatisation des sociétés africaines. Ces compétences représentent un savoir-faire ; ce qui pose la question de la nécessité de réformer le système éducatif en Afrique. Le système éducatif africain, hérité essentiellement de la colonisation, est celui qui produit des concepts théoriques, éduque à l’abstraction et la logique. Il a permis de former d’éminents hommes d’État, chefs d’entreprises et dirigeants jusqu’à la fin du 20ème siècle. Mais il doit être réformé, car il ne s’agit plus de “remplir des cerveaux” mais de produire des connaissances orientées vers l’action. Dit autrement, l’Afrique a besoin d’un système éducatif qui produit des compétences et pas seulement des connaissances. Par exemple, Il y a environ sept cent mille développeurs informatiques sur l’ensemble du continent, dont la moitié est concentrée sur cinq pays (Afrique du Sud, Égypte, Maroc, Nigeria, Kenya) ; ce qui est relativement peu au regard du milliard de personnes vivant sur le continent.

J’ai rappelé que le fait majeur de la révolution digitale est :  les tâches (physiques ou mentales) systématiques et répétitives sont automatisées. Une des conséquences découlant de ce fait est que le coût marginal de la production est insignifiant par rapport à l’investissement initial. Le deuxième étage de notre théorie est donc le suivant: l’économie numérique est une économie à coût marginal nul. Il y a deux ans, en collaboration avec un ami, j’ai créé une entreprise pour proposer une solution digitale de gestion des notes des élèves dans les établissements scolaires au Bénin. Pour le développement de la première version du logiciel, nous avons dépensé quasiment tout notre capital financier initial (achat de licences informatiques, recrutement de développeurs informatiques, etc.). Une fois le logiciel mis au point, il peut être déployé dans n’importe quel établissement scolaire à coût nul. Concrètement, il y a un coût de distribution (les frais de transport pour aller sur le site de nos clients). Mais, il est très faible en regard du coût de développement du logiciel. Le coût de production est quasiment indépendant de la quantité produite ; c’est une spécificité de l’économie numérique. Le rendement d’échelle est croissant diront les économistes. L’économie numérique est une économie à coût fixe. Par conséquent, les sunk cost (les coûts irrécupérables) sont une des caractéristiques principales des entreprises de l’économie numérique. Quand une boulangerie tombe en faillite, l’on a la possibilité de vendre le four à pain, l’armoire à levain, le pétrin mélangeur, la trancheuse de pain ou tout autre équipement. En revanche, quand une entreprise de logiciel échoue, elle n’a plus rien à vendre. Le code du logiciel n’a très probablement plus aucune valeur. L’investissement initial est complètement perdu. D’où l’on peut tirer deux conclusions en matière de financement de l’entreprenariat numérique : (1) la dette est un mauvais instrument de financement de l’économie numérique, (2) le capital-investissement est le bon instrument.

Le troisième (et dernier) étage de notre (petite) théorie est que l’économie numérique est une économie à régime de marché de type concurrence monopolistique. Ceci est une conséquence logique du deuxième étage de notre théorie. Le coût marginal de production d’un système d’exploitation par exemple est nul (en première approximation). Si on applique le principe de la tarification au coût marginal, Microsoft par exemple aurait fait faillite quelques mois après sa création. Le régime de marché ne peut être celui de la concurrence pure et parfaite pour qu’une économie informatisée parvienne à une allocation des ressources efficace. Cela signifie donc que le rôle du régulateur change dans une économie informatisée. Puisque la nature de l’économie digitale ne se prête pas au régime de concurrence parfaite, le régulateur doit surveiller la durée des situations de monopole. Il faut que le monopole que détient une entreprise soit temporaire afin qu’elle évite de s’endormir sur ses lauriers, afin de ne pas pénaliser en fin de parcours le consommateur.

Si vous voulez aller plus loin dans la compréhension de l’économie numérique, je vous suggère de vous procurer mon ouvrage : Le digital au secours de l’Afrique

La politique freine-t-elle la réalité d’une communauté économique ouest-africaine?

Par Foly Ananou (L’Afrique des Idées) et Beringer Gloglo (Cercle des Economistes Africains)

Le déclin successif des anciens empires du Ghana, Mandingue et Songhaï, a donné lieu à plusieurs nouveaux États souverains qui forment, aujourd’hui, la zone Afrique de l’Ouest. Fort de leur proximité civilisationnelle, avec des peuples partageant un héritage historique commun, les nouveaux Etats ouest-africains nouvellement indépendants ont formé, dès 1975, la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO). Cette organisation vise la création d’une union économique et monétaire ouest-africaine à termes. Quelques décennies plus tard, des traités de libre circulations des biens et marchandises et des personnes régissent désormais la zone. Cependant, l’application des textes et l’ambition de la zone monétaire élargie, notamment au Nigéria et au Ghana, les deux plus grandes économies de la sous-région, restent encore des défis majeurs. Avant la pandémie de la Covid-19, le projet de la nouvelle monnaie unique ECO a revivifié les débats sur la zone monétaire élargie à la CEDEAO, sans pour autant aboutir à une concrétisation.

Les dernières crises socio-politiques dans la région occidentale d’Afrique ont remis au centre des débats la question de la pertinence de la construction d’une union économique et monétaire élargie dans la région. Le regain d’un élan souverainiste dans la région porte sur le projet un coup que même la simple convergence économique plébiscitée par les économistes des zones monétaires ne suffirait pas pour que la Communauté soit effective. En effet, le consensus chez les économistes et les chercheurs est que l’effectivité d’une zone monétaire élargie et d’une véritable union économique est tributaire du renforcement de l’intégration économique (coopération), laquelle est appréhendée, notamment par la convergence des cycles économiques ou encore par l’intensité des échanges commerciaux entre les pays et la similitude des chocs. Dès lors, les recommandations pour parvenir à cette intégration sont essentiellement orientées vers l’adoption des réformes qui promeuvent la coordination des politiques et une coopération plus accrue entre les États – le fameux modèle de Mundell.

Or, cette perception de l’intégration malgré son bien fondée scientifique, revêt un caractère purement économique, et ne permet pas d’examiner la question sous l’angle des implications politiques en termes d’architecture institutionnelle et de gouvernance. En d’autres termes, le développement d’une vie plus intensifiée en communauté implique des sacrifices ou des compromis au niveau individuel pouvant limiter l’influence du pouvoir politique sur le plan national. D’ailleurs, pour le cas de la Cédéao, si le projet a tenu longtemps, c’est d’abord du fait d’une volonté politique plus ou moins marquée. Cela a plusieurs implications. Alors que les pays ne trouvent pas toujours de points de convergence sur les questions liées à la gouvernance, sont-ils prêts à délaisser leur autonomie politique comme c’est le cas dans les pays européens pour voir émerger une communauté économique ou le projet n’est qu’un leurre, un instrument utilisé pour se débarrasser de personnalités politiques mal aimées dans la région ?

Dans une étude[1] récente, s’appuyant sur le trilemme politique de l’économie mondiale de Dani Rodrik, des économistes de l’Afrique des Idées et du Cercle des Économistes Africains montrent que les pays d’Afrique de l’ouest semblent globalement converger politiquement, bien que très lentement toutefois, vers une union économique et monétaire, malgré la persistance de velléité souverainiste.

  1. Comprendre le trilemme politique de l’économie mondiale de Rodrik

Le trilemme de Dani Rodrik (2011, p. xviii)[2] évoque l’impossibilité, de poursuivre simultanément la démocratie, la souveraineté nationale et la mondialisation économique. La poursuite de deux de ces biens politiques exige l’abandon du troisième. Son modèle peut être résumé par le schéma suivant :

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Les trois nœuds du trilemme sont définis par Rodrik comme suit : l’État-nation est une entité territoriale et juridictionnelle dotée de pouvoirs indépendants de création et d’administration du droit. La démocratie fait référence à un système politique où le droit de vote n’est pas limité, où il existe un degré élevé de mobilisation politique et où les institutions politiques sont sensibles aux groupes mobilisés. L’apothéose de l’intégration économique internationale serait une économie mondiale parfaitement intégrée dans laquelle les juridictions nationales n’interfèrent pas avec l’arbitrage sur les marchés des biens, des services ou des capitaux ; les coûts de transaction et les écarts fiscaux sont négligeables, la couverture des prix des produits de base et des rendements des facteurs est presque totale.

Autrement dit, les pointes du triangle sont l’État en tant que polarité souveraine disposant d’un monopole décisionnel sur les affaires qui le concernent ; la démocratie connote la réactivité de la société aux questions de distribution ; et la mondialisation consiste à se diriger vers une asymptote qui est l’intégration des économies nationales dans un marché mondial unifié. Ainsi, pour Rodrik, il est possible de combiner mondialisation (ouverture) et démocratie, mais seulement si nous déplaçons nos structures politiques au niveau international (et, à terme, mondial) et que nous renonçons à la souveraineté nationale. A contrario, si l’on veut conserver la capacité de faire des choix politiques autonomes au niveau national, il faut soit abandonner la mondialisation et se retrancher derrière les murs des communautés démocratiques nationales, soit abandonner la démocratie et accepter que les règles nécessaires pour gouverner la mondialisation soient fixées par des négociations internationales et des élites technocratiques.

La validité du modèle a été démontrée par les travaux empiriques de Aizenman et Hiro (2020).[3] Ils ont démontré que pour les pays de la zone euro, l’intégration se justifiait et fonctionne car les pays ont une préférence pour des systèmes démocratiques, avec une ambition d’insertion dans l’économie mondiale et ont abandonné leur souveraineté nationale. Les États-Unis favorisent plutôt l’insertion mondiale et leur souveraineté, ce qui se traduit par des systèmes politique peu démocratique relativement à ce qui est observable dans les pays européens. Cette trajectoire est suivie par plusieurs pays émergents et pauvres.

La transposition du trilemme de Rodrik à l’échelle d’un groupe de pays formant (ou désireux de former) une union met ainsi en évidence les trois options stratégiques de principe disponibles pour la future gouvernance de l’union potentielle. Mais à la différence du processus général de mondialisation par la libéralisation des échanges auquel Rodrik fait référence, l’intégration monétaire, dans la présente configuration, implique une décision institutionnelle délibérée d’abandonner les prérogatives nationales sur le taux de change et la fixation du niveau du taux d’intérêt dans le but d’établir une monnaie commune. Toutefois, cela implique une intensification de l’exposition de chaque pays membre aux économies des autres pays formant l’union. A cet effet, l’intégration monétaire est plus contraignante pour les économies et les politiques nationales que ne l’est, normalement, la mondialisation.

2. Une analyse de la situation en Afrique de l’Ouest

Nous avons testé la convergence des pays de la CEDEAO au sens de la thèse de Rodrik. Pour ce faire, et en s’appuyant sur les travaux de Aizenman et Hiro (2020), nous avons analysé la position des pays de la région quant à leur insertion dans le monde, la souveraineté, et le processus de démocratisation.[4]

La Figure 1 (en dessous) montre que les pays dans la sous-région sont assez divergents entre eux sur le plan de la gouvernance. Les ambitions ne sont clairement pas les mêmes. D’un côté, il y a des pays (cas de la Côte d’Ivoire, Bénin, Burkina Faso) qui tendent à abandonner leur souveraineté pour se positionner comme des démocraties avec une ambition de s’insérer dans le monde. D’un autre côté, certains pays comme le Sénégal ou le Nigéria, bien que disposant d’institutions démocratiques tiennent davantage à leur souveraineté et ambitionnent de s’insérer sur le marché international. Cette divergence indique ainsi que le projet de Communauté pour la région reste encore un objectif lointain. Toutefois, il convient de préciser que sa réalisation ne paraît pas utopique.

Figure 1. Nuage des variables et des individus

Note : Cette figure présente le nuage des variables (figure de gauche) et des individus (figure de droite) issues de l’estimation d’une analyse en composante principale.

La figure 2 (qui décrit l’évolution de chaque dimension) montre que les pays de la zone ont connu des évolutions majeures, qui laissent penser que la nécessité de se constituer en communauté s’imposera effectivement au pays de la zone. Dans les années 90, la majorité des pays étaient très souverainistes. A la fin des années 1990 et dans le sillage des années 2000, on constate un relâchement de la souveraineté nationale dans certains pays. Cette période coïncide avec la création de l’union économique et monétaire ouest-africaine (début 1994) qui rassemble le Bénin, le Burkina-Faso, la Côte d’ivoire, le Mali, le Niger, le Sénégal et le Togo. Globalement, l’ensemble de la période est marqué par une tendance à l’ouverture au monde dans l’ensemble des pays de la région. Cela s’accompagne d’un renforcement de la démocratie. Cependant, les divergences restent marquées entre les pays parce que la dynamique reste assez hétéroclite entre les pays. Même s’il y a une tendance générale à l’abandon de la souveraineté nationale, certains pays semblent encore très animés par la volonté de disposer d’autonomie dans la gestion de leurs affaires. Par ailleurs, le maintien voire le renforcement de la souveraineté nationale, notamment depuis le début de la crise sanitaire, dans certains pays jette des doutes sur la volonté d’une réelle unification.

Figure 2. Évolution des indicateurs

Note : Cette figure présente la dynamique des différents indices relatives à l’insertion dans le monde (Globalization), à l’autonomie de décisions (Sovereignty) et au développement démocratique (Democratization), par pays entre 1990 et 2016. Ces indices sont déterminés à partir de l’ACP appliqué sur un ensemble de variables décrivant ces différentes dimensions.

Somme toute, il apparait que le projet mis en place d’une communauté économique en Afrique de l’Ouest n’ait clairement pas utopique. Notre analyse montre que les pays de la zone sont sur une tendance, du moins sur le plan de leur gouvernance et de leur position dans le monde, qui inéluctablement va les amener à se constituer en union économique et monétaire pour être pertinents. Il apparait ainsi que la volonté des dirigeants politiques de la région pour renforcer les pratiques démocratiques dans la région constitue une vraie affirmation de leur volonté de voir ce projet se concrétiser. Cette volonté devrait se matérialiser davantage dans les marqueurs économiques pour que cette communauté, si, quand elle sera réelle, puisse contribuer à améliorer les conditions socio-économiques (le bien-être social) pour les populations de la zone. 


[1] Prendre attache avec les auteurs pour plus de détails.

[2] The Globalization Paradox – Democracy and the Future of the World Economy.

[3] Aizenman, J., Hiro, I., 2020. The Political-Economy Trilemma. Open Economies Review 31(5) : 945-975

[4] L’insertion dans l’économie mondiale est mesurée par les indices de globalisation produite par KOF Globalisation index, la démocratisation est mesurée par Polcon (un indicateur produit par l’Université de Wharton qui mesure la capacité de coercition des institutions publiques et autres acteurs politiques sur le pouvoir exécutif) mais aussi par Polity2 (un indicateur qui mesure le degré d’autocratie d’un régime politique, produit par Systemic Peace). La souveraineté est mesurée par Exec (variable dichotomique, qui prend 1 si le parti au pouvoir est considéré comme un parti nationaliste ; 0 sinon), Allhouse (variable dichotomique, qui prend 1 si le parti au pouvoir a la majorité au sein du pouvoir légistatif ; 0 sinon), Herfgov (un indicateur qui mesure si le gouvernement est dominé par les membres du parti du président en cours d’exercice) extrait de la Database of Political Institutions. Pour les dimensions qui sont mesurées par plusieurs variables, nous avons aussi construit des indices composites.

Retrait de la force Barkhane du Mali : Des lendemains difficiles

Le 17 février, l’Elysée publie une déclaration conjointe sur la lutte contre la menace terroriste et le soutien à la paix et à la sécurité au Sahel et en Afrique de l’Ouest : « En raison des multiples obstructions des autorités de transition maliennes, le Canada et les Etats Européens opérant aux côtés de l’opération Barkhane et au sein de la Task Force Takuba estiment que les conditions politiques, opérationnelles et juridiques ne sont plus réunies pour poursuivre efficacement leur engagement militaire actuel dans la lutte contre le terrorisme au Mali et ont donc décidé d’entamer le retrait coordonné du territoire malien de leurs moyens militaires respectifs dédiés à ces opérations».

Désormais, c’est acté. La force Barkhane lève le camp et la France cesse ses opérations militaires au Mali. Après de longs mois de divergences sur fond de tension politique et géopolitique et de crispation des relations diplomatiques, le divorce est consommé entre Bamako et Paris. Le mariage aura tenu neuf ans (2013-2022) avant de connaître une évolution sinusoïdale avec de très fortes amplitudes ces derniers mois pour aboutir au non-retour.

Rappelons les circonstances. Janvier 2013, sous le joug de la menace djihadiste grandissante caractérisée par la progression rapide des groupes armés terroristes vers le centre du Mali après la conquête du Nord et de certaines villes (Tombouctou, Gao, Kidal et Tessalite), le président Dioncounda Traoré a sollicité une intervention militaire immédiate de la République française via son président d’alors, François Hollande, afin d’endiguer le mal de l’insécurité. Ce fut le début de l’opération Serval. Entre janvier 2013 et août 2014, environ 4500 hommes sont déployés par la France au Mali pour appuyer et organiser l’armée malienne dans la défense du territoire et recouvrer progressivement son intégrité territoriale. Serval permettra, un tant soit peu, une désintégration du Mouvement national pour la libération de l’Azawad (MNLA). Cependant, fin 2014, ce dernier se renforcera grâce à une union avec d’autres groupes Touaregs afin de poursuivre ses activités de conquête des territoires. Une nouvelle opération française, Barkhane, supposée mieux performer, prendra alors le relais de Serval avec environ 5000 hommes déployés sur les territoires malien, tchadien, nigérien et burkinabè, suscitant l’effervescence sociale.

Une politique mal orientée

Contre toute attente, le nouvel espoir du peuple malien n’en sera rien. Barkhane au Mali, faut-il le reconnaître, n’a pas fléchit au combat. C’est la politique africaine de la France au Sahel qui a été mal orientée. En effet, cette mission d’aide à la défense a servi de passerelle à la France pour protéger des zones stratégiques où elle a des concitoyens et des multinationales d’envergure. Effectivement, il est difficilement concevable de croire que la France consacrerait un budget annuel conséquent (par exemple Serval aurait coûté 646 millions d’euros au contribuable français en 17 mois d’intervention) au Sahel simplement pour la seule lutte contre le terrorisme. D’ailleurs, dans de nombreuses communications, les autorités françaises ont subtilement rappelé que Barkhane ne mène pas directement de guerre au Sahel et qu’elle soutient plutôt la FAMA et le G5 Sahel avec des renseignements. La menace terroriste a gagné du terrain au Sahel renforçant la fragilisation du pouvoir et des institutions étatiques au Mali. La conséquence est une désillusion et la naissance d’un sentiment de dépossession de l’économie nationale chez les acteurs privés et une partie de la jeunesse toujours plus pauvre face à une offensive des entreprises françaises dans l’espace CEDEAO durant la décennie 2010 (Auchan dans la grande distribution, Orange dans la téléphonie, Total dans la distribution de produits pétroliers, Bolloré dans la logistique, etc.).

Le début des temps difficiles

Les tensions sociales qui ont émergé au Mali courant 2020, et qui ont conduit à la saisie du pouvoir par les militaires en 2021, marquent le début d’une crise sans précédent au Mali. Alors que les autorités françaises et les institutions régionales s’interrogent sur la légitimé du nouveau pouvoir de Bamako, la junte insiste et persiste pour assumer pleinement les pouvoirs décisionnels à Bamako. La cristallisation des relations politique et diplomatique qui s’en est suivi entre le Mali et la CEDEAO, d’une part et la France d’autre part, a induit une demande de cessation imminente des opérations de la force Barkhane par le gouvernement de Bamako. Aujourd’hui, ce retrait est acté. Les autorités maliennes font ainsi preuve d’une résilience et d’une détermination vis-à-vis de la France, que plusieurs analystes et observateurs apprécieront. Mais faut-il réellement se réjouir ? Ce retrait des troupes françaises du Mali suscite plusieurs interrogations dont les réponses à ce stade restent à préciser.

Le moins que l’on puisse dire à ce stade c’est que, dorénavant, le Mali, plus généralement l’Afrique de l’Ouest, doit faire face à son destin et relever le défi de la sécurité et de la protection de sa souveraineté territoriale.

Est-elle prête ? Sans doute pas, eu égard à son potentiel militaire actuel. Le Mali est classé 99ème sur 140 pays en termes de puissance militaire, avec 18.000 militaires actifs et un budget de défense qui s’établit à moins de 600 000 USD en 2022 (Global FirePower Annuel Ranking). En sus, la situation socio-politique nationale ne prédispose pas à une cohésion au sommet de l’État afin de se concentrer sur la gestion de la crise sécuritaire.

Wagner avance

Le groupe Wagner tant plébiscitée constitue-t-il une solution viable ? Difficile d’avancer une réponse sans brume. Le groupe Wagner n’est officiellement connu qu’en qualité de société militaire privée russe ayant recours au mercenariat. Il n’y a donc pas de coopération directe entre le Mali et la Russie. Le recours à cette société pourrait coûter près de 10 millions de dollars (soit 16 fois le budget annuel de l’armée malienne), selon le chef du commandement américain pour l’Afrique, le général Stephen Townsend. Qu’elle en serait l’efficacité ? Pour rappel, le recours à une telle structure laisse peu de manœuvre pour de la négociation. Ce serait soit le combat ou le silence. La question sécuritaire pourrait se déplacer ainsi d’une zone à une autre ou laisser le Sahel avec une cellule dormante qui pourrait se structurer davantage et émerger comme ce fut le cas de l’État Islamique.

Au-delà de l’euphorie, peut-être mal placée, que suscite le départ de Barkhane sous la pression politique malienne (qui au passage prouve que les Etats africains sont bien indépendants), il convient de se prémunir contre un chauvinisme mortifère. Les autorités maliennes auraient dû définir une vraie et bonne stratégie. Bien que l’efficacité de Barkhane soit discutable, sa présence était néanmoins dissuasive et permettait de maintenir un dialogue avec les groupes armés.  Repenser la présence française et de ses alliés aurait été peut-être plus opportune, qu’un retrait de leurs troupes. Tout comme sur la question du franc CFA, la France doit repenser sa stratégie avec les Africains, et les Africains eux-mêmes devraient prendre conscience de leur faiblesse et de leur force. Comme le disait H.J. Temple : un pays « n’a pas d’amis ou d’ennemis permanents ; elle n’a que des intérêts permanents ». Les autorités africaines devraient pondérer davantage sur cette assertion, car ce n’est pas toujours une question de « nous contre eux » (Sir Alex Ferguson, ancien coach de Manchester United), mais c’est, pour les pays, une question de jeux à somme non nulle.[1]

Dans tous les cas, il urge de renforcer la coopération militaire entre pays africains car, l’insécurité au Sahel n’est pas qu’une affaire propre au Mali ou au Niger ou au Burkina Faso. Le risque de contagion est très élevé, d’autant plus que plane sur la zone l’intervention d’un groupe armée dont l’intérêt est purement et simplement économique. Comme dixit le proverbe « lorsque tu observes la maison de ton voisin brûlée sous un regard silencieux, la tienne sera, peut-être, la prochaine ». Par ailleurs, c’est peut-être le moment pour que la CEDEAO, élargie au Maroc, se refasse une santé. Le départ de forces occidentales suscite en conséquence des interrogations de fond quant à la suite à donner à la lutte contre les djihadistes au Nord Mali.

Redéploiement au Niger

Au demeurant, ce départ certes attendu, mais dans une certaine mesure surprise, va-t-il rabattre les cartes de la stratégie politique et militaire dans le sahel ? A priori, Cela ne semble pas être le cas puisque le Président Macron a expressément indiqué le redéploiement des forces françaises au Niger toujours dans le cadre de la lutte contre le terrorisme islamiste.  Il faut cependant se rappeler, qu’il y a quelques mois, les autorités Maliens avaient esquissé la volonté d’entamer un dialogue avec Al qaida au Maghreb.  Si cette hypothèse a toujours été considérée par Paris comme un point de non-retour, le départ acté de Barkane et Takuba ouvre la voie aux dirigeants maliens.

Il faut rappeler ici que le problème du Nord Mali ne date pas de 2013 ; ni encore de l’effondrement de la Libye qui aurait engendré une profusion d’armes ayant servi dans une certaine mesure à la déstabilisation du Pays. Le problème du Nord Mali date des années d’indépendance. Les populations du Nord notamment de l’Azawad ont toujours été dans une logique de sécession vis à vis de Bamako jusqu’en 2012 où ils ont vertement proclamé leur indépendance avant de rétropédaler quelques mois après. Ceci pour dire qu’avant d’être infiltré par les métastases du djihadisme international orchestré par l’Etat islamique, le conflit malien est avant tout un conflit interne d’un Etat qui, depuis les indépendances cherche la bonne formule pour faire « nation ».

L’hypothèse ainsi soulevée par les autorités de transition de s’asseoir avec les différentes factions rebelles notamment les djihadistes ne devrait plus être analysée comme un cas d’école. Quelle sera, à ce moment, l’attitude des forces occidentales qui ne quittent pas la zone sahélienne ? Quelle sera la position des chefs d’Etat de la CEDAO directement concernés par cette situation si ces négociations s’enclenchaient ?

Loin d’être la fin d’une aventure, le départ des forces occidentales donnent peut-être le ton d’un imbroglio diplomatico-politique qui ne dit pas son nom en Afrique de l’Ouest.


[1] La théorie des jeux, appliquée à la géopolitique, nous apprend qu’un jeu à somme non-nul est atteignable entre nations sur fonds de compromis et négociation.

Auteurs:

Foly Ananou, Economiste et membre du think tank l’Afrique des Idées

Jed Sophonie Koboude, Chargé d’études au sein du think tank l’Afrique des Idées

Giani Gnassounou, Juriste et membre du think tank l’Afrique des Idées

Béringer Gloglo, Fondateur du Cercle des Jeunes Economistes pour l’Afrique

Démographie africaine : En finir avec les craintes néomalthusiennes

L’aventure démographique africaine telle qu’elle est prédite dans les projections de la Division de la population des Nations Unies est phénoménale. En 2050, l’Afrique va doubler sa population et sera le continent le plus peuplé avec plus de 2,5 milliards d’habitants. En 2100, la population africaine sera de 4,2 milliards d’habitants. Par exemple, le Nigeria, avec une population de 206 millions de personnes aujourd’hui, atteindra 400 millions d’âmes en 2050. Un enfant né aujourd’hui au Burundi (qui compte environ 12 millions d’habitants) verrait son petit-fils naître dans un pays qui aura quadruplé sa population. Le Niger triplera (presque) sa population en l’espace de 30 années en passant de 24 millions d’habitants en 2020 à 66 millions de personnes en 2050. La République Démocratique du Congo, avec une population de 89 millions de personnes aujourd’hui, atteindra environ 362 millions d’individus en 2100. Il y aura une centaine de villes à plus d’un million d’habitants sur le continent d’ici à 2050.

Des projections à prendre avec des pincettes

Pour pouvoir faire une estimation possible de la population d’un pays dans quelques décennies, il faut un certain nombre de conditions initiales. Tout d’abord, il faut avoir une idée de la population actuelle, disposer de données fiables sur la population initiale, par sexe et âge (recensements) et les niveaux initiaux de la mortalité, de la fécondité et migrations (état civil, enquêtes, etc.) ; ce qui n’est pas trivial car il est admis qu’à tout instant, la population d’un pays est connue au mieux avec une précision de l’ordre de 2%. L’imprécision des conditions initiales est encore plus grande dans le cas du continent africain. Dans le rapport African Governance Report 2019 de la fondation du milliardaire anglo-soudanais Mo Ibrahim, on note que, seulement huit pays en Afrique sont dotés d’un dispositif fiable d’enregistrement des naissances. De plus, plusieurs pays africains n’ont effectué aucun recensement de population sur la dernière décennie. En l’occurrence, la République Démocratique du Congo n’a pas effectué de recensement de sa population depuis 30 ans. Avec de telles incertitudes sur les conditions initiales de l’exercice de projection démographique, on peut légitimement prendre avec beaucoup de pincettes les résultats. Par exemple, si l’on reprend les travaux de la Division de la Population des Nations Unies en 1994, ils prévoyaient 170 millions d’habitants en Iran en 2050 ; ceux de 2019 tablent sur 100 millions. Toutefois, l’analyse démographique n’est pas farfelue. Elle indique des tendances lourdes et les projections démographiques sur une ou deux décennies sont souvent justes en raison de l’inertie des populations humaines.

L’inanité des craintes d’inspiration néomalthusienne

Pour nombre d’experts, la croissance démographique africaine serait un obstacle au développement économique du continent. Pour eux, l’objectif de la croissance qui est la hausse du revenu par tête est, en effet, la maximisation d’une expression ayant au dénominateur le paramètre population ; ce qui justifie l’idée selon laquelle une hausse démographique agirait donc négativement sur le revenu moyen, c’est-à-dire le PIB par tête. C’est ainsi que l’ancien président du Nigeria, Goodluck Jonathan, au forum du think tank Dialogue of Civilizations Research Institute en octobre 2017, vient à dire que « si nous ne réduisons pas la taille de nos familles, notre pays continuera à souffrir de la pauvreté parce que les ressources disponibles ne pourront plus couvrir nos besoins ». Ce raisonnement est un sophisme : c’est le sophisme du gâteau fixe. L’accroissement démographique a fait partie intégrante du processus de développement dans les pays aujourd’hui économiquement avancés et riches. L’épisode du baby-boom juste après la Seconde Guerre mondiale est particulièrement illustratif. Il serait approximatif de considérer la croissance démographique de l’Europe au XIXe siècle comme ayant eu une influence déprimante sur le développement économique de cette dernière. La passivité de l’homme quand il rencontre des problèmes économiques liés aux ressources naturelles ne sera qu’un mythe malthusien. L’innovation est une fonction directe de l’effectif de la population. Cela nous rappelle la savante phrase du philosophe Jean Bodin : « il n’est de richesse que d’hommes ».  Il est évident que la croissance démographique constitue un défi important pour tous les Etats du monde et pour tous les pays d’Afrique subsaharienne en particulier (hausse des demandes et besoins de la collectivité, en termes d’infrastructures, de politiques publiques, d’éducation ou de santé par exemple). Mais, en dernière analyse, la croissance économique repose sur deux piliers : la démographie et la productivité. La démographie africaine est plutôt un atout pour le continent. Par exemple, d’après les projections de Renaissance Capital, banque d’investissements russe axée sur les marchés émergents, l’Afrique sera une économie de 29 000 milliards de dollars d’ici à 2050-2060, soit plus que le PIB combiné des États-Unis et de la zone euro en 2012. La structure de la population africaine est un atout indéniable. Elle est constituée en très grande majorité de jeunes avec un âge médian d’environ 19 ans. C’est une opportunité pour les fonds de pension, qui pourraient accumuler l’épargne de ces derniers pendant les 40 prochaines années sans avoir la pression des paiements que l’on observe dans les économies développées qui ont une population vieillissante. C’est un immense réservoir de capitaux à long terme pour le financement de l’économie réelle, notamment les infrastructures et le logement.

« Angoisse populationnelle » injustifiée

La hausse de la population africaine se transsubstantiera-t-elle en une « bombe migratoire » ? Telle est l’inquiétude des leaders européens ; à juste titre car le continent européen est distant de 14 kilomètres de l’Afrique au détroit de Gibraltar. Inutile inquiétude. En 2019, notre planète comptait 272 millions de migrants internationaux soit à peu près 3,2% de la population mondiale. La contribution de l’Afrique subsaharienne dans ce mouvement de déplacement mondial est de 8,7% seulement. De plus, 70% des migrants subsahariens restent sur le continent africain. Donc, loin des discours cafardeux des prophètes du « péril noir », la migration africaine est d’abord intracontinentale. Et « il n’existe pas de lien mécanique entre la croissance démographique et celle du taux de migration », Jean-Christophe Dumont, chef du département des migrations internationales à l’OCDE.

La meilleure méthode contraceptive c’est le développement économique

L’on pose souvent le postulat suivant : pour faire chuter à un rythme soutenu le niveau de fécondité des subsahariens, il faut initier une révolution contraceptive. Malheureusement, le taux d’utilisation des méthodes contraceptives est estimé à 26% en Afrique subsaharienne contre une moyenne de 75% dans les pays riches. La religion et la culture expliqueraient ce faible taux de contraception. Aussi, les centres médicaux, souvent situés à des centaines kilomètres des ménages, sont-ils en rupture de stock de contraceptifs de façon récurrente, décourageant ainsi certaines femmes désireuses de suivre un programme de contraception. Il est maintenant admis que la quasi-absence des assurances santé, vieillesse, chômage couplée à des revenus faibles et donc une capacité d’épargne des familles limitée conduit les personnes à compter sur la solidarité familiale. Les femmes nigériennes ont en moyenne 7 enfants, mais seulement 3 enfants seront encore en vie à l’âge adulte au moment où leurs parents seront dans l’incapacité de travailler en raison de leur âge. Ainsi, en l’absence de systèmes d’assurances santé et vieillesse performants, tout soutien financier ou matériel pour les parents ne pourra-t-il venir que de leurs enfants. Il est donc parfaitement rationnel que les ménages nigériens aient une fécondité élevée. La leçon à retenir est que la meilleure méthode contraceptive c’est le développement économique.

Nouveau Sommet Afrique-France : Il est temps de passer d’un mariage forcé à un mariage de raison !

Suite aux deux webinaires que nous avons organisés en mai et juin 2021 et auxquels nous avons convié le professeur Achille Mbembe afin qu’il nous parle de son travail de récolte des idées de la jeunesse africaine pour refonder les relations avec l’ancienne puissance coloniale, nous nous sommes rendus au Nouveau sommet Afrique-France qui s’est tenu à Montpellier le 8 octobre dernier. Le point d’orgue de la journée fut la discussion entre 11 jeunes femmes et hommes qualifiés de « pépites » qui ont contribué au rapport Mbembé et le président français Emmanuel Macron.

Quoiqu’on puisse en penser et en dire, ce sommet était assez inédit dans son format. C’est la première fois depuis 1973 qu’aucun chef d’État africain n’était invité et que la société civile ainsi que la jeunesse étaient mises à l’honneur. Il est naturel d’avoir des réserves et de critiquer ce sommet. La critique constructive est toujours salutaire aux fins d’amélioration. Mais nous voyons fleurir çà et là des critiques épidermiques de contempteurs à l’invective un peu facile. Comme l’a dit Cheikh Fall l’un des participants, la colère est compréhensible eu égard notamment au passif historique. Mais il importe de ne point céder à la tentation du procès d’intention.

Les jeunes ont interpellé le président Macron avec franchise et vigueur sur une série de points dont nous retiendrons l’essentiel.

– Il a été mis en exergue la nécessité de changer de narratif et de mettre fin à l’usage des terminologies sémantiques dévalorisantes et infantilisantes telles que l’aide au développement. Selon la formule du professeur Joseph Ki-Zerbo, « on ne développe pas, on se développe ». Les Africains se développeront par eux-mêmes à travers des partenariats sains et des initiatives co-construites dans l’interdépendance, certes, mais avant tout par leurs propres forces vives. Le président Macron a abondé dans le sens des jeunes en parlant d’investissement solidaire. Cela n’a pas été fait, mais puisque nous sommes sur le registre sémantique, nous pouvons interroger le terme même de sommet Afrique-France. Un seul pays ne peut pas prétendre à parler à un continent entier. Il apparaît donc judicieux de revoir cette expression. Par ailleurs, lorsque le président français dit qu’il aide le Mali, ce n’est pas inexact, mais cela ne reflète pas exactement la réalité. Il ne doit pas oublier dans le même temps que c’est l’intervention de l’OTAN en Libye ourdie par Nicolas Sarkozy avec la fortune que l’on sait, qui a accéléré la dégradation de la situation sécuritaire au Sahel. L’intervention militaire française vient donc corriger les errements d’une politique étrangère hasardeuse. Par ailleurs, en luttant contre les groupes djihadistes au Sahel, la France préserve également la sécurité de ses ressortissants sur le sol hexagonal.

– Les jeunes ont souligné la dissonance cognitive qui existe dans les discours et les actions des gouvernements français successifs. D’un côté, il y a les injonctions à la démocratie, la célébration de valeurs dites universelles ainsi que les leçons de morale. Et de l’autre, il y a la domination, l’exploitation, l’arrogance paternaliste, le racisme ainsi que la collaboration avec des autocrates qui répriment les velléités de liberté de leurs populations.

– Il a été mis en lumière l’importance d’assumer pleinement l’histoire et de nourrir les imaginaires.  Il faut « récurer la marmite » des relations entre la France et ses anciennes colonies et cela passe notamment par un travail sur l’histoire et la mémoire. On n’efface pas l’Histoire. On la regarde en face et on l’embrasse afin de ne pas reproduire les mêmes erreurs. Il importe de panser le passé afin de penser l’avenir. La traite négrière, la colonisation, la françafrique sont encore trop insuffisamment traitées au sein des manuels scolaires et enseignées aux enfants des deux rives de la méditerranée. Il est impérieux d’y remédier car les dénis de reconnaissance sont une source de frustration, d’humiliation et de colère. Le travail mémoriel passe également par la restitution des œuvres culturelles pillées pendant l’ère coloniale. La France a entamé une démarche en ce sens qu’il convient d’amplifier.

– La nécessité de sortir de l’asymétrie structurelle, de rééquilibrer les relations et de changer de paradigme a été mise en évidence. Cela passe notamment par la fin de l’ingérence dans les affaires africaines, la fin du soutien actif aux régimes dictatoriaux et l’arrêt des interventions militaires a fortiori lorsqu’elles ne sont pas sollicitées. Les bases militaires françaises en Afrique doivent devenir une relique de l’histoire. La question d’une réelle souveraineté monétaire a été soulevée à travers le rappel des revendications et des luttes populaires pour la fin du Franc CFA.

– Le président Emmanuel Macron a pris acte et annoncé qu’une série de mesures préconisées notamment par le rapport Mbembé seraient prises. L’on peut retenir la création d’un fonds d’innovation pour la démocratie visant à soutenir les acteurs du changement démocratique, la mise en place d’une maison des mondes africains et de la diaspora, le changement du nom de l’Agence française de développement (AFD) et de son fonctionnement…

Il va sans dire que le président Macron n’est pas exempt d’arrière-pensées. Comme l’écrit Jules Clarétie, « le désintéressement chez les gouvernants est aussi rare que la modestie ». Il est conscient de la perte d’influence de la France sur le continent qui ne cesse de croitre au profit d’autres acteurs. Il veut donc redéfinir sa stratégie.

– Certes, l’élection présidentielle qui se profile, et les velléités de séduction de l’électorat binational africain ne doivent pas être étrangères à ce projet de nouveau sommet.

– Certes, la société civile n’est pas en charge des politiques publiques, mais elle peut à travers sa mobilisation influencer les acteurs en charge de ces questions.

– Certes, le président Macron nous a fait une des pirouettes dont il a le secret en justifiant en même temps le pardon demandé aux Harkis et en refusant de le faire pour les crimes de la colonisation au motif que ce serait « trop facile », que ce serait une façon de se délier et de se « débarrasser » de l’histoire !! Demander pardon aux Harkis c’était donc « trop facile » et une façon de se « débarrasser de l’histoire » ? Il craint sans doute les réactions de son opinion publique et l’épineuse question de la réparation. Mais les Africains ne veulent pas tant une réparation financière qu’une réparation symbolique. Un apaisement des tourments mémoriels. À défaut de pardon, le président Macron a admis les responsabilités françaises dans le commerce triangulaire et le fait colonial aux côtés d’autres acteurs. Il a, en outre, reconnu une africanité de la France. Tout comme il existe une européanité de l’Afrique que l’on ne saurait nier puisque la colonisation entraine une interpénétration des cultures. L’acculturation est toutefois fortement inégalitaire et elle a encore des conséquences aujourd’hui tant sur les plans symbolique, psychologique (estime de soi) que politique et économique. Et ce tant en Afrique qu’au sein de l’Occident (discriminations).

– Certes, il y a des intérêts conséquents en jeu qu’ils soient stratégiques, géopolitiques, économiques, énergétiques, etc. Les forces de la conservation ne veulent pas du changement puisque la situation qui prévaut leur est bénéfique. Nous pensons aux potentats africains et à certains grands groupes industriels français à l’instar de celui de M. Bolloré ou de Total.

Il faut donc être lucide et garder à l’esprit qu’on ne change pas un système. On le force à changer. Il importe de n’être ni naïfs, ni de mauvaise foi, ni béats, ni intellectuellement malhonnêtes. Il faut sortir des postures victimaires et des critiques qui sourdent uniquement de la colère et des blessures du passé et du présent. Dans la démarche de refondation des relations entre la France et certains pays africains, il faut également se garder de sombrer dans l’écueil consistant à voiler la nudité des faits et les responsabilités africaines dans les maux de l’Afrique. L’Occident et la France ont une part ô combien importante, mais l’Afrique également. Si l’on veut parler sans fards, il faut le dire. Une maison divisée ne peut point subsister. La domination se perpétue car les divisions interafricaines perdurent.

Ne soyons ni attentistes, ni ingénus. La liberté ne se donne pas. Elle se conquiert. Comme l’a fort bien dit le capitaine Thomas Sankara, « seule la lutte libère ». Le salut de l’Afrique ne viendra pas d’ailleurs. Il viendra des Africains unis et de l’instauration d’un rapport de force sur le terrain, mais aussi dans le champ des idées. Il viendra d’une jeunesse panafricaine, éveillée et mobilisée. Il convient donc de saluer l’engagement des 11 participants au sommet qui sont les relais d’une jeunesse qui veut être actrice et vectrice de changement. Ce dernier est en marche et il est inexorable. Mention spéciale à Adelle Oyango, Adam Dicko et Ragnimwendé Eldaa Koama.

Enfin, nous sommes les héritiers d’une histoire brutale et d’un mariage forcé. À nous d’en faire un mariage de raison et formulons le vœu que nos enfants issus des deux rives de la Méditerranée finissent par en faire un mariage d’amour.