On connait la chanson, les dimanches à Bamako sont des jours de mariage. Ok, pour celles et ceux qui aiment Amadou et Mariam. Mais saviez-vous que Novembre à Bamako, c’est le mois de la culture ?
Personnellement, je savais que le Festival Etonnants Voyageurs s’y déroulait à cette période depuis quelques années. J’avais également eu vent de la Biennale africaine de la photographie, sans mesurer la portée de cet événement. Mais que dire du festival Danse Afrique danse?
Non, je ne savais rien de la densité de l'activité culturelle à Bamako à cette période de l'année. C'est donc par le biais de ce très bel ouvrage publié aux éditions Cauris (éditeur malien) et Bec en L'air que j'ai découvert avec beaucoup d'intérêt les actrices et acteurs d'une certaine forme de la culture à Bamako. Valérie Marin Le Meslée, journaliste littéraire, nous introduit par sa plume dans cet univers qu'elle connait bien puisqu'elle se rend régulièrement au festival Etonnants Voyageurs de Bamako depuis plusieurs années. Elle est accompagnée dans sa démarche par la photographe Christine Fleurent.
Avant d'aborder le reportage de Valérie Marin La Meslée, je souhaite souligner la qualité et la complémentarité du travail de ces deux artistes, à savoir l'écrivaine et la photographe. Les plans, les angles d'attaque de la photographe sont fonction de l'interlocuteur ou de l'interlocutrice, de la situation à mettre en scène. Elles ont très bien su se placer en retrait pour mettre en avant le sujet de leur investigation, laissant souvent leurs propres regards aux oubliettes.
Je pense d'ailleurs que c'est tout l'intérêt du travail de fourmi réalisé par ces deux femmes. Le terme est assez faible pour décrire ce tour de Bamako de la culture de personnes souvent interviewées à domicile. A Magnambougou, à Djelibougou, à Ouolofobougou et bien d'autres quartiers de la capitale malienne. Je vous les ai cités de tête pour bien montrer qu'au fil de la lecture, on s'imprègne tant du discours, des espérances de ces hommes et ces femmes que de l'endroit où il est émis, les noms de ces quartiers étant souvent chargés de sens… Djelibougou, quartier des griots, par exemple.
Tous les champs de la culture sont passés au crible de Valérie Marin La Meslée. Les livres naturellement. Les acteurs du livres. Ceux qui écrivent comme Moussa Konaté, Ibrahima Aya, Ousmane Diarra. Ceux qui en font la promotion par l'édition, par la réalisation d'événements autour du livre comme le fameux festival déjà mentionné ou cette Rentrée Littéraire Malienne, manifestation qui entend faire la part belle aux productions locales. La démarche de la journaliste de l'Express s'exprime déjà. Par des interviews courtes, ces personnalités livrent leur impression sur leurs initiatives respectives et les moyens de toucher un public large, sur les enjeux de leur travail d'écrivains et le besoin de costumizer à la sauce local leurs actions… Un point a retenu mon attention, à savoir le contexte de travail de ces auteurs, et la difficulté de création dans un environnement laissant peu de temps au retrait, à la mise en aparté qu'exige la constitution d'une oeuvre littéraire…
Quand elle s'attaque aux musiciens, l'affaire se corse. Mettre la main sur les stars internationales que sont Salif Keita ou Rokia Traoré n'est pas une partie de plaisir, mais l'échange qui en résulte annihile toute amertume. Le discours est intéressant et un premier constat que l'on peut faire est ce contact de ces musiciens avec la terre originelle. Cheick Tidiane Seck, Habib Koité, Rokia Traoré, Amadou et Mariam ou Salif Keita, tous ont une attache forte avec leur pays et la volonté d'y développer des projets permettant le passage de témoin à d'autres… En même temps, ils parlent de leur art avec passion, avec lucidité. Sur les difficultés à être artiste dans un pays où la notion de castes est tres prenante et où par conséquent on ne s'improvise pas à certaines activités sans jeter l'opprobe sur toute une famille, fasiya quand tu nous tiens…
De la musique à la danse, il n'y a qu'un pas qui me fait découvrir Kettly Noël, chorégraphe haïtienne qui s'est installée dans la ville depuis des années et y a initié de nombreux danseurs avec la poigne du Roi Christophe, on pourrait penser. Une exigence salutaire, sûrement sélective dans un créneau où la vocation est nécessaire.
Les acteurs de la culture ne sont pas seulement maliens. Haïtien comme James Germain, camerounaise comme Marthe Bolda.
De la danse au cinéma, du cinéma à la mode, de la mode au théâtre, du théâtre aux arts plastiques, des arts plastiques au Hip Hop, du Hip Hop à la photographie…
Si les mentalités doivent continuer à être travaillées pour qu'elles éveillent à ces codes occidentaux, désormais universels de la culture, il est intéressant de constater que c'est dans la culture traditionnelle que tous ses artistes puisent pour faire entendre leurs voix, la voix de leur pays. C'est à cela qu'on entendra surement les histoires de lions qui donneront leurs versions des faits…
J'ai aimé l'ambition, l'enthousiasme de tous ses acteurs de la place culturelle bamakoise, comme Kettly Noël à propos de la danse:
J'aimerais que cette danse soit porteuse d'espoirs pour la créativité contemporaine. Qu'un milieu en danse existe vraiment. Il faudrait qu'on parle des danseurs de Bamako et même de l'école de Bamako. Déjà on dit partout que Bamako a le truc culturel. la ville bouge. Reviens dans dix ans, tu verras.
Novembre à Bamako, page 72
La pertinence de certaines analyses, loin d'être du réchauffé servi aux journalistes occidentaux. Ecoutons par exemple Samuel Sidibé, directeur du Musée National :
Imaginer d'autres perspectives…
Lorsqu'on parle de Bamako, ce sont les Rencontres photo, Culturesfrances, Etonnants voyageurs.. Même si Moussa Konaté est malien, qui dirige ce dernier festival, ce sont toujours des pôles d'activités culturelles tenus à bout de bras par l'étranger qui servent de vecteurs à la circulation de l'image de l'Afrique. Pourquoi ne pas imaginer d'autres perspectives? (…)
Notre manque de vision
C'est notre manque de vision… L'Afrique n'a pas été à la hauteur de proposer au monde sa propre lecture, sa propre façon de voir, c'est un véritable déficit. Il faut aujourd'hui rendre visible notre force. Et nous en avons. Ce ne sont pas les moyens techniques qui manquent. Nous avons vécu pendant quarante ans de l'aide au développement, qui nous a éliminés de notre propre champ. C'est dramatique.
Page 154, Editions Cauris
Lareus Gangoueus
Article initiallement paru Chez Gangoueus
Valérie Marin La Meslée, Christine Fleurent : Novembre à Bamako
Cauris Editions et Le bec en air Editions
1ère parution en 2010, 221 pages, préface d'Oxmo Puccino