Les freins à la réforme de l’Etat en RDC (1)

Etat général de la RDC

La République Démocratique du Congo (RDC) est le troisième pays le plus vaste du continent africain, avec 2 345 000 km² et le 4e pays le plus peuplé avec plus de 73 millions d’habitants. C’est aussi l’un des plus riches sous-sols au monde. Paradoxalement, la RDC est aussi l’un des pays les plus pauvres de la planète, disposant du 115e Produit Intérieur Brut et du 187e Indice de Développement Humain.
De 1996 jusqu’au cœur des années 2000, la RDC a été traversée par d’importants conflits interethniques qui ont décimé sa population et ravagé son économie. Et elle ne s’en est toujours pas remise, que ce soit au niveau institutionnel ou économique. Les services publics de base ne sont disponibles que dans une partie relativement restreinte du territoire national. Le niveau de vie reste extrêmement faible : plus de la moitié de la population vit dans une situation de pauvreté avancée. Les maladies endémiques, d’origine tropicale ou virale, ravagent toujours les couches sociales les plus vulnérables : enfants, femmes, personnes âgées, sans-emploi, etc. Selon les données de l’Organisation Mondiale de la Santé, l’espérance de vie à la naissance n’atteint pas 50 ans et le revenu national brut par habitant en parité de pouvoir d’achat n’atteint pas 300 dollars.

L’absence de l’Etat, l’indisponibilité des services sanitaires de base, les ratés des stratégies de développement expliquent en grande partie cette situation d’extrême pauvreté. Pour en comprendre les raisons, il convient de réfléchir davantage aux causes de l’inefficacité de la réforme publique en République Démocratique du Congo, qui se trouvent pour l’essentiel, dans la centralisation du pouvoir et la corruption des agents de l’Etat. 

Centralisation excessive du pouvoir politique

Le besoin de reconstruction identifié
Après sa désignation au poste de Président de la République, en Janvier 2001, suite à l’assassinat de son père, Joseph Kabila a entrepris des efforts de remobilisation des partenaires internationaux du pays, notamment la France, les Etats-Unis, l’Union Européenne, le FMI et la Banque Mondiale. Cette diplomatie axée sur la coopération technique et économique visait à remettre les institutions et l’économie de la RDC sur pied, après la décennie de conflits armés. Elle aurait dû aboutir à la revitalisation de l’Etat, selon un calendrier établi sous la supervision des bailleurs de fonds, contenu notamment dans l’Accord de Pretoria de décembre 2002 qui a donné naissance au gouvernement de transition le 30 juin 2003. Les principaux objectifs de ce dernier étaient de : (a) réunir, pacifier et rétablir l’autorité gouvernementale sur l’ensemble du territoire congolais, (b) favoriser la réconciliation nationale, (c) réformer les forces de sécurité en y intégrant les factions rivales, (d) organiser des élections et (e) mettre en place de nouvelles institutions politiques.

Dissensions politiques graves
Malheureusement, les efforts entrepris par le gouvernement pour atteindre ces objectifs n’ont pas été à la mesure du compromis politique nécessaire. L’adjonction de quatre vice-présidents issus des partis rivaux, censée favoriser une nouvelle entente politique, a été sans effet du fait de la centralisation excessive du pouvoir opérée par la suite par le Président Kabila.
Ce dernier disputait âprement le contrôle de l’administration et la prise de décision aux vice-présidents Jean-Pierre Bemba et Azarias Ruberwa. Aux différences politiques s’est ajoutée une réelle mésentente quant aux orientations des réformes. Cela déboucha sur des rivalités profondes au sein de l’exécutif, qui participèrent grandement à la paralysie des institutions de l’Etat. Il s’en suivit, immanquablement, une mauvaise gestion et une mauvaise utilisation des fonds destinés aux programmes de réforme de l’Etat.
Cette situation est, pour une large part, le résultat d’une inadéquation entre les objectifs identifiés par les bailleurs de fonds et les modalités de partage du pouvoir instauré afin de les atteindre. Offrez des postes intéressants à tous les courants politiques, et vous aurez la paix sociale. Cette méthode n’a pas eu les effets escomptés, comme le confirme l’International Crisis Group : « cet arrangement a fonctionné, mais au prix d’une impunité pour les auteurs de violations des droits humains et les responsables accusés de corruption, si bien qu’aujourd’hui, les réseaux clientélistes continuent d’imprégner l’État et l’armée… » .

Ainsi, le « dialogue inter-congolais » mis en place au début des années 2000 après l’investiture du Président Joseph Kabila a été sapé par les intenses luttes que se menaient les acteurs de ce dialogue pour le contrôle du pouvoir politique. Ces luttes, « politiques » en apparence, n’étaient en réalité que des batailles pour la captation des immenses ressources naturelles du pays et des importantes injections de capital provenant des bailleurs de fonds.

Dérives autoritaires du camp présidentiel
Mais le plus regrettable, c’est que la déliquescence de l’Etat ait perduré après une élection qui aurait dû dessiner une nouvelle forme d’exercice du pouvoir plus transparente, plus responsable, et plus efficace. Le constat demeure cependant que les autorités politiques issues des élections, essentiellement réunies au sein du camp présidentiel, ont mis en place une gestion partisane et patrimoniale de l’Etat. Cette mauvaise gestion a mené à une paralysie de l’action publique, au niveau du gouvernement comme à celui du Parlement. Ce qui, dans les faits, signifie que le Président Kabila conserve une marge de manœuvre très importante quant aux organes et modalités d’exécution des réformes identifiées.
C’est ainsi qu’il n’hésita pas à retarder la promulgation du budget de 2010 dont la version initiale accordait, selon lui, de trop nombreux avantages financiers aux parlementaires, au détriment du gouvernement. S’il mit en avant le besoin de reconsolider les administrations publiques, comme le souhaitaient le FMI et la Banque Mondiale, il se contenta de graisser certains corps comme la police et l’armée, pour s’assurer leur fidélité, en feignant de respecter des engagements pris avec les bailleurs de fonds. En effet, ces derniers tenaient beaucoup à ce que le budget adopté au lendemain des élections intégrât les besoins criants en matière de restructuration des institutions politiques et administrations publiques. Les lignes directrices de cette reconstruction entraient dans le cadre de l’initiative PPTE (Pays pauvres très endettés) menée en RDC par les organes onusiens

En ce qui concerne l’exercice du pouvoir par le gouvernement d’Antoine Gizenga [2006-2008], il fut quasi-inexistant : la distribution même des portefeuilles ministériels répondait à une volonté d’apaiser la clientèle politique. Son successeur, Adolphe Muzito [2008-2012], ne fit pas mieux et se révéla plutôt impuissant face aux manœuvres de l’entourage présidentiel, sorte de deus ex machina qui, s’il ne détient pas le pouvoir officiellement, l’exerce en coulisses. Plus grave encore, la séparation des pouvoirs a été gommée. Les connivences entre l’exécutif, le législatif, et la justice sont monnaie courante.

Le nœud gordien de l’échec de la réforme des institutions politiques en RDC – cas d’école en matière de reconstruction d’Etats en faillite – se situe dans la centralisation du pouvoir opérée au sommet, aggravée par les dissensions à l’intérieur même de l’exécutif. Cela a été accentué par un phénomène de corruption générale au niveau des administrations publiques.
 

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