Que savons-nous sur l’économie verte en Afrique ?

Synthèse de nos publications sur le thème du forum green business

couverture 8A partir de la définition donnée par le Programme des Nations Unies pour l’Environnement (PNUE), l’économie verte se caractérise par des activités de production et de consommation impliquant un faible taux d’émission de carbone, l’utilisation rationnelle des ressources et l’inclusion sociale. Pour adapter cette définition très générale au contexte africain, (Kempf 2014) a réalisé une quinzaine d’entretiens auprès d’entrepreneurs locaux au Congo Brazzaville. Ces entrepreneurs sont actifs dans les domaines de la transformation agro-alimentaire, de la gestion des déchets, de l’eau et de la santé.

De ces entretiens, il ressort que les entreprises « vertes » cherchent à mettre en avant des circuits courts de commercialisation (CCC) et des modes de production plus intégrés. Comme le montre l’analyse de (Libog, Lemogo, and Halawa 2013), l’adoption et la vulgarisation des CCC permettrait à coup sûr une réelle revalorisation de la production locale et la rendrait plus compétitive avec l’augmentation des revenus des petits producteurs, une meilleure productivité, l’émergence d’une agriculture respectueuse de l’environnement et le développement des économies régionales et sous-régionales.

Lorsqu’on considère les activités menées par les entrepreneurs « verts », nos analyses montrent qu’il existe de réelles opportunités à saisir dans l’émergence de l’économie verte en Afrique ; en particulier dans l’agriculture biologique et la gestion des déchets.

En effet, selon l’analyse de (Houngbonon 2014), l’Afrique dispose d’énormes atouts dans la production des produits d’agriculture biologique compte tenu de la qualité de ses terres agricoles et de leur disponibilité. Plus spécifiquement, le faible développement de l’agriculture intensive en Afrique implique une faible utilisation des pesticides, ce qui rend les terres agricoles africaines plus appropriées à l’agriculture biologique. De plus, le continent dispose encore d’énormes superficies de terres agricoles non encore exploitées. Par exemple, en 2010, seulement 40% des terres agricoles en Afrique sont cultivées ; cette proportion chute à 25% en Afrique Centrale. Se basant sur ces atouts, il recommande de former les paysans africains à l’agro-écologie et de mettre en place des normes de certification équivalentes aux standards européens et américains.

Dans ces conditions, l’agriculture biologique pourra nourrir l’Afrique à sa faim selon (Morghad 2012). A partir d’une expérience menée en Ethiopie et citée dans une étude de l’Institut du Développement Durable, l’auteure explique comment l’agriculture biologique a permis d’améliorer les rendements agricoles dans une région souffrant de sécheresse et de la désertification. Toutefois, ce rôle clé de l’agriculture biologique risque d’être compromis par les accords de partenariats économiques en cours de signature par la plupart des pays d’Afrique sub-saharienne comme l’a souligné (Halawa 2014)  dans un article sur le sujet. En effet, à partir des résultats de plusieurs études, il relève l’impact négatif que peuvent avoir ces accords sur la diversification des économies africaines et en particulier sur l’agriculture biologique.

Ainsi, la promotion de l’agriculture biologique requiert une réponse globale alliant à la fois l’accès au financement, la formation des agriculteurs, la mise en place des normes de certification et la négociation d’accord commerciaux qui placent l’agriculture biologique au cœur de ses préoccupations.

Quant à la gestion des déchets, (Kempf 2012) se base sur un rapport de la Banque Mondiale qui montre qu’en 2005, l’Afrique ne représentait que 5% de la production mondiale de déchets. Plus de la moitié (57%) de sa production est constituée de déchets organiques, donc valorisables sans trop de difficultés. Bien entendu, la part de l’Afrique dans la production mondiale de déchets est amenée à augmenter avec la croissance économique et démographique ; il en va de même pour la composition des déchets qui deviendra plus complexe. Cette évolution transforme les déchets en  formidable opportunité d’affaires pour les entrepreneurs souhaitant s’engager dans l’économie verte. Cependant, à partir d’entretiens réalisés auprès d’entrepreneurs du secteur, (Kempf 2013) rapporte que la faible structuration de la filière des déchets, et en particulier le peu d’opportunités de valorisation, demeurent l’une des principales difficultés pour relever le défi des déchets africains.

De même, (Madou 2014) montre qu’à Abidjan, la gestion des déchets souffre d’un manque d’efficacité dans l’organisation du secteur. Typiquement, la persistance du secteur informel, le manque de matériel adapté et de formation du personnel, la gestion des décharges publiques sont à l’origine de cette absence d’efficacité. Un développement de l’activité de gestion des déchets passera donc par la revalorisation du service auprès des ménages, le recyclage des déchets, la formation du personnel et une plus forte implication de l’Etat dans l’organisation du secteur, en particulier dans la gestion des décharges publiques. Les PME restent cependant des acteurs clés pour le développement du secteur et son efficacité.

L’émergence d’une économie verte ne saurait enfin se faire sans un accès à l’énergie pour tous, en particulier en milieu rural. Cela est d’autant plus crucial lorsqu’on sait que plus 95% de la population rurale n’a pas accès à l’énergie dans plusieurs pays africains, comme le Bénin, Madagascar, le Niger et la Zambie,  alors même que le développement d’activités nécessitant de l’énergie telles que l’agriculture biologique auraient un très fort impact en milieu rural. La principale raison identifiée par le Club des agences et structures en charge de l’électrification rurale est la difficulté d’accès au financement. Comme l’a souligné (Sinsin 2014), celle-ci est liée à la faible densité de la population dans les zones rurales qui ne favorise pas la rentabilité d’une extension du réseau électrique dans ces zones. A partir de projets tels que l’Expérience EDF, le GERES au Bénin et UpEnergy en Ouganda, Africa Express recommande une formation professionnelle adaptée et une sensibilisation des populations à l’échelle locale, une promotion des énergies locales décentralisées sur toute la filière à l’échelle régionale et enfin une mise en place de législation appropriée à l’échelle nationale pour inciter le secteur privé à investir dans les énergies renouvelables.

En définitive, l’économie verte peut être considérée comme une application concrète, pratique et viable du volet économique du développement durable. Elle présente d’énormes atouts pour l’Afrique et en particulier pour l’Afrique Centrale,  que ce soit dans le domaine de l’agriculture biologique ou de la gestion des déchets. Elle a besoin d’être soutenue par un accès accru aux énergies renouvelables.

Nous en savons actuellement trop peu sur les politiques les plus efficaces à mettre en place pour soutenir l’émergence d’une économie verte en Afrique. Sur ce sujet, L’Afrique des Idées souhaite engager des études plus approfondies pour accompagner les décideurs publics à identifier les réponses les plus appropriées à l’émergence d’une économie verte en Afrique, et en particulier en Afrique Centrale.

 

Georges-Vivien HOUNGBONON

Références :

Halawa, Djamal. 2014. “Quels sont les enjeux des APE pour l’agriculture et l’industrialisation?” L’Afrique Des Idées.

Houngbonon, Georges Vivien. 2014. “L’Afrique peut-elle bénéficier de L’agriculture biologique ?” L’Afrique Des Idées.

Kempf, Véra. 2012. “Comment l’Afrique gère-t-elle ses déchets?” L’Afrique Des Idées.

———. 2013. “Comment mettre en valeur les déchets au Congo?” L’Afrique Des Idées.

———. 2014. “Economie Verte, de quoi parle-t-on ?” L’Afrique Des Idées.

Libog, Charlotte, Jerry Lemogo, and Djamal Halawa. 2013. “Les Circuits Courts de Commercialisation.” L’Afrique Des Idées.

Madou, Stéphane. 2014. “Comment gère-t-on les déchets domestiques à Abidjan?” L’Afrique Des Idées.

Morghad, Leïla. 2012. “L’agriculture biologique permettra-t-elle de nourrir l’Afrique à sa faim?” L’Afrique Des Idées.

Sinsin, Leonide Michael. 2014. “Quels financements pour l’accès à l’énergie en milieu rural?” L’Afrique Des Idées.

Imbaba, du marché aux chameaux au bidonville

imbabaLe quartier d’Imbaba est situé dans le nord-ouest du Caire, faisant face à l’île de Zamalek, et bordé au sud par le quartier d’Agouza. Midan Kit Kat, du nom d’un ancien cabaret flottant sur le Nil, est la place emblématique du quartier et sert à la fois de rond-point et de station de microbus. Historiquement, le quartier abritait un marché aux chameaux , dernière étape pour les marchands qui vendaient leurs chameaux au Caire, après une long périple initié au Soudan. Certains pensent d’ailleurs qu’ « Imbaba » tire son origine de la langue tigrinya, dans laquelle « Embaba » veut dire fleur, à laquelle les marchands pouvaient faire allusion pour décrire l’endroit du bord du Nil.

Peuplé par un million d’habitants, Imbaba est un quartier populaire du Caire qui échappe aux stéréotypes et aux classifications habituels. Dès que l’on entre dans le quartier, on s’étonne des tuk-tuks, indispensables pour se déplacer dans les ruelles sans goudron, qui sillonnent la rue du Soudan, longue de plusieurs kilomètres, à la recherche de clients. Il n’est pas rare d’y croiser certains expatriés, venus regarder un match ou participer à une soirée fondue au Club suisse, situé au bout d’une ruelle d’Imbaba, ou à la recherche d’Al Prince, restaurant égyptien connu dans toute la ville.

Malgré l’animation qui règne dans le quartier et la multitude de petits cafés, difficile d’ignorer l’extrême pauvreté qui se donne à voir : immeubles non terminés, sans-abris dormant en plein jour près du Nil et enfants au travail. Depuis les années 1980, le quartier a été abandonné par les autorités, avec un taux de chômage bien supérieur à la moyenne nationale, et des services publics de piètre qualité : écoles rudimentaires et assainissement inexistant notamment. Progressivement et bien avant la révolution de 2011, le quartier est devenu le fief des Frères musulmans et des salafistes, dont les militants étaient parmi les rares à apporter une aide matérielle aux habitants. En 1992, le groupe islamiste « Gamaa al Islmaiya » décrète le quartier d’Imbaba « émirat islamique », entraînant un siège du quartier par les forces de police qui mirent fin à cette tentative de mini Etat islamique à coups de bulldozers. En janvier 2011, le quartier a été l’un des plus actifs dans la mobilisation contre le régime Moubarak.

Imbaba abrite également une importante communauté copte et une dizaine d’églises, et est parfois le lieu de tensions entre les deux communautés : en 2011, les deux s’affrontent violemment, suite à la conversion d’une femme copte à l’islam et les rumeurs liées à cette conversion.

Deux ans après la révolution, rien ne semble avoir changé à Imbaba, malgré les promesses. L’une des marches du 25 janvier 2013 pour rejoindre la place Tahrir partira d’ailleurs d’Imbaba.

 

Leïla Morghad, billet initialement paru sur son blog : cairoinshallah

crédit photo: Magnum Photos

De la servitude volontaire en Egypte

EgypteLe matin, à l’heure où blanchit la ville et où les nantis dorment encore du sommeil du juste, le petit peuple du Caire s’affaire à Zamalek : les gardiens sortent les 4×4 des résidents de leur immeuble, et l’astiquent soigneusement, d’autres promènent le chien de ceux qui en ont un pour l’afficher sur Facebook, et d’autres encore courent à la boulangerie ramener des croissants frais avant que la patronne n’ouvre l’œil .

Le décalage entre les niveaux de vie au Caire est criant, mais il est d’autant plus indécent qu’il conditionne totalement les mentalités et les comportements sociaux. Un relent de féodalité parfume les rues de la ville, où les pauvres doivent se soumettre à ceux qui les font vivre. Cette déférence est notamment marquée par l’utilisation de titres honorifiques datant de l’occupation ottomane («bacha , effendim), ou encore qui marquent le niveau d’études (ingénieur Untel, docteur Untel) toutes les deux phrases. Le rapport hiérarchique paraît justifier le manque de respect, la rudesse ou même l’humiliation publique de la part des employeurs, qui terrorisent parfois leur personnel de maison. Car un bon patron ici est celui qui se fait respecter. On est parfois surpris par la soumission des employés, soumission qui semble parfois volontaire lorsqu’on assiste à des scènes improbables, où untel tend sa clé de voiture à son gardien afin qu’il la lui démarre ou un autre qui refuse d’aller acheter une bouteille d’eau, parce que vraiment, à quoi cela sert d’avoir des gens de maison s’il faut tout faire soi-même.

Ce mépris social ne s’adresse pas seulement aux personnes que l’on a à son « service », mais également vis-à-vis de tous ceux qui ont une profession jugée inférieure : le serveur à qui l’on parle comme à un demeuré, le gardien de parking à qui l’on tend une pièce avec dégoût, sans compter l’éboueur dont on feint d’ignorer l’existence.

Evidemment, il est facile pour un étranger de s’insurger contre ce racisme de classe, car il faut bien vivre, et endurer son malheur dans une société qui accepte encore que le riche se comporte comme si tout lui était dû. La révolution de janvier 2011 n’a pas mis fin à la servitude volontaire, malheureusement.

Respirez, vous êtes au parc Al Azhar

Coincé au Caire parce que vos amis vous ont laissé tomber pour le weekend Mer Rouge, avec au programme 15 heures de minibus pour 2 heures de plage ? Pas grave, allez donc faire un tour au parc Al Azhar et vous aérer les poumons pour la modique somme de 7 EGP (moins d’un euro).

Le parc Al Azhar, c’est un peu le projet de développement urbain idéal, la success story qu’on aime décrire dans les conférences sur Le Caire et l’urbanisation durable. Selon la légende, l’Aga Khan, en visite au Caire, aurait vu de son balcon la colline Darassa, jonchée d’ordures, au milieu d’un quartier populaire délaissé par les pouvoirs publics et aurait dit : « c’est là où je veux construire mon parc ». Et comme Son Altesse a les moyens de ses ambitions et de la suite dans les idées, le parc a été inauguré 20 ans plus tard, à la suite de travaux colossaux : nettoyage de la décharge, traitement et remblaiement du terrain de 30 hectares, installation de bassins artificiels en sous-sol, entre autres. Les travaux ont permis de mettre au jour une section de l’ancienne muraille ayyoubide de la ville, qui était partiellement enfouie sous les déchets.

Le parc, c’est aussi un beau projet de développement intégré : la fondation Agha Khan ne s’est pas contentée de créer le parc, qui a revalorisé le quartier voisin de Darb Al Ahmar, mais a aussi consacré des fonds pour restaurer les monuments islamiques du quartier. Des dizaines d’habitants ont été embauchés pour construire le parc, et d’autres pour l’entretenir.

Contrairement aux autres parcs du Caire, plutôt populaires, tout le monde se rend à Al Azhar, quelle que soit son origine sociale : le ticket d’entrée à 7 EGP est accessible à tous ou presque, et de nombreuses familles s’offrent cette sortie pendant le weekend. Les familles modestes pique-niquent, et les plus chanceux vont se sustenter aux cafés et restaurants du parc. Dans une ville où les classes sociales se mélangent rarement, le parc est parvenu à attirer des profils différents, et on croise parfois des touristes, qui n’en reviennent pas de pouvoir se promener dans l’indifférence la plus totale.

Plus d’infos sur la genèse du projet ici : http://www.akdn.org/publications/2007_aktc_egypt.pdf

Leïla Morghad

Pourquoi le social business est promis à un bel avenir en Afrique ?

I am proposing to create another kind of business,
based on selflessness that is in all us.I am calling it Social Business
.”
Mohammed Yunus, Pri x Nobel de la Paix et fondateur de la Grameen Bank

Le « social business », ou entrepreneuriat social, peut se décrire brièvement comme étant une entité visant l’autosuffisance, voire la rentabilité en menant une activité à fort impact social ou environnemental. Un social business n’est pas une association mais bien une entreprise, dont l’objectif est de devenir profitable afin de couvrir ses coûts et de rembourser ses actionnaires et ses prêteurs. Un social business se différencie d’une entreprise classique par (i) la nature de son activité, fondée sur un modèle économique se voulant plus juste et (ii) le fait que son but n’est pas de maximiser son profit mais d’atteindre l’équilibre financier, les bénéfices étant souvent réinvestis dans d’autres projets. A l’heure où l’Afrique connaît une explosion de ses besoins économiques et sociaux et où l’aide sans conditionnalité se fait de plus en plus rare, le social business paraît être un relais de croissance incontournable sur le continent pour 5 raisons : 

1) Démarrer un social business est simple et accessible à tous
En se basant sur l’expérience des entrepreneurs africains qui démarrent une activité économique innovante et rentable et au regard de la densité du réseau de PME locales à succès, nombreux sont ceux qui peuvent se lancer dans l’entrepreneuriat social, tant les domaines d’activité sont vastes : éducation, santé, agriculture, énergies renouvelables. Le social business s’adapte à tous les secteurs et aux différents contextes géographiques : chacun peut lancer son entreprise dans son village en démarrant avec un microcrédit, et en faire bénéficier le reste de sa communauté.

2) A long-terme, le social business pourrait permettre à l’Afrique d’être moins dépendante de l’aide
Sans entrer dans le débat sur la souveraineté de l’Afrique, de nombreux Etats sont aujourd’hui sous perfusion financière, et certaines populations dépendent souvent de l’activité des ONG locales. Le social business vise le même impact économique et social que les projets des ONG, mais se veut entièrement auto-suffisant (pas de dons) et rentable : il n’est pas possible de s’endetter pour un projet sans la certitude qu’on pourra rembourser. Les idées irréalisables sont mises de côté, car ce sont les bénéfices réalisés qui permettent de se lancer dans de nouveaux projets. 

3) Le social business a prouvé la soutenabilité de son modèle économique sur d’autres continents
D’abord apparu en Inde et développé par la banque Grameen, le social business s’est peu à peu diffusé sur le continent asiatique. En Europe, le concept a vu sa popularité grandir et est maintenant reconnu comme une forme d’entrepreneuriat viable et à fort impact. Plusieurs universités européennes ont inauguré des chaires dédiées à l’entrepreneuriat social, et les projets se multiplient. Aux Etats-Unis, le secteur de l’entrepreneuriat social représente déjà des investissements de près de 120 milliards de dollars. 

4) Le social business en Afrique est en voie d’institutionnalisation
En 2011, un fonds d’investissement sud-africain, Nexii, a lancé la première plateforme d’investissement spécifiquement dédiée aux projets de social business. Les investisseurs peuvent ainsi financier directement, via une sorte de plateforme boursière, les projets qui les intéressent en trois devises différentes : euro, dollar ou livres sterling. Ce type de structure boursière devrait également permettre une meilleure transparence pour les investisseurs et faciliter les contacts entre financiers et entrepreneurs. Les multinationales s’impliquent également de plus en plus, comme elles le font en Asie, motivées par l’obtention de crédits carbones. 

5) Les entrepreneurs africains n’ont pas attendu l’invention du concept de social business pour se lancer
De nombreux projets à fort impact social lancés par des entrepreneurs africains ont connu un franc succès , et correspondent a posteriori au concept de « social business ». Au Sénégal, on peut citer la Laiterie du Berger, coopérative qui achète du lait auprès d’éleveurs peuls à des prix équitables, et le revend ensuite à la clientèle aisée de Dakar. Elle garantit ainsi un débouché stable aux producteurs, et reste rentable car ses produits sont très prisés par certains consommateurs urbains. 

En alliant autosuffisance et fort impact social, le social business est un modèle de plus en plus attractif auprès de la jeune génération d’entrepreneurs africains, désireux de monter des projets rentables et profitables aux communautés locales. Le principal défi reste la sécurisation du financement de ces projets, qui n’ont souvent accès qu’à des microcrédits pour démarrer.

 

Leïla Morghad

Bienvenue au Club

Le club de sport au Caire (« el nadi »), c’est bien plus qu’un complexe sportif où on peut s’adonner à son sport préféré. Dans une société où les appartenances sociales sont assumées et revendiquées, le club représente un lieu de socialisation où on est enfin entre soi, où on passe son temps dans un espace clos, et pourtant en plein cœur du Caire.

Depuis la fin du 19ème siècle et la création du premier club, celui du Gezira sur l’île de Zamalek, ces lieux représentent pour la bourgeoisie égyptienne des espaces de socialisation protégés, où le sport n’est qu’un prétexte pour se retrouver entre gens « de bonne famille ». Un club au Caire, c’est une sorte de ghetto miniature où on peut y passer la journée sans s’aventurer en dehors des grilles, car l’heureux membre a à sa disposition tous les services dont il a besoin : restaurants, cafés et même coiffeur.

Comment faire partie d’un club et pouvoir glisser avec une fierté à peine dissimulée au détour de sa conversation avec un client ou un collègue « ce matin, je faisais comme d’habitude mon jogging au club et… » ? Première solution : avoir la chance d’être né dans une famille aisée, membre du club depuis des générations et qui a juste à renouveler tous les ans pour une somme raisonnable sa cotisation et payer des sommes dérisoires pour les extras (location des courts de tennis, salle de gym etc). Deuxième solution : patienter gentiment sur la liste d’attente du club plusieurs années, puis verser un droit d’entrée exhorbitant (20 000 euros) pour entrer dans le saint des saints. Une adhésion à vie, ça se mérite. Troisième solution : être un résident étranger, et s’acquitter de plus d’une centaine d’euros par mois pour avoir le droit de fouler la pelouse du club, et payer ensuite pour toutes les activités supplémentaires. On n’est alors que membre temporaire du club, et accessoirement une vache à lait pour renflouer la trésorerie de ce dernier.

Si vous n’êtes pas membre du club, vous pouvez toujours acheter un ticket à la journée qui vous donne juste le droit d’entrer et sans accès aux équipements, à un prix suffisamment dissuasif pour les curieux ou les touristes d’un jour.

Que fait-on au club ? Tout. On s’y promène, on marche (ne pas s’étonner si certains marchent en tenue de sport sur la piste de course), on nage, on mange et surtout on discute. Pour les collégiens et les lycéens, c’est une des rares occasions où on peut s’éloigner des parents pour passer du temps entre « jeunes », pendant que les familles discutent. C’est aussi une formidable opportunité pour réseauter et faire des affaires : dans une atmosphère plutôt décontractée, on échange son avis sur les dernières transactions financière, la situation économique du pays, et on étoffe son carnet de contacts.

Le Caire compte 4 clubs principaux: le Gezira à Zamalek, le Shooting Club à Mohandessin, et ceux de Maadi et Heliopolis. L’adhésion à un club fait partie des composantes du statut social des familles, et s’affiche au même titre que les biens matériels et le train de vie. Quand une famille déménage dans un autre quartier de la capitale, il est rare qu’elle abandonne son adhésion, qui se transmet de génération en génération comme un précieux héritage.

Leïla Morghad

Un balcon sur le Nil

Habiter sur une péniche au Caire, c’est souvent le rêve ultime de tout expat’ désireux de mener une vie de bohème paisible et de s’isoler un peu du vacarme ambiant et de la pollution. Oui, mais seulement voilà, derrière la vision idyllique d’une vie sur le Nil, se cache la réalité quotidienne.

La plupart des péniches au Caire se situent près de la place Kit Kat, à Imbaba. La place étant accessoirement une station de minibus, le niveau de décibel rivalise avec celui de l’aéroport, sans compter que le trafic sur la corniche est toujours dense, sauf bien sûr le vendredi matin. Imbaba est un quartier populaire du Caire, qui fait face à Zamalek, île bourgeoise où se concentrent ambassades, expatriés, et familles égyptiennes fortunées. Le Nil sépare donc ces deux zones bien différentes, et c’est côté Imbaba que sont amarrées une dizaine de péniches. Ces dernières sont dans un plus ou moins bon état, selon le bon vouloir du propriétaire.Certaines péniches sont fraîchement repeintes, meublées avec goût, avec parquet et joli balcon, d’autres sont plus rustiques, et rafistolées avec des planches en bois. Une des péniches a d’ailleurs brûlé l’année dernière. Maalesh (pas grave), l’étage vient d’être reconstruit, avec de jolies planches. Ces péniches, « awamat » en arabe, sont en fait dépourvues de moteur, et disposent de toutes les commodités de la vie moderne: électricité, eau courante, téléphone fixe et satellite TV. Seule la bonbonne de gaz dénote la différence avec un appartement “en dur”.

Parmi les joies de la vie sur une péniche, outre la vue incroyable sur le Nil, on peut citer l’impression de tranquillité et la sensation d’être en dehors de la ville, un sentiment d’évasion bien agréable dans cette ville polluée et bruyante. En revanche, les désagréments sont tout aussi nombreux: une chaleur étouffante l’été (climatiser une péniche est aussi efficace que climatiser son balcon), la visite de nombreuses bestioles indésirables (cafards, fourmis géantes, rats, lézards, moustiques) et puis un léger sentiment d’insécurité: rien de plus facile que de cambrioler une péniche en venant du Nil !

Les péniches étaient initialement habitées par des intellectuels ou des artistes, désireux de mener une vie plus libre et de s’affranchir du regard moralisateur de la société. Elles abritaient aussi des cabarets au début du 20ème siècle (dont le célèbre cabaret Kit Kat, qui a donné son nom à la place) et d’autres lieux de débauche. L’écrivain égyptien Naguib Mahfouz décrit d’ailleurs cette ambiance dans son roman Dérive sur le Nil. Progressivement, crise du logement au Caire oblige, les péniches ont été habitées par des familles désireuses de trouver un logement plus abordables. L’engouement des étrangers pour ce type de logement exotique a fait flamber les prix, et la quasi totalité des péniches de Kit Kit sont désormais habitées par des Européens ou Américains en quête d’un logement original.

Malgré tous les désagréments du quotidien, vivre sur une péniche, ne serait-ce que quelques semaines, reste une expérience unique, d’autant que les péniches disponibles se font très rares.

Leïla Morghad

Vous pouvez suivre les pérégrinations de Leïla au Caire sur son blog : cairoinshallah

Pourquoi le redémarrage économique de la Tunisie se fait-il encore attendre ?

Il y a quelques jours, une grande manifestation avait lieu à Sidi Bouzid, où la révolution avait démarré en 2011. Parmi les revendications, les problèmes économiques étaient en bonne place : chômage, pauvreté et absence de politique de développement économique. Au même moment, le FMI publiait son nouveau rapport sur la stabilité du système financier tunisien. Le rapport souligne la faiblesse de l’économie nationale, et la fragilité de l’équilibre financier, après des années sans supervision financière rigoureuse.

La Tunisie, après une transition politique sur le point de s’achever, doit maintenant s’atteler à des chantiers colossaux : la création d’emplois, en particulier pour les jeunes, le soutien à l’investissement privé et le développement des régions intérieures qui ont été délaissées  par le régime précédent. Conséquence de la révolution de 2011, le PIB tunisien aurait reculé de 1,8% en 2011, selon les estimations du FMI. Les principaux facteurs de cette contraction ont été la forte chute de la fréquentation touristique (-30%) et l’effondrement des investissements directs étrangers (-20%). Le chômage a fortement augmenté, conséquence du ralentissement économique et du retour des travailleurs tunisiens qui travaillaient en Libye, atteignant 19% de la population active, et plus de 40% des jeunes. Les prévisions du FMI tablent sur une croissance de 2% en 2012, soit nettement moins que la moyenne de 4-5% enregistrée par la Tunisie de 2000 à 2010. Pour relancer la croissance, plusieurs défis économiques devront être relevés.

1) La réforme du secteur bancaire

Le secteur bancaire représente l’une des principales vulnérabilités du système financier tunisien. Alors que le précédent rapport de stabilité financière du FMI paru en 2006 recommandait au gouvernement tunisien de réformer le secteur en profondeur, rien n’a été fait par le précédent régime. Le rapport 2006 préconisait notamment de réformer les banques publiques en améliorant la gestion du risque de crédit, via la notation des contreparties, et de mettre en place un système de restructuration des créances douteuses. L’inaction du gouvernement précédent s’est traduite par un accroissement du risque de crédit et la nécessité d’augmenter le taux de provisionnement, ce qui a impacté négativement le niveau de capitalisation des banques publiques. A cet égard, le FMI recommande dans son rapport d’augmenter le ratio de solvabilité minimum de 8 à 10%. Une meilleure évaluation du risque est également essentielle : à fin 2011, le niveau officiel des prêts non performants était de 13%, auquel il convient d’ajouter 5% de crédits « rééchelonnées » suite à la révolution de 2011. Il faudra aussi prendre en compte des créances publiques, supposées être garanties par l’Etat, dans l’évaluation des risques. Le gouvernement tunisien actuel a d’ores et déjà renforcé la supervision bancaire et redéployé les effectifs selon les besoins, mais des efforts importants restent à faire.

 2) La maîtrise du risque de liquidité

La Banque centrale tunisienne (BCT) a jusqu’à présent contenu le risque de liquidité des banques  en injectant régulièrement des liquidités, ce qui a permis aux banques de ne pas recourir à des financements extérieurs pour pouvoir octroyer des crédits, qui ont fortement progressé en 2011. Les tests de liquidité ont montré que les banques sont dépendantes du refinancement  de la BCT, et seraient fragilisées en cas d’un retrait massif des dépôts par les clients. Les multiples injections de la BCT ont en outre fait diminuer les réserves de change du pays, ce qui n’est pas tenable à moyen-long terme. Le ratio crédit/PIB a ainsi atteint 70% en 2011 (contre 60% en 2006), et la hausse du volume des crédits a entraîné une accélération de l’inflation. Le FMI recommande donc que la BCT développe le marché interbancaire en relevant le coût de refinancement, afin de diminuer ses injections de liquidité et maintenir un niveau de réserves en devise acceptable.

 3) La relance des secteurs moteur de l’économie : IDE et tourisme

 Afin de relancer l’investissement direct étranger dont la Tunisie a besoin, une réforme des marchés de capitaux est indispensable. Les rendements incertains du marché obligataire et du marché actions freinent actuellement les investisseurs, ce qui s’est traduit par un repli des IDE en 2011 (0,9% du PIB) contre 3% du PIB en 2010 (données FMI). Comme le montre un rapport publié par la Banque africaine de développement intitulé Tunisie : Défis Economiques et Sociaux Post-révolution paru en 2012, le pays ne dispose pas de mécanismes juridiques incitatifs pour attirer des types d’investissements tels que les joint-ventures, les fusions-acquisitions transfrontalières, ou encore l’expansion géographique d’une société étrangère. Seuls les investissements liés à une délocalisation sont aujourd’hui facilités. La promotion des IDE doit également s’accompagner d’une incitation au transfert de connaissances et à l’innovation industrielle au niveau local, via des mesures fiscales par exemple.

Un deuxième relai de croissance de l’économie tunisienne est le secteur touristique, qui s’est effondré en 2011 (recettes en baisse de 40%), en raison de l’instabilité politique. Les difficultés du secteur ont eu un impact significatif sur l’emploi, mais ont aussi participé à la dégradation du portefeuille de prêts et de garanties des banques publiques tunisiennes, très exposées à ce secteur. L’enjeu consistera à encourager une montée en gamme progressive du tourisme tunisien, jusqu’à présent avec un positionnement low-cost, afin d’augmenter les recettes touristiques, à l’instar de ce qu’à fait le Maroc avec succès.

 Le potentiel de l’économie tunisienne est indéniable, mais des réformes structurelles sont indispensables pour assurer une stabilité financière durable et retrouver la confiance des investisseurs étrangers. Les prévisions de croissance pour les prochaines années sont encourageantes, reste à savoir si le contexte politique permettra ce redémarrage économique tant attendu.

Leïla Morghad

Taxi ? Taxi ! Retour sur une success story au Caire

Au Caire, impossible de les éviter. Khaled Khamissi en a même fait un livre intitulé « Taxi » paru en 2009, où il relate les conversations qu’il a eues avec les chauffeurs de taxi lors de ses déplacements quotidiens. Seulement voilà, à cause (entre autres) des quelques 50 000 taxis qui circulent dans le Grand Caire, l’atmosphère  était devenue irrespirable. L’Etat a alors lancé un ambitieux programme de remplacement de taxis, appuyé par les bailleurs de fonds. Retour sur les différentes phases du projet et premières conclusions.

En 2008, est lancé le Plan national de remplacement de Taxis en Egypte. La ville qui sera désignée pour le projet pilote est l’agglomération du Caire, où les véhicules de transport urbain sont responsables de près de 90% des émissions au monoxyde de carbone. Plusieurs bailleurs de fonds soutiennent alors le projet : la Banque africaine de développement (BAD), la Banque mondiale, l’agence de développement japonaise JAICA , l’Union européenne, ainsi que des fonds du Golfe. Il était urgent d’agir : la pollution au Caire devenait maximale, le nombre de véhicules étant en constante augmentation et plus prosaïquement, la productivité des travailleurs était impactée négativement , avec des temps de transport atteignant souvent deux heures par jour.

La première phase du projet  a consisté à remplacer les taxis du Caire datant de plus de 20 ans par des véhicules neufs. Le parc de taxis est en effet ancien en Egypte, avec une ancienneté moyenne de 32 ans, et plus de 60% des véhicules qui ont plus de 22 ans. Les chauffeurs de taxi, sur la base du volontariat, ont pu acquérir un nouveau véhicule avec une réduction de 25% sur le prix habituel et bénéficier d’une subvention publique et d’exonération de taxes. Un microcrédit de 7000 € à un taux raisonnable (7%) était proposé pour convaincre les plus réticents. L’objectif affiché était de remplacer près de 45 000 taxis  sur une période de 28 ans.  L’opération a été un succès : en 2009, près de 16 000 nouveaux véhicules avaient été livrés, et les données parlent d’elles-mêmes : réduction de 57 000 tonnes de CO2 et 30% d’économies d’essence. Lors de la deuxième phase du projet, 30 000 véhicules vont être remplacés, pour répondre à une forte demande, stimulée par des conditions d’accès au crédit très incitatives.

Au-delà des impacts directs et visibles de tous comme la réduction de la pollution et l’amélioration du trafic,  le projet comporte également des impacts indirects significatifs sur le long terme. La population ciblée est non seulement les chauffeurs de taxi eux-mêmes, mais aussi et surtout leurs familles, et les propriétaires des taxis possédant des véhicules de plus de 20 ans d’âge, dont au moins la moitié sont des femmes.  Les estimations de la BAD faisaient état d’une hausse du revenu moyen de 40% à l’issue du projet  grâce aux économies d’essence réalisées , à l’usage de gaz naturel au lieu d’essence, et à la baisse des frais d’entretien du véhicule. Le projet visait également à créer des emplois grâce au recyclage des anciens véhicules par des filières locales, mais également grâce à la construction des nouveaux véhicules : embauche d’ouvriers sur les sites de montage automobile, chez les fournisseurs de pièces détachées et chez les garagistes .

Au niveau des financements, le coût total du projet se chiffre à 270 millions de dollars. La BAD a contribué à hauteur de 90 millions de dollars via un prêt, le reste étant financé par le gouvernement Egyptien. Les prêts aux propriétaires de taxi sont octroyés par la Banque Sociale Nasser, une banque publique égyptienne. La subvention versée par l’Etat (660 €) à chaque propriétaire participant au programme doit être impérativement utilisée comme acompte du prêt, et afin de dissuader emprunteurs de ne pas honorer leur dette, la banque reste propriétaire du véhicule jusqu’au remboursement complet du prêt.

S’il est encore tôt pour dresser un bilan définitif du projet, force est de constater que ce méga projet  a tenu ses promesses en termes de véhicules remplacés  et de réduction de la pollution urbaine. Il suffit de se promener dans les rues du Caire pour constater que la plupart des anciens taxis, noir et blanc, omniprésents il y 5 ans, sont désormais en minorité. Les passagers des taxis ont également gagné en tranquillité : les nouveaux taxis blancs sont tous équipés d’un compteur , qui s’il n’est pas trafiqué et que le chauffeur accepte de l’enclencher, évite de négocier le prix de la course à l’infini.

Evidemment, la pollution du Caire n’a pas disparu, alimentée par les millions de véhicules qui parcourent la ville quotidiennement. Mais un projet d’une telle ampleur montre qu’il est possible d’agir à grande échelle et durablement : le projet sera d’ailleurs dupliqué à Alexandrie, deuxième ville du pays, et d’autres pays arabes (Maroc, Yemen) ont fait part de leur intérêt vis-à-vis d’une initiative de ce genre. D’autres projets de ce type sont actuellement en cours en Egypte, comme le remplacement de la flotte des bus publics. Le président élu cette semaine, qui avait fait des embouteillages au Caire un de ces axes de campagne, devra honorer ses promesses.

 Leïla Morghad

L’Afrique a-t-elle vraiment besoin des fonds souverains étrangers ?

Apparus dans les années 1950 dans les pays du Golfe, les fonds souverains sont des véhicules d’investissement gérés par une entité publique pour investir les réserves de liquidités dont disposent les Etats. Les fonds souverains se sont progressivement vus attribuer une fonction stratégique permettant aux Etats d’exercer leur influence et de sécuriser leur approvisionnement en ressources naturelles grâce à des investissements ciblés, et se tournent depuis les années 1990 vers l’Afrique, qui représente un placement de plus en plus rentable. Un signe qui ne trompe pas : le fonds souverain chinois China Investment Corp. (CIC) a désormais les yeux rivés sur le continent africain, tournant le dos à l’Europe, empêtrée dans ses problèmes économiques. Le directeur de CIC a d’ailleurs indiqué début mai que la Chine ne souhaitait plus acheter des bons du trésor européens, et qu’elle s’intéressait sérieusement aux perspectives d’investissement en Afrique. Le fonds souverain chinois dispose ainsi d’une enveloppe de 50 milliards de dollars à injecter dans des prises de participation dans des entreprises africaines.

CIC n’est pas le seul fonds souverain à s’intéresser aux retours sur investissement prometteurs offerts par les entreprises africaines. Selon une étude publiée par la Banque africaine de développement en décembre 2011 intitulée Africa’s Quest for Development : Can Sovereign Wealth Funds help ?, les fonds souverains pourraient investir jusqu’à 30 milliards de dollars, ce qui représente près de 30% du coût des besoins en infrastructures en Afrique. Pour l’instant, le poids de l’Afrique dans les investissements des fonds souverains reste très faible (moins de 5%). Cette exposition limitée au marché africain s’explique entre autres par les difficultés rencontrées par les fonds pour trouver des cibles correspondant à leurs critères d’investissement. Les informations concernant les entreprises sont rarement publiques, et la taille des tickets est souvent largement inférieure aux montants que les fonds souverains étrangers souhaitent investir. Le fonds souverain chinois peine ainsi à trouver des prises de participations minoritaires à hauteur de 100 millions de dollars en dehors de l’industrie minière. Les données fournies par l’étude de la BAD montrent qu’il existe des disparités au niveau géographique et sectoriel à l’échelle même du continent : les investissements en Afrique sub-saharienne se concentrent essentiellement sur les secteurs des ressources naturelles et de l’industrie, et sont plus importants en volume qu’en Afrique du Nord, qui attire plutôt des prises de participation dans les institutions financières.

Moins procycliques que les fonds souverains africains, les fonds souverains étrangers constituent un réservoir non négligeable d’investissements directs, qui à terme pourraient avoir un impact positif sur la formation du capital humain et donc sur la croissance. Ces fonds misent davantage sur la diversification de leur portefeuille que ne le fond les banques centrales, et peuvent jouer un rôle significatif dans le gap de liquidité du continent. Plus important encore, les fonds souverains ont un horizon d’investissement plus long et un appétit pour le risque plus fort que les investisseurs traditionnels, et pourraient jouer à terme un rôle clé dans le financement des besoins immenses en infrastructures.

Il convient toutefois de ne pas s’enthousiasmer trop rapidement devant la formidable opportunité représentée par les fonds souverains étrangers, dont les investissements s’accompagnent parfois d’externalités négatives plus ou moins gênantes. Ainsi, le volume des futurs investissements pourrait être à l’origine de mouvements spéculatifs avec des impacts significatifs sur la volatilité des marchés financiers africains. Ces investissements sont aussi accompagnés, dans le cas du secteur minier, d’une volonté de captation des ressources au détriment de l’intérêt public. Enfin, la présence des fonds souverains peut décourager la venue d’investisseurs étrangers traditionnels, les Etats africains ne disposant pas d’une législation suffisamment rassurante permettant de réguler et de sécuriser les investissements existants.

A l’heure des incertitudes concernant les flux de capitaux en provenance de l’UE et des Etats-Unis, l’Afrique a tout intérêt à attirer les fonds souverains étrangers des Etats asiatiques et des pays du Golfe. Tout l’enjeu sera de trouver un juste équilibre entre un cadre d’investissement suffisamment attractif pour les fonds souverains et une législation permettant de protéger les intérêts nationaux contre la spéculation et la captation des ressources naturelles, en limitant le pourcentage d’acquisition des entreprises stratégiques et en instaurant une autorité de contrôle qui veillera au respect de la régulation locale.

Leïla Morghad

Source image : http://cartographie.sciences-po.fr/en/finances-fonds-souverains-2008

Le défi africain des leaders mondiaux de la grande distribution

Les grands groupes de distribution internationaux peinent à pérenniser leur présence sur le continent,  confrontés à un cadre institutionnel fluctuant et aux habitudes de consommation des consommateurs africains qui n’évoluent pas toujours aussi vite que leur pouvoir d’achat.

En juin 2011, le géant américain Walmart faisait l’acquisition de 51% du capital de Massmart, leader de la grande distribution en Afrique du Sud, pour un montant de 2,4 milliards de dollars. La courbe d’apprentissage des méthodes à succès de Walmart risque d’être longue pour la chaîne sud-africaine, dont les résultats financiers des dernières années étaient plutôt décevants, avec des marges commerciales en repli malgré une hausse des ventes . Depuis la prise de participation de Walmart, Massmart a pourtant mis en place un plan de développement ambitieux, multiplie les ouvertures de magasins et envisage même de se développer au Nigéria.

La prise de participation de Walmart illustre bien la difficulté qu’ont les leaders mondiaux de la grande distribution pour s’implanter durablement sur le marché africain : il s’agit de comprendre la spécificité de la demande locale et de s’adapter à un contexte institutionnel plutôt changeant dans la plupart des Etats du continent. Les grands groupes de distribution internationaux peinent à pérenniser leur présence en Afrique, confrontés à un cadre institutionnel peu incitatif (lenteurs des procédures administratives liées à l’installation, financement local peu développé et accès au foncier limité) et à la difficulté de trouver  des partenaires locaux fiables.

Depuis les années 2000, l’Afrique est pourtant très convoitée par les principaux acteurs de la grande distribution, qui souhaitent explorer les marchés émergents à la recherche de relais de croissance face à l’atonie des marchés européens et américains. Les indicateurs économiques africains sont d’ailleurs au beau fixe, et le boom de la consommation des classes moyennes que l’on avait prédit est bien au rendez-vous : la progression de la demande en biens de consommation courante est alimentée par une forte hausse du taux d’urbanisation du continent et une montée en puissance d’une classe moyenne désireuse d’accéder à la société de consommation. Selon les estimations de The Economist Intelligent Unit (EIU) dans son étude Africa : open for business, les 18 plus grandes villes du continent pourraient avoir un pouvoir d’achat cumulé de 1,3 trillions de dollars d’ici à 2030, et 63% de la population africaine sera urbaine d’ici à 2050.

La spécificité du marché africain de la grande distribution réside dans la multiplicité des segments de consommateurs, et la nécessité de pratiquer des actions de marketing différenciées selon la cible des clients visés. Le segment de la classe moyenne africaine à fort pouvoir d’achat (upper middle classes) dont le niveau de vie équivaut à celui des classes moyennes des pays émergents comme la Chine ou l’Inde est en effet à distinguer de la catégorie des classes moyennes à revenu plus modeste (low-middle classes) qui privilégieront les biens de consommation courants aux achats de services.

Certains leaders mondiaux de la grande distribution visent ainsi la frange la plus aisée des classes moyennes du continent sur des marchés plutôt matures, comme c’est le cas de Carrefour au Maghreb. Neuf ans après une brève installation au Maroc, le groupe Carrefour revient s’implanter sur le territoire via  une franchise avec le distributeur Label Vie, en se positionnant sur l’exploitation de grandes surfaces et une offre de produits plutôt premium.

D’autres acteurs phares de la grande distribution ciblent plutôt plusieurs segments de clientèles, en ouvrant différentes chaînes de magasins au marketing savamment étudié, comme Walmart en Afrique du Sud.  Le distributeur américain cible à la fois les revenus modestes avec sa chaîne Cambridge Food, et les classes moyennes avec les hypermarchés Makro, et envisage même de se développer dans la sous-région. Le groupe nééerlandais SPAR est également bien installé en Afrique du Sud, et approvisionne aussi ses franchises dans les pays voisins , notamment  la Zambie et le Bostwana .

Toutefois, la rentabilité des surfaces opérées par les acteurs de la grande distribution n’est pas toujours à la hauteur des prévisions, et les fermetures d’hypermarchés ne sont pas rares. Le groupe Carrefour a ainsi essuyé un échec en Algérie et a dû fermer ses magasins six ans après son installation, faute d’avoir pu s’imposer face aux petites surfaces locales et d’avoir maîtrisé son approvisionnement.

Le dynamisme du secteur de la grande distribution au Maroc et en Afrique du Sud ne doit donc pas faire oublier le fait que les leaders mondiaux de la grande distribution opèrent en Afrique dans un contexte incertain, où les habitudes de consommation n’évoluent pas aussi vite que le pouvoir d’achat des consommateurs et où le cadre institutionnel demeure très fluctuant.  La remise en cause de la prise de participation de Walmart dans Massmart la semaine dernière par la justice sud africaine en est un exemple.

Leïla M.

Doit-on redouter la privatisation de l’éducation en Afrique ?

Les systèmes éducatifs africains sont souvent victimes d’un sous-financement chronique, tandis que l’enseignement privé, en plein essor, attire de plus en plus les investisseurs privés.

« Si vous trouvez que l’éducation coûte cher, essayez l’ignorance », disait Derek Bok, qui fut un temps président de l’université d’Harvard. L’éducation a pourtant un coût non neutre dans les dépenses publiques, et ce en particulier pour les pays en développement. Dans la majorité des pays africains, la hausse de la demande en matière d’éducation dépasse  le niveau de services que les  Etats peuvent fournir à leurs citoyens. L’investissement privé apparaît alors comme une source de financement indispensable pour un secteur dont l’impact en termes de développement économique n’est plus à démontrer.

Les systèmes éducatifs africains sont souvent victimes d’un sous-financement chronique, et le niveau des ressources publiques allouées à l’éducation primaire et secondaire est caractérisé par une forte inégalité à l’intérieur même des Etats. Les investissements publics au niveau de l’éducation primaire, qui permettent de scolariser de nouveaux élèves, ne sont pas suivis d’un soutien à l’éducation secondaire, ce qui aboutit à un goulot d’étranglement au niveau du système d’enseignement secondaire. Ce dernier est alors incapable de faire face à l’augmentation du nombre d’élèves. Les aides de l’Etat destinées aux élèves (bourses d’études, prêts) sont quant à elles insuffisantes. Avec la montée en puissance des classes moyennes africaines, l’enseignement privé est en plein essor, bénéficiant ainsi de la hausse du de la part du budget des ménages allouée à l’éducation des enfants. Ainsi, au Kenya, ou au Nigeria, le taux d’élèves scolarisés dans les écoles privées peut atteindre jusqu’à 40%. Les établissements privés sont par conséquent à la recherche de financements privés pour assurer un niveau de services en adéquation avec les frais de scolarité demandés aux parents.

Le recours au financement privé dans le domaine de l’éducation a été acté dès la Conférence des Ministères de l’Education de Durban, à la fin des années 1990, comme le rappelle une étude de l’Unesco sur l’éducation privée en Afrique sub-saharienne. La hausse des frais de scolarités des écoles privées et leur attractivité croissante auprès des familles a fortement accru la rentabilité des investissements dans l’éducation privée. En pratique, les institutions éducatives privées se financent auprès des établissements bancaires, ou bénéficient de l’injection de capitaux propres par des investisseurs privés, souvent des fonds de private equity. Ainsi, en août 2011, le fonds Fanisi Capital a racheté l’école privée Hillcrest au Kenya, via un investissement s’élevant à plusieurs millions de dollars. Le marché du private equity africain semble considérer l’éducation privée comme un secteur porteur, et les opportunités d’investissement sont susceptibles de se multiplier dans les années à venir :  avec d’importants besoins en infrastructures éducatives et en systèmes d’information adaptés, les écoles privées ont un besoin croissant de liquidité. L’éducation est également un secteur peu impacté par la conjoncture économique, ce qui contribue à améliorer le rapport risque/rentabilité.

Les bailleurs internationaux ont bien anticipé les besoins du secteur de l’éducation privée, en proposant des investissements directs ou via les banques locales. On peut ainsi citer le programme de la SFI (IFC en anglais) intitulé « Africa Schools Program », qui vise à la fois à conseiller les écoles privées sur la qualité de leur offre éducative, et à leur faciliter l’obtention de prêts auprès des banques locales.

La privatisation croissante du système éducatif africain pourrait donc entraîner une réelle amélioration de la qualité des services éducatifs. Loin d’un système à deux vitesses  aboutissant à la dégradation de l’enseignement public et un afflux massif vers l’éducation privée, il s’agirait de créer une véritable complémentarité entre les deux secteurs. L’éducation privée, stimulée par une obligation de réussite résultant de la concurrence croissante entre les établissements privés, serait ainsi incitée à optimiser l’adéquation entre l’offre éducative et les besoins du marché du travail. L’Etat disposerait alors de plus de ressources à allouer à l’éducation publique. Toutefois, le processus de privatisation de l’éducation en Afrique devra  inévitablement s’accompagner d’une régulation publique efficace, veillant entre autres au respect des programmes scolaires, à la qualification des enseignants et aux dérives liées à des écoles entièrement tournées vers le profit.

Leila M.  

L’Afrique a-t-elle peur de la page blanche?

Lecteurs peu nombreux, prix élevés des livres, politiques publiques de promotion du livre quasi inexistantes : de nombreux freins au développement de l’industrie du livre africain subsistent. Ce déclin n’est pourtant pas inévitable et représente un réel potentiel économique pour le continent.

En Afrique du Sud, la célèbre librairie Boekehuis va fermer ses portes à la fin du mois (source AFP). La « maison des livres » est pourtant l’une des librairies les plus fréquentées de Johannesbourg, mais n’a jamais été rentable selon son propriétaire. Le cas de cette librairie est assez emblématique de la situation de l’industrie du livre en Afrique, qui peine à conquérir des lecteurs.

Les freins économiques au développement de l’industrie du livre sur le continent sont nombreux, le premier étant évidemment le faible pouvoir d’achat du lecteur moyen, qui une fois les dépenses essentielles effectuées, ne dispose que d’un budget limité pour acheter des livres. Du fait de la faiblesse des tirages lancés par les maisons d’édition africaines, le prix à l’unité d’un livre reste très élevé, et ce même pour les classes moyennes. En Afrique du Sud, un livre de poche coûte environ 10 euros, alors que les salaires les plus modestes atteignent à peine 300 euros. Seuls quelques best-sellers permettent à une maison d’édition de faire un retour sur investissement convenable, ce qui ne permet pas à cette dernière de s’orienter vers une baisse des prix. Au-delà du manque d’investissements des grands groupes internationaux dans l’édition africaine, l’industrie est confrontée au taux d’analphabétisme élevé de certains Etats africains, et surtout à la pénurie de librairies et de bibliothèques. On peut d’ailleurs s’interroger sur les causes du fossé entre le nombre d’écoles et et le nombre de bibliothèques, relativement faible, sur le continent. Dans les années 1960, les bibliothèques ont principalement été créées par les représentations diplomatiques étrangères dans le cadre de leur politique culturelle, via les centres et les instituts culturels. Ces bibliothèques sont toujours ouvertes aujourd’hui et rencontrent un certain succès auprès des lecteurs francophones ou anglophones, les pays africains n’ayant que peu investi dans des infrastructures culturelles alternatives.

L’Afrique du Sud est pourtant, avec le Nigéria, le pays où l’industrie du livre est la plus dynamique, avec des maisons d’édition qui publient les auteurs nationaux. Les deux pays ont bien résisté à la crise internationale avec le maintien des ventes de livres à un niveau relativement stable, et l’industrie a bénéficié du développment du commerce sur Internet et du livre électronique. Toutefois les livres vendus sont majoritairement des livres de langue anglaise, directement importés du Royaume-Uni ou des Etats-Unis. 

En Afrique francophone, le constat est moins encourageant, avec une production nationale très limitée, et un faible intérêt de l’Etat pour valoriser le secteur de l’édition, les taxes sur les livres étant souvent élevées. Le principal débouché des maisons d’édition locales, le livre scolaire est même de plus en plus trusté par les éditeurs européens, capables d’offrir des tirages élevés dans des délais serrés et disposant des ressources financières nécessaires pour pré-financer les commandes des Etats africains. La plupart des auteurs africains francophones cherchent d’ailleurs à se faire publier en France, afin de toucher un lectorat plus vaste et friand de littérature africaine, comme en témoigne le succès d'Alain Mabanckou ou de Yasmina Khadra.

Certains diront que le développement d’une industrie du livre dynamique, capable d’éditer des auteurs africains, est loin d’être une priorité face aux autres défis que doit relever le continent. L’essor d’un lectorat africain permettrait pourtant de stimuler l’impression de livres localement, en structurant une filière de production à même de recruter un personnel technique qualifié et de favoriser la production intellectuelle à l’échelle du continent. Le développement de nouvelles technologies, tel que le livre électronique, pourrait constituer une alternative au coût à l’unité élevé des livres et encourager leur diffusion au-delà des capitales, dans des territoires peu équipés en points de vente et en librairies. Face à la disparition progressive de la culture de la lecture en Afrique, la responsabilité incombe aux gouvernments d’avoir une politique du livre volontariste en développant les réseaux de bibliothèques et en soutenant les maisons d’édition africaines, la priorité étant à l’évidence la redéfinition des politiques d’alphabétisation et des efforts plus soutenus en matière d’accès à l’éducation primaire.

Le déclin de l’industrie africaine du livre n’est donc pas inévitable, et il suffit de constater le succès de la presse sur le continent pour se persuader du formidable potentiel représenté par le secteur. Les maisons d’édition africaines doivent donc faire des efforts pour adapter leurs publications à la demande des lecteurs, tout en étant soutenues par des politiques éducatives pertinentes au niveau national. Le cliché de la tradition de l’oralité africaine n’a déjà que trop perduré.

Leïla Morghad

Le tourisme équitable en Afrique subsaharienne, un outil efficace de développement ?

A la différence du Maroc et de la Tunisie qui ont privilégié un tourisme de masse, l’Afrique sub-saharienne se trouve à la croisée des chemins et doit arbitrer entre un tourisme de masse, avec un retour sur investissement rapide, et un tourisme sélectif visant à accueillir un nombre réduit de touristes à hauts revenus dans des infrastructures volontairement limitées. Les pays d’Afrique sub-saharienne ont pris conscience ces dernières années de la formidable manne constituée par l’industrie touristique, secteur qui contribue le plus au PIB mondial et qui emploie environ 240 millions de personnes (données Organisation Mondiale du Tourisme, 2008). Le secteur représente ainsi 34% du PIB des pays en développement (données World Travel and Tourism Council, 2011). L’Afrique ne pèse actuellement que 10% du marché mondial du tourisme, et les perspectives prometteuses de développement du secteur attirent de nombreux investisseurs étrangers, parmi lesquels de grands groupes hôteliers internationaux. La tentation est alors grande pour les pouvoirs publics de promouvoir l’industrie du tourisme au détriment du secteur primaire, et de fermer les yeux devant l’essor des séjours dits all inclusive qui permettent au visiteur de ne rien dépenser une fois sur place, limitant ainsi grandement l’impact du tourisme sur l’économie locale.

En réaction au tourisme de masse globalisé dont l’impact négatif sur les territoires visités et leurs habitants n’est plus à prouver, est apparu à la fin des années 1990 le concept de tourisme équitable. Celui-ci place les populations locales au cœur du développement touristique de leur région,et les considère comme parties prenantes dans le partage des bénéfices liés aux prestations touristiques offertes aux visiteurs. Des partenariats sont alors créés entre les organismes touristiques et les populations locales, ces dernières devant en théorie voir leurs conditions de vie s’améliorer. L’expérience du tourisme équitable a d’abord été menée en Afrique du Sud en 1998, sous le nom de « Fair Trade in Tourism Initiative » par l’ONG Fair Trade in Tourism South Africa. En quelques années, l’ONG est parvenue à tisser un réseau composé d’organismes touristiques, d’ONGs et d’associations locales et a mis en place un système de certification pour distinguer les organismes touristiques les plus volontaristes. Parmi les critères essentiels à respecter pour bénéficier de ce label on peut citer des salaires décents pour les employés locaux, la protection des ressources naturelles, des conditions de travail satisfaisantes, et une plus grande transparence dans la redistribution des profits générés par le tourisme. D’autres pays ont également eu une politique volontariste en interdisant la pratique commerciale du all-inclusive, comme la Gambie.

Certains vont même plus loin dans la promotion du tourisme équitable, en faisant de ce dernier un outil concret de réduction de la pauvreté : il s’agit du tourisme « pro-poor », qui vise à faire bénéficier directement les plus pauvres des recettes du secteur avec un approche pragmatique. Dans un document de travail intitulé Pro-Poor Tourism Strategies : Making Tourism work for the Poor publié en 2001 par l’agence de développement britannique DFID, ce type de tourisme est défini comme une approche globale visant à générer des bénéfices nets pour les populations locales, à travers l’essor du secteur privé et la diminution de la vulnérabilité financière d’une partie de la population. A la différence du tourisme durable qui inclut également le respect de l’environnement, le tourisme pro-poor vise exclusivement la réduction de la pauvreté et s’appuie sur des projets pilotes concrets plus que par des standards théoriques. On peut citer la structuration de certains tours opérateurs locaux en association en Ouganda et en Namibie qui soutiennent le tissu économique local, ou encore la stratégie de développement d’infrastructures touristiques dans les régions les moins favorisées d’Afrique du Sud.

La conviction que le tourisme peut se révéler être un outil efficace de développement a incité progressivement les bailleurs de fonds à soutenir les investissements liés aux secteurs touristiques en Afrique subsaharienne, qui représente ainsi près de 10% du portefeuille tourisme de la SFI. Cette dernière a par exemple financé un lodge au Mozambique qui a entraîné la création d’emplois faisant vivre tout une communité, et la construction d’infrastructures de base (école, maternité, moulin). Le tourisme équitable représente donc un formidable outil de développement dans la lutte contre la pauvreté en Afrique subsaharienne : le tourisme étant l’une des rares industries où le produit fini est consommé sur place, directement sur le site de production, il constitue un levier de croissance intéressant pour les pouvoirs publics, à condition que ceux-ci définissent une stratégie tourisme à long terme, et impliquent les populations locales dans leurs plans de développement du secteur.

 

Leila Morghad

Ces fabricants de tabac qui enfument l’Afrique

« Tell me if it’s wise digging out myself, and smoking out my cash, for a tiny piece of trash.” Ainsi commence la campagne vidéo anti-tabac lancée par l’OMS en Afrique en novembre le 1er novembre dernier. Grâce à au soutien de la Fondation Bill et Melinda Gates, l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) a ouvert à Kampala (Ouganda) son premier centre de lutte anti-tabac sur le continent africain.  Le centre vise à coordonner les actions de l’OMS dans ce domaine, et  cible dans un premier temps l’Ouganda, le Kenya, l’Afrique du Sud, la Mauritanie et l’Angola. Les objectifs de la feuille de route sont clairs : favoriser la création d’espaces non-fumeurs, développer des campagnes choc anti-tabac, augmenter les taxes sur les cigarettes et interdire les campagnes de publicité menées par l’industrie du tabac.

Longtemps reléguée par l’OMS derrière la lutte contre le VIH et le paludisme, la lutte contre le tabagisme est de nouveau à l’ordre du jour. Les estimations ne sont pas rassurantes : en 2030, si aucune action de prévention n’est menée,  le nombre de fumeurs en Afrique aura plus que doublé, passant de 85 millions à 200 millions de fumeurs. Véritable frein au développement, le tabac diminue les capacités de production des pays africains en impactant le nombre de personnes en âge de travailler. L’achat de cigarettes a aussi un coût d’opportunité élevé, et se fait en effet au détriment du budget habituellement consacré à la nourriture et aux soins médicaux de la famille. Ainsi en Ouganda, près de 50% des hommes fument, tandis que 80% de la population vit avec moins d’un dollar par jour. Le tabac induit également des pertes de revenus et de productivité en cas de maladie ou de décès, sans compter les dépenses publiques liées au coût des soins de santé.

Alors que le tabagisme recule dans les pays développés, l’industrie du tabac cherche un relais de croissance dans les pays émergents. L’Afrique représente une cible idéale : avec un taux de tabagisme encore bas et une population jeune peu sensibilisée aux méfaits du tabac,  les perspectives de croissance pour les cigarettiers sont très favorables, et ont attiré bon nombre d’industriels ces derniers années. Une étude de l’OMS intitulée Tabac  et pauvreté, un cercle vicieux (2004) souligne ainsi le fait que la consommation de tabac est nettement plus élevés chez les personnes à faible revenu. Quant aux cultivateurs de tabac, ils ne bénéficient pas non plus de la profitabilité de l’industrie du tabac, les récoltes étant sous-rémunérées par les cigarettiers, et finissent bien souvent par s’endetter auprès de ces derniers.

 Les trois premiers entrants sur le marché africain ont été British-American Tobacco (Royaume-Uni), Philip Morris International (Etats-Unis) et Imperial Tobacco (Royaume-Uni). British-American Tobacco s’est progressivement imposé parmi les fabricants de tabac en Afrique et a même construit plusieurs usines de production au Nigéria. Les industriels ont su rapidement adapter leur business model aux spécificités du marché africain et développer des campagnes marketing redoutanblement efficaces. La vente de cigarettes se fait ainsi souvent à l’unité dans les pays les moins avancés, pour s’adapter au faible pouvoir d’achats des consommateurs, et pour permettre aux plus jeunes de fumer en toute discrétion. La vente à l’unité permet également de détourner le consommateur des messages de prévention souvent explicites collés sur les paquets de cigarettes. Les stratégies de vente s’accompagnent de campagnes marketing efficaces, avec la distribution de cigarettes gratuites aux jeunes et le sponsoring d’événements sportifs et culturel à fort retentissement.

Les industriels vont même plus loin pour soigner leur image de marque, en finançant des campagnes anti-paludisme ou en consacrant 1% de leurs bénéfices à l’amélioration de l’accès à l’eau et aux soins en milieu rural. Devant la forte progression du nombre de fumeurs en Afrique, estimée à 4% par an, les autorités publiques sont longtemps restées muettes, devant la manne financière représentée par les taxes sur les ventes de cigarettes. Ainsi en novembre dernier au Sénégal, la baisse unilatérale du prix des cigarettes vendues Philip Morris pour bénéficier d’une fiscalité plus avantageuse et regagner des parts de marché n’a pas suscité de réaction du gouvernement.

Il est donc crucial que les pouvoirs publics ne cèdent pas face au lobbying continu de l’industrie du tabac, déterminée à s’implanter solidement sur un marché africain estimé à 700 millions de consommateurs. Malgré la ratification par certains Etats africains de la Convention –cadre de l’OMS  pour la lutte anti-tabac en 2004, les actions de prévention et les mesures législatives n’ont eu que peu d’effet sur le nombre de fumeurs en Afrique. Le tabac est désormais un véritable enjeu de santé publique en Afrique et risque à terme d’affecter la productivité du continent si l’attentisme des Etats persiste.

Leïla Morghad

 

Source photo : http://leboytownshow.com/wp-content/uploads/2011/09/Afrique-senfume1.png