Le 31 mai dernier, les ministres de l’Intérieur et de l’Emploi Français ont pris une circulaire[1] qui restreint davantage les conditions de changement de statut d’étudiant à salarié pour les étrangers. Cette circulaire a suscité moult protestations et indignations aussi bien dans le milieu estudiantin qu’au sein du patronat français. De même, plusieurs articles ont été publiés dans les quotidiens d’information et sur des sites web comme Terrangaweb – l’Afrique des Idées. Si ces articles font une analyse fort intéressante de la circulaire, ils n’ont cependant pas clairement établi les gagnants et les perdants de cette décision. Des interrogations persistent toujours sur les pertes et les gains de chaque partie c'est-à-dire de la France et des pays d’origine.
En effet, la France accueille chaque année environ 200 000 immigrés, selon les chiffres fournis par le Haut Commissariat à l’Intégration et cités par le journal « Le Monde », dont 50 000 étudiants en moyenne[2]. Sachant que 32%[3] des étudiants suivent des études supérieures notamment dans les grandes écoles, on estime à 16 000 le nombre d’étudiants potentiellement concernés par cette circulaire. Toutefois, avec un taux de retour de 50%, il n’y a effectivement que 8 000 étudiants qui sont directement concernés par la mesure. De plus, avec un taux de chômage de 15%, selon les statistiques de l’Insee, on aboutit à 6 800 étudiants effectivement concernés par les nouvelles difficultés liées au changement de statut. Quelles sont donc les pertes et les gains liés à un refoulement de ces derniers vers leur pays d’origine ?
Du côté de la France, cette restriction va se traduire à court terme par une perte de capital à investir pour les entreprises et à long terme par une augmentation du chômage chez les autochtones. En effet, les 6 800 étudiants étrangers qui se sont vus opposer un refus de changement de leur statut ont trouvé leur emploi à l’issue d’une procédure d’embauche concurrentielle qui inclut également des étudiants autochtones. Dès lors, ils ont visiblement été embauchés par les entreprises à cause des avantages qu’ils présentent en termes de gain de productivité par rapport à leurs concurrents Français. Notons que ce gain résulte non pas de capacités professionnelles supérieures mais plutôt d’une assiduité plus importante du fait de leur statut d’étrangers et de l’espérance d’une promotion ultérieure contrairement à leurs concurrents qui ne sont pas soumis à ces contraintes.
Or, puisque ce gain de productivité ne se traduit pas par une augmentation du salaire, le surplus qu’il génère est retenu au profit de l’entreprise. Par conséquent, l’entreprise qui embauche un étudiant étranger qualifié se retrouve avec un profit supérieur à celui qu’elle aurait fait dans le cas contraire. Le surplus de profit sera donc investi pour créer de nouveaux emplois, pour embaucher d’autres travailleurs étrangers, et surtout pour embaucher davantage de travailleurs autochtones vu qu’ils ont trois fois plus de chance d’être embauchés que les étrangers[4]. C’est d’ailleurs ce gain qui suscite en partie le soutien du patronat à l’indignation des étudiants étrangers. Ainsi, avec cette circulaire, la France perd d’une part ce gain immédiat de capital supplémentaire dans le court-terme, et d’autre part tous les retours sur investissement et les emplois qu’il peut générer dans le long-terme.
De plus, il n’existe pas de gain en termes de réduction des dépenses sociales pour la France. Selon le Rapport intitulé «Immigration Sélective et Besoins de l’Economie Française», l’importance relative du poids des dépenses sociales dont bénéficient les immigrés provient surtout de la catégorie des immigrés non-qualifiés. Au contraire, les travailleurs immigrés qualifiés contribuent à un solde positif au niveau du budget de l’Etat en vertu des impôts prélevés sur leurs rémunérations élevées et du peu d’aides sociales qu’ils nécessitent.
Si l’on considère maintenant la situation des pays d’origine, on conclut qu’ils ne sont pas non plus gagnants; car la mise en œuvre de la circulaire va se traduire par plus de pauvreté. L’idée que l’arrivée de nouveaux diplômés compétents pourra mieux aider les pays d’origine à se développer ne tient pas face aux pertes énormes que cela engendre. Pour s’en convaincre, il suffit de considérer le travail d’un étudiant étranger qualifié comme un service d’exportation de qualité de son pays d’origine. En fait l’étudiant peut être vu comme un capital disposé à recevoir un certain niveau de travail (l’éducation de haut niveau dans notre cas) afin de produire de la valeur ajoutée. Cette éducation n’étant pas disponible dans le pays d’origine et par ailleurs, les retours de ce investissement étant plus élevés dans le pays d’accueil que dans le pays d’origine, il est dans l’intérêt du pays d’origine que l’étudiant aille à l’étranger et qu’il y demeure pendant sa période d’activité. En réalité, ces étudiants ont très peu de débouchés pour valoriser leurs acquis à juste titre dans leur pays d’origine. Par exemple, on n’a pas nécessairement besoin d’un diplômé d’HEC pour gérer la comptabilité d’une entreprise ordinaire au Niger.
Selon la dernière enquête 2010 de la Conférence des Grandes Ecoles, le salaire annuel moyen d’un diplômé des grandes Ecoles est de 35 000 euros à la sortie. Dans l’hypothèse où les nouveaux salariés transféreraient 30% de leur revenu annuel vers leur pays d’origine, cela représente environ 10 000 euros par an, soit un total de 68 millions d’euros. Dans la situation actuelle où bon nombre rentreront dans leur pays d’origine, cela représente un manque à gagner équivalent au revenu annuel d’environ 10 000 ménages, soit 50 000 personnes sans ressources si nous supposons une moyenne 5 personnes par ménage. Par conséquent, dans le court terme, les pays d’origine vont faire face à un accroissement du nombre de pauvres notamment en Afrique sub-saharienne où le nombre de personnes dépendant des transferts des migrants est en constante augmentation.
Cependant, cette perte pour les pays d’origine ne se manifestera que dans le court terme, car les nouveaux diplômés pourront trouver de nouvelles destinations afin de mieux rentabiliser leurs compétences scolaires. De plus, les pertes enregistrées dans le court-terme n’ont pas un impact dans le long-terme car l’essentiel des transferts aurait été utilisé à des fins de consommation et non d’investissement.
L’impact de cette circulaire peut être évalué sous d’autres angles notamment social et culturel. Toutefois, il ressort de l’analyse sous l’angle économique que toutes les parties sont perdantes et plus particulièrement le pays d’accueil qu’est la France. Dès lors, il est probable que les motivations de cette circulaire soient loin d’être économiques mais plutôt politiques. Ainsi, il y a peu de chance qu'elle soit reconduite l’année prochaine.
Georges Vivien Houngbonon
[2] Calculé à partir des données de l’Insee : http://insee.fr/fr/themes/tableau.asp?reg_id=0&ref_id=TITSEJ
[3], [4] Chiffres de l’Insee: http://insee.fr/fr/themes/document.asp?reg_id=20&ref_id=16769&page=alapage/alap343/alap343_graph.htm#graph2
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Georges, ton analyse est très précise et argumentée.
Autant je suis parfaitement d'accord avec toi sur la baisse de compétitivité des entreprises françaises, autant je trouve que ton analyse de l'impact sur les pays africains est pessimiste voire défaitiste.
Si, dans le court terme, la baisse des transferts d'argent est évidente, dans le long terme, les gains de productivité des entreprises locales (notamment les filiales de groupes européens) qui recevront de la main-d'oeuvre vont compenser à terme. Et c'est sans compter les créations d'entreprise.
J'ai du mal à penser que si tous les talents d'un pays sont réunis, celui-ci puisse continuer à persister dans la pauvreté.