Economie de la connaissance : un accès difficile pour les pays en développement

3D illustration of people on the map, representing the country’s demography.

L’économie de la connaissance est un paradigme largement accepté dans l’étude de l’économie, et plus particulièrement dans le champ de l’économie du développement. En effet, à première vue, la diffusion de la connaissance et de l’information ouvre des perspectives de développement en améliorant la productivité des entreprises et proposant des nouveaux modes de consommation, de travail, etc. De plus, contrairement aux biens matériels qui bénéficient uniquement aux agents qui les possèdent, la connaissance peut être détenue, simultanément, par plusieurs agents qui en tireront les mêmes bénéfices, sans en priver l’autre. Dans ce contexte, on peut facilement imaginer que les pays en développement, à défaut d’avoir des ressources financières immédiatement mobilisables, leur permettant de combler leur retard économique et social, pourraient au moins obtenir facilement un accès à l’information, à la connaissance, qu’ils pourrait exploiter à leur avantage.

En réalité, l’idée d’une économie fondée sur le savoir qui permettrait aux pays en développement de rattraper leur retard est facilement remise en question. Les indicateurs utilisés pour mesurer l’économie de la connaissance montrent eux même les biais de la théorie économique en faveur des pays développés. De plus, en pratique, les effets positifs d’une économie de la connaissance et de l’information sur les pays en développement restent discutables.

La mesure de la connaissance : des indicateurs biaisés

L’économie de la connaissance est souvent identifiée par des indicateurs généraux (taux de scolarisation, d’analphabétisme, etc) et des indicateurs plus spécifiques : nombre de brevets, d’articles scientifiques, paiement de redevances/licences, investissement en R&D…. Comme on va le voir, ces indicateurs sont tellement liés aux indicateurs généraux, qu’il est difficile de savoir s’ils mesurent l’économie de la connaissance, ou sont simplement révélateurs du niveau de développement général de la société.

Les pays développés ont de manière générale, plus de moyens que ceux en développement pour investir et mener des recherches permettant de créer du savoir, de la connaissance, ce qui explique un nombre plus important de brevets. Mais les individus et entités de ces pays sont également mieux informés sur les processus de dépôt de brevet, leur permettant d’en déposer plus facilement, sur toutes sortes d’« innovation ». Ainsi, les cas de biopiraterie, où une entreprise multinationale s’approprie des ressources biologiques d’un autre pays, moins développé, ou un savoir traditionnel comme l’utilisation d’une plante à des fins médicinales, pour les commercialiser, sont maintenant bien connus. L’Office Européen des Brevets a par exemple donné raison, en 2010, à une communauté Sud Africaine contestant le brevet de l’entreprise Schwabe Pharmaceuticals, sur une méthode d’extraction de racine, utilisée depuis longtemps par la communauté, mais que celle-ci n’avait pas brevetée, ne connaissant pas le système de droits de propriété intellectuelle[1].

Ces cas démontrent que la détention de brevet ne relève pas forcément de la maîtrise d’un processus de production complexe ou d’une technologie pointue, mais plutôt d’une maitrise du système de brevet et une meilleure compréhension des enjeux économiques derrière un produit… Ils démontrent également des différences de perception de la connaissance, celle-ci étant un bien commun n’appartenant à personne pour les communautés des Pays du Sud, alors que le système international de propriété intellectuelle donne un droit de propriété exclusif sur certaines connaissances, à des agents économiques.

Il existe un réel manque à gagner pour les pays en développement derrière le système des brevets, car il était estimé en 2008 que 10 à 15% des brevets donnent lieu à des licences, et donc des redevances mensuelles pour les entreprises qui les détiennent[2]. Les pays en développement, possédant moins de brevets que les pays développés, bénéficient donc de moins de retombées.

Le nombre d’articles scientifiques publiés est également censé être révélateur d’une société de la connaissance. Les pays africains, on l’a vu dans un précédent article, sont bien loin derrières d’autres pays en nombre d’articles publiés ; mais ce nombre est à relier directement à la situation financière de ces pays. En effet, dans des sociétés où les taux d’éducation et de formation sont les plus faibles, ou les dépenses en R&D des entreprises sont bas, et où les Etats ne sont pas en mesure de soutenir ni universités, laboratoires, ou encore entreprises, comme cela peut être le cas dans les pays dits développés, il est évident que les chercheurs seront moins nombreux, ou n’auront pas une autonomie financière leur permettant de se dédier à la recherche. En 2013, on comptait 2,4% d’africains parmi les chercheurs mondiaux[3], alors que les Africains représentaient 15% de la population mondiale[4].

Enfin, La répartition des revenus en R&D par zones géographiques est représentative des disparités entre les différentes zones. L’UNESCO est un peu plus optimiste que la Banque Mondiale, estimant que la R&D africaine représente 1,3% des dépenses mondiales, (contre 0,5% pour la BM), à un niveau similaire à celui de l’Océanie, alors que l’Europe, les Amériques et l’Asie représenteraient respectivement 22%, 32% et 42% des dépenses en R&D mondiales. L’Etat financerait 60 à 70% de la R&D (souvent grâce aux bailleurs internationaux), le secteur privé étant un faible contributeur[5] ; mais le niveau de R&D reste faible – encore une fois à cause d’une difficulté à mobiliser des ressources.

Cela dit, cet indicateur présente une faiblesse liée à la difficulté à quantifier la connaissance : il repose uniquement sur les inputs – les investissements en R&D – et non les outputs, c’est à dire les innovations ou les gains de productivité réellement produits.

Les limites de ces indicateurs montrent que la connaissance reste un bien commercialisable comme d’autre, et que l’économie de la connaissance ne peut pas ignorer les coûts liés à la transmission des savoirs, dans ce contexte. Outre ces coûts, d’autres éléments comme les déficiences structurelles des pays en développement mitigent l’impact potentiel de l’économie du développement sur la croissance.

L’économie de la connaissance : cercle vertueux ou cercle vicieux ?

L’économie de la connaissance permettrait-elle réellement le rattrapage envisagé par économistes et organisations internationales ? Peut-être, mais seulement pour les Etats qui possèdent déjà certains prérequis.

Ces prérequis concernent les infrastructures : route, électricité, internet…. Des équipements modernes auront besoin d’électricité pour fonctionner, un système d’information utilisant la sauvegarde de données en cloud ou des modes de collaboration partagés nécessiteront une bonne connexion internet. De même, le processus d’appropriation des connaissances sera plus difficile pour un personnel peu éduqué, qui sera donc plus couteux en termes de formation pour une entreprise internationale, que si elle peut trouver sur place des individus déjà qualifiés.

En effet, étant donné le peu de ressources mobilisées par les Etats africains pour des activités scientifiques, de recherche et d’innovation, les IDE sont perçus comme davantage capables de contribuer à l’économie du développement, à travers des transferts de technologie, comme l’import d’équipements modernes, de technologies ou systèmes récents (entre autres, via les licences).

Pourtant les IDE vers les pays en développement concernent souvent des activités primaires (extraction de matières premières notamment) et n’apportent donc pas de valeur ajoutée à l’économie locale ; celle-ci ne bénéficie pas réellement de transferts de technologie ou de connaissances qui puissent avoir un effet ricochet sur d’autres secteurs. De plus, les équipements ou procédés importés, y compris dans d’autres secteurs, ne sont pas forcément les plus récents, les innovations étant réservées aux marchés développés, plus aptes à les rémunérer.

Ainsi, difficile de dire que les IDE des entreprises multinationales sont révélateurs de transferts de technologie et de connaissance ; ils peuvent éventuellement permettre de stimuler les économies, mais il serait pertinent de les étudier de plus près pour voir de quels types de dépenses ils sont composés. Par exemple, il serait intéressant de voir si ces IDE concernent l’implantation de services d’ingénierie, de recherche ; le recrutement et la formation d’employés en local ; ou l’importation d’équipements et logiciels récents, et à fort contenu technologique.

Pour certains auteurs, les IDE témoignent même qu’une économie basée sur les connaissances contribue à perpétuer des inégalités entre pays ayant atteints différents niveau de développement : dans les pays les moins avancés, les investissements se feront en direction d’activités à faible valeur ajoutée, et se traduiront peu par des transferts de connaissance, contrairement aux pays plus développés où l’existence de certains prérequis incitera davantage les entreprises à y implanter des activités à plus forte valeur ajoutée[6].

Cela dit, ce constat pessimiste doit être mitigé avec certains pays dans lesquels les multinationales n’hésitent pas à employer de la main d’œuvre locale, de plus en plus qualifiée, au sein de secteurs plus sophistiqués. Dans le secteur des TIC, on voit ainsi de plus en plus d’ingénieurs africains, que ce soit au sein de filiales ou en tant que prestataires de ces multinationales, tandis que certains pays comme Nigeria attirent davantage de chaines de production quasi-complètes, montrant ainsi que le savoir-faire nécessaire à cette production est présent en local.

Concernant la relation entre économie de la connaissance et développement, certains auteurs constatent une corrélation entre niveau de connaissance (mesuré par le KEI de la Banque Mondiale) et niveau de développement, mais difficile d’établir le sens de la causalité entre développement et économie de la connaissance. En effet, les pays développés possèdent également un cadre institutionnel plus solide, des meilleures infrastructures, des systèmes éducatifs et de santé plus sains ; comment établir que la connaissance, déjà difficilement définissable, soit un facteur décisif du développement ?

Dans leur article intitulé « Pour une critique de l’économie de la connaissance comme vecteur du développement », les auteurs tentent de mesurer l’impact de la connaissance sur le développement, et concluent que l’investissement dans les TIC a un impact plus important sur la croissance pour les pays déjà développés, que dans ceux qui le sont moins[7].

Les mêmes auteurs vont plus loin en considérant que les investissements dans les TIC, encouragés par le paradigme actuel, se feraient au détriment d’investissements autrement plus urgents comme la santé, l’éducation, les infrastructures, et la sécurité pour certains pays… Autant de domaines qui, s’ils étaient renforcés, contribueraient de manière bien plus certaine au développement d’un pays, que l’économie de la connaissance.

Ces remarques sur les différents indicateurs révèlent plusieurs choses. L’économie de la connaissance reste un concept difficile à saisir, sans définition unanimement acceptée, certains la considérant d’un point de vue sociétal – une société aux modes de vie transformés par l’immatériel – et d’autre d’un point de vue économique, celui de la contribution des connaissances – un bien difficile voire impossible à quantifier – à l’économie.

La connaissance pourrait être gratuite, mais le système de propriété intellectuelle actuel en fait un bien payant au même titre que les biens matériels : c’est le cas du système des brevets, ou encore des articles scientifiques, parus dans des revues au coût prohibitif. Les coûts liés aux brevets et licences, à l’accès à la connaissance à travers des revues sont ainsi des barrières à l’accès aux connaissances pour les pays les moins développés.

La connaissance existante dans les pays en développement, peu formalisée, semble ne pas rentrer dans les cadres d’analyse de l’économie de la connaissance. Les savoirs traditionnels détenus par les pays du Sud sont réels et sans doute sous-estimés, et ce pour plusieurs raisons. D’une part, car les sociétés qui les connaissent ne les considèrent pas comme des biens sur lesquels certains individus ou organismes peuvent revendiquer des droits exclusifs de propriété, mais comme un savoir qui appartient à tous. Ensuite car la prépondérance de l’oralité rend superflue la formalisation écrite d’un tel savoir, or le système moderne de brevet a besoin d’une trace écrite pour valider la possession de cette connaissance. Enfin, la mesure de la part des connaissances dans l’économie est complexifiée, dans le cas des pays africains, par un manque de statistiques criant.

Marie Caplain

[1] Reinert Magalie, « Biopiraterie: une communauté autochtone d'Afrique du Sud remporte une victoire face au géant Schwabe », Novethic, 27 avril 2010

[2] Guellec Dominique, Madies Thierry et Prager Jean Claude, « les marchés de brevet dans l’économie de la connaissance – rapport (version provisoire), Conseil d’Analyse Economique, 28 Juillet 2010, p.24

[3]  Unesco, Rapport de l’Unesco sur la science – vers 2030 (résumé exécutif), 2015, p.16.

[4]  Ibid, p.11

[5] Union Africain et Nations Unies, « Transferts de technologies – L’industrialisation au service du développement inclusif et de la transformation en Afrique », Septième réunion annuelle conjointe de la Conférence des ministres africains des finances, de la planification et du développement  économique de la Commission économique pour l’Afrique et de la Conférence des ministres de l’économie et des finances de l’Union africaine , 29-30 Mars 2014, p.10.

[6] Clévenot, Mickaël, et David Douyère. « Pour une critique de l’économie de la croissance comme vecteur du développement », Revue Congolaise de Gestion, vol. numéro 17, no. 1, 2013, pp. 9-56.

[7] Ibid.

SOURCES

Reinert Magalie, « Biopiraterie: une communauté autochtone d'Afrique du Sud remporte une victoire face au géant Schwabe », Novethic, 27 avril 2010

http://www.novethic.fr/empreinte-sociale/droits-humains/isr-rse/biopiraterie-une-communaute-autochtone-d-afrique-du-sud-remporte-une-victoire-face-au-geant-schwabe-144060.html

Guellec Dominique, Madies Thierry et Prager Jean Claude, « les marchés de brevet dans l’économie de la connaissance – rapport (version provisoire), Conseil d’Analyse Economique, 28 Juillet 2010, p.24 http://www.cae-eco.fr/IMG/pdf/rapport_brevets_CAE.pdf

Unesco, Rapport de l’Unesco sur la science – vers 2030 (résumé exécutif), 2015, p.16. http://unesdoc.unesco.org/images/0023/002354/235407f.pdf

Union Africain et Nations Unies, « Transferts de technologies – L’industrialisation au service du développement inclusif et de la transformation en Afrique », Septième réunion annuelle conjointe de la Conférence des ministres africains des finances, de la planification et du développement  économique de la Commission économique pour l’Afrique et de la Conférence des ministres de l’économie et des finances de l’Union africaine , 29-30 Mars 2014, p.10.

https://www.uneca.org/sites/default/files/uploaded-documents/CoM/com2014/com2014-innovation_and_technlogy_transfer_for_enhanced_productivity_and_connectiveness_in_africa-french.pdf

Clévenot, Mickaël, et David Douyère. « Pour une critique de l’économie de la croissance comme vecteur du développement », Revue Congolaise de Gestion, vol. numéro 17, no. 1, 2013, pp. 9-56.

https://www.cairn.info/revue-congolaise-de-gestion-2013-1-page-9.htm

L’économie de la connaissance en Afrique: quel cadre théorique et quelles évolutions ?

En 2000, le Conseil des Ministres de l’Union Européenne, avec la Déclaration de Lisbonne, proclame sa volonté de « faire de l’UE, l’économie de la connaissance, la plus compétitive et la plus dynamique du monde », montrant ainsi l’importance donnée par les pays occidentaux à cette économie. En effet, à notre époque, caractérisée par les technologies et la diffusion de l’information qu’elles permettent, ainsi que par l’importance des services dans les économies, le capital immatériel apparaît comme un élément incontournable de la croissance économique.

Ce nouveau paradigme de l’économie de la connaissance s’accompagne inévitablement de son adoption par les institutions internationales, qui considèrent que l’économie de la connaissance serait un moyen pour les pays en développement de rattraper leur retard économique.

Cet article vise à donner une compréhension de base de l’économie de la connaissance, sans chercher à discuter de la pertinence des définitions ou des indicateurs. Il définira l’économie de la connaissance dans une première partie, avant d’identifier les indicateurs traditionnellement utilisés pour la mesurer. Il conclura en donnant un aperçu de l’économie de la connaissance en Afrique.

 

I – Economie de la connaissance ou économie de l’information ?

 

Alors que les 19ème et 20ème siècles se sont caractérisés par la révolution industrielle et la production de biens physiques en découlant, notre époque valorise de plus en plus une production immatérielle de connaissance, d’information, de savoir. Les progrès scientifiques et les innovations qui en ont découlé, qu’elles soient sociétales ou technologiques, ont entrainé des mutations profondes de nos sociétés. Cependant, il est difficile de décorréler l’importance croissante de la connaissance, de technologies comme Internet ou la téléphonie portable. Celles-ci y contribuent directement, puisqu’elles permettent une diffusion plus rapide et plus large des informations et des savoirs, réduisent les distances et permettent aux entreprises d’augmenter leur productivité. L’économie de la connaissance, la technologie et l’innovation sont donc intimement liées : les technologies et leurs usages, issus de l’économie de la connaissance, font naitre des innovations techniques et sociétales, comme les paiements sans contacts ou les bots, qui entrainent des nouveaux modes de consommation. Mais ces innovations contribuent elles-mêmes à l’économie de la connaissance – en favorisant la dématérialisation de certaines activités, avec l’exemple traditionnel des paiements mobiles qui permettent aux usagers d’éviter de se déplacer en agence. Enfin, la diffusion de la connaissance contribue au développement de nouvelles technologies, les savoirs étant plus rapidement exploités. 

Ainsi, l’économie de la connaissance se définit en général comme une économie dans laquelle le poids du capital intangible est important ; ce capital étant en général compris comme la connaissance et la part importante des technologies.

Le terme d’économie de l’information est parfois utilisé de manière interchangeable avec celui d’économie de la connaissance. Pourtant, les économistes soulignent des divergences entre les deux notions. L’information représente uniquement les données et faits purs, et leur accumulation ; tandis que la connaissance est le phénomène qui permet justement de lier ces données, de les interpréter et de les analyser. Alors que l’information ne peut jamais être plus qu’une donnée ou un fait, la connaissance relève d’une capacité cognitive, qui permet à l’individu d’interpréter les faits, plus difficile à mesurer.

Ainsi, on peut considérer que l’économie de l’information s’intéresse surtout à la diffusion de l’information, notamment par les TICs, alors que celle de la connaissance s’intéresse davantage à la gestion de cette information par les sociétés.

Cette distinction entre information et connaissance est intéressante à souligner dans le cas des pays en développement, où le manque de statistiques fiables limite la compréhension de certains phénomènes – du moins pour des observateurs extérieurs. Le fait que de nombreuses langues locales ne soient pas formalisées à l’écrit démontre par exemple un manque d’informations sur les langues, alors qu’il existe une connaissance tacite des langues, maitrisées par les populations. L’importance du secteur informel dans les pays africains montre également que les travailleurs informels, qu’ils soient réparateurs ou cuisiniers, possèdent un réel savoir-faire, même s’il n’est pas basé sur une formation théorique, ni reconnu officiellement dans les statistiques.

 

II – La connaissance – un bien immatériel difficile à mesurer

 

  1. Indicateurs généraux

La mesure de l’économie de la connaissance s’appuie en général sur une volonté de mesurer les efforts faits en recherche et développement, puisque cette dernière activité est productrice de connaissances. Cependant, la mesure porte plutôt sur les dépenses en développement de la connaissance, que sur la connaissance elle-même.

Les indicateurs utilisés sont donc :

  • La R&D en pourcentage du PIB, qui peut être mesurée par les dépenses engagées par les entreprises dans le domaine de la R&D (en pourcentage des investissements de leur entreprise, ou en pourcentage de la valeur de la production) et le personnel en R&D ;
  • Le nombre de brevets déposés (en général, par pays) ;
  • Le nombre d’articles parus dans des journaux scientifiques.

La mesure porte également sur des indicateurs de base comme l’éducation et la formation :

  • Taux d’alphabétisation ;
  • Pourcentage de la population qui a atteint un certain niveau d’éducation – cela peut être le brevet, le bac, ou d’autres diplômes, ou encore le nombre d’inscrits dans l’enseignement secondaire ou supérieur.  

 

  1. Cadre d’analyse de la Banque Mondiale

Un indicateur particulièrement intéressant pour les pays en développement est le Knowledge Economy Index (KEI – Indice de l’Economie de la connaissance) mis en place par la Banque Mondiale[1]. Le KEI doit permettre d’évaluer dans quelle mesure les Etats sont disposent d’une « économie de la connaissance », en fonction de leurs résultats dans chacun des quatre piliers identifiés :

 

PILIER 1

Système économique et institutionnel

PILIER 2

Education et ressources humaines

PILIER 3

Infrastructures d’information et de communication

PILIER 4

Système d’innovation

 

Barrières tarifaires et non tarifaires

 

Qualité de la régulation

 

Etat de droit

Taux d’alphabétisme des adultes

 

Taux brut de scolarisation dans l’enseignement secondaire

 

Taux brut de scolarisation dans l’enseignement supérieur

Nombre de téléphones pour 1000 habitants

 

Nombre d’ordinateurs pour 1000 habitants

 

Utilisateurs d’internet pour 1000 habitants

Paiements de redevances, $US par personne

 

Nombre d’articles de journaux scientifiques par million de personnes

 

Brevets accordés à des nationaux par le US Patent and Trademark Office par million de personnes

 

Pour un concept aussi vaste que l’économie de la connaissance, il peut difficilement exister un consensus sur la définition et la mesure exactes d’une telle économie. Cependant, on remarque une concordance sur l’importance de l’éducation, et celui de la recherche scientifique.

 

III – Etat des lieux en Afrique

 

Utiliser les indicateurs présentés précédemment peut permettre de situer les pays dans un classement d’économie de la connaissance. Cependant, dans le cas des pays en développement, et notamment ceux d’Afrique, le manque de données représente encore une fois un obstacle à une vue d’ensemble claire.

 

  1. Indicateurs généraux

 

Concernant les dépenses en R&D, elles représentaient 0,5% du PIB en Afrique en 2007 (dernières données accessibles), bien en dessous de la moyenne mondiale d’1,9%, mais aussi de la moyenne des pays sud asiatiques (0,7%), d’Asie de l’Est (2,4%), et d’Amérique Latine et des Caraibes (0,7%). En comparaison, les dépenses en R&D représentaient 2,5% du PIB en Amérique du Nord et 1,7% au sein de l’Union Européenne[2].

Difficile également de trouver un chiffre sur le nombre de brevets déposés en Afrique. La Banque Mondiale ne dispose de statistiques, en Afrique, que sur l’Afrique du Sud, et sur certaines années, du Nigeria, du Kenya, du Rwanda et de Madagascar. Cependant, d’après l’Organisation mondiale de la Propriété intellectuelle, l’Afrique fait également figure de parent pauvre : sur 2,6 millions de brevets déposés en 2014, seuls 0,6% venaient d’Afrique subsaharienne [3].

 

 

 

 

 

 

En matière d’articles scientifiques, on constate une croissance constante de leur publication dans toutes les régions depuis les années 1980, avec un pallier important pour toutes les régions en 2000. En 2013, l’Asie de l’Est et Pacifique affiche une parution de plus de 699 000 articles, l’UE 605 000 et l’Amérique du Nord 470 000.  

Loin derrière, l’Asie du Sud a publié 100 000 d’articles en 2013, l’Amérique Latine 85 000, l’Afrique du Nord et Moyen Orient 60 000 et l’Afrique subsaharienne…20 000.  Bien entendu, ces chiffres en valeur absolue ne permettent pas une comparaison proportionnelle en fonction de la population par région, mais ils permettent de voir quelles régions se démarquent des autres en publication scientifique[4].

Au niveau de l’éducation, l’Afrique souffre également de son taux d’alphabétisation des adultes (plus de 15 ans) qui est de 60% en 2010, contre 80% dans le monde, ou, pour le comparer à des régions similaires en termes de développement, 66% en Asie du Sud, 80% en Afrique du Nord et Moyen Orient, 92% en Amérique Latine, et 95% en Asie de l’Est et Pacifique.

Enfin, en terme de formation, la Banque Mondiale fournit des données sur le pourcentage de la population inscrite dans l’enseignement supérieur : il est de 34% au niveau mondial en 2014, contre seulement 8,5% en Afrique subsaharienne, alors qu’il est de 20% pour l’Asie du Sud, 39% pour l’Asie de l’Est et du Pacifique et 44% pour l’Amérique Latine.

 

  1. Cadre analytique de la Banque Mondiale

 

Peu de travaux ont été publiés dans les dernières années, y compris par la Banque Mondiale, sur le KEI, et sa mise à jour. Néanmoins, il est aisé de regrouper d’autres indicateurs pour essayer d’utiliser la logique des quatre piliers (Système économique et institutionnel ; éducation et formation ; TIC ; Innovation) et évaluer où se situe l’Afrique subsaharienne dans l’économie de la connaissance.

Ainsi, les indices tels que le Global Competitiveness Index ou Doing Business permettent de situer les économies dans le domaine du pilier 1. Il existe suffisamment d’articles traitant de ces indicateurs pour ne pas revenir dessus longuement : l’Afrique reste un continent avec des taux de croissance intéressants, bien que fortement ralentis dans les dernières années par la crise des matières premières, avec des environnements des affaires inégaux, souffrant de faiblesses mais sur lesquels des efforts sont faits. Néanmoins, les économies africaines souffrent de faiblesses liées au manque d’infrastructures, d’un déficit de systèmes éducatif et de santé fiables, qui peuvent compromettre une croissance inclusive sur le long terme.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Source : Global Competitiveness Report 2015 – 2016

 

Dans la précédente partie, nous avons déjà vu les chiffres liés aux piliers 2 et 4.

Pour étudier le 3ème pilier, lié aux TICs, plusieurs organismes ont récemment développé des indicateurs pour évaluer la maturité numérique ou technologique des économies. Néanmoins, l’on s’appuiera sur les données de la Banque mondiale pour étudier les 3 indicateurs restants, qui concernent ce domaine.

Le taux d’équipement en téléphone, tout d’abord portables, était de 98% de la population mondiale en 2015, 75% en Afrique subsaharienne, 78% en Asie du Sud, 104% en Asie de l’Est et Pacifique et 112% en Afrique du Nord. Le chiffre pour l’Afrique cache néanmoins des disparités car de nombreux pays africains ont un taux plus élevé, souvent supérieur à 100%.

Les lignes téléphoniques fixes, elles, équipent 14% de la population mondiale ; l’Afrique et l’Asie du Sud se situent bien en dessous, avec des taux d’équipement de respectivement 1% et 1,9%, contre 15% pour l’Afrique du Nord et Moyen Orient, et 15,8% pour l’Asie de l’Est et du Pacifique. Ce taux est de 37% pour les Etats Unis et 41% pour l’Union européenne.  

Concernant les ordinateurs, ils équiperaient 51,4% de la population mondiale, mais seulement 10,8% de la population africaine en 2016 ; bien en dessous du taux d’équipements de l’Asie du Sud Est et Pacifique (38,1%), des Etats arabes (44,6%), de l’Europe Centrale (67%), de l’Amérique (67,6%) ou de l’UE (80%)[5].   

Enfin, alors que 43% de la population mondiale utilise Internet en 2015, ce taux serait de 22% pour l’Afrique subsaharienne, légèrement en dessous de l’Asie du Sud (24%) mais bien en dessous de l’Afrique du Nord et Moyen Orient (43%), de l’Asie de l’Est et du Pacifique (50%), de l’Amérique Latine et Caraïbes (53%). L’Amérique du Nord et l’UE sont respectivement à 75 et 79%.

 

Conclusion

 

Cet article avait pour but de poser les bases théoriques permettant de comprendre ce qu’est l’économie de la connaissance, et de l’illustrer avec des statistiques dans les différents indicateurs identifiés.

Une question qui se pose régulièrement est notamment celle de savoir si cette économie de la connaissance peut réellement contribuer au développement de l’Afrique, et comment. Pour y répondre, il sera intéressant de regarder quels acteurs interviennent dans le processus de création de la connaissance, et quel rôle ils peuvent y jouer, que ce soit les gouvernements à travers les politiques publiques, ou le secteur privé, par exemple à travers les transferts de connaissance.

 

Marie Caplain

 

Sources

Mickael Clévenot, David Douyère. Pour une critique de l’économie de la connaissance comme vecteur du développement : Interaction entre les institutions, la connaissance et

les IDE dans le développement. Colloque international ” Economie de la connaissance et développement ” XXIVe Journées du développement de l’Association Tiers-Monde, Organisé par l’Université Gaston Berger (Sénégal), le Bureau d’économie théorique et appliquée de l’Université Nancy2/CNRS., May 2008, Saint Louis, Sénégal.

https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-00323335/document

Données ouvertes de la Banque Mondiale : http://donnees.banquemondiale.org/

Global Competitiveness Report 2015-2016 http://www3.weforum.org/docs/GCR2016-2017/05FullReport/TheGlobalCompetitivenessReport2016-2017_FINAL.pdf

Union Internationale des Telecommunications (données 2005-2016).

http://www.itu.int/en/ITU-D/Statistics/Pages/stat/default.aspx

World Bank Institute, Measuring Knowledge in the World Economy.

http://www.oneworldarchives.org/kambooklet.pdf

World Intellectual Property Indicators 2015

http://www.wipo.int/edocs/pubdocs/en/wipo_pub_941_2015.pdf

Vicente Jerome, Cours d’Economie de la connaissance.

fgimello.free.fr/documents/economie_connaissance.pdf


[1] World Bank Institute, Measuring Knowledge in the World Economy.

 

 

 

[2] Toutes les statistiques (sauf indication contraire) sont issues des données de la Banque Mondiale : http://donnees.banquemondiale.org/. Pour utiliser cet outil, simplement taper dans la barre de recherche l’indicateur désiré (ex : taux d’alphabétisation) et le pays ou la région désirée (Afrique subsaharienne, Nigeria, etc). Attention, les indicateurs ne sont pas forcément disponibles pour tous les pays.

 

 

 

[3] World Intellectual Property Indicators 2015

 

 

 

[4] Données de la Banque Mondial

 

 

 

[5] Union Internationale des Telecommunications : voir les données 2005-2016.