Jël Té-Léssia ASSOKO
Ivoirien
S'intéresse aux relations économiques internationales et plus particulièrement à leur impact sur la législation et les pratiques sociales dans les pays en développement.
Membre du bureau de l'Afrique des Idées et Éditeur web adjoint de Jeune Afrique Economie.
Diplômé de Sciences Po Paris et de Paris IX Dauphine en économie.
A été le rédacteur en chef du site web de l'Afrique des Idées entre mars et août 2013.
Joël, vous avez mis le doigt sur un point qui me paraît indispensable pour comprendre les difficultés de l’Afrique dans le domaine agricole. Ce point, c’est le décalage existant entre la faible part du budget des Etats accordée à l’agriculture et le nombre d’actifs comptabilisés dans cette branche.
Pour exemple de comparaison, la Chine, se trouvait, toutes proportions gardées, dans la même situation. Lors de mon stage effectué dans le service économique de l’Ambassade de Côte-d’Ivoire en République Populaire de Chine, j’ai été amené à réaliser un mini-dossier sur l’évolution économique de la Chine. Avant le début de la décennie, la part du budget accordée à l’agriculture était de 9% pendant que près de la moitié de la population active était affectée à ce secteur. Cette situation, voulue par le gouvernement afin d’accélérer le processus de glissement général du pays du secteur primaire au secteur secondaire (qui générait néanmoins une production intérieure brut plus importante), provoqua un déséquilibre économique auquel il fallut remédier. A l’été 2006 le vice-gouverneur de la Banque Populaire de Chine M. Su Ning mit en place une micro-régulation pour une réaffectation plus efficace des ressources. Il réitéra l’opération en juillet 2009 et comme vous l’avez notez, la Chine aujourd’hui, tout comme elle était sortie de la pauvreté avec D.Xiaoping dans les années 70, a à nouveau évité une crise économique grâce à son secteur agricole.
Vous avez mis également en évident la concurrence inégale provoquée par les subventions agricoles en Europe et aux Etats-Unis. Face aux difficultés rencontrées par le continent africain dans ce domaine, je m’étonne toujours qu’aucun pays africain ne fasse partie du Groupe de Cairns, présidé par l’Australie, luttant depuis le Cycle de l’Uruguay de 1986 contre l’inégalité des traitements dans le secteur agricole.
Cet article tombe à point nommé car il me parait clair que la dynamisation du secteur primaire est indispensable non seulement à la réduction de la pauvreté en Afrique et à l’auto-suffisance alimentaire mais aussi et surtout au développement économique tout court. Du mouvement des enclosures en Angleterre à la révolution verte des pays Asiatiques (Inde, Chine, Vietnam) en passant notamment par la politique agronomique d’Henri IV et de Sully, la quasi-totalité des pays qui se sont développés et qui se développent aujourd’hui ont amorcé leur développement par une amélioration de la productivité du domaine agricole. L’Afrique ne saurait se soustraire à cette « règle ». Nos gouvernements mais aussi, l’ensemble des forces vives de nos pays africains gagneraient à redéfinir leurs priorités afin que ce secteur, qui pour certains parait désuet, soit mis au coeur des politiques économiques de développement.
Il sera effectivement absolument nécessaire de se mettre en ordre de bataille pour obtenir de l’Europe et des Etats Unis qu’ils arrêtent de fausser la concurrence sur le marché des produits agricoles à travers les subventions accordées à leur propres producteurs. Pour une fois, l’Afrique ne demande qu’à ce que les règles du marché soient respectées et l’Europe et les Etats Unis ne peuvent pas continuer à se soustraire de façon aussi scandaleuse à ces régles. A la limite, le respect de ces règles soutiendrait le progrès économique en Afrique plus que l’aide au développement dont les effets restent par ailleurs assez pervers.
Il faut aussi, comme cela a été dit, que les pays africains aient de vrais plans stratégiques de développement du secteur agricole. Cela est non seulement nécessaire dans chaque pays (on gagnerait par exemple à s’inspirer du Plan Maroc Vert) mais doit aussi s’appuyer sur des coordinations et des mises en oeuvre tout au moins aux échelles sous régionales (UEMOA, CEMAC, etc.)
Le point de vue développé est intéressant nottament quand il met en exergue la fausseté de la concurrence due aux subventions que versent les USA et l’Union européennes à leurs producteurs. Cependant je pense qu’une concentration trop accrue de notre budget dans le secteur primaire peut mener à certains déséquilibres et ce au détriment de secteur des services, un secteur en plein expansion et que nous ne pouvons négliger dans un contexte de mondialisation.
Merci à Joël d’avoir assisté à cette conférence et de nous l’avoir rapportée dans un article si intéressant.
Je partage le point de vue de Thierry. Pourquoi le secteur agricole serait-il plus essentiel que celui des services ? Il est vrai qu’environ 70% des Africains vivent de l’agriculture et que le secteur primaire a longtemps été négligé par les dirigeants. Cette négligence tend néanmoins à disparaître. A côté de cela, le continent est désormais connecté à des réseaux internationaux de téléphonie et d’Internet ; le secteur des services est en pleine expansion. Pourquoi devrait-on nécessairement répéter la succession d’étapes qui a conduit au développement d’autres pays en d’autres temps ?
A ce sujet, je trouve qu’A. Bio Tchané est peut-être un peu vite passé sur la question des subventions et exonérations. Cela fait que très rapidement, nous sommes passé de la question de la crise alimentaire à celle du développement agricole, pour ne plus la quitter. Or, est-il besoin de rappeler que ces deux questions sont distinctes. Parler de crise alimentaire renvoie à la nécessité d’accroître le pouvoir d’achat des ménages afin qu’ils puissent se procurer les biens de subsistance nécessaires. Ce pouvoir d’achat peut provenir du secteur primaire comme des deux autres.
Produire plus de biens alimentaires sans demande domestique solvable ne résoudra pas le problème. L’important est de choisir le dosage le plus propice au développement pour éradiquer la faim.
Je partage l’avis de Thierry. L’enthousiasme assez étonnant avec laquelle Bio-Tchané épouse le projet de « développement par la modernisation de l’agriculture » me rappelle trop le slogan houphouëtien des années 1990 « le progrès de ce pays passe par l’agriculture »… Déjà, à l’époque ils le disaient…
L’autre problème est que je ne sais pas très bien ce qu’il entend par « 80% de la population » travaillant dans le secteur primaire. 80% de la population active? Des travailleurs? Des indépendants? On n’en sait rien. Il suffit juste de se rappeler le taux de chômage dans beaucoup de pays Africains et de le combiner au taux d’urbanisation et à la proportion des « jeunes » dans ces populations, pour savoir que le problème essentiel n’est pas la situation des paysans, mais le chômage des jeunes.
SI moderniser l’agriculture permet de gagner des marchés, assurer de meilleurs revenus aux paysans, rééquilibrer les termes de l’échange, et in fine, encourager les jeunes des villes à envisager de revenir à l’agriculture, c’est une bonne idée. S’il s’agit de se booster l’agriculture parce qu »il « faut assurer son auto-suffisance » ou par manque d’imagination, ce n’est qu’un autre cataplasme.
Ceux-là sont quelques points que j’aurais aimé aborder plus en profondeur avec le candidat plus que l’économiste Bio-Tchané.