Doit-on redouter la privatisation de l’éducation en Afrique ?

Les systèmes éducatifs africains sont souvent victimes d’un sous-financement chronique, tandis que l’enseignement privé, en plein essor, attire de plus en plus les investisseurs privés.

« Si vous trouvez que l’éducation coûte cher, essayez l’ignorance », disait Derek Bok, qui fut un temps président de l’université d’Harvard. L’éducation a pourtant un coût non neutre dans les dépenses publiques, et ce en particulier pour les pays en développement. Dans la majorité des pays africains, la hausse de la demande en matière d’éducation dépasse  le niveau de services que les  Etats peuvent fournir à leurs citoyens. L’investissement privé apparaît alors comme une source de financement indispensable pour un secteur dont l’impact en termes de développement économique n’est plus à démontrer.

Les systèmes éducatifs africains sont souvent victimes d’un sous-financement chronique, et le niveau des ressources publiques allouées à l’éducation primaire et secondaire est caractérisé par une forte inégalité à l’intérieur même des Etats. Les investissements publics au niveau de l’éducation primaire, qui permettent de scolariser de nouveaux élèves, ne sont pas suivis d’un soutien à l’éducation secondaire, ce qui aboutit à un goulot d’étranglement au niveau du système d’enseignement secondaire. Ce dernier est alors incapable de faire face à l’augmentation du nombre d’élèves. Les aides de l’Etat destinées aux élèves (bourses d’études, prêts) sont quant à elles insuffisantes. Avec la montée en puissance des classes moyennes africaines, l’enseignement privé est en plein essor, bénéficiant ainsi de la hausse du de la part du budget des ménages allouée à l’éducation des enfants. Ainsi, au Kenya, ou au Nigeria, le taux d’élèves scolarisés dans les écoles privées peut atteindre jusqu’à 40%. Les établissements privés sont par conséquent à la recherche de financements privés pour assurer un niveau de services en adéquation avec les frais de scolarité demandés aux parents.

Le recours au financement privé dans le domaine de l’éducation a été acté dès la Conférence des Ministères de l’Education de Durban, à la fin des années 1990, comme le rappelle une étude de l’Unesco sur l’éducation privée en Afrique sub-saharienne. La hausse des frais de scolarités des écoles privées et leur attractivité croissante auprès des familles a fortement accru la rentabilité des investissements dans l’éducation privée. En pratique, les institutions éducatives privées se financent auprès des établissements bancaires, ou bénéficient de l’injection de capitaux propres par des investisseurs privés, souvent des fonds de private equity. Ainsi, en août 2011, le fonds Fanisi Capital a racheté l’école privée Hillcrest au Kenya, via un investissement s’élevant à plusieurs millions de dollars. Le marché du private equity africain semble considérer l’éducation privée comme un secteur porteur, et les opportunités d’investissement sont susceptibles de se multiplier dans les années à venir :  avec d’importants besoins en infrastructures éducatives et en systèmes d’information adaptés, les écoles privées ont un besoin croissant de liquidité. L’éducation est également un secteur peu impacté par la conjoncture économique, ce qui contribue à améliorer le rapport risque/rentabilité.

Les bailleurs internationaux ont bien anticipé les besoins du secteur de l’éducation privée, en proposant des investissements directs ou via les banques locales. On peut ainsi citer le programme de la SFI (IFC en anglais) intitulé « Africa Schools Program », qui vise à la fois à conseiller les écoles privées sur la qualité de leur offre éducative, et à leur faciliter l’obtention de prêts auprès des banques locales.

La privatisation croissante du système éducatif africain pourrait donc entraîner une réelle amélioration de la qualité des services éducatifs. Loin d’un système à deux vitesses  aboutissant à la dégradation de l’enseignement public et un afflux massif vers l’éducation privée, il s’agirait de créer une véritable complémentarité entre les deux secteurs. L’éducation privée, stimulée par une obligation de réussite résultant de la concurrence croissante entre les établissements privés, serait ainsi incitée à optimiser l’adéquation entre l’offre éducative et les besoins du marché du travail. L’Etat disposerait alors de plus de ressources à allouer à l’éducation publique. Toutefois, le processus de privatisation de l’éducation en Afrique devra  inévitablement s’accompagner d’une régulation publique efficace, veillant entre autres au respect des programmes scolaires, à la qualification des enseignants et aux dérives liées à des écoles entièrement tournées vers le profit.

Leila M.