L’Afrique a-t-elle vraiment besoin des fonds souverains étrangers ?

Apparus dans les années 1950 dans les pays du Golfe, les fonds souverains sont des véhicules d’investissement gérés par une entité publique pour investir les réserves de liquidités dont disposent les Etats. Les fonds souverains se sont progressivement vus attribuer une fonction stratégique permettant aux Etats d’exercer leur influence et de sécuriser leur approvisionnement en ressources naturelles grâce à des investissements ciblés, et se tournent depuis les années 1990 vers l’Afrique, qui représente un placement de plus en plus rentable. Un signe qui ne trompe pas : le fonds souverain chinois China Investment Corp. (CIC) a désormais les yeux rivés sur le continent africain, tournant le dos à l’Europe, empêtrée dans ses problèmes économiques. Le directeur de CIC a d’ailleurs indiqué début mai que la Chine ne souhaitait plus acheter des bons du trésor européens, et qu’elle s’intéressait sérieusement aux perspectives d’investissement en Afrique. Le fonds souverain chinois dispose ainsi d’une enveloppe de 50 milliards de dollars à injecter dans des prises de participation dans des entreprises africaines.

CIC n’est pas le seul fonds souverain à s’intéresser aux retours sur investissement prometteurs offerts par les entreprises africaines. Selon une étude publiée par la Banque africaine de développement en décembre 2011 intitulée Africa’s Quest for Development : Can Sovereign Wealth Funds help ?, les fonds souverains pourraient investir jusqu’à 30 milliards de dollars, ce qui représente près de 30% du coût des besoins en infrastructures en Afrique. Pour l’instant, le poids de l’Afrique dans les investissements des fonds souverains reste très faible (moins de 5%). Cette exposition limitée au marché africain s’explique entre autres par les difficultés rencontrées par les fonds pour trouver des cibles correspondant à leurs critères d’investissement. Les informations concernant les entreprises sont rarement publiques, et la taille des tickets est souvent largement inférieure aux montants que les fonds souverains étrangers souhaitent investir. Le fonds souverain chinois peine ainsi à trouver des prises de participations minoritaires à hauteur de 100 millions de dollars en dehors de l’industrie minière. Les données fournies par l’étude de la BAD montrent qu’il existe des disparités au niveau géographique et sectoriel à l’échelle même du continent : les investissements en Afrique sub-saharienne se concentrent essentiellement sur les secteurs des ressources naturelles et de l’industrie, et sont plus importants en volume qu’en Afrique du Nord, qui attire plutôt des prises de participation dans les institutions financières.

Moins procycliques que les fonds souverains africains, les fonds souverains étrangers constituent un réservoir non négligeable d’investissements directs, qui à terme pourraient avoir un impact positif sur la formation du capital humain et donc sur la croissance. Ces fonds misent davantage sur la diversification de leur portefeuille que ne le fond les banques centrales, et peuvent jouer un rôle significatif dans le gap de liquidité du continent. Plus important encore, les fonds souverains ont un horizon d’investissement plus long et un appétit pour le risque plus fort que les investisseurs traditionnels, et pourraient jouer à terme un rôle clé dans le financement des besoins immenses en infrastructures.

Il convient toutefois de ne pas s’enthousiasmer trop rapidement devant la formidable opportunité représentée par les fonds souverains étrangers, dont les investissements s’accompagnent parfois d’externalités négatives plus ou moins gênantes. Ainsi, le volume des futurs investissements pourrait être à l’origine de mouvements spéculatifs avec des impacts significatifs sur la volatilité des marchés financiers africains. Ces investissements sont aussi accompagnés, dans le cas du secteur minier, d’une volonté de captation des ressources au détriment de l’intérêt public. Enfin, la présence des fonds souverains peut décourager la venue d’investisseurs étrangers traditionnels, les Etats africains ne disposant pas d’une législation suffisamment rassurante permettant de réguler et de sécuriser les investissements existants.

A l’heure des incertitudes concernant les flux de capitaux en provenance de l’UE et des Etats-Unis, l’Afrique a tout intérêt à attirer les fonds souverains étrangers des Etats asiatiques et des pays du Golfe. Tout l’enjeu sera de trouver un juste équilibre entre un cadre d’investissement suffisamment attractif pour les fonds souverains et une législation permettant de protéger les intérêts nationaux contre la spéculation et la captation des ressources naturelles, en limitant le pourcentage d’acquisition des entreprises stratégiques et en instaurant une autorité de contrôle qui veillera au respect de la régulation locale.

Leïla Morghad

Source image : http://cartographie.sciences-po.fr/en/finances-fonds-souverains-2008

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