A l’instar de la plupart des économies africaines, la question du difficile accès des PME au financement s’est toujours présentée en Côte d’Ivoire comme un défi auquel les décideurs politiques et économiques peinent à trouver des solutions efficaces et durables. En effet, les conditionnalités actuelles d’accès au crédit restent quasi impossibles à franchir par les PME ivoiriennes, qui occupent pourtant une place primordiale dans le tissu industriel du pays : selon le ministère du commerce, les PME représentent 80% des entreprises et contribuent pour près de 20% au PIB et emploient environ 23% de la population active. C’est à juste titre qu’à l’occasion de la cérémonie d’inauguration du siège du patronat ivoirien baptisé« la Maison des entreprises » qui s’est tenue à Abidjan le 19 septembre 2014, le Chef de l’Etat AlassaneOuattara a fait cet appel de pieds aux institutions financières implantées dans le pays :«En Côte d’Ivoire le constat est clair: le secteur financier ivoirien ne contribue pas encore suffisamment au financement de l’économie nationale ».
Des raisons complexes à la base du difficile accès des PME au financement…
Une analyse profonde de la question permet de réaliser que la problématique du difficile accès des PME au financement est plus complexe qu’elle ne parait. En effet, s’il est vrai que de nombreuses institutions financières, guidées par leur logique purement capitaliste, ne jouent pas pleinement leur rôle de financement de l’économie, la réalité du terrain nous impose néanmoins, de constater que la plupart des PME présentent un profil de risque élevé en raison du manque de visibilité de leurs activités dû à un environnement politico-économique fragile ; ce qui contribue à les rendre insolvables. Ainsi, le mécanisme traditionnel de financement par prêt bancaire s’avère inefficace puisque le risque de non remboursement est réel.
…qui nécessitent une intervention de l’Etat à travers la mise en place d’un fonds souverain
Dans ce contexte d’impasse, l’Etat de Côte d’Ivoire ne doit pas se contenter de dénoncer l’inaction des banques. Il doit prendre ses responsabilités en se positionnant clairement comme un partenaire financier privilégié des porteurs de projet. Pour parvenir à jouer efficacement ce rôle de partenaire financier, une solution idoine s’offre à notre pays : la création d’un fonds souverain. En effet, la Côte d’Ivoire peut capitaliser sur son énorme potentiel en ressources naturelles pour constituer une manne financière importante en vue de mettre en place son fonds souverain. De fait, le secteur primaire qui représente plus de 29% du PIB en 2013 (BAD, African Economic Outlook) est dominé par l’exploitation forestière et les cultures industrielles d’exportation (café, cacao, palmier à huile, hévéa etc.). En plus de cela, le secteur minier qui a contribué en 2013 à hauteur de 4.6% au PIB (BAD, African Economic Outlook) prend progressivement de l’ampleur dans l’économie du pays. En Avril 2014 par exemple, le groupe français TOTAL a fait l’une de ses plus grandes découvertes de pétrole en Afrique de l’Ouest au large de San Pedro, dans le sud-ouest de la Côte d'Ivoire.
Le gouvernement de Côte d’Ivoire peut réaménager l’utilisation des recettes issues de l’exploitation de ses ressources naturelles pour consacrer une partie au financement d’un fonds souverain dont le but sera de soutenir le développement des PME. En effet, à condition d’être rigoureusement géré, les fonds souverains se présentent comme un puissant levier pour répondre efficacement au défi de financement des PME.
Ainsi, face à la stratégie d’investissement des partenaires financiers privés qui repose essentiellement sur la recherche de rentabilités élevés à court terme, le fonds souverain devra proposer aux PME, un package de solutions de financements moins exigeants qui privilégientleur développement sur le long terme. Il s’agit pour le fonds souverain, d’adopter la posture d’un allié dont le but est d’abord et avant tout d’aider les PME à transformer leurs faiblesses en force pour devenir à moyen ou long terme, des champions nationaux qui porteront l’économie du pays.
Un recours croissant aux fonds souverains à travers le monde.
En plus d’offrir des opportunités de financement pour les entreprises, l’une des raisons qui pousse les pays à créer des fonds souverains est qu’ils favorisent la gestion optimale des revenus issues des ressources naturelles afin d’éviter la fameuse «malédiction des ressources naturelle». Les exemples de réussite de fonds souverains à travers le monde sont légions. Grâce à ses revenus pétroliers, la Norvège a réussi à bâtir le plus gros fonds souverain au monde qui est aujourd’hui une structure clé dans l’architecture économique du pays. La plupart des pays du golf arabe producteurs de pétrole disposent de fonds souverains qui jouent un rôle de premier plan dans le financement de leurs économies.
En Afrique subsaharienne, l’Angola et le Nigeria sont en tête du classement des plus gros fonds d’investissement. D’autres pays tels que le Gabon, la Guinée Equatoriale et le Ghana ont également mis en place des fonds souverains. Tout récemment, le Sénégal qui dispose pourtant de très peu de ressources naturelles a lancé son fonds souverain pour apporter une réponse appropriée à la question du manque de financement des PME.
Des conditions préalables à respecter pour le succès du fonds souverain
Bien que les fonds souverains soient un levier capable d’apporter une réponse à l’épineux problème du financement des entreprises, il convient de noter que leur existence en soi n’est pas une panacée.Pour éviter de créer un effet de massue, les fonds souverains doivent être utilisés à bon escient. Ainsi, le succès de tout fonds souverain est subordonné entre autres aux préalables suivants :
- Diversifier les sources de revenus destinées à alimenter le fonds : La Côte d’Ivoire dispose de diverses ressources naturellesqui peuvent servir de base de collecte des revenus (taxes, prime d’exploitation etc.) pour alimenter les fonds souverains.Le fonds se présentera comme une caisse unique qui centralise l’ensemble des revenus de l’Etat non destinés directement au financement du budget.
- Transparence et rigueur dans la gestion des ressources : Le manque de transparence et de rigueur sont lesprincipales causes de l’échec des fonds souverains. Il est donc crucial de créer les conditions d’une gestionrigoureuse qui s’inscrit dans une vision claire et ambitieuse
- Mécanisme d’investissement : Le fonds souverain devra apporter des capitaux sous forme de fonds propres pour prendre des parts dans le capital des PME. Ceci permet à la fois de bénéficier des dividendes généréset d’avoir un regard sur la gouvernance afin de contribuer à améliorer la gestion de la société pour l’inscrire sur la voie de la croissance.
- Définir une stratégie d’investissement efficace : La ligne directrice du fonds doit être clairement établie. Il s’agit de définir entre autres : les secteurs cibles prioritaires, le montant des tickets de financement, la durée moyenne de l’investissement, la nature de la prise de participation (minoritaire vs majoritaire) etc.Pour ce faire, l’équipe dirigeante devra être composée de professionnels confirmés rompus au métier de la finance et de l’investissement
La Côte d’Ivoire devrait s’inspirer de ces success stories pour lancer son fonds souverain avec pour objectif spécifique de contribuer au financement des PME qui seront des champions nationaux capables de porter l’émergence du pays. Avec son énorme potentiel en ressource naturelles et le dynamisme de son économie, les conditions sont favorables à la réussite d’un fonds souverain en Côte d’Ivoire.
Lagassane Ouattara
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Très belle analyse, cependant la réussite d'un tel fonds dépandra essentiellement de la satabilité politique de la Côte d'Ivoire à moyen et long terme. La Côte d'Ivoire a cette habitude d'etre destabilisée à chaque fois qu'il y a des élections présidentielles et à l'occasion des crises qui s'en suivent, le pillage des ressources publiques devient la règle. Les pays qui ont réussi à mettre en place un Fonds de Souveraineté efficace jouissent d'une longue priode de stabilité. L'autre phénomène que vous évoquez dans votre analyse et qui est la principale menace sur le réussite d'un Fonds souverain est la mauvaise gestion. La côte d'Ivoire disposent en effet dejà de plussieurs Fonds dont l'efficacité n'a toujours pas été démontré, par exemple le Fonds d'Investissement en Milieu Rural ou le Fonds d'Entretien Routier pour ne citer que ceux là. De mon point de vue, les Dirigeants des Fonds et autres Structures Publiques de premier plan devrait se faire par appels d'Offre avec des contrats de performance et une obligation de rendre compte publiquement devant le Parlement. Malheuresement la pratique en Afrique et particulièrement en Côte d'Ivoire est que ce choix se fait généralement sur des considérations politiques ou ethniques. Toutefois, l'echec dans la gestion publique ne réside pas tant dans le choix des responsables mais surtout dans l'absence totale de sanctions en cas de mauvaise gestion constatée. Ce dernier point sera développé dans mes commentaires futurs. Merci encore pour ta contibution cher Lagassane OUATTARA.
Ok pour le diagnostic. Not ok pour la solution. Les Fonds Souverains ne servent pas a faire des prets aux PMEs. Ils servent en general a investir dans des secteurs strategiques en prenant des participations dans des projets industriels ou des entreprises strategiques.
Je pense que l'idee que tu decris est celle d'une Banque des PMEs et la encore ce n'est pas un Fonds parce qu'un Fonds investit et fait rarement de la dette.
Je pense qu'il ne faut pas laisser les banques se defausser. Si les craintes sont bien reelles et que l'analyse du risque montre que le rapport risque/profit est faible pour ces institutions, la solution la plus simple est de partager le cout du risque avec ces banques en garantissant les prets qu'elles vont faire a des PMEs remplissant certains criteres.
C’est une analyse très pertinente Lagassa. Je pense que pour le bon fonctionnement d’une économie libre de marche il faut une classe moyenne durable. La classe moyenne est le pilier de la croissance économique parce qu’elle consomme majoritairement l’offre des produits et services des différents industries ce qui accélère la création d’emplois et dope l’innovation multiforme. Puis l’Access a l’éducation et enfin a la maturité sociale. Il a été démontre que la majorité des emplois sont créés par les petites et moyennes entreprises. Les petites et moyennes entreprises représentent le plus grand pourvoyeur d’emplois. Par soucis d’efficacité (qualité et respect des échéances) une grande partie des projets et contrats des grandes entreprises est sous-traitée par les petites et moyennes entreprises.
La création d’un fond d’investissement souverain destinée aux petites et moyennes entreprises et tournée vers le marche intérieur permet non seulement a ces entreprises de trouver les capitaux nécessaires a leur développement mais aussi la création des produits et services salvatrices pour le marche intérieur. Il faut aussi bien accompagner ces entreprises dans le domaine de l’acquisition des talents nécessaire surtout dans la diaspora africaine. Il faut structurer le fond de la manière que les fonds injectes dans les investissements a caractère capital risque soient bien justifié. De plus, il faut qu’un montage juridique adéquat pour fournir les garantis nécessaire, faire appel a certaines pratiques de « management » ancestral africain par exemple.
Pour que ça marche, il faut que le fond soit fort de beaucoup de capitaux comparable au ceux des pays du golf ou à d’autres pays ne disposant pas des ressources naturelles abondantes comme Singapore. Le fond ne doit pas être un énième fond de soutient a un secteur donné, ces fameux fonds routiers, agriculture qui dépendent de l’apport des fonds étranger.
Jusqu’alors les Etats se concentrent sur les facilites douanière pour l’importation de certain produits jugés important pour le développement industriel ou bien par des subventions des grandes entreprises
Par exemple ; d’une manière générale le secteur de la production et la distribution d’électricité en Afrique est réserve exclusivement à la puissance publique et aux grandes entreprises ce qui freine le développement des énergies renouvelle. L’Afrique n’a pas encore aborde le virage de la transition énergétique et par conséquent n’est pas préparer d’entrer dans la nouvelle économie.
La création d’un tissu fort de petites et moyennes entreprises passe la disponibilité des fonds nécessaires aux investisseurs en afrique.
Belle analyse, Monsieur Langassane. J'aimerais tout de même préciser la création de fonds souverain ne resoudra pas le problème de manque de financements des PME en Côte d'Ivoire. La faillite récente de la Banque de Financement de l'Agriculture (BFA) et en remontant un peu plus loin, celle de la BNDA montrent bien que les politiques d'imitation ont toutes des limites. Déjà que l'Etat n'arrive pas à se gerer lui même(manque stabilité politique, mauvaise gouvernance, népotisme, …), trouvera t-il encore le courage de se lancer dans un tel projet si ce n'est rien d'autre que faire la promotion des cadres du parti politique au pouvoir par des nominations à la tête des régies financières. La question posée est plus que complexe à mon sens et la solution proposée me semble peu pertinente. La politique d'octroi de crédit ou la prise de participation de le capital des sociétés ressemble fort bien aux politiques de crédit ayant conduit aux faillites des deux banques citées plus haut.