Du 25 au 30 Décembre dernier se tenait à Djibouti un sommet africain sur le thème de l’électrification rurale. Une trentaine de pays aussi bien francophones qu’anglophones ont répondu à l’appel. L’objectif était de faire un bilan du sous secteur de l’électrification rurale. À travers ce billet, nous tâcherons d'en faire la synthèse et de mettre en exergue les difficultés auxquelles font et feront face les pays africains.
L’électrification rurale a toujours été au cœur des enjeux de développement du continent africain. Sa spécificité tient du fait qu’au nom de la péréquation spatiale[1], toutes les régions d’un pays doivent être raccordées au courant conventionnel, tout en garantissant à chaque habitant un même service, une même qualité et un même prix d’accès. Mais compte tenu de l’hétérogénéité des superficies des pays du continent, nous comprenons d’emblée l’enjeu des politiques d’électrification rurale quand on sait qu’à PIB quasiment similaire[2], le Bénin (PIB 2005 : US$ 13Billion[3]) avec une superficie de 112 622km2 doit électrifier toutes ses zones rurales au même titre que le Mali (PIB 2005 : US$ 15Billion) avec une superficie de 1.240.192km2. Pourtant, ces pays ont tous ratifié les objectifs du millénaire pour le développement avec des cibles d’environ 30 à 50% de couverture des zones rurales à l’horizon 2015.
En comparant les statistiques relatives au taux d’accès à l’énergie électrique en zone rurale[4] présentées lors du sommet, nous remarquons une certaine homogénéité des pays africains hors Afrique du Sud et Afrique du Nord : Madagascar a un taux d’environ 5% en 2012, le Bénin entre 4 et 6%, la Côte d’Ivoire une moyenne de 34%, le Cameroun est à 12%, la Zambie à 4.5%, le Niger à moins d’un pour cent et enfin la Somalie à environ 20%. La plupart des pays aussi bien anglophone que francophone oscillent entre 5 et 30%, en fonction de leur taille, de l’intérêt qu’accordent les gouvernements en place au sous secteur[5], et de la structure de tutelle en place.
Concernant l’organisation du sous-secteur, il s’agit d’un point déterministe car suite aux recommandations du FMI et de la Banque Mondiale dans les années 1990 dans le cadre de l’accélération de l’électrification des zones rurales, deux groupes se sont formés : les uns privilégiant le renforcement des structures étatiques, avec une hausse considérable des montants alloués au sous secteur (en l’occurrence le Maghreb et l’Afrique du Sud), les autres (pour la plupart sub-sahariens) allant dans le sens de la création d’agence ou de structures spécialisées d’électrification rurale. Sans revenir sur les résultats et les performances annuelles de chacun des groupes, la tendance nous indique que le premier groupe, a réussi en moins de 20 ans à atteindre des niveaux d’électrification rurale supérieurs à 80%, contrairement au second groupe qui peine à atteindre les 30%. En l’absence de statistiques fiables qui nous auraient permis de faire des conclusions critiques, nous pouvons toutefois émettre quelques hypothèses: la mise en place d'agences, au détriment du renforcement des sociétés nationales d’électricité pose le problème de leur autonomie financière notamment leur dependance à la création de nouvelles lignes budgétaires et/ou de subventions que l’État n’arrive pas toujours à honorer et leur forte dépendance aux bailleurs de fonds internationaux dont les montants accordés ne peuvent toujours être budgétisés. Et ce, malgré le fait que le budget de ces agences dépend le plus souvent d’une ponction imputée sur les factures des abonnés ou des « rentes » ou tirées d’une libéralisation de la filière par des concessions, comme c’est le cas en Côte d’Ivoire.
Pour finir, nous aborderons le dilemme de l’approvisionnement et de la fourniture d’énergie électrique dans les zones rurales. Bien qu’il n’existe pas de définition arrêtée « d’une zone rurale », une zone peut se définir comme rurale compte tenu du nombre d’habitants (jusqu’à 5000 habitants par exemple), de son poids économique, ou de sa proximité avec le réseau conventionnel. Dans le cas du Bénin, l’Agence en charge de l’électrification rurale s’est donnée comme seuil d’action 20 km des lignes du réseau national. Mais à la vue de la superficie de certains pays ainsi que des questions relatives au coût du kWh produit, l’électrification rurale pose le double enjeu de pouvoir rendre accessible l’énergie électrique sans augmenter le coût d’accès. Même dans les pays comme la Côte d’Ivoire[6] et le Ghana où le mix énergétique est très intéressant, la base[7] est assurée le plus souvent par du thermique (gaz, jet-A1 ou autre combustible), l’hydraulique étant très dépendant des saisons climatiques. Quand on tient compte des pertes d’ordre techniques et non techniques, il devient alors important de promouvoir les sources de production décentralisées dans les zones rurales très éloignées. Les choix de ces sources décentralisées (solaires, éoliens, hybride diesel-renouvelables, hybride renouvelable-micro barrage, etc.) doit se justifier par des analyses cout-bénéfices pointues, et contingentes entre le coût de ces nouvelles sources d’énergie et le coût très onéreux de l’extension du réseau. En effet, comme nous l’avions toujours dit, l’énergie est ce bien social économiquement inaccessible pour tous, qui se doit toutefois d’être disponible pour tous.
Leomick SINSIN
[1] La péréquation est un mécanisme de redistribution qui vise à réduire les écarts de richesse, et donc les inégalités, entre les différentes collectivités territoriales
[2] Se baser sur le PIB ne permet pas de comparer les performances économiques des pays mais juste d’avoir un indice de de mesure du niveau de richesse réel généré
[4] Rappelons que le taux d’accès se calcule sur la base du nombre de localités électrifiées par le nombre total de localités du pays
[7] La base constitue la source d’énergie la plus utilisée pour la production d’énergie en continue, contrairement à la pointe qui constitue la source activée pour répondre à l’énergie marginale à produire
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Merci pour cette intéressante analyse.
Je vous trouve néanmoins assez sévère à l'égard du modèle des agences d'électrification rurale, dont le rôle aujourd'hui est d'encourager l'émergence de solutions de production d'électricité décentralisées que vous mentionnez dans le dernier paragraphe.
La pertinence de ces solutions, qui s'appuient de façon significative sur la valorisation des ressources renouvelables disponibles en abondance dans les régions non électrifiées, est à présent bien reconnue. Elles ont en effet bien souvent plus de sens que l'extension très couteuse (et non rentable lorsqu'il s'agit d'électrifier des localités isolées très dispersées et peu consommatrices d'électricité) d'un réseau national bien souvent déjà défaillant…
L'un des rôle de ces agences d'électrification rurale est par ailleurs de démontrer la validité tant sociale que financière de ces solutions, afin de convaincre le secteur privé de participer à leur développement.
Le sujet de l'électrification rurale pose aussi, comme vous l'avez dit, de nombreuses questions en termes du coût du service, de choix technique, etc. Afin de poursuivre la discussion, je me permets de partager avec vous le blog (en anglais) que je rédige depuis un an, dans le cadre de la création d'une entreprise sociale dédiée justement à l'électrification de communautés rurales : http://pwr-on.fr
Vous mentionnez enfin le Bénin dans votre article : c'est le pays que j'ai choisi pour lancer le projet pilote de mon entreprise en 2014. Si vous avez des informations complémentaires sur le secteur de l'électrification rurale dans ce pays, je serai heureux de pouvoir échanger avec vous et les autres contributeurs de Terrangaweb !
Bien cordialement,
Tristan Kochoyan
Fondateur
Power:On
Cher Tristan,
Merci pour .
Du fait de ne pouvoir me juger, j'essaye juste de décrire une réalité que j'observe: L'électrification rurale est un dilemment épineux pour les pays du continent. C'est bien pour cela que je nuance entre le Bénin et le Mali, qui sont signataires mêmes objectifs internationaux malgré des conjonctures très divergentes.
Concernant le volet des coûts, il est intéressant de mesurer la distance entre le site à isoler et le point de connexion. Faire une généralité serait erronnée. D' après les quelques chiffres que j'ais, le réseau coûte en moyenne 3000 à 600€/km raccordé. En prenant le cas du PV off-grid, nous sommes dans les mêmes zones de prix par kWh installé. Mais le défaut du réseau est l'approvisionnement continue au vue de l'état de nos sources de production.
Par rapport aux questions de validité sociale et financière, en effet, vous aviez apporté les justes mots. C'est bien la raison pour laquelle on va vers des conventions/concessions et des PPP. Mais d'après mes informations, c'est le modèle en lui même qui pose problème car bien que le financement soit souvent international ou subevntionné, il se pose toujours la question de la perenisation du paiement. J'ai en tête des projets qui ont mal tourné (EDF au Mali, etc..), mais à nouveau, cela ne doit pas constituer un frein à l'inovation où à l'action.
Pour tout le reste, merci pour votre blog. Nous échangerons sur la question, et au plaisir de vous accueillir au Bénin prochainement.
Merci pour ces commentaires. Je viens pas ailleurs de lire un article complémentaire qui pourra peut-être vous intéresser : <https://www.devex.com/en/news/rural-energy-access-the-case-for-renewable-energy/82580>
Dans le cas du Bénin, avez-vous des informations sur le secteur de l'électrification rurale ? Les sites que j'ai consultés n'ont pas l'air d'être à jour (ABERME, Bénin-Energie)…
N'hésitez pas à me contacter : tristan.kochoyan@pwr-on.fr