Lampedusa : des victimes africaines

LampedusaL’émigration clandestine a provoqué un nouveau drame. Près de 400 personnes ont péri en tentant de rejoindre les côtes italiennes, ce  3 octobre 2013. Les morts de Lampedusa qui ont fait la une de la presse internationale mettent une nouvelle fois à nu le drame que constitue l’émigration clandestine pour l’Afrique

Malgré les regrets, les déclarations de principe et les positions observés ici et là, notamment du coté des dirigeants européens, ce drame frappe d’abord l’Afrique dont des citoyens viennent encore rallonger la longue liste des victimes de la course folle vers l’Eldorado.

L’Europe sujette à la crise économique la plus dure de son histoire, confrontée à la montée des mouvements xénophobes et génératrice de politiques migratoires et sécuritaires de plus en plus fermes, se barricade de plus en plus. Depuis le Pacte sur l’immigration et l’asile de 2008 sous les auspices de la présidence Sarkozy de l’UE, Bruxelles se dote d’une batterie de mesures toujours plus fermes à l’égard de l’immigration qu’elle soit légale ou illégale.

Cette difficulté à rentrer dans l’espace européen est loin de démoraliser ceux qui veulent à tout prix forcer les barrières, en vue d’avoir accès à une vie meilleure.

Lampedusa, le plus emblématique point d’entrée vers l’Europe est devenu hélas le théâtre de drames violents causés par cette marche forcée vers les lumières d’une Europe de plus en plus hostile.

En effet, on compte plus de 9 000 morts sur les 200 000 migrants qui sont partis à l’assaut de Lampedusa. En 2013, on dénombre déjà 4000 personnes ayant perdu la vie ; donc trois fois plus qu’en 2012.

Cette fois, la majorité des victimes du drame du 3 octobre sont des citoyens somaliens et érythréens, comme si ces pays n’avaient pas suffisamment été meurtris par la guerre, la famine, la désagrégation de l’Etat et les violences intestines.

Si l’on ne peut absolument pas ne pas regretter cette espèce de volonté tragique de forcer continuellement les portes de l’Occident, les causes de ces drames sont nombreuses et profondes.

D’abord, naturellement, l’on ne peut pas passer par pertes et profits la responsabilité de celles et ceux qui ont risqué leur vie dans des embarcations de fortune. Et quel que soit la cause qui les animait. C’est une question de conscience et de responsabilité personnelles. L’on ne prend guère des risques inconsidérés et fatals pour un Occident qui, dans la plupart des cas, désabuse et réveille des certitudes passées.

Néanmoins, au-delà de cette exigence de responsabilité personnelle qui n’a guère prévalu, la question de l’émigration clandestine, avec son lot de drames répétitifs, est aussi tributaire de la question démocratique dans les Etats.

Dans ce cadre, au premier chef, la situation politique des pays d’origine est pour beaucoup dans ce choix du pire que font de nombreux citoyens africains. Le déficit démocratique associé à une pauvreté aigue et une violation permanente des libertés individuelles obligent parfois la recherche d’un ailleurs meilleur.

Il est ainsi illusoire de vouloir trouver une solution durable à la problématique de l’émigration clandestine, avec son énorme volet trafic d’être humains, en omettant la dimension démocratie et respect de la dignité humaine.

Le régime dictatorial d’Issayas Afeworki avec son lot de violations quotidiennes de principes démocratiques impose aux érythréens souvent un seul choix : celui de fuir pour sortir de cet enfer à ciel ouvert.

Ainsi, les morts de Lampedusa sont celles d’un espoir raccourci fatalement. Elles sont aussi la résultante de politiques scandaleuses menées dans plusieurs pays, qui n’incitent guère en la conviction d’un avenir meilleur sur le sol africain.

Stopper ou réduire en tout cas l’émigration clandestine est aussi une question de système, de déclinaison et de mise en œuvre des politiques publiques à l’échelle des différentes parties prenantes.

Le modèle du tout sécuritaire en Europe a montré ses limites objectives et son incapacité à régler définitivement la question. Et ce, malgré les énormes moyens mis en œuvre, notamment avec Frontex et les autres dispositifs annexes. Lampedusa a d’ailleurs été le prétexte pour les pays de l’UE d’annoncer le lancement d’Eurosur, dispositif encore plus avancé de surveillance des frontières.

En Afrique, une réforme vers une vraie politique migratoire s’impose. En effet, il est urgent d’arrêter de subir celle des Etats tiers qui, au regard des principes et enjeux réels dans les relations internationales, se soucient uniquement de leurs intérêts. L’Afrique a subi l’immigration choisie de la France sous l’époque Sarkozy. Elle continue de subir les décisions prises à Bruxelles qui parfois doivent découler d’une concertation ou à minima de la prise en compte des pays d’origine.

La gestion des flux migratoires vers et à partir d’Afrique doit très souvent dorénavant découler des instances communautaires voir carrément continentales. La gestion au niveau macro de cette question pourra permettre de renégocier avec plus de poids des questions telles les accords de réadmission, les visas étudiants, professionnels, scientifiques et  chercheurs, les visas pour des raisons médicales, etc.

Hamidou Anne