Le drame de l’émigration clandestine pour l’Afrique

emigrationNous sommes des centaines de millions de jeunes africains qui pouvons œuvrer pour faire prospérer l’Afrique et travailler à ce qu'elle soit plus respectable et respectée. Eux sont déjà des milliers de jeunes africains à vouloir quitter le continent à tout prix. Certains s’en vont pour ne plus affronter le désastre qui se déroule en Afrique, d’autres pour ne plus le vivre et, enfin, d’autres ne souhaitent pas participer à ce fiasco, par la passivité à laquelle ils sont condamnés.

L’histoire nous présente de nombreux exemples de populations qui ont migré et dont la migration a eu, à long terme, des répercussions positives sur le développement de leurs contrées d’origine. Cependant, les épisodes tragiques de déplacements de populations de l’Afrique vers l’Europe ne nous laissent pas présager un sort heureux pour l'Afrique qui, à moyen ou long terme, devra peut-être constater la perte d’une bonne frange de sa population jeune.

L’émigration clandestine est ainsi un des phénomènes contemporains qui font le plus de mal au continent africain et y réfléchir devient ainsi un impératif pour tout intellectuel africain.

Après que les esclavagistes aient arraché de force des millions d’Africains à leurs terres et les ont acheminé par mer vers diverses destinations de par le monde, de nos jours nous vivons un phénomène tout aussi déplorable, mettant en scène de jeunes africains, prenant le large, à bord d’embarcations de fortune, à la recherche d’un avenir meilleur.

Quel humain ne frémirait pas lorsque des corps sans vie sont repêchés des eaux et rangés à même le sol d’une façon qui n’honore nullement la dignité humaine ? Et l’on s’alarme davantage lorsque de certains médias nous viennent les chiffres d’un désastre dont les responsables sont aussi divers que les façons dont le problème peut être appréhendé. D’aucuns prennent pour responsable les Etats africains qui n’ont jusqu’à présent pas pu faire du continent un endroit où les jeunes africains ont de réelles chances de s’épanouir et de se réaliser. Pis, certains dirigeants africains n’ont contribué qu’à faire en sorte que les Africains n’espèrent plus rien ni de l’Afrique, ni pour l’Afrique.

D’autres désignent comme responsables ceux qui tentent de rejoindre l’Europe à bord de ces pirogues. Il leur est reproché de risquer leur vie pour des espoirs de prospérité qui ne sont pas toujours fondés.

Le fait est avéré : la majeure partie de ceux qui sortent vivants du périple est condamnée à une vie miséreuse qui est plus cruel que la pauvreté qu’ils ont voulu fuir. Et pour ceux qui avaient de réelles chances de monter un quelconque projet chez eux, il leur est reproché d’être frappés du mythe de l’eldorado. Un mythe entretenu par certains médias qui ne se lassent pas de décrire l’occident comme cet « Eldorado » qui, aussi, est à ranger parmi les responsables de ce fléau.

En effet, il se dit paré de toutes les nobles vertus humanistes alors qu’il n’a obtenu la grande partie de sa richesse qu’au prix de massacres et pillages dont l’Afrique a été le principal foyer et contre lesquels, peu d’Africains seulement se sont battus.

On doit se demander comment ces pseudo-philanthropes peuvent presque gracieusement puiser une bonne partie de leurs richesses de l’Afrique et ne permettre aux Africains de se rendre en occident que difficilement.

Le Nigéria est un grand producteur de pétrole et des entreprises occidentales en jouissent plus gracieusement que les Nigérians si tant est que les Nigérians en jouissent. A l’opposé, de jeunes Nigérianes par exemple se livrent à la prostitution dans les rues de Paris où elles sont traquées sans cesse par la police. Le Niger ne serait certainement pas le pays le plus pauvre de la planète s’il tirait profit, autant que la France, de ses réserves d’uranium. Toute la côte ouest du Sénégal est baignée dans l’Atlantique ; le riz y est cultivé en grande quantité au nord et au sud ; la tomate, l’oignon, le maïs, la canne à sucre, etc. sortent à foison d’un sol qui ne se lasse pas de servir d’énormes quantités d’arachides. Le phosphate et la chaux en sont extraits en grandes quantités. Avec des dirigeants clairvoyants, aucun Sénégalais ne devrait manquer de quoi mener une existence décente. Malheureusement, on constate que l’une des préoccupations majeures des citoyens sénégalais est bien l’accès aux denrées de première nécessité.

Mais chaque peuple n’a que le leader qu’il mérite. L’on aurait pas tort de soutenir que les Africains sont pris d’une paresse découlant d’un état d’esprit fataliste avec lequel on ne peut rien concevoir qui puisse aider à l’amélioration de notre propre bien-être ou au développement de notre communauté. On préfère cirer des chaussures à Paris plutôt que cultiver un champ de mil à Dori. On préfère laver les assiettes dans des restaurants espagnols plutôt que vendre du klichy à Maradi.

Nous savons que nous sommes bien lotis en ressources naturelles, mais nous nous sommes condamnés à une double fatalité : soit nous laissons les Occidentaux ou les Asiatiques les exploiter et n’en recevoir que des miettes, soit nous nous entretuons jusqu’à ce que personne ne puisse en jouir.

Même si nous étions certains que ceux chez qui nous voulons aller seront enchantés de nous voir chez eux et de nous y traiter comme il se doit, il ne nous appartient pas de risquer nos vies en défiant vents et marées.

Parler de bilan pourrait heurter des sensibilités car serait sans doute indécent. Il s’agit pour nous de nous inscrire dans une logique d’avenir et donc de délivrer ce message qui n’est autre que celui de dire : travaillons ensemble à semer les graines qui donneront les fruits de notre glorieuse récolte à venir. La renaissance africaine, ce n’est pas tâche impossible.

                                                                                                                      

Oumar Sow

 

Article initialement paru sur www.louest.net

Lampedusa : des victimes africaines

LampedusaL’émigration clandestine a provoqué un nouveau drame. Près de 400 personnes ont péri en tentant de rejoindre les côtes italiennes, ce  3 octobre 2013. Les morts de Lampedusa qui ont fait la une de la presse internationale mettent une nouvelle fois à nu le drame que constitue l’émigration clandestine pour l’Afrique

Malgré les regrets, les déclarations de principe et les positions observés ici et là, notamment du coté des dirigeants européens, ce drame frappe d’abord l’Afrique dont des citoyens viennent encore rallonger la longue liste des victimes de la course folle vers l’Eldorado.

L’Europe sujette à la crise économique la plus dure de son histoire, confrontée à la montée des mouvements xénophobes et génératrice de politiques migratoires et sécuritaires de plus en plus fermes, se barricade de plus en plus. Depuis le Pacte sur l’immigration et l’asile de 2008 sous les auspices de la présidence Sarkozy de l’UE, Bruxelles se dote d’une batterie de mesures toujours plus fermes à l’égard de l’immigration qu’elle soit légale ou illégale.

Cette difficulté à rentrer dans l’espace européen est loin de démoraliser ceux qui veulent à tout prix forcer les barrières, en vue d’avoir accès à une vie meilleure.

Lampedusa, le plus emblématique point d’entrée vers l’Europe est devenu hélas le théâtre de drames violents causés par cette marche forcée vers les lumières d’une Europe de plus en plus hostile.

En effet, on compte plus de 9 000 morts sur les 200 000 migrants qui sont partis à l’assaut de Lampedusa. En 2013, on dénombre déjà 4000 personnes ayant perdu la vie ; donc trois fois plus qu’en 2012.

Cette fois, la majorité des victimes du drame du 3 octobre sont des citoyens somaliens et érythréens, comme si ces pays n’avaient pas suffisamment été meurtris par la guerre, la famine, la désagrégation de l’Etat et les violences intestines.

Si l’on ne peut absolument pas ne pas regretter cette espèce de volonté tragique de forcer continuellement les portes de l’Occident, les causes de ces drames sont nombreuses et profondes.

D’abord, naturellement, l’on ne peut pas passer par pertes et profits la responsabilité de celles et ceux qui ont risqué leur vie dans des embarcations de fortune. Et quel que soit la cause qui les animait. C’est une question de conscience et de responsabilité personnelles. L’on ne prend guère des risques inconsidérés et fatals pour un Occident qui, dans la plupart des cas, désabuse et réveille des certitudes passées.

Néanmoins, au-delà de cette exigence de responsabilité personnelle qui n’a guère prévalu, la question de l’émigration clandestine, avec son lot de drames répétitifs, est aussi tributaire de la question démocratique dans les Etats.

Dans ce cadre, au premier chef, la situation politique des pays d’origine est pour beaucoup dans ce choix du pire que font de nombreux citoyens africains. Le déficit démocratique associé à une pauvreté aigue et une violation permanente des libertés individuelles obligent parfois la recherche d’un ailleurs meilleur.

Il est ainsi illusoire de vouloir trouver une solution durable à la problématique de l’émigration clandestine, avec son énorme volet trafic d’être humains, en omettant la dimension démocratie et respect de la dignité humaine.

Le régime dictatorial d’Issayas Afeworki avec son lot de violations quotidiennes de principes démocratiques impose aux érythréens souvent un seul choix : celui de fuir pour sortir de cet enfer à ciel ouvert.

Ainsi, les morts de Lampedusa sont celles d’un espoir raccourci fatalement. Elles sont aussi la résultante de politiques scandaleuses menées dans plusieurs pays, qui n’incitent guère en la conviction d’un avenir meilleur sur le sol africain.

Stopper ou réduire en tout cas l’émigration clandestine est aussi une question de système, de déclinaison et de mise en œuvre des politiques publiques à l’échelle des différentes parties prenantes.

Le modèle du tout sécuritaire en Europe a montré ses limites objectives et son incapacité à régler définitivement la question. Et ce, malgré les énormes moyens mis en œuvre, notamment avec Frontex et les autres dispositifs annexes. Lampedusa a d’ailleurs été le prétexte pour les pays de l’UE d’annoncer le lancement d’Eurosur, dispositif encore plus avancé de surveillance des frontières.

En Afrique, une réforme vers une vraie politique migratoire s’impose. En effet, il est urgent d’arrêter de subir celle des Etats tiers qui, au regard des principes et enjeux réels dans les relations internationales, se soucient uniquement de leurs intérêts. L’Afrique a subi l’immigration choisie de la France sous l’époque Sarkozy. Elle continue de subir les décisions prises à Bruxelles qui parfois doivent découler d’une concertation ou à minima de la prise en compte des pays d’origine.

La gestion des flux migratoires vers et à partir d’Afrique doit très souvent dorénavant découler des instances communautaires voir carrément continentales. La gestion au niveau macro de cette question pourra permettre de renégocier avec plus de poids des questions telles les accords de réadmission, les visas étudiants, professionnels, scientifiques et  chercheurs, les visas pour des raisons médicales, etc.

Hamidou Anne

Lampedusa : Situer les responsabilités

Lmigrant_route_624e 3 octobre dernier, un bateau transportant environ 500 migrants originaires de la corne de l’Afrique a fait naufrage au large de Lampedusa faisant environ 300 morts dont des femmes et des enfants. Loin d’être le dernier épisode du sinistre feuilleton qui se déroule en méditerranée, une nouvelle embarcation de migrants Syriens et Palestiniens a chaviré à quelques kilomètres de Malte causant la mort d’une trentaine de personnes. Ces deux drames illustrent les conséquences des immigrations clandestines d’origine économique et politique respectivement.

Alors que de nombreuses voix s’élèvent pour condamner ce qu’il se passe en méditerranée, d’autres appellent à une surveillance accrue des frontières de l’Europe. C’est ce que fait déjà Frontex, l’agence européenne de surveillance des frontières. La mission de cette agence vient d’être renforcée par l’adoption d’un système de surveillance pan-européen (Eurosur). L’approche utilisée par Frontex consiste à signer des accords de partenariats avec les pays de départs, dont la Lybie, la Tunisie et le Maroc, pour renforcer les patrouilles des Gardes côtes.

Ainsi, la répression est davantage privilégiée par les deux parties impliquées dans la gestion de l’immigration clandestine que sont l’Europe et les Etats africains.[1] Malheureusement, elle se fait au détriment de la recherche de solutions aux causes de l’immigration clandestine. A y voir de près, les migrations de façon générale et en particulier l’immigration clandestine ne sont que la conséquence de l’accroissement des inégalités entre les pays. C’est aussi le point de vue de l’économiste Branko Milanovic de la Banque Mondiale.[2] Cet accroissement des inégalités provient de trois principales sources dont la mauvaise gouvernance économique dans les pays de départ, la mondialisation des échanges et les guerres menées dans les pays d’origine par les pays de destination.

D’abord, l’absence de croissance inclusive génératrice d’emplois pour tous est à la base des migrations clandestines en provenance de l’Afrique. Cela contraste avec les performances économiques de la plupart des pays du continent au cours de la dernière décennie. Même si aujourd’hui les victimes sont principalement des Erythréens et Somaliens, on ne peut occulter tous ces migrants Maliens et Sénégalais qui n’ont pas pu voir les îles Canaris ou l’Espagne ; certains ayant péris en mer alors que d’autres ont succombé dans le désert du Sahara. Ces vagues de migrations sont principalement liées à l’absence d’opportunités économiques dans les pays de départs ; car en dépit de la croissance économique, peu d’emplois sont créés pour les jeunes. Les drames successifs qui se produisent en méditerranée sont en réalité des appels aux Etats africains pour la mise en place d’institutions politique et économique plus inclusives.

Ensuite, la mondialisation des échanges, même si elle est globalement bénéfique ne profite pas nécessairement à tous. En général, ce sont surtout les catégories les plus défavorisées qui  sont les principales perdantes. Ainsi, les contrats d’exploitation de ressources naturelles défavorables aux Etats africains, l’éviction sans contrepartie des petits commerçants par de grandes chaînes de distribution et la destruction des écosystèmes naturels à travers l’exploitation des ressources minières qui s’y trouvent sont autant d’actes qui finissent par rendre l’émigration clandestine la dernière option de survie pour ces milliers d’Africains. De ce point de vue, les récents événements viennent rappeler aux institutions internationales impliquées dans la mondialisation l’ampleur de la tâche qu’il reste à faire pour qu’elle soit bénéfique pour tous ; notamment dans les pays en voie de développement.

Enfin, l’omission de l’impact humain dans les décisions de guerres prises par certains pays Européens ou Américains au cours des dernières années est également à la base de ce flux de migrations clandestines. En bombardant la Lybie ou en entretenant la guerre civile en Syrie, ces Etats ne laissent aucune alternative aux populations en dehors de l’émigration. En témoignent l’afflux massif de Libyens et de Syriens qui arrivent chaque jour sur l’île de Lampedusa. Il revient donc à l’Europe et aux Etats-Unis d’Amérique de prendre désormais en compte l’incidence des guerres sur les conditions de vie de populations avant toute action sur le terrain.

En définitive, le drame qui se déroule dans la méditerranée n’est que le prolongement de ce triste feuilleton qui met en scène les populations, frappées par le creusement des inégalités, face aux dangers de la navigation maritime. Face à ce drame, les Etats Africains, les Institutions internationales et les pays Européens ont chacune leur part de responsabilité. Quelles que soit les causes, seule la mise en place d’institutions politiques et économiques inclusives dans les pays d’origine peut endiguer l’expansion de ce phénomène qui n’honore personne.

Georges Vivien Houngbonon

 

 

 

 


[1] Il existe toutefois des accords de coopération économique qui visent à promouvoir le développement dans les pays d’origine. Cependant, ces accords restent très marginaux par rapport à l’ampleur des défis de développement dans les pays d’origine.

 

 

 

[2] Le rapport sur le développement de la Banque Mondiale en 2006 pointe aussi du doigt l’impact des inégalités sur les migrations.