S’appuyant sur l’analyse juridique de 12 contrats d’acquisition foncière dans différents pays d’Afrique, Lorenzo Cotula traite des dimensions contractuelles sur lesquelles l’opinion devrait absolument avoir un droit de regard et il entend promouvoir un débat public éclairé à leur sujet. Cet article présente une version succinte de la problématique et des résultats de ce chercheur, spécialiste des questions foncières dans les pays en développement.
Ces dernières années, l’agrobusiness, les fonds d’investissement et les organismes gouvernementaux ont acquis des droits à long terme sur de vastes étendues de terres africaines. Les préoccupations des pouvoirs publics concernant la sécurité alimentaire et énergétique et le fait que le secteur privé anticipe une croissance de la rentabilité agricole sous-tendent une grande partie des récents investissements dans l’agriculture.
Outre la législation nationale et internationale en vigueur, ce sont les contrats qui définissent les termes d’un projet d’investissement et la façon dont les risques, coûts et avantages sont répartis. Qui a l’autorité de signer le contrat et au moyen de quel processus sont parmi les considérations qui influencent fortement la mesure dans laquelle les populations peuvent se faire entendre. Et les termes de l’acquisition peuvent avoir des répercussions profondes et durables sur l’agriculture et la sécurité alimentaire des pays hôtes.
Manque de transparence et méconnaissance des nécessités locales
Pourtant, on sait très peu de choses sur les conditions exactes des acquisitions foncières. Les négociations se déroulent le plus souvent à huis clos. Il est rare que les exploitants agricoles locaux aient leur mot à dire dans ces négociations. Peu de contrats sont mis à la disposition du public.
Ce rapport revient sur 12 contrats d’acquisition foncière et leurs cadres juridiques plus vastes. Il se place dans une perspective de développement durable – l’équilibre délicat et évolutif des considérations sociales, environnementales et économiques. De ce point de vue, pour les pays hôtes, attirer des investissements n’est pas une fin en soi mais plutôt un moyen d’arriver à une fin. Au final, l’objectif est d’améliorer les conditions de vie tout en protégeant l’environnement. Du fait de cet éclairage, les questions clés abordées dans le rapport ont trait à la participation dans le processus contractuel, à l’équité économique entre l’investisseur et le pays hôte, à la répartition des risques, coûts et avantages au sein du pays hôte, au degré d’intégration des préoccupations sociales et environnementales, et à la mesure dans laquelle l’équilibre entre les considérations économiques, sociales et environnementales peut évoluer au fil de contrats souvent conclus sur de longues durées.
Au regard de ces questions, il y a des réelles préoccupations que certains contrats à la base des récentes acquisitions foncières ne soient pas à la hauteur de leur objectif. Un nombre de contrats passés en revue semblent être des documents brefs et peu spécifiques qui octroient des droits à long terme sur de vastes étendues de terres et, dans certains cas, des droits prioritaires sur l’eau, en échange – semblerait-il – de maigres recettes publiques et/ou de vagues promesses d’investissements et/ou d’emplois. De surcroît, nombre de ces acquisitions sont négociées dans des contextes juridiques où les sauvegardes pour défendre les intérêts locaux sont fragiles, et certains contrats ne semblent pas consacrer suffisamment d’attention aux enjeux sociaux et environnementaux. De ce fait, on court un risque que les populations locales internalisent les coûts sans profiter correctement des avantages, et que les enjeux environnementaux ne soient pas convenablement pris en compte.
Quelques bons élèves
Quelques contrats renferment de meilleures conditions. Par exemple, un contrat d’acquisition au Cameroun propose des revenus plus élevés et mieux répartis, tandis qu’un contrat au Mali implique un partenariat sophistiqué avec le gouvernement hôte et les agriculteurs locaux et applique des normes environnementales et sociales internationales. Trois contrats conclus avec le Liberia se distinguent par leur durée plus souple, leur identification plus claire des terrains faisant l’objet de la transaction, des engagements plus précis de la part de l’investisseur en termes d’emplois, de formation, d’achats locaux et de transformation locale, la plus grande attention qu’ils accordent à la sécurité alimentaire locale et leurs sauvegardes sociales et environnementales plus rigoureuses. Les contrats libériens ont été ratifiés par le parlement et sont disponibles en ligne.
Au Liberia, un leadership politique déterminé, une solide équipe gouvernementale de négociation, une assistance juridique de classe mondiale, un recours efficace à l’analyse financière, et une (re)négociation simultanée des contrats agricoles et miniers (qui a nourri une fertilisation croisée bénéfique) ont permis d’arriver à un tel résultat. Les agences de développement peuvent jouer un rôle important pour aider les gouvernements hôtes à accéder au soutien dont ils ont besoin pour renforcer leurs capacités.
Toutefois, quels que puissent être les termes du contrat, le processus est aussi crucial. Dans plusieurs pays, le contrôle centralisé sur le foncier crée des risques que la population locale soit marginalisée de la prise de décisions. Certains des contrats examinés comprennent la consultation et des accords avec les communautés locales, mais c’est le gouvernement qui a souvent les cartes en main pour ce qui concerne les procédures d’affectation de terres et de passation de contrats.
Légalité et légitimité
Par conséquent, même dans les contrats les mieux négociés, l’écart entre la légalité (aux termes de laquelle le gouvernement détient officiellement les terres et peut les distribuer à des investisseurs) et la légitimité (aux termes de laquelle les populations locales estiment que les terres qu’elles exploitent depuis des générations leur appartiennent) expose les groupes locaux à un risque d’expropriation et les investisseurs à celui de la contestation. Plus généralement, les contrats ne constituent qu’un côté de la médaille. Ils ne fonctionnent que s’ils sont correctement mis en oeuvre – de bons contrats peuvent néanmoins donner lieu à des mauvais investissements, et des investissements peuvent produire des bénéfices même si les contrats sont faibles.
Les contrats sont souvent négociés dans des délais très brefs et dans un contexte de pouvoirs de négociation inégaux. Au lieu de conclure hâtivement des acquisitions foncières, les gouvernements devraient promouvoir un débat public transparent et vigoureux sur l’avenir de l’agriculture dans leur pays. Les organisations de producteurs doivent être au cœur de ce débat et le droit de regard de la société civile pourra contribuer à ce que le regain d’intérêt envers l’agriculture œuvre en faveur d’un développement durable et inclusif. Les recherches peuvent contribuer à fournir une base empirique pour ces processus et il est espéré que ce rapport constituera un pas dans ce sens.
Lorenzo Cotula
International institute for Environment and Development
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Merci Lorenzo pour ton étude intsructive. Des grands enjeux renferment la question de l'acquisition des terres agricoles. Les Etats africains gagneraient beaucoup à definir et respecter des procèdures transparentes en intégrant toutes les parties prenantes. La coopération régionale est également essentielle pour renforcer leur pouvoir de négociation.