Les freins à la réforme de l’Etat en RDC (2)

Corruption généralisée dans les administrations publiques

La centralisation du pouvoir politique en RDC se répercute au niveau des administrations publiques, notamment celles censées mener les réformes demandées par les bailleurs de fonds. Les agents de l’Etat sont en effet peu enclins à rendre effectives ces réformes, car elles menacent sérieusement le mode de gestion qui leur permettait de s’octroyer indûment des largesses sur le dos du contribuable. D’un autre côté, le modèle d’aide participative privilégié par les bailleurs, pour s’appuyer sur l’expertise locale dans la réalisation des projets identifiés, a fait totalement fi des réelles priorités de ces intermédiaires. Les fonctionnaires congolais ont fait peu de cas de la mission de service public qu’ils sont censés remplir. A presque tous les niveaux de l’administration, ils usent de leur position privilégiée pour satisfaire leurs propres intérêts pécuniaires ainsi que ceux de leurs proches.

Détournement des programmes financés par les bailleurs de fonds

Ainsi, les moyens financiers colossaux consentis par les institutions de Bretton Woods pour remettre sur pied les institutions de la RDC, ont été tout simplement utilisés à d’autres fins, caractéristiques de la gestion publique sous Mobutu. Pas moins de 15 milliards octroyés par le Club de Paris – hormis les 450 millions de dollars mobilisés pour le processus électoral – furent dilapidés dans des programmes trompe-l’œil, incompatibles avec la reconstruction. Ils ont absolument ignoré le calendrier établi par les bailleurs, notamment la restructuration de certaines administrations régaliennes, l’instauration progressive de la démocratie, et l’éradication de la pauvreté massive. Cette inadéquation entre objectifs initiaux et modalités d’exécution s’explique en partie par la réticence des agents de l’Etat à « creuser leur propre tombe ». En d’autres termes, il était difficilement concevable que les fonctionnaires qui étaient les auteurs-mêmes des dysfonctionnements fussent les premiers à vouloir y mettre fin. 

Comme l’a si bien formulé Mamadou Diouf, « les poissons ne peuvent approuver un budget consacré à l’achat d’hameçons » . Les réformes étaient destinées à renouveler l’administration publique congolaise sur la base de modèles standardisés tendant à rendre l’action publique plus efficace et moins coûteuse à travers : une réduction massive des effectifs, une rationalisation des lignes budgétaires, des écritures financières et comptables. Mais ce fut sans compter avec la détermination des agents congolais à conserver leurs acquis. Ils firent peu de cas des directives contenues dans ces programmes de reconstruction de l’Etat, en continuant à faire preuve tantôt de laxisme, tantôt de népotisme, ou de subtile corruption.

De même, l’étude de Pierre Englebert et Denis Tull sur la corruption qui gangrène les élites politiques africaines en général est révélatrice du cas des fonctionnaires congolais : « Ils ne sont ni d’accord avec le constat d’échec, ni avec les objectifs définis par les promoteurs étrangers de politiques de reconstruction. Ils cherchent cependant à tirer le plus parti possible des avantages suscités pour eux par ces politiques, ainsi que par l’instabilité politique continue ». Cette culture des crises entretenue par la plupart des fonctionnaires sape durablement la réforme. Un Etat ne saurait se bâtir sur la base de financements destinés à éteindre des crises permanentes.

L’exemple de la politique de décentralisation
Il n’est besoin pour s’en convaincre que de considérer l’échec de la politique de décentralisation de l’Etat inscrite dans la Constitution de 2006. La RDC, rappelons-le, est le troisième pays le plus vaste du continent africain et compte 11 grandes provinces, elles-mêmes subdivisées à leur tour en plusieurs districts. L’idée qui a présidé à la politique de décentralisation était qu’avec « moins d’Etat », on aurait « mieux d’Etat », pour reprendre la formule du Président sénégalais Abdou Diouf émise dans le même esprit, pour expliquer des ajustements structurels prônés par les bailleurs de fonds. La RDC semble en effet difficile à gouverner par un appareil étatique centralisé, quelle que puisse être sa légitimité, ne serait-ce qu’en considération de l’immense étendue du territoire, et de son énorme diversité ethnique.

Mais la culture démocratique du pays fut totalement oblitérée dans la conception de la politique de décentralisation. Cette dernière a buté sur un conservatisme notoire des agents de l’Etat responsables de son exécution. Les onze provinces de la RDC devaient initialement se désintégrer en plusieurs autres en trois ans, mais ont plutôt été à l’origine de rivalités assez violentes entre Congolais. Cette décentralisation causa finalement plus de mal qu’elle n’en répara, car elle a alimenté un désir d’autonomie parmi les habitants des localités concernées. Des affrontements éclatèrent en 2009 et firent craindre au retour de la guerre civile en RDC. L’esprit de cette décentralisation fut donc rapidement perverti pour servir d’autres fins. Elle aurait pu contribuer à l’amélioration de la gouvernance administrative, mais s’est heurtée à l’appétit prédateur de citoyens plus intéressés par les fonds qu’elle draine. 

Le rôle douteux des multinationales
En outre, l’action des firmes multinationales, notamment dans l’industrie extractive, est à plus d’un titre déplorable. Les zones minières demeurent paradoxalement les plus pauvres en termes d’urbanisme et d’habitat. Les habitants de ces zones vivent dans une extrême pauvreté. Les rémunérations sont aléatoires, la plupart des emplois souffrent de précarité et d’insécurité. En outre, les normes internationales en matière de sauvegarde de la végétation et d’abattage des arbres, sont totalement ignorées. Les dirigeants de ces firmes s’assoient complètement sur les principes le plus élémentaires en matière d’exploitation des matières premières, et font fi des préoccupations écologiques et règles comptables. Certaines localités sont menacées sévèrement de déforestation. Mais ceci n’est que la partie visible de l’iceberg.

D’aucuns murmurent qu’ils seraient même à l’origine de l’attisement des conflits ethniques, et auraient des accointances avec le pouvoir politique, dont ils dicteraien un grand nombre de décisions. Une enquête de l’ONU a clairement fait établir les liens inquiétants qui existent entre le commerce des matières premières et le trafic illégal d’armes dans la région du Kivu. Le conflit qui mine cette zone, est donc fortement lié à l’activité des multinationales. De là à dresser un degré de connivence entre les autorités onusiennes et les responsables de ces firmes dans la gestion des ressources naturelles, il y a un pas que certains n’ont pas hésité à franchir. 

Le chercheur Jean-Paul Mopo Kobanda a par exemple décrit dans un ouvrage comment ces multinationales ont contourné, au nez et à la barbe des autorités, un rapport de l’ONU les démasquant. Mais l’ONU, à travers les missions qu’elle mène, n’est-elle pas en train de servir d’épouvantail à ces multinationales qui continuent d’ignorer le droit international en RDC ? Pour certains, « la Monuc, comme l'Onu, est un simple instrument des puissances qui la dirigent et dont elle applique la politique ». Plus il y a d’affrontements, moins il y a de transparence dans l’exploitation des ressources naturelles, et mieux s’en portent les firmes.

 

Cette course aux richesses explique, dans le même temps, les visées rwandaises, ougandaises, et burundaises à l’est du pays. Le conflit inextinguible dans les deux Kivu apporte chaque jour son lot de souffrances liées au sous-sol congolais. Non contente de son silence troublant sur la question, l’ONU a manqué de clairvoyance avec l’admission du Rwanda au Conseil de sécurité, sorte de casus belli inopportun dans ce conflit.

En ce qui concerne l’avenir, il ne semble pas très radieux pour le peuple congolais, à qui le régime en place ne cesse de promettre la lune, tout en continuant ses pratiques corruptrices. Les rassemblements géants réussis par le mouvement du 23 mars (M23), aux portes de Goma, illustrent le mécontentement général qui sévit en RDC. Il n’est pas besoin d’aller chercher les solutions à cette crise ailleurs que dans l’énorme potentiel du peuple congolais. Un valable chantier de réformes, administratives comme économiques, doit passer par une relecture des priorités des Congolais. C’est tout le défi qui se pose aux autorités politiques à présent. 

Mouhamadou Moustapha Mbengue