« Viva Riva ! » est le film que j’attendais depuis longtemps. J’en avais marre des films africains – je parle ici de l’Afrique subsaharienne francophone – qui racontent des histoires de villages, des comédies parfois marrantes mais sans plus, des drames sur la période coloniale ou pré-coloniale, parfois poignants, mais pas le genre de films qu’on veut voir un vendredi soir pour passer un bon moment. « Viva Riva » est tout ce que ces films ne sont pas. Un film qui vous fait passer un super moment en vous scotchant sur votre fauteuil. Un thriller moderne qui dépeint les réalités d’aujourd’hui, qui dépeint la misère quotidienne tout en vous donnant du rêve. Une peinture moderne de Kinshasa et de la jeunesse urbaine qui y vit, de manière énergique et trépidante, mais sans repères, perdue dans une course nihiliste vers l’argent facile et les satisfactions matérielles et sexuelle immédiates.
L’histoire est celle de Riva, jeune congolais qui revient à Kinshasa d’un exil de dix ans en Angola. Il ramène dans ses bagages une cargaison d’essence qu’il a volée à son ancien boss, un mafieux angolais, qui est à sa poursuite. Le contexte général est celui d’une économie de pénurie – les voitures ne roulent plus parce que les stations n’ont plus d’essence, les coupures de courant s’enchaînent parce qu’il n’y a plus de fuel – où le contrôle de l’essence devient un élément stratégique de pouvoir et d’argent. Autant dire que Riva joue désormais dans la cour des grands, lui l’ancien petit gangster flambeur. L’histoire se complique lorsqu’il tombe amoureux de Nora, danseuse rencontrée un soir, accessoirement la maîtresse d’un parrain de la mafia locale, dont il n’aura de cesse de conquérir le cœur et le corps.
Le film est cru – la jolie fille qui pisse dans un buisson – les scènes adultes nombreuses et osées, la violence récurrente, sans que cela nuise au déroulement de l’histoire, bien au contraire. Une multitude de personnages secondaires viennent apporter de la densité à ce film, résolument moderne dans la manière d’être filmé et scénarisé. Il y a l’enfant des rues, sans qui le tableau de Kinshasa serait incomplet, serviteur intéressé, serviable mais plus fidèle et loyal à Riva que bien d’autres de ses supposés amis. Il y a la « commandante », une officier des douanes lesbienne plus ou moins corruptible, mais qui n’est pas méchante en tant que telle, juste une débrouillarde prise en otage par les difficultés de la vie. Il y a le père curé qui traficote un peu de tout, tout en jouant de la carte de la moralité quand cela l’arrange. Et au centre de l’histoire, Riva, flambeur, sympa, bon vivant, inconscient, imprudent, sans autre but dans la vie que gagner de l’argent, sans intérêt pour l’histoire, la culture, juste le présent et le plaisir.
En écho à Gangoueus qui se demandait si la musique contemporaine – et par extension la culture – congolaise était masochiste, « Viva Riva ! » semble plutôt indiquer qu’elle est nihiliste : elle ne croit en rien d’autre que le plaisir personnel immédiat, que l’argent incarne, avec ses différents attributs: belles filles, beaux vêtements, belles caisses. Ce film reflète bien cette course effrénée de la vie sans destination connue. Pas de morale – si ce n’est celle que distille le personnage de Nora, elle-même poule de luxe, qui dit à Riva que « l’argent est un poison qui finit par te brûler » – juste une peinture de la comédie humaine qui se joue en Afrique, où faute de repères idéologiques, éthiques ou religieux solides, nos contemporains vivent au jour le jour en quête de légitimes satisfactions immédiates. L’histoire met d’ailleurs bien en lumière les failles de ceux qui se réclament d’une morale (les parents de Riva, le prêtre, Nora, la femme de J.M) qui guiderait leur vie, alors qu’ils sont réduits à l’impuissance ou aux compromissions.
« Viva Riva » est un film important. J’espère qu’il ouvre les vannes d’une nouvelle génération de films d’Afrique francophone. Des films qui vous donnent juste envie de payer votre place de cinéma et de passer un bon moment.
Emmanuel Leroueil
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Bel article.
Une chose qu'on ne peut reprocher à ce film c'est bien la qualité des images et des dialogues qui comme tu l'as si bien souligné fait très souvent défaut au Cinéma africain. Mais je pense quand meme qu'on devrait mettre à profit cette avancée technique pour montrer une image plus positive de l'Afrique, les clichés négatifs étant suffisamment véhiculés par l'occident. Viva Riva est une caricature de nos souffrances…
Très bonne analyse du film. Je viens de le voir. Excepté quelques scènes un peu trash (il faut, il faut pour avoir certaines subventions), ce film est intéressant pour ce qu'il dit. L'hédonisme de Riva est très intéressant. Les gens n'ont rien à perdre. Ils s'investissent dans les plaisirs charnelles et la quête du fric qui les octroient ou ils investissent pour leur vie dans l'au-delà. Il n'y a pas de juste mesure. Les guerres à répétition contribuent à l'instauration du caractère aléatoire de la vie. Kin, c'est un autre monde.