L’énergie est depuis longtemps au cœur d’enjeux géopolitiques et économiques qui s’articulent du local au mondial. Ainsi, la pénurie énergétique qui menace le monde pourrait sans doute avoir des impacts importants sur l’Afrique. Dotée d’un potentiel important, elle est courtisée par tous les pays industrialisés, les entreprises pétrolières et nucléaires, et les producteurs de biocarburants. De ce fait, l’Afrique tend à devenir le principal fournisseur du monde. Ainsi, elle compte au moins 16 pays producteurs de pétrole dont les plus importants sont le Nigeria (2,5 millions de baril/jour), la Lybie (environ 2 millions de baril/jour), l’Algérie (1,9 millions de baril/jour), et l’Angola (1 million de baril/jour). Cependant le continent n’est pas à l’abri de cette famine énergétique qui s’annonce.
Importante réserve mondiale d’or noir convoitée, l’Afrique est cependant très dépendante du pétrole venant de l’extérieur (notamment le carburant et le gaz) : c’est un paradoxe africain.
Alors qu’elle fournit au monde entier du pétrole brut, elle doit importer l’énergie nécessaire pour assurer sa consommation énergétique (production d’électricité, gaz butane, carburants,…). Le cas le plus palpant est celui du Nigéria qui malgré son statut de plus grand producteur africain n’arrive pas à assurer sa sécurité énergétique notamment à cause de ses raffineries défectueuses. Le continent dispose de plusieurs raffineries ; mais la production reste largement en deçà de la capacité installée, du fait de la mauvaise gestion.[1] Cette production ne sert dans une moindre mesure qu’à alimenter la demande intérieure en constante progression estimée à près de 1,6 millions de baril/jour en 2012.[2] Dès lors, les pays Africains doivent recourir aux importations de produits raffinés pour combler ce déficit de production.
Le continent tend à prendre son envol vers le développement (perspective de croissance 2013 à 5% selon la BAD) avec l’émergence du secondaire et la tertiarisation prononcée de son économie mais sa dépendance face à l’extérieur pour l’énergie pourrait ralentir le processus de rattrapage du continent. En effet, si la richesse qui se crée sert à assurer, en partie, une facture énergétique (plus de 10% en moyenne des valeurs des importations) qui tend à s’alourdir (la rareté de l’or noir dans les prochaines années devraient en renforcer le prix conjuguée à une demande croissante du continent), alors les marges de manœuvre pour une politique économique efficiente et efficace (indépendane de l’aide extérieure) seraient sans doute restreintes. La vente de brut est une source importante de devises pour le continent, grâce à la performance des industrie extractives, qui permet de maintenir un niveau de croissance assez élevé sur la dernière décennie cependant elle subit assez bien la volatilité des cours du brut, notamment en 2008 et 2009.
Hormis les échanges de produits pétroliers, le continent dégage un solde commercial moins déficitaire (cf. figure ci-après). Partant de ce constat, si les exportations de brut devraient se poursuivre, la tendance pourrait s’inverser au profit du continent même si un effet pervers lié à la demande pourrait se créer. En effet, la demande inhibée de produits pétroliers[3] peut se reporter sur d’autres biens, notamment les produits alimentaires, les machines, les automobiles, induisant ainsi une hausse des prix intérieurs et créant une entorse au développement de certains secteurs de l’activité économique.
Produire soi-même ou changer de sources d’énergie (le solaire par exemple) seraient des solutions envisageables. Cependant, créer ou renforcer les raffineries déjà présentes nécessiteraient des investissements supplémentaires auxquels les pays ne sauraient consentir surtout qu’ils mènent de front une lutte pour doter le continent d’infrastructures adéquates et lutter contre la pauvreté. Le recours à d’autres sources d’énergie comme le solaire, le charbon, l’éolienne, l’hydroélectricité qui tendent à faire l’unanimité sur le continent (nécessitent tout autant des investissements importants). Par ailleurs, ces nouvelles technologies pourraient freiner la dynamique du secteur secondaire (qui revêt une grande importance dans cette phase de décollage de l’Afrique) et dont la structure productrice repose énormément sur le pétrole. L’Afrique serait-elle donc condamnée à s’appuyer sur l’énergie importée ?
Il serait tout d’abord nécessaire d’évaluer les impacts de cette lourde facture énergétique sur l’économie africaine et de penser à la mise en place d’un mix énergétique au lieu d’un virement radical d’un type d’énergie à un autre. En plus, un renforcement du partenariat public-privé, pourrait éviter d’avoir recours à des prêts ou à l’aide extérieure. Cependant, la réflexion menée autour de l’internalisation de la production énergétique (sur la base d’autres sources) pourrait induire le continent dans un cercle encore plus vicieux. Ceci d’autant que nombre de pays Africains sacrifient leur agriculture au profit de cultures destinées à la production de biocarburants (Caoutchouc, Noix de Cajou, Hévea, …) destinés à l’extérieur (Chine, Inde, Brésil) au lieu d’être transformées sur place pour substituer les importations de carburants. Le cercle vicieux pourrait encore se recréer : Du brut exporté pour du carburant importé plus cher, passerait-on à l’exportation de produits agricoles pour du biocarburant importé ?
Ananou Foly
[2] Elle pourrait atteindre 2,5 millions de baril/jour d’ici 2025 selon le CITAC (Continuous Improvement Training and Consultancy)
[3] La diminution de la part des importations de produits pétroliers face une poursuite d’exportations de brut est créateur de richesse, du fait de l’excédent de la Balance Commerciale. La richesse qui ainsi se crée est une motivation à l’augmentation de la consommation (notamment de qualité).
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Merci à Foly pour cet intéressant article.
Je comprend à partir de cette analyse que la facture énergétique peut avoir un impact sur la croissance économique. Mais est-ce vraiment le cas? Si oui, quels sont les mécanismes par lesquels elle impacte la croissance et est-ce que ces mécanismes varient d'un pays à un autre?
Une hausse du cours du pétrole fait croître les coûts de production des entreprises, d'autant plus que le pétrole, base dans la production d'énergie est un input pour bon nombre d'entreprises, entrainant ainsi une contraction de la production. Cette situation crée donc des contraintes quant à l'approvisionnement en produits pétroliers; entrainant ainsi un report des investissements qui n'a donc d'autres impacts que de réduire la production de ces entreprises.
Cette contraction de la production va se traduire par une augmentation des prix et une diminution de l'emploi. Ces deux effects conjugués font reculer la demande de biens et services. Une demande faible, ne pourrait donc servir à relancer la production …
Tenter de maitriser les impacts par des politiques monétaires a des effets pervers sur l'économie … La diminution des taux d'intérêt fait croître la demande (plus de crédit) mais engendre rapidement de l'inflation. D'autre part, en augmentant les taux d'intérêt permet de maîtriser l'inflation mais la demande se contracterait (et donc la production)
Je crains que suivant le profil du pays (producteur de brut ou pas, exportateurs net ou importateurs net de produits pétroliers) … si la variation des prix est exogène ou endogène au pays, les réactions des pays ne seraient les mêmes.
Il s'agit là d'une excellente description de potentielles mécanismes. Mais, est-ce vraiment le cas? les pays africains gagneraient-ils actuellement à produire le total de leur énergie? n'y a-t-il pas un problème d'éfficacité de production? les pays africains disposent-elles déjà des technologies permettant de produire de manière efficaces? n'est-ce pas peut être l'une des raisons pour lesquelles les raffineries ne produisent pas à leur capacité?
je pense que nous avons besoin d'une analyse supplémentaire basée sur des preuves empiriques pour mieux comprendre le problème.
Merci pour l'article. Toutefois, j'avais une question. Le principe de la raffinerie est de produire une certaine quantité de l'ensemble des produits dérivés durant tout le processus de transformation (Jet, Fuel, Essence,…). Cela implique de fait que le pays ait les capacités d'absorption nécessaires pour rentabiliser l'investissement (très lourd) ce qui n'est pas souvent le cas, d'où le recours massif à des importations. Rejoignant le commentaire de Georges, je pense qu'il est plutôt envisageable de mener une analyse sur l'efficacité de production. Ainsi, pour les usages non subsitutables (transport…), une analyse cout bénéfice sera faite sur le choix de l'importation ou non de produits dérivés, et pour le second groupe (production électrique par exemple), le gaz ou le fuel lourd sera localement utilisé.
Parfaitement d'accord avec toi sur ce fait mais il se trouve que ça manque … quel gain aurait les pays à produire les produits d'eux mêmes, personne ne saurait le dire … masi si une chose est évidente c'est que ce sont d'assez bon consommateur et si la tendance actuellement sur le continent est de penser à d'autres sources, c'est parce que ça pèse assez lourd d'importer autant …
L'endogénéisation de la production de produits pétroliers ne serait nécessaire que si celà a un avantage économique certes, mais l'impératif serait toutefois de penser à s'en rendre moins dépendant de l'énergie produits à partir de produits pétroliers … cela l'est encore plus aujourd'hui que la plupart des pays africains se veulent un développement à "l'asiatique" et quand on sait que ces pays émergents asiatiques d'aujourd'hui sont de très grands consommateurs de pétrole (encore qu'ils importent du brut, qu'il raffine chez eux !), il faudrait bien une analyse prospective pour savoir quel gain aurait l'Afrique a reposé ses besoins énergétiques sur tant d'importations de produits pétroliers dans le long terme
Exactement, c'est bien de ça qu'il s'agit ! Cela a été souligné dans le dernier paragraphe : nécessité de faire une étude empirique pour bien identifier l'impact, s'il y en a.
Les mécanismes sont assez théoriques et suivant le cas, le canal de transmission du choc doit être identifié … et rien ne dit que l'impact est forcément négatif .. mais si une chose est sure, c'est que les importations de produits pétroliers pèse assez lourdement sur la balance commerciale (et tout ce qui va avec) .. et cet article de Léomick Sinsin expose bien le problème même de l'énergie (surtout la production) et quand on sait que l'énergie est incontrournable pour la performance économique … on peut bien se poser la question de savoir si cela ne serait pa entorse aux économies africianes ! ! C'est bien celà que l'article a tenté de faire … pas du tout de mesurer cet impact … Prenons l'exemple du Sénégal où la Sénélec bénéficie de lourde subvention pour assurer la couverture en électricité mais malgré cela, les délestages se poursuivent. Le FMI a demandé de diminuer cette subvention alors le LFI 2013 a budgétisé 80 Mds XOF (alors quee la subvention était de 115 Mds XOF jusqu'en 2012), une simulation EGC a permis de trouver que ceci est dévastatrice pour l'économie et le comité de régulation du secteur de l'électricité en est arrivé après à trouver qu'il faudrait au moins 135 Mds XOF de subvention rien que pour 2013 … alors ça coince n'est ce pas? le pays va rentrer dans une sérieuse impasse : produire l'électricité, trouver des financements pour assurer les subventions de la Sénélec sachant qu'il y a bien d'autres pans de la société qui solliciteront l'Etat (les innondations, ca reviendra surement cette année) .. Pour ne donner que cet exemple. Bien d'autres pays africains seraient dans le même cas (Nigéria, Togo, Bénin, … )
Mais je suis parfaitement d'avis avec toi … et ravis de voir que nous en arrivions à cette conclusion ! Espérons qu'un travail sera fait dans ce sens … un modèle VAR (suivant les profils des pays africian) pourrait être un excellent cadre d'analyse.