Combien de pauvres existe-il vraiment dans le monde ? Savons-nous avec exactitude le nombre de personnes vivant dans les pays en développement ? Quel est le vrai PIB du Nigeria ou du Ghana ? Ces questions élémentaires restent à ce jour sans réponses claires ou précises aussi bien de la part des pays en développement que des organisations internationales et des agences multilatérales travaillant dans le domaine du développement. Cette imprécision dans l’information concernant les pays en développement, notamment ceux d’Afrique, pose un énorme problème, celui de l’efficacité des politiques publiques d’où la nécessité de répondre au problème de manque de données de bonne qualité.
Des appareils statistiques encore « fragiles »…
L’efficacité des politiques publiques passe par une maitrise du problème à régler ainsi que de toutes les facteurs qui déterminent ce problème. Il deveint donc nécessaire de disposer d’informations précises. Mais tel n’est pas le cas dans les pays en développement où l’appareil statistique, le système statistique national composé entre autres de l’Institut National de la Statistique (INS), des ministères sectoriels, de l’État Civil et du système d’enregistrement des statistiques vitales et des faits d’état civil pour ne citer que ceux-là, sont encore défaillants et ne permettent pas une conception et une mise en œuvre efficace ainsi qu’un suivi en temps réel et une évaluation pertinente des politiques publiques et des projets et programmes de développement.
En effet, moins de 10% des pays Africains[1], Maghreb y compris, ont une couverture de l’état civil (enregistrement des naissances et des décès) dépassant les 90%. La majorité des pays africains n’arrivent pas à produire à temps pour une année N donnée (soit en N+1), les principaux agrégats macroéconomiques tels que les comptes nationaux, les chiffres du commerce extérieur, etc. Les recensements de la population et de l’habitat ne sont pas toujours organisés tous les 10 ans, et quand c’est le cas, les résultats sont disponibles 2 ou 3 ans après. Tous ces dysfonctionnements s’expliquent par des problèmes structurels liés à l’organisation et à la gestion des systèmes statistiques nationaux et aussi à des problèmes conjoncturels comme l’instabilité politique et ou sécuritaire, etc.
…malgré les efforts nationaux et le soutien international
Si la période 2000-2015 a été favorable au développement de la statistique officielle grâce notamment aux Objectifs du Millénaire pour le Développement (OMD), elle s’est inscrite comme un des piliers essentiels de la période Post 2015 comme le démontre l’objectif 17 des Objectifs de Développement Durable (ODD) qui prennent le relais des OMD pour les 15 prochaines années.
En effet, le premier rapport de suivi des OMD est survenu 5 ans après le lancement du processus. Pour pallier à ce manque, la communauté internationale a décidé de mettre la statistique au cœur de la période post 2015 en faisant d’elle un des objectifs principaux des ODD à travers son objectif 17.18 en continuant d’appuyer des appareils statistiques des pays en développement à travers la mise en œuvre des Stratégies Nationales de Développement de la Statistique (SNDS,) qui se sont généralisées dans tous les pays en développement. Aujourd’hui, plus de 100 pays en développement ont déjà mis en œuvre une SNDS et certains en sont déjà à leur deuxième.
Toutefois, malgré les efforts accomplis, le travail à accomplir reste encore énorme et le temps et les ressources, eux comme d’habitude, reste limités. Cette situation a incité la communauté internationale à appeler une Data Revolution pour pallier au problème de données de bonne qualité et disponible en temps réel.
La Data Revolution : une Evolution plus qu’une Révolution !
La Data Revolution, une expression de plus en plus évoquée dans la communauté du développement international, dans les médias et considérée comme un moyen, sinon le moyen, pour mettre à disposition des décideurs, les statistiques qu’il faut, quand il faut et dans le format adéquat. Mais de quoi s’agit-il réellement ?
En réalité, la data révolution ou révolution des données a déjà commencé. Pour beaucoup, Data Revolution rime surtout avec utilisation des nouvelles technologies de l’information et de la communication, notamment l’utilisation des téléphones portables, des tablettes, des PDA, etc. dans la collecte et la production des statistiques officielles et d’indicateurs socioéconomiques. Ceci n’est pas une pratique nouvelle en soi : à titre d’exemple, le dernier Recensement Général de la Population et de l’Habitat (RGPH) en 2013 du Sénégal a été réalisé à l’aide de PDA. Grace à ce procédé, les résultats ont été publiés quelques mois après la fin de l’opération, contraire à 2002 où les résultats n’ont été finalisés que 3 ou 4 ans plus tard. En Afrique de l’Est, UN Global Pulse, UN World Food Programme (WFP), l’Université Catholique de Louvain et Real Impact Analytics grâce à des données extraites de l’achat de crédits de communication (ou « top-up ») et de l’activité de téléphonie mobile dans un pays d’Afrique de l’Est, ont estimé l’état de la sécurité alimentaire du pays[2].
Au-delà de l’utilisation des technologies, c’est surtout une évolution dans l’organisation et la gestion des institutions, ainsi que dans la planification de la production statistique qui est visée avec la Data Revolution. En effet, les nouveaux défis auxquels font face les États demandent de penser autrement la production des statistiques et de tenir compte des acteurs notamment le secteur privé qui, autrefois, étaient à l’écart du système. Il s’agit par exemple de mettre en place des Partenariats Public-Privé entre les sociétés privés qui disposent de grandes base de microdonnées actualisées, comme les sociétés de téléphonie mobile, et les INS pour la production d’indicateurs socioéconomiques permettant d’informer les décideurs politiques sur le niveau de bien-être des populations comme c’est le cas avec le Projet D4D au Sénégal. C’est aussi considérer l’utilisation de sources de données non traditionnelles comme celles provenant d’internet, des réseaux sociaux, des emails et aussi l’utilisation des méthodes d’analyse de big data.
Il s’agit aussi de penser à la mise en place de plateforme d’échange pour faciliter la communication et le partage d’information pour coordonner la réponse et l’action humanitaire ainsi que la constitution de réseaux d’experts en prévision de la gestion de crises humanitaires dans les pays à risques comme les petits états insulaires, les états fragiles etc. Également, l’utilisation d’images satellites pour capter l’information disponible dans zones difficilement joignables, ainsi que la mise à disposition des données disponibles auprès des administrations publiques et sans restrictions sont aussi préconisées comme essentielles à la Data Revolution.
Le projet Informing Data Revolution (IDR) initié par la Fondation Bill et Melinda Gates et réalisé par PARIS21 a permis de répertorier une multitude d’innovations déjà opérationnelles ou en cours de réalisation dans toutes les régions du monde et qui peuvent être adaptées à d’autres régions du monde comme l’Afrique subsaharienne où la question d’informations fiables se posent avec accuité.
De la nécessité d’assurer les fondamentaux !
La Data Revolution peut apporter beaucoup à la production de statistique officielle dans les pays en développement mais ne réglera pas tous les problèmes de données. Et elle risque d’être encore moins effective si les fondamentaux nécessaires ne sont pas mis en place. En effet, un récent rapport intitulé « Data For Development » produit en 2015 par une large coalition d’experts du développement provenant de SDSN, Open Data Watch, CIESIN, PARIS21, Banque Mondiale, UNESCO a estimé à 1 milliard US$ par an, le montant total nécessaire aux 77 pays à faibles revenus dans le monde pour mettre en place un système statistique capable de leur permettre de suivre et de mesurer les ODD. Aujourd’hui, le soutien à la statistique provenant des bailleurs de fonds s’élève à 300 millions US$ et un effort supplémentaire de 200 millions US$ leur est demandé pour couvrir les besoins supplémentaires des pays en développement dans le cadre des ODD. Le reste de la facture devra être payée par les pays en développement grâce à la mobilisation de ressources internes et des moyens innovants de financement.
Tout partira donc d’un engagement politique fort provenant du plus haut sommet de l’État au service la statistique avec à la clé des moyens importants et surtout financiers. Sans financement adéquat, les INS des pays en développement ne disposeront toujours pas d’un environnement de travail de qualité avec des locaux connectés à internet, d’ordinateurs performants capables d’exécuter des analyses big data, des outils de collectes performants capable d’accélérer la vitesse de la production statistique. Mais surtout, le manque ressources humaines se fera toujours sentir car il faut pouvoir disposer des statisticiens compétents, dont la formation est assez onéreuse, pour accomplir les activités de production de statistiques officielles mais aussi il faudra pouvoir les retenir car la concurrence du secteur privé et des organisations internationales est de plus en plus rude, ces derniers offrant le plus souvent des rémunérations et des conditions de travail attrayantes sur lesquelles les INS ne peuvent pas toujours s’aligner.
Un autre aspect fondamental est l’amélioration de la coordination entre les membres du système statistique national pour favoriser une meilleure gestion et programmation des activités de production des statistiques officielles ainsi qu’un meilleur partage de l’information. Aussi, une meilleure coordination favorisera une harmonisation des concepts statistiques, des procédures de collecte et un contrôle efficace de la qualité des différentes données produites par les différents acteurs du système statistique national.
C’est seulement quand ces fondamentaux seront mises en place que la Data Revolution aura un véritable impact sur la production des statistiques officielles en Afrique et permettra aux décideurs et utilisateurs de données de disposer des données de qualité, quand il faut et dans le format adéquat.
Leave a comment
Your e-mail address will not be published. Required fields are marked with *
Bonsoir,
Bravo pour cet article très intéressant ! Je suis tout à fait d'accord avec ce que vous écrivez. Je pense d'ailleurs écrire également à ce sujet pour le journal pour lequel je travaille, si bien sûr vous n'y voyez aucun inconvénient. Merci beaucoup pour cet enrichisement intellectuel !
Bien à vous,
AL Dall'Orso, rédactrice au Portail de l'Intelligence Economique.