En perspective de la première conférence annuelle de l'Afrique des Idées le 30 mai prochain à Paris, la rédaction publie une série de tribunes sur le thème de l'Afro-responsabilité. Matrice intellectuelle et cadre d'analyse de notre Think Tank, ce concept est pour nous la voie idéale pour la construction d'une Afrique maitresse de son destin. Cette Afrique que nous voulons est justement le sujet de la première tribune en deux parties de Hamidou Anne et Christine Traoré.
Phénomène nouveau, l’Afrique compte de plus en plus de « returners » ou « repats ». Comprenez cette diaspora composée d'enfants d’émigrés ou de personnes elles-mêmes émigrées, qui font le choix de quitter leur vie au Nord, pour revenir s’installer dans leur pays d’origine, au Sud. Au delà d’une vision binaire du monde, que nous enseignent ceux, qu’affectueusement, nous pourrions appeler les nouveaux porteurs d’espoir. L’Afrique serait-elle devenue, après avoir été de nombreuses années le berceau de l’humanité puis de la litanie, cette « nouvelle terre promise » des « patrides » en désir de renouveau ?
S’il ne fait aucun doute que les raisons qui motivent les returners sont multiples et propres à chacun, ont-elles en partage deux particularités : le fait d’être mus par un désir de ré-enracinement et la volonté de tourner le dos à une Europe en crise. D’ailleurs cette logique ascendante touche plus particulièrement certains pays en difficulté, le Portugal en tête. Mais sans doute également et tout simplement, cet exil inversé répond-il à l’attractivité envers les potentialités offertes par le continent.
Ainsi l’Afrique connaîtrait-elle enfin, « l’année de son année » pour parodier les paroles d’une célèbre chanson populaire ? A en croire l’écho médiatique de certains signaux faibles, nous serions portés à croire que oui. Oui, car une actrice mexico-kenyane ne cesse de rafler le haut des podium ; oui, car le Sénégal est désormais dans le top 10 des pays africains à l’indice du meilleur progrès social[1] ; oui encore car sa sœur abidjanaise semble signer son grand come back. A ce tableau d’apparence idyllique nous pourrions ajouter quelques données métriques clefs : 5% de croissance sur les 10 dernières années et des prévisions rassurantes.
Oui, mais. Concrètement, quels changements tangibles peut-on observer dans le quotidien des populations ? Certes ces 15 dernières années ont été le théâtre du changement des visage de nos capitales : exit les ruelles de terre battue, exit les chevaux, exit les maisonnettes en banco. Mais c’est majoritairement avec la même ferveur parfois teintée de résignation que continue de battre le cœur de nos villes. La débrouille se taille toujours la part du lion sous le soleil de Ouagadougou, Dakar, Bamako ou Abidjan. Et aux rêves d’Afrique des uns, s’opposent les rêves d’ailleurs des autres. La Méditerranée a encore ce 18 avril englouti plus de 800 victimes attirées par l'eldorado d’une vie meilleure en Europe.
Perdus dans le brouhaha du quotidien, éblouis par les discours lénifiants et fascinés par les grues qui s’élèvent, nous en oublions l’essentiel. Mais au fait, où va-t-on ?
Pour éviter qu’à nouveau des vies n’aillent se perdre dans les méandres noirs de la mer, il serait plus qu’urgent de s’interroger sur l’Afrique que nous voulons et de poser, ensemble, les fondations d’une troisième voie, celle d’un développement inclusif et durable. Nos colonnes font régulièrement l’objet d’appels à la jeunesse. Qu’elle soit aujourd’hui une pierre supplémentaire à l’édifice d’une pensée afro-responsable.
L’émancipation créatrice face au principe de réalité : l’illusion des trois « i ».
La crise financière puis économique dans le monde occidental coïncide avec le nouveau positionnement accordé à l'Afrique dans le débat économique mondial. Le continent est devenu l'aire de toutes les promesses, souvent exagérées voire simplement sans aucun fondement objectif. L'Afrique en devenir, lieu d'expression des nouveaux rêves de tous ordres, est positionné au carrefour de toutes les influences et attire différents chasseurs de parts de marché. Nous mettant ainsi en face d'un nouvel impérialisme qui menace par une triple illusion.
Si les colonisations française, britannique et portugaise ont pris fin majoritairement dans les années 60, l'influence de ces pays n'a jamais véritablement cessé en Afrique. L'invention et l'usage réitéré de la notion de néo-colonialisme dont la version la plus caricaturale est le concept de Françafrique le prouve à suffisance.
La crise économique structurelle dans laquelle se trouve les anciennes puissances coloniales et l'émergence de nouvelles puissances économiques qui amorce leur dessein hégémonique hors de leurs frontières, font de l'Afrique un nouveau terrain d'expression de plusieurs luttes d'influence. L'Afrique est ainsi en proie aux visées hégémoniques chinoise, arabe, russe voire indienne, sans grande résistance et souvent sans une réelle prise en compte de son intérêt. Et il s’agit là de la première illusion. Celle de l’impérialisme politique qui résulte d’une forme de servitude volontaire installée dans les rapports avec ces nouveaux « géants » aux agendas aussi divers que peu philanthropiques.
La mondialisation, la faiblesse des États qui s'est accompagnée d'une forte croissance de multinationales aux capacités financières énormes génèrent aussi une présence de grandes entreprises étrangères sur le continent, avec souvent une puissance supérieure aux États dans lesquels elles s'installent. Si le discours de ces entreprises laisse croire à un volontarisme et une participation au développement des pays africains, la réalité est souvent différente à l'aune des faits. Leur impact est faible sur la croissance des pays, car une grande part des capitaux est exportée en dehors du continent et leur agenda est en inadéquation avec l'impératif de développement dans lequel doit s'inscrire un investissement dans un pays au-delà de la quête de rentabilité. C’est ainsi qu’intervient la deuxième illusion. Celle de l'impérialisme économique.
Mais l'économie n'est pas le seul domaine dans lequel la ruée vers l'Afrique se caractérise. Ainsi à l'impérialisme politique et économique, répond l’impérialisme culturel. Le fameux soft power, qui est aussi une réalité à laquelle l'Afrique est confrontée. Les chaînes câblées, l'arrivée de grands groupes audiovisuels la consommation culturelle étrangère sont symptomatiques de l'énorme défi qui se pose à nous dans la formulation d'une efficace bataille culturelle en vue d'inverser la tendance. Le propos n’étant pas de tourner le dos à la modernité recherchée, mais de l’impulser dans une direction qui nous ressemble.
Les États face aux serments de l’Histoire.
A l’illusion des trois « i » : impérialisme politique, économique et culturel, vient s’ajouter, presque 60 ans après nos indépendances, le temps des divergences qui freinent l’émergence d’États forts capables de changer radicalement et qualitativement la vie des citoyens pour amorcer un développement pérenne et profond.
L'absence d'unité nationale, qui est la résultante d'une décolonisation amorcée sur les bases des frontières issues du congrès de Berlin a conduit à la difficulté d'ancrer le principe d’État-nation dans plusieurs pays. Depuis le premier sommet de l'OUA marqué par les dissensions entre les groupes de Casablanca et de Monrovia, l'on est en proie à une faiblesse du sentiment de destin commun en Afrique. Les facteurs exogènes qui ont sabordé toutes les tentatives d'unité politique du continent ont trouvé résonance avec une irresponsabilité de dirigeants africains peu enclins à un devenir commun.
Ces facteurs combinés génèrent des drames aussi tristes et scandaleux que la vague de violences xénophobes actuelle en Afrique du Sud.
A contre courant de l'histoire qui voit de grands ensembles se former en Europe et en Amérique latine notamment, l'Afrique demeure le continent le plus divisé et certainement le plus désarticulé. Ceci rendant illusoire, dans un contexte de mondialisation, toute velléité d'émergence.
Pis encore, aujourd'hui ces faiblesses structurelles ayant trait à une faiblesse de la puissance publique et à l'incurie de choix politiques désastreux, deviennent un terreau fertile pour la gangrène du terrorisme qui, au-delà de menacer la survie des États, devient un défi lancé à notre survie en tant que culture et civilisation.
À la recherche d’une 3ème voie, le temps des solutions.
Face à tant de constats négatifs, que faire ? S'il est indéniable que l'Afrique n'a jamais été dans une période aussi avantageuse pour enfin amorcer et concrétiser son développement, les forces contraires à cet idéal sont nombreuses et les défis énormes.
La puissance publique garante de l'égalité des droits et du dessein commun doit être renforcée. Nos États doivent être forts, dans l'égalité et la justice, pour affronter des défis comme celui, par exemple, du terrorisme. La pensée doit connaître un nouveau printemps. Il faut réconcilier l'université avec le politique. La place existe également pour de nouveaux intellectuels et pour une résurgence de la pensée positive et dépossédée des vestiges d'un passé complexé et en déphasage avec l'exigence de rigueur et de développement du continent.
La nouvelle élite intellectuelle doit faire œuvre de praxis car une action non conceptualisée est désordonnée. Une pensée non suivie d'action est vaine et ne peut avoir aucune incidence sur la marche de l'histoire. Marx disait qu'une « pensée qui transperce les masses devient révolutionnaire ».
N’est ce pas les bribes de ces cœurs percés qui ont soulevé les âmes burkinabè hier, peut-être béninoises demain ? Voilà nos dirigeants prévenus. L’ère de l’afro-responsabilité et de toutes ses résurgences semble amorcée.
Hamidou Anne et Christine Traoré
Ici la deuxième partie de cet article.
[1] Le Sénégal est la 10ème place des pays africains de l’indice du progrès social publié par l’Ong « The social progress imperative ». Le pays est au 97ème rang mondial sur 133.