Des indicateurs pour le développement en Afrique

La bonne gouvernance revient constamment dans le débat actuel comme un facteur clé du développement. Nombre d’économistes et de penseurs s’accordent à dire qu’il est crucial, en Afrique et ailleurs, d’avoir des institutions fortes et indépendantes dont le bon fonctionnement favorise la prospérité. Au nombre des maux qui minent la bonne gouvernance  en Afrique, on cite plus souvent le manque de sens patriotique, la   corruption ou encore l’incompétence. Il est bien plus rare d’entendre que les décideurs africains connaissent mal la société qu’ils sont censés diriger, qu’il est difficile de gouverner à l’aveugle ou encore de naviguer sans tableau de bord. De quel tableau de bord parlons-nous ?

Il s’agit des indicateurs qui permettent de mieux saisir la situation économique, sociale et politique des différentes subdivisions d’un pays, dans une vision statique ou dynamique. Personne ne connaît le taux de chômage au Bénin et encore moins s’il est en hausse ou en baisse par rapport à l’année dernière. Personne ne mesure la croissance du secteur informel en Tanzanie. On ne dispose pas de sondage au Niger pour savoir ce que pense la population des mesures prises par rapport à l’exploitation de l’uranium ou encore à Dakar pour avoir une idée de la popularité des dernières mesures d’urbanisation de la ville. Ces indicateurs touchent à tout, de l’éducation (taux de scolarisation par région, taux d’abandon, accès à l’école) à la santé (accès aux soins de santé, coût moyen des frais de santé, sécurité sociale) en passant par l’agriculture (production, stockage, commercialisation), les exportations, l’énergie (taux d’électrification, type d’énergie utilisé par foyer), le secteur informel et la bancarisation. Cette liste est loin d’être exhaustive mais il nous paraît déjà clair que la (meilleure) connaissance de ces indicateurs clés serait un coup de pouce considérable en matière de gouvernance et de développement. Rêvons un peu.

Le premier avantage de ce tableau de bord est l’aide à la décision. La disponibilité de ces données permet que se dessinent de façon naturelle les priorités – les régions dans lesquelles il faut agir rapidement ou encore les problèmes qui gangrènent le plus le système. Il est par exemple assez difficile de concevoir une politique démographique quand on connait mal les taux de natalité et de mortalité par région.  Ensuite, la présence de ces chiffres permet de mieux suivre l’impact des décisions et des politiques mises en place. Le gouvernement peut en suivant dans le temps des indicateurs spécifiques se rendre compte de l’impact effectif de ses actions et le comparer à celui escompté. On pense par exemple à l’accès aux soins de santé primaires dans les régions reculées et éloignées des grands centres africains.

La disponibilité de ces indicateurs règle également l’interaction entre la société civile et les institutions qui décident, entre les mandants et leurs mandataires.  Le suivi des décisions et le débat autour de celles-ci peut être organisé par la société civile en s’appuyant sur ces chiffres. Dans plusieurs pays africains, beaucoup sont mécontents de l’action gouvernementale. Soit. Mais, il leur est plus difficile d’étayer de façon convaincante leur position quand ils connaissent mal l’impact de décisions particulières prises par les institutions dirigeantes ou encore la popularité de ces décisions. C’est là un autre élément majeur qui apparaît avec ces chiffres. Les différents acteurs ont une meilleure idée de la popularité de telle ou telle politique et évitent de généraliser l’impression qu’ils ont eue à partir de leur entourage immédiat.

Si les gouvernements africains décidaient de mettre en place ou alors de développer des instituts de statistiques autonomes et compétents,  ils auraient là également le socle sur lequel pourraient se reposer des études économiques enfin bien adaptées aux réalités africaines et conduites par des africains. Les économistes africains pourraient réaliser une économétrie approfondie de la situation du continent et penser la macroéconomie et la microéconomie africaines à l’aune des données recueillies; ce qui serait d’un énorme soutien à la prise de décisions.

En réalité, de très bonnes écoles de statistique existent en Afrique.  Parmi les plus connues en Afrique subsaharienne francophone figurent l'ENSEA, l'ISSEA et l'ENSAE-Sénégal. L’Ecole Nationale Supérieure de Statistique et d’Economie Appliquée (ENSEA) d’Abidjan est un établissement chargé de la formation et du perfectionnement des cadres statisticiens économistes, de la recherche et du conseil en statistique, démographie et informatique. L’Institut Sous-régional de Statistique et d’Economie Appliquée (ISSEA) situé à Yaoundé est un établissement public inter États de la CEMAC doté de la personnalité morale et de l’autonomie financière. L’École Nationale de la Statistique et de l'Analyse Economique (ENSAE-Sénégal), établissement d’enseignement supérieur professionnel basé à Dakar, forme et perfectionne des cadres statisticiens pour les secteurs public et privé.

La présence et le bon fonctionnement de ces écoles est indéniablement un premier pas. Il est important de développer ces dernières pour qu’elles forment plus de jeunes qualifiés. Quant on sait qu’entre 1994 et 2002, l’ENSEA n’a formé que 213 Ingénieurs statisticiens économistes et 248 Ingénieurs des travaux statistiques qui se répartissent dans les différents pays ouest-africains, l’on imagine les défis qui restent à relever. Il est crucial que ces écoles travaillent davantage de concert avec les différents gouvernements et que les jeunes diplômés soient sollicités pour appliquer  leurs connaissances à la collecte et à l’étude des données qui rendent compte de la situation africaine.

En somme, ce que nous appelons de nos vœux, c’est la volonté politique nécessaire pour que des personnes qualifiées, des fonds et des outils techniques soient mis au service d’une société de la transparence et de la traçabilité. On ne peut l’envisager sans une réelle collaboration tripartite entre les gouvernements, les offices de statistique et les écoles de statistique et d’économie appliquée.

 

 Tite Yokossi