« L’Afrique est riche, on a du diamant, de l’or, du manganèse, du coltan » etc. J’entends souvent ces paroles que j’ai moi-même parfois tenues. Le grand Thomas Sankara également disait devant les chefs d’Etats de l’OUA à Addis Abeba en 1987 que « notre sol et notre sous-sol sont riches ». Les Jeunes intellectuels africains, dont je crois faire partie, répètent à l’envie les chiffres qui font de tel ou tel pays africain « le premier producteur mondial de ceci » comme la Côte d’Ivoire de Laurent Gbagbo et de Alassane Ouattara pour le cacao ou encore « le dixième producteur mondial de cela » comme le géant nigérian de Goodluck Jonathan en ce qui concerne le pétrole. Ces deux exemples, même s’ils n’ont pas été pris au hasard, auraient pu être remplacés par une dizaine d’autres (la Guinée et sa Bauxite, la République Démocratique du Congo et son Colombo Tantalite ou Coltan, le Gabon et son bois, etc.) vu que pour la plupart d’entre eux, nos pays sont richement pourvus en matières premières.
Depuis quelques années que je réfléchis à la situation du continent, j’ai fini par avoir la conviction suivante : si notre sol et notre sous-sol sont riches, nous ne sommes pas riches et si d’aventure nous l’étions, nous serions plutôt des producteurs de matières dernières et non de matières premières. Dernières, car hormis quelques rares exceptions où leur valorisation apporte un véritable plus (Botswana, Ghana), ces matières n’enrichissent qu’une faible minorité de gens (les hauts dirigeants politiques, militaires, et quelques entrepreneurs un peu bizarres). Une question se pose : Alors que nous disposons de matières premières dont le monde entier a besoin, pourquoi n’arrivons nous pas à en tirer de grands bénéfices?
Cette question, comme chaque problématique posée en Afrique, ne peut être traitée avec une seule réponse. Les facteurs sont multiples : corruption, cupidité, faible coût sur les marchés mondiaux etc. Mais laissons ce type d’analyse auto-flagellante à d’autres. Intéressons-nous plutôt à d’autres éléments qui à mes yeux accentuent ce paradoxe du « dernier de la classe riche en matières premières ».
En effet si l’Afrique ne tire pas de grands bénéfices de ses matières premières, c’est d’abord et avant tout parce que ses intellectuels n’ont pas opéré de révolution conceptuelle depuis que nous sommes sortis de la barbarie qu’était la colonisation. Cette élite, dont certains d’entre nous vont constituer le vivier de renouvellement, a filièrisé les cultures de rentes que le colon avait développées sur nos territoires : typiquement c’est ce que fait la Côte d’Ivoire avec son cacao. Elle fait grandir ses fèves et comme à l’époque coloniale, les exporte dans la Métropole (France, Suisse) qui les transforme (en Y’a bon banania à l’époque et en Lindt de nos jours) avant de les revendre à des prix exorbitants dans l’ex-colonie qui constitue ainsi un marché pour les produits finis de l’ancien maitre. Dans ce petit cercle que l’on vient de décortiquer, qui, d’après vous, empoche réellement une part conséquente de valeur ajoutée ? Sûrement pas le paysan ivoirien… Enfin, si l’on sait que c’est l’élite locale élevée à la sauce occidentale qui va dépenser une partie de son salaire pour acheter ces chocolats de « haut niveau », on sait qui en réalité perpétue le mal… En résumé, l’élite a institutionnalisé la culture de rente (par peur ou ignorance ou autre), s’en gargarise dans les salons et continue à enrichir le concurrent en rachetant au prix fort les produits qu’il fabrique. Cela mène à une autre question : Si l’élite n’est pas consciente des intérêts du groupe, constitue-t-elle réellement une élite ? Formons-nous des intellectuels qui servent réellement leurs pays ou formons-nous plutôt des porteurs de diplômes?
Outre la perpétuation des cultures de rentes, la faible industrialisation est également à mettre en cause. L’un et l’autre pourraient d’ailleurs être équivalents car l’un, en l’occurrence la faible industrialisation, est la réciproque de l’autre. Cependant, il est préférable de les distinguer pour plusieurs raisons. D’abord parce qu’au-delà de créer de la richesse, l’industrialisation en aval des filières de matières premières permet de sécuriser l’approvisionnement d’un pays en biens essentiels à son fonctionnement. Qu’est-ce à dire ? Que si le Nigéria avait veillé à ce que ses capacités de raffinage se développent à une vitesse proche de celles de son industrie extractive, on n’assisterait pas aux scènes affligeantes de pénurie d’essence dans Lagos. Oui, le 10ème producteur mondial de pétrole rencontre des problèmes d’approvisionnement en essence…Il vend beaucoup de pétrole, donc fait rentrer beaucoup de devises (65% du budget de l'Etat), mais n’en a pas assez pour aller racheter de l’essence en quantité suffisante pour son approvisionnement. La conclusion que toute personne lucide devrait en tirer est la suivante : il ne sert à rien de se dépêcher de développer ses capacités d’extraction en minerais, en hydrocarbures ou d’étendre la surface de ses terres cultivables si en bout de chaine on ne transforme pas une partie suffisante de ce qui est extrait pour sa propre consommation. Nous devons arrêter d’extraire pour vendre, et commencer à extraire, raffiner, transformer etc. en quantité suffisante pour satisfaire la demande intérieure. En termes de stratégie, les faits prouvent au quotidien que les pays africains, leurs dirigeants et la plupart de leurs intellectuels échouent royalement.
Troisième élément pouvant expliquer le paradoxe des matières dernières, le refus de l’emploi de la technologie dans ces filières. L’emploi du mot refus n’est pas fortuit. En effet, nos pays ont depuis quelque temps adopté la fâcheuse habitude de fournir des cadres de (très) haut niveau aux sociétés étrangères (américaines, françaises, australiennes, hollandaises) pour que l’on nous exploite avec nos cerveaux et du matériel hi-tech qui lui, ne nous appartient pas. L’Etat du Sénégal, par exemple, investit 40 % de son budget dans l’Education nationale (chiffres officiels), même si l’essentiel de ce pactole est mobilisé pour des dépenses de fonctionnement, cela fait tout de même beaucoup pour l’éducation. Des étudiants sont envoyés à l’étranger avec des bourses nationales (en 2007 on recensait 8 992 étudiants sénégalais dans le supérieur en France), ceux qui restent au pays ont une bourse automatique et des conditions financières, certes maigres mais avantageuses pour poursuivre leurs études. Si parmi tout ce beau monde on forme des ingénieurs géologues, des ingénieurs agronomes mais que ceux-ci travaillent pour des sociétés étrangères car seules celles-ci ont un niveau technologique suffisant pour les accueillir dans leurs structures, à quoi cela sert-il de former ces ingénieurs et de dépenser autant d’argent pour eux ? Une partie de cet argent doit être redéployée dans l’acquisition de technologie.
Il faut donc que nous les futurs dirigeants, car les actuels me désespèrent, soyons au fait de la chose suivante : investir dans les ressources humaines sans investir dans la technologie c’est comme aller faire un appel à la prière du vendredi en pleine soirée ladies night au Duplex, c’est du temps perdu… Il faut certes former des cadres, des ingénieurs surtout, mais il faut également que nos pays et nos secteurs privés se sacrifient financièrement pour moderniser la production agricole (cf. PanAAC http://www.panaac.org) et progressivement acquérir la technologie pour leurs compagnies nationales d'extraction minière, gazière, ou pétrolière. Et si ces sociétés n’existent pas, il faut les créer ! L’Aramco, société nationale du pétrole en Arabie Saoudite, n’attends plus l’appui technologique de Total, Shell ou BP pour explorer et exploiter le pétrole saoudien. Au Venezuela, le Président Chavez a également préféré avoir moins de maitrise technologique en nationalisant le secteur pétrolier, plutôt que de continuer à tout le temps demander la technologie étrangère pour extraire le pétrole de son pays. Et quand on sait que celui qui vous prête sa technologie, veut avoir les trois quarts des retombées financières, il devient préférable de gérer avec ce que l’on a.
Pour prendre un exemple africain, sous le magistère du Président Sassou Nguesso, faux marxiste de surcroît, l’Etat congolais touchait seulement 17% de la manne pétrolière, le reste allant essentiellement dans les caisses d'ELF, l’exploitant qui apporte sa technologie. Alors soit nous faisons ce que tout le monde fait (notamment les chinois) en incluant des clauses de transfert de technologies dans nos permis d’exploitation, soit nous continuons à offrir gratuitement nos matières premières pour permettre à des boites comme Total de faire 13 milliards d’euros de bénéfice en un an. En résumé, tant que le tryptique Ressources Humaines + Sociétés Nationales + Transferts ou achats de technologie ne sera pas atteint, il ne sert à rien d’exploiter nos matières premières. Autant les laisser dans le sous-sol…
Je voudrais enfin terminer en lançant un appel aux jeunes étudiants africains : développez l’esprit entrepreneurial en vous car hormis les grandes sociétés étrangères, il n’existe pas encore de structures suffisamment fortes pour vous accueillir et vous fournir un niveau de salaire conforme aux standards occidentaux de vos diplômes. Il faut certes des réformes politiques et structurelles comme j’ai essayé de le démontrer dans cet article mais il faut également un secteur privé fort et organisé pour soutenir nos Etats. Ils sont bien trop petits et bien trop faibles économiquement pour réaliser ces changements tous seuls. Entreprenez avec obligation de réussite et interdiction de découragement, avec le temps vous pourrez apporter votre pierre à l’édifice et contribuer à faire de nos matières dernières des matières premières.
Fary NDAO
Membre de l’Association Njaccaar Visionnaire Africain
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Article intéressant qui essaie de comprendre les causes de la "malédiction des ressources" théorisée par Richard Auty.
Concernant, vos deux premiers arguments qui se regroupent en fait, j'ai du mal à voir l'intérêt qu'a la fameuse élite dans le faible taux d'industrialisation des pays africains. Cette élite n'y a a priori aucun intérêt (peu sont des propriétaires terriens). Je vois plutôt l'héritage du fonctionnement colonial où la colonie devait fournir les matières premières à la métropole.
Enfin s'il est vrai que les pays africains forment "beaucoup" de jeunes, combien parmi eux ont créé des universités ou écoles de référence dans des domaines telles que les industries extractives. Les gouvernements africains n'ont pas privilégié l'humain à la technologie. Ils n'ont juste pas investi dans la technologie.