L’échec du coup d’Etat en Turquie grâce à la mobilisation d’une large majorité de la population favorable à Recep Tayyip Erdogan doit nous interpeller en Afrique. Car d’abord, le continent détient malheureusement le record du plus grand nombre de putschs militaires, dont certains ont souvent provoqué des drames effroyables. Ensuite, nous devrions nous poser cette question : qui en Afrique affronterait les balles de soldats pour défendre un président menacé ?
Ayant posé la question sur le réseau social Twitter et auprès de nombreux amis, beaucoup m’ont répondu avec plus ou moins de fierté en citant l’exemple du Burkina Faso. Ils ont en partie raison. En septembre 2015, la résistance héroïque de la jeunesse burkinabè a mis en échec le coup d’Etat du Régiment de sécurité présidentielle (RSP) avec à sa tête le Général Gilbert Diendéré. Mais, une nuance s’impose car le peuple burkinabé n’a pas à mon avis défendu le régime de la transition du duo Michel Kafando et Isaac Yacouba Zida qui était d’ailleurs sous le feu d’une multitude de critiques justifiées. La jeunesse a affronté les hommes surentrainés et suréquipés du RSP pour sauver sa « révolution » et préserver son pays du retour du système Blaise Compaoré qu’incarnait Gilbert Diendéré. Les Burkinabé seraient-ils sortis dans la rue défendre leurs institutions si les auteurs du putschs étaient des officiers et sous-officiers inconnus et n’ayant aucun lien avec le régime déchu du CDP, l’ancienne formation au pouvoir ?
Cassure entre élites politiques et peuple
De façon plus générale, dans l’écrasante majorité des pays africains, je ne suis pas convaincu que le commun des mortels accepte de prendre des balles pour sauver un président, très souvent impopulaire. Nous vivons une crise politique et institutionnelle qui, si elle est moins profonde que dans les décennies précédentes, reste préoccupante.
Il y a une cassure entre les élites politiques et le peuple. D’abord, elle est d’ordre démographique car la jeunesse majoritaire sur le continent n’accède qu’à dose homéopathique aux strates du pouvoir. Ensuite, elle est d’ordre pratique : l’écrasante majorité de nos Etats sont à ce point mal gouvernés qu’ils ont réussi à tuer toute forme de confiance et d’espoir de la part de ceux qu’ils sont censés pourtant représenter.
Il y a longtemps que nous n’attendons plus rien des régimes post-indépendances, érigés sur le prétexte de la consolidation d’une nation socle d’une future prospérité qui n’a jusque-là jamais été au rendez-vous.
La génération de leaders politiques qui a suivi a elle davantage déçu car n’ayant même pas eu l’excuse de forger un Etat sur les cendres de la colonisation. Souvent armée de la rengaine du changement et de l’émergence, elle n’a rien fait sinon se compromettre moralement et maintenir nos pays dans l’indigence économique.
Ils « mentent dans toutes les langues »
Les trahisons sur les promesses électorales, la mal-gouvernance, la promotion de la corruption, l’encouragement de la transhumance politique et le culte de la médiocrité ont enterré le mythe de l’eldorado promis par nos gouvernants. Comme disait Nietzsche, ils « mentent dans toutes les langues ». Leurs promesses ne sont que mirage. Leur attitude au quotidien, méprisante et méprisable. Leur amour pour leur pays, infime.
Parmi nos leaders peu ont gouverné en cultivant le mérite et en mettant l’efficacité de l’action publique et la transformation radicale des conditions de vie des populations au centre de leurs actions. Cette chronique de Seidik Abba au Monde Afrique sur le train de vie des dirigeants africains est stupéfiante. On ne peut imaginer des gens vivre avec autant d’indécence et d’insolence quand leurs concitoyens manquent du minimum pour vivre.
Dans un tel climat de rupture de confiance et de priorités entre les élites politiques souvent corrompues et hors sol et le peuple, qui accepterait de prendre des balles le jour où leurs régimes seront menacés ? Qui se sacrifierait pour la pâle copie de révolutionnaires que sont devenus Mugabe, Dos Santos ou Museveni ? Qui donnerait sa vie pour préserver le régime Teodoro Obiang Nguema qui vient de hisser son fils au rang de vice-président ? Allons plus loin, tentons un banal exercice de casting chez les nouveaux leaders : Yahya Jammeh ? IBK ? Faure Gnassingbé ? Joseph Kabila ? Sérieusement, aucun qui déchainerait les foules…
La jeunesse ne s’identifie plus à son élite dirigeante. Elle la juge indigne de sa confiance et de son respect. Au mieux, elle la fustige régulièrement, au pire, elle ne lui accorde que mépris et désintérêt. En tout état de cause, elle a raison de ne pas envisager donner sa vie pour défendre des gens qui la lui nie au quotidien par une irresponsabilité consternante.
Hamidou Anne