En plus de la fuite des cerveaux, la fuite des capitaux constitue aujourd’hui l’un des problèmes majeurs des pays en développement, en particulier dans les pays d’Afrique sub-saharienne. Selon une étude de Ndikumana et al. (2015) portant sur 39 pays africains (dont 4 en Afrique du Nord), la sortie de capitaux de ces pays entre 1970 et 2010 aurait atteint 1300 Mds USD en parité du pouvoir d’achat 2010 (soit 82% du PIB des pays considérés).
Avant toute chose, il faut préciser qu’il n’existe pas de définition formelle du phénomène. Dans cette étude, la définition de la fuite des capitaux inclut à la fois les flux liés à des activités illégales comme légales. Ainsi, les ressources issues de la corruption, des activités criminelles (vente de drogue, trafic d’humains ou d’organes) ou encore l’évasion fiscale en font partie. En dépit de la place importante du secteur financier dans ce mécanisme, son rôle est parfois minimisé puisqu'il est considéré comme un simple intermédiaire des échanges. Cet article se propose de mettre en évidence les caractéristiques du secteur financier africain qui favorisent la fuite de capitaux du continent.
En effet, conférer un rôle de second plan au secteur financier dans la fuite des capitaux, c’est supposer qu'il ne souffre pas de failles dans son organisation et fonctionnement. Or, lorsqu'on tient compte de la faiblesse des circuits de financement du secteur privé en Afrique, cette hypothèse est très vite réfutée. Voici donc les quatre principales raisons qui pourraient expliquer le rôle centrale du système financier africain dans la fuite de capitaux :
1. Le secteur est dominé par les banques étrangères. Selon les données de la Banque Mondiale sur le Développement Financier Mondial, les actifs des banques étrangères représentent près de 60% des actifs consolidés du secteur bancaire en Afrique subsaharienne. Cette proportion est comparable à celle observée dans les pays développés et dépasse de loin celle qui est en vigeur dans des pays similaires d’Amérique Latine, du Moyen Orient ou de l’Asie de l’Est. De plus, ces banques sont majoritairement issues des pays développés; une situation qui peut favoriser le rapatriement des capitaux de l'Afrique vers ces pays.
En effet, beaucoup de résidents en Afrique considèrent les banques originaires de pays développés plus sures et préfèrent placer leurs économies dans ces dernières parce qu’étant adossées à des banques internationales. Ces multinationales ont des opportunités d’affaires un peu partout dans le monde et peuvent investir les fonds disponibles dans leurs filiales africaines dans des projets jugés plus rentables en dehors du continent, surtout si elles jugent l’environnement économique local très peu favorable. Une telle stratégie d'investissement des fonds placés est favorable à la sortie du continent de ressources acquises même de façon illégale. C'est ainsi que selon un article de l’Express, le président gabonais s’est servi de la filiale de Citibank au Gabon pour faire sortir sa fortune « mal acquise ».
2. Un marché financier atrophié offrant peu d’instruments financiers. Un article publié sur cette plateforme identifiait déjà cette situation, et invitait à développer davantage les marchés financiers en Afrique[1]. Le cas particulier du marché des titres publics illustre bien cette situation. Certains pays y ont recours, notamment en Afrique de l’Ouest et du Nord, mais les montants mis en adjudication ne représentent qu’une infime partie des besoins de financement des Etats ou ne servent qu’à financer des besoins ponctuels de trésorerie. Ce faible niveau de développement du marché financier peut aussi induire la fuite des capitaux. En effet, un marché atrophié n’offre que très peu d’instruments financiers pour des agents en capacité de financement, obligeant ces derniers à placer leurs ressources dans des produits à plus forte rentabilité, notamment à l’extérieur.
3. Une supervision de l’activité bancaire non effective et peu efficace. La supervision de l’activité bancaire est généralement assurée par les banques centrales. Ce cadre leur offre les moyens d’empêcher la fuite des capitaux, surtout ceux ayant un caractère illicite. Or ces banques centrales sont encore généralement sous l’emprise des pouvoirs publics, ce qui affaiblit leur autorité et leurs actions vis-à-vis de la fuite des capitaux. Le Général Sani Abacha (président du Nigéria entre 1993 et 1998), par exemple, n’hésitait pas à intervenir dans la gestion de la banque centrale nigériane à l’époque et aurait permis ainsi à certains de ces collaborateurs et à lui-même de placer près de 2,5 Mds USD dans des comptes personnels à Londres[2].
De plus, le cadre réglementaire qui régit la supervision de l’activité bancaire semble inadéquat. Selon la base de données de la Banque Mondiale sur la réglementation bancaire, si de nombreux pays africains ont des règles précises en matière d’activité bancaire, elles sont systématiquement violées par de nombreuses banques dans plusieurs pays africains – soit parce que les règles sont complètement déconnectées de la réalité économique ou parce qu’il n’existe pas de réelles mesures punitives en cas de non-respect.
Par ailleurs, le capital humain en charge de la supervision bancaire n’a toujours pas les compétences techniques pour cet exercice. Si dans les pays de l’UEMOA, la surveillance du secteur bancaire – à travers le contrôle de vérification – se déroule systématiquement à chaque exercice depuis plusieurs années, dans d’autres pays du continent, elle n’intervient que tous les 2 ou 5 ans (Mehran et al. 1998). Dans certains pays, une expérience préalable dans le secteur bancaire, notamment dans l’audit bancaire, n’est pas exigée des superviseurs bancaires.
4. Le mobile Banking. Le développement du mobile Banking en Afrique a fortement révolutionné l’activité économique. Cependant, il pourrait aussi faciliter la fuite de capitaux. Si l'on ne pourrait être certain de son impact sur la fuite des capitaux, on peut au moins s’en inquiéter du fait de l'absence de cadre règlementaire approprié dans certains pays. Pour l’heure, le mobile Banking demeure un moyen financier sain qui facilite les transactions entre agents économiques et ne concerne que de très faibles montants, avec un minimum de supervision exercé par les opérateurs de téléphonie.
Au delà des points ci-dessus mentionnés, la finance internationale a des pratiques qui incitent certains agents économiques africains à placer leur épargne dans des banques installées à l’étranger. Le secret bancaire[3] mais aussi les services financiers qui limitent la traçabilité des transactions effectuées, constituent des facteurs incitatifs pour de grosses fortunes africaines, notamment celles voulant échapper à la fiscalité.
De toute évidence, le système financier de nombreux pays africains présente des failles qui favorisent la sortie massive de capitaux du continent et par voie de conséquence, réduisent la mobilisation de capitaux au niveau local pour financer le développement. Il convient donc de renforcer le système financier en mettant en place des cadres règlementaires permettant de limiter la sortie de capitaux du continent, tout en créant des conditions incitatives pour aue les agents disposant de capacité de financement les investissent sur le continent. Un prochain article discutera plus amplement de possibles solutions à la fuite des capitaux.
Foly Ananou
Référence :
Ndikumana, L., Boyce, J. K. and Ndiaye, A. S. (2015). Capital Flight from Africa: Measurement and Drivers. In S. I. Ajayi and L. Ndikumana (Eds.), Capital Flight from Africa: Causes, Effects and Policy Issues. Oxford: Oxford University Press.
[1] Une série d’articles par Tite Yokossi, à retrouver sur http://terangaweb.com/?s=tite+yokossi
[3] Non divulgation des informations relatives aux clients
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