« Comment il faut prier Dieu même ! ?»

Le monde est orange-blanc-vert ce soir. Les taxis klaxonnent, les piétons chantent et crient. L’euphorie est à son paroxysme dans le quartier de Cocody à Abidjan. Il est, 19h, nous sommes à une demi-heure du match et à ce moment-là, aucun Ivoirien n’ose imaginer une défaite de son équipe favorite. Les bars sont pleins. Les bières coulent à flots. Dans la ville, plusieurs sites ont décidé de retransmettre, sur écran géant, ce qui est annoncé depuis le mercredi précédent,-et la victoire des éléphants contre le Mali- comme le match de la consécration et de la délivrance pour tout un peuple.

Vingt ans. Vingt longues années se sont écoulées depuis la dernière et unique victoire de l’équipe de Côte-d’Ivoire de football dans la Coupe d’Afrique des Nations ; la plus prestigieuse des compétitions organisées sur le continent. Vingt ans. A l’époque, le Vieux était vivant, pour quelques mois encore et son premier ministre était un certain A.Outtara. Alors c’est tout un peuple qui se met à croire au clin d’œil du destin. Tout un peuple, unis, pour soutenir son équipe.

Sur les coups de 22h45, les bars sont vidés, les bières renversées. Entre temps, il y eu un match de football. Un match entre les modestes Zambiens, qui ne disputaient là que leur troisième finale et que tout le monde donnait perdant, face aux mastodontes ivoiriens. Meilleure équipe du tournoi, zéro but encaissé en cinq matches. Comment, comment la Côte-d’Ivoire pourrait-elle perdre ? Mais le match est serré, tendu. Les Chipolopolos (surnom de l’équipe zambienne) sont les plus dangereux en ce début de partie et dès la deuxième minute font passer un frisson chez tous les supporters oranges. Puis le temps passe, incompréhension et tension grandissent toutes deux dans les rues d’Abidjan.

0-0.Tirs aux buts. Tout le monde marque les cinq premiers tirs. Puis Kolo tir et rate. Si les Zambiens marquent, c’est la victoire. Le joueur zambien s’avance, s’élance… et loupe son tir. Les éléphants sont sauvés, pense-t-on. Gervais pour la Côte-d’Ivoire tire à son tour… et rate également. Le Zambien suivant ne laissera pas passer le train : il tire, il marque, la Zambie gagne la CAN. L’euphorie de début de partie, laisse place à un abattement aussi foudroyant qu’inattendu. Les chants et les klaxons ont laissé la place au silence. Un silence pesant. Un silence assourdissant. Puis le silence s’éclipse à son tour pour laisser la frustration prendre le pas. Frustration cristallisée sur une personne en particulier.

Le crépuscule d’une idole

Il est depuis plusieurs années un symbole pour bien des jeunes fans de ballons. Aimé à Londres, adulé sur la Cannebière, Didier Drogba n’est pas prophète en son pays. A 20 minutes du terme du temps réglementaire, il aurait pu entrée dans la légende comme le plus grand joueur ivoirien, en donnant la victoire à son équipe. Au lieu de cela, il a raté son pénalty, et c’est toute une équipe qu’il a entraîné dans sa chute. Il est à lui seul, le symbole d’une génération dorée qui ne ramènera aucun trophée. Une génération pétrit de talent qui jamais n’aura eu la force de faire vibrer tous ses supporters, tout son peuple. Drogba jouait certainement son dernier match avec l’équipe nationale. Les gens se souviendront de lui comme le joueur qui leur a ôté leur rêve.

Les derniers piétons, hagards et incrédules finissent de maudire Drogba avant de s’en prendre à Dieu « Il n’avait qu’à nous aider lui aussi ! » lance un supporter au bord des larmes. « J’ai prié, j’ai prié, tout ça pour quoi !? Je ne sais plus comment il faut prier Dieu même ! », se lamentera mon camarade d’un soir. Cela aurait été beaucoup trop beau. Une victoire tombant à poing nommé, moins d’un an après la fin d’une guerre civile qui ne dit toujours pas son nom. Avec un peu de provocation on se demandera : le méritait-il ? Un peuple se déchirant depuis une décennie méritait-il de se réconcilier-ne serait-ce que quelques minutes- à cause d’un vulgaire ballon rond ?

On s’en serait contenté, oui.

Au lieu de ça : la défaite. Et la gueule de bois, le lendemain.

Au milieu de cette colère et cette déception, une phrase, une seule qui vaille vraiment le coup lors de cette triste soirée. Celle d’un jeune garçon en pleure, que je croise sur les coups de minuit en rentrant chez moi et qui crie : « Je m’en fous. Je m’en fous. Je suis Ivoirien et je suis fier ! ».

C’est ce que j’ai vu à Cocody-Angré, dimanche 12 février 2012, au soir.

Giovanni DJOSSOU