La majorité des États fonctionne sur la base de la théorie de la séparation des pouvoirs. Cette théorie consiste à diviser en trois grands pouvoirs les tâches incombant à l’autorité étatique, l’exercice de ces tâches étant confié à différentes institutions dans un souci d’indépendance, de crédibilité et d’efficacité. Il s’agit du pouvoir exécutif incarné par le chef de l’État et son gouvernement, du pouvoir législatif dévolu à la représentation nationale et enfin du pouvoir judiciaire exercé par les organes judiciaires. Cette summa divisio de la puissance étatique a été théorisée par Montesquieu et John Locke au XVIIIe siècle. Cependant, l’exercice de ces pouvoirs est fortement influencé par un quatrième dont l’étendue échappe presque complètement au contrôle des trois premiers et de la société en général.
En Occident l’expression « quatrième pouvoir » est souvent utilisée pour désigner la presse et les médias, véritable contre-pouvoir face aux institutions incarnant l’État. Effet, pendant ces trente dernières années, le rôle des médias s’est accru. Les médias sont devenus indirectement des acteurs politiques redoutables, capable de faire tomber des gouvernements sinon dans des proportions bien gardées, de participer à la perte du pouvoir par les partis politiques aspirants ou déjà dirigeants. Honoré de Balzac disait déjà en 1840 que « la presse est en France un quatrième pouvoir de l’État : elle attaque tout et personne ne l’attaque ». L’actualité récente nous a encore démontré le puissant pouvoir des médias à travers les investigations menées et ayant accouché de la spectaculaire affaires des Panama Papers. Le Premier ministre islandais a démissionné suite à ces révélations. L’affaire d'espionnage politique dite « Watergate » qui a contraint le président NIXON a démissionné en 1974, après le déclenchement par le Congrès de la procédure d’impeachment, en est une autre illustration. En France l'affaire des diamants de Bokassa a fait couler et fait encore couler beaucoup d'encre. En tout état de cause, cette affaire a pesé lourd dans la défaite de Valéry Giscard D'Estaing à l'élection présidentielle de 1981. Ces exemples témoignent du rôle incontournable de la presse dans la politique à un point tel que certains arrivent à l’ériger en quatrième pouvoir.
En Afrique, l’équivalent d’une corporation telle que la presse, qui réussit avec efficacité à faire trembler les politiques et provoquer des changements, n’est point le corps de la presse mais plutôt les forces armées.
Depuis les indépendances acquises dans les années 1960, les forces armées font et défont les régimes et contribuent indéniablement au fonctionnement institutionnel et politique de beaucoup de pays du continent. Ces forces armées peuvent être de différentes natures. Il peut s’agir de dissidence interne à des forces loyalistes ou encore de rebellions extérieures. Elles sont présentes soit « pour faire et protéger » soit « pour défaire et instaurer ».
La première utilisation des moyens militaires pour faire tomber un gouvernement démocratiquement élu date de 1963 au Togo où le président Sylvanus Olympio fut assassiné et un coup d’État perpétré. Il s’en est suivi un effet domino dévastateur en Afrique noire, avec pas moins de 85 coups d’État depuis les années 1960. Les conflits armés opposant des régimes en place et des rébellions ou des attaques de pays voisins sont légions ; et l’une des causes de la prééminence des forces armées dans les affaires politiques en Afrique réside dans le fonctionnement des États.
En effet, nombreux sont les États africains au sein desquels les pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire sont entremêlés et loin d’être indépendants. Il y a, dans ces États, une instrumentalisation des pouvoirs législatif et judiciaire par les personnes incarnant les organes de l’exécutif pour conforter leur emprise sur les pays qu’ils dirigent. Le caractère autoritaire et non éclairé des régimes régissant la destinée de certains peuples africains explique en partie ce phénomène. Ce sont des États au sein desquels l’appareil étatique se mue en une propriété presque privée protégeant par des moyens généralement illégaux les intérêts de ces personnes qui régentent le pays et les intérêts de leurs alliés.
L’instrumentalisation de ces pouvoirs se matérialise généralement par une répression arbitraire du peuple tentant de reprendre son pouvoir à travers des manifestations parfois pacifiques, souvent violentes. En résumé l’autorité des gouvernants passe généralement par leur capacité à disposer de moyens de répressions, véritable moyens de dissuasions des populations qui tenteraient d’ébranler leur système. Il en découle comme conséquences, que ces régimes ne connaissent leur déclin qu’à travers l’utilisation contre eux des mêmes moyens de répression de nature vraiment diverses (rébellion, guerre civile, révolution dans une moindre mesure) mais qui ont tous un point commun : c’est l’utilisation des forces armées.
Les forces armées constituent de ce fait un acteur incontournable sur la scène politique africaine, se constituant ainsi en une autre forme de pouvoir, souvent lié à l’exécutif. Il suffit pour se convaincre de ce constat de recenser le nombre de chefs d’État (anciens ou actuels) issus des rangs des corps habillés. 40% des régimes politiques africains entre 1960 et 1990 avaient des origines militaires. En 2014, plus de cinquante années après les indépendances, encore un État sur trois est dirigé par un régime d’origine militaire. Depuis 1990, on dénombre sur le continent environ 30 conflits armés liés à la prise de pouvoir. 87% de ces conflits ont effectivement débouché sur un changement au sommet des pays concernés. Les alternances démocratiques issues de véritables élections sont quant à elles des denrées encore rares, hors de portée de nombreux pays africains
L’importance relative des forces armées dans la vie politique suscite d’importantes interrogations sur les facteurs qui ont favorisé cet essor et les éventuelles réformes pouvant être mis en œuvre pour réduire leur emprise sur la vie socio-économique et politique des pays africains. Dans un précédent article publié par L’Afrique des Idées, Georges Vivien Houngbonon a montré que les coups d’État ne sont point bénéfiques pour un pays. On peut donc conclure que le développement incertain de plusieurs pays africains est lié dans une grande partie à ces instabilités politiques portées par l’intervention des hommes en uniforme.
Giani Gnassounou