Visite au patronnât français, réception de la mission économique canadienne, appel aux opérateurs économiques d’Afrique. Les dirigeants ivoiriens l’ont bien compris, s’ils souhaitent redresser le pays cela passe par des investissements massifs de l’étranger pour dynamiser l’économie interne. Mais, qui serait prêt à investir dans un pays dont l’instabilité politique dure depuis plus de 10 ans ?
Le président Alassane Ouattara était en visite d’Etat, en France, du 25 au 27 janvier 2012. S’il a, bien entendu, rencontré son homologue, Nicolas Sarkozy, il en a surtout profité pour faire la cour au patronnât français lors de son « grand oral » au QG du MEDEF. « Les investissements sont un des piliers de la nouvelle stratégie qui est en train d’être mise en place pour faire de la Côte-d’Ivoire un pays émergeant à l’horizon 2020 ». Oui, « Ado » (surnom du président ivoirien, couramment utilisé pour le désigner) a sorti l’artillerie lourde pour convaincre les investisseurs français.
Deux semaines plus tard, le 13 février, c’était au tour de Charles Konan Banny, président de la « Commission Dialogue Vérité Réconciliation » (Cdvr), de lancer un message aux opérateurs économiques des différents Etats africains : « Je dis aux uns et aux autres qu’investir dans la réconciliation, c’est investir dans la paix. Il n’y a pas d’investissement qui rapporte plus que cela ! »
Cela dit, de la même manière que l’on ne sait qui, de l’œuf ou de la poule, arriva en premier, on ne sait si les investissements créeront la paix ou si l’assurance de la paix attirera les investissements. Le gouvernement ivoirien a compris qu’il était dans son intérêt de faire le premier pas.
Lors de sa visite en France, Ouattara a signé un Accord de Défense Bilatérale qui implique l’aide de la France dans la reconstruction des forces de sécurité ivoiriennes. Cet accord prévoit aussi la réduction des soldats français de la Force Licorne en Côte-d’Ivoire, les faisant passer de plus de 2000 aujourd’hui, à 250 dans un avenir proche. Les soldats restants auront pour tâche principale de former la nouvelle armée ivoirienne. « C’est un accord qui montre que la France est aux côtés de la Côte-d’Ivoire dans sa quête de sécurité », affirmait le président ivoirien.
La paix n’est pas le seul gage à apporter par la Côte-d’Ivoire. Elle doit également montrer sa capacité à se redresser elle-même. Ainsi, Ouattara promet notamment une politique budgétaire rigoureuse qui permettra, selon lui, au pays de garder son rythme de croissance de l’année passée, à savoir +8,5%. La création d’un code d’éthique et de bonne conduite de l’administration publique est aussi dans les cartons. Les promesses ne s’arrêtent pas là : indépendance du système judiciaire, retour à la libre circulation des biens et des personnes, facilitations dans la création de PME, passation des marchés publics pour recentrer l’Etat sur ses fonctions régaliennes. Autant de mesures censées rassurer les investisseurs, selon Ado : « Je suis convaincu que la stabilité politique, macro-économique et une meilleure lisibilité de l’action publique, sont les éléments clefs pour attirer l’investissement privé ».
Que l’on ne se leurre pas. Si les investisseurs étrangers sont si attentifs à l’évolution d’un pays aussi bouleversé, c’est parce qu’il reste, malgré tout, une valeur sûre. La Côte-d’Ivoire, c’est un taux de croissance entre 8% et 9% sur l’année 2011. La Côte-d’Ivoire, c’est la 2e économie de l’Afrique de l’Ouest après le Nigéria. C’est une économie avec des secteurs agricole et touristique très puissants. On comprend dès lors pourquoi l’Union Européenne n’a pas tardé pour offrir une aide de 250 millions d’euros pour rétablir le système éducatif, le système de santé et accélérer le développement des infrastructures. On comprend aussi pourquoi le Président du Conseil d’Administration du FMI, s’est empressé d’affirmer, au début du mois de février : « L’économie se redresse plus vite que prévu. Le secteur financier est de nouveau pleinement opérationnel. »
Le 14 février dernier, une délégation d’hommes d’affaires canadiens était en visite de prospection en Côte-d’Ivoire. Cette visite s’inscrivait dans le cadre de la création d’un Accord de Protection des Investissements Etrangers, en Côte-d’Ivoire. Le but de cet accord étant, selon l’ambassadrice canadienne, Chantal de Varennes, d’ : « offrir des garanties solides aux investisseurs canadiens et offrir à la Côte-d’Ivoire un avantage comparatif de taille. » Les investissements canadiens, toujours selon l’ambassadrice, devraient s’orienter vers 3 secteurs en particulier : les mines, les infrastructures et les technologies de l’information et de la communication.
Toutes les parties prenantes au projet sont en adéquation, ce qui devrait faciliter et accélérer la reconstruction économique de la Côte-d’Ivoire. Encore faut-il que les promesses des responsables publics ivoiriens soient tenues.
Deux nouveaux événements viennent aider la Côte-d’Ivoire dans son opération séduction : Alassane Ouattara a été élu le 17 février Président de la Communauté Economique des Etats d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) et la Délégation de la Banque Mondiale a fait un bilan positif de sa visite d’inspection dans le pays.
Ce qui permet au président ivoirien de conclure avec assurance : « La Côte-d’Ivoire est en paix. (…) [Elle] est en marche pour redevenir le pays phare de la sous-région. » Pas sûr que les familles des dizaines de victimes du massacre de la ville d’Arrah, le 13 février dernier, soient du même avis.
Giovanni DJOSSOU
Sources : Fraternité Matin – France 24 – Abidjan.net
Crédits photo: metrofrance.com – frindethie.wordpress.com
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Bel article Giovanni! 3 petites questions:
– J'ai l'impression que la Côte d'Ivoire a malgré tout du mal à diversifier ses partenaires. Elle reste très liée économiquement à la France et un petit peu au Canada. Qu'en penses-tu?
– Penses-tu que les dirigeants ivoiriens s'y prennent bien pour redynamiser l'économie du pays? Ou alors est-ce qu'il s'agit plus d'effets d'annonce sans s'attaquer à certains problèmes de fond?
– Comme tu as pu tâter un peu le terrain, que pensent les ivoiriens que tu as rencontrés des perspectives économiques de leur pays à court terme? Sont-ils confiants par rapport à la reprise de l'activité?
Merci pour tes questions Tite.
Je répondrai à la dernière question d’abord : L’expression que j’utiliserais pour décrire le sentiment de la plupart des Ivoiriens sur le sujet serait « wait and see ». Le peuple comprend l’intérêt de l’opération séduction qu’entreprend son gouvernement en ce moment, mais il reste particulièrement perplexe. Il ne sait pas s’il faut croire en toutes ces promesses.
Mon sentiment personnel est similaire. Cela dit, pour couvrir les informations économiques chaque jour, je peux t’assurer qu’il y a un réel travail de fond. Les investisseurs privés reviennent petit à petit et des partenariats concrets se signent.
Pour la deuxième question : oui, il est évident qu’il y a une immense stratégie de communication sur le travail du gouvernement. L’organe de presse dans lequel j’exerce-Fraternité Matin- est d’ailleurs le principal relais de cette communication. Cependant, j’ai envi de croire que c’est un travail global que souhaite effectuer le gouvernement (naïveté ?). Profiter du retour des investisseurs pour améliorer les choses qui sont moins « clinquantes ». Aujourd’hui, par exemple, j’ai couvert une réunion réalisée par les maires et représentants des différents districts d’Abidjan pour poursuivre le programme de salubrité publique.
Le gouvernement a récemment débloqué d’importantes sommes pour pouvoir éradiquer le problème du dépôt des déchets sur la voie publique. Il y a aussi la fabrication de 2 châteaux d’eau pour que le plus grand nombre ait accès à l’eau courante.
Première question : Je suis tout à fait d’accord avec toi sur ce point. C’est d’ailleurs le principal reproche que je ferais au gouvernement actuel, dans ses initiatives. La Côte-d’Ivoire est quasi-exclusivement tournée vers la France. Cela laisse l’impression que la France-Afrique se perpétue. Néanmoins, pour être totalement franc, les Ivoiriens, eux, ne le voient pas ainsi. Ils sont déjà heureux que l’on fasse à nouveau confiance à la Côte-d’Ivoire, que les entreprises reviennent. Peu importe la provenance. Ce que j’ose appeler la « guerre civile », de l’année passée, est encore dans tous les esprits. La Côte-d’Ivoire ne se paie donc pas le luxe d’être trop regardante sur la nature de ses partenaires. Peut-être s’en mordra-t-elle les doigts dans quelques années. « wait and see » !
"La Côte-d’Ivoire, c’est un taux de croissance entre 8% et 9% sur l’année 2011." Cette phrase n'est pas vraie. C'est le taux de croissance prévu pour 2012. En 2011, le taux de croissance est négatif. Il est plutôt de l'ordre de -6%.
J'aimerais aussi dire que la politique d'endettement massif du gouvernement peut avoir des conséquences néfastes tant sur l'économie du pays (le service de la dette peut nous entraîner ça ressemble à un cercle vicieux) que sur le plan politique.
Aussi cette politique de la main tendue tous azimuts, dans tous les domaines, ne favorise t-elle pas l'idée que le développement ne peut venir que de l'extérieur? Ne participe t-elle pas d'une certaine irresponsabilité (ou insouciance) des populations? Le paternalisme des africains pour qui le PR est un demi-dieu, n'est-il pas accru avec tout cela?
Enfin la conclusion sur les morts d'Arrah montre bien que l'équation sur la poule et l'oeuf n'est pas prête d'être résolue en ce qui concerne la CI.