Rompant avec la morosité économique des décennies 1980 et 1990, l’Afrique a enregistré au cours des années 2000 un redressement économique significatif qui s’est traduit par une forte croissance de son Produit Intérieur Brut, principal indicateur de la performance économique. Celui-ci a augmenté de 5,2%[1] en moyenne entre 2001 et 2010 sur l’ensemble du continent. Selon les Perspectives Economiques en Afrique[2], ce regain de dynamisme devrait se confirmer au cours des prochaines années avec notamment une croissance moyenne structurellement supérieure à 5,5% en Afrique subsaharienne.
Cette croissance des économies africaines n’est pas seulement conjoncturelle ; elle s’inscrit désormais dans une perspective de long terme avec un niveau de croissance potentielle qui augmente de façon non négligeable. La théorie économique – en particulier le modèle de Solow[3] et celui de la croissance endogène de Romer[4] – permet ainsi de mieux appréhender la croissance africaine à travers trois facteurs constitutifs : le travail, largement sous tendu par l’essor démographique du continent ; le capital, qui est de plus en plus nombreux à avoir l’Afrique pour destination ; et la productivité globale des facteurs pour laquelle les dépenses en matière d’infrastructures et de capital humain constituent deux composantes clés.
En ce qui concerne le facteur travail, il faut souligner que l’Afrique a enregistré une augmentation substantielle de sa population active. Celle-ci a été sous tendue par une évolution démographique inédite du continent que Jean-Michel Severino et Olivier Ray ont bien mis en lumière dans les premiers chapitres de leur ouvrage Le temps de l’Afrique[5]. Alors qu’entre 1500 et 1900, la population mondiale était multipliée par 3,5 et celle de la Chine et de l’Europe par 5, la population africaine a stagné, voire chuté, amenant ainsi la part de l’Afrique subsaharienne dans la population mondiale à reculer de 17% à 7% en l’espace de quatre siècles. L’Afrique a donc été pendant longtemps un continent sous peuplé avec 8 habitants par kilomètre carré en 1900 et une densité moyenne au milieu du XXème siècle quinze fois moindre que celle de l’Europe ou de l’Inde. Alors que les économistes s’accordaient sur le travail, et par ricochet la démographie, comme une des trois composantes clés de la croissance à long terme, l’Afrique ne pouvait guère compter sur celle-ci.
A contrario, la croissance économique soutenue de la dernière décennie est en bonne partie le résultat d’une nouvelle dynamique fulgurante de peuplement en Afrique qu’on observe depuis le XXème siècle. A titre d’exemple, Sévérino et Ray font ainsi remarquer qu’ « un bébé né en 1950 au Nigéria venait au monde dans un territoire de 37 millions d’habitants ; son petit-fils naitrait aujourd’hui dans un pays de quelques 160 millions d’habitants ». Plus impressionnant encore, cette évolution fulgurante devrait s’accentuer au cours des prochaines années. Selon la Banque Africaine de Développement[6], la population active (15-64 ans) devrait croître de 3,5% par an au cours des prochaines décennies pour atteindre 1,8 milliard en 2060. A cet horizon, 75% des africains feront partie de la population active. L’Afrique peut donc désormais s’appuyer sur une forte démographie pour impulser le rôle du facteur travail dans une croissance soutenue à long terme.
En outre, cette nouvelle assise humaine permet aux politiques publiques de gagner en productivité dans la mesure où leur coût devient désormais plus faible par habitant. Cela est par exemple le cas en matière d’infrastructures. Pendant plusieurs décennies, du simple fait de la différence des densités des populations à atteindre, l’argent dépensé dans la construction d’infrastructures a eu un impact plus fort en Asie qu’en Afrique. Désormais une forte rentabilité des capitaux investis dans les infrastructures en Afrique est largement garantie.
En ce qui concerne justement le facteur capital, dans le cas de l’Afrique, la faiblesse du taux d’épargne privé et le niveau rudimentaire des marchés de capitaux ont pendant très longtemps réduit le capital disponible pour financer les investissements nécessaires. Or, cette tendance est en train de s’inverser depuis quelques années en raison non seulement d’une forte hausse des investissements directs étrangers mais aussi de l’essor de l’épargne locale, de la hausse du taux de bancarisation et de l’attractivité des économies du continent pour les fonds d’investissement. L’Afrique se dirige donc vers un ajustement du capital au niveau désiré, au moins égal à la croissance du PIB.
En ce qui concerne la productivité globale des facteurs (ou progrès technique), elle serait responsable de 50 à 80% de la croissance économique des pays développés à long terme. Les modèles de croissance, développés par Romer, puis Lucas et Barro qui ont endogénéisé le progrès technique qualifié de résidu exogène dans le modèle de croissance de Solow, permettent de mieux appréhender les ressorts d’une croissance africaine à long terme. Ceux-ci expliquent ainsi la productivité globale des facteurs, principale responsable de la croissance potentielle, par le capital humain (formation, éducation, santé), la recherche et développement (innovation technologique) et par les dépenses (publiques) en matière d’infrastructures. L’impact considérable de ces éléments s’explique notamment par les externalités positives qu’ils génèrent et en présence desquels le rendement social du capital est supérieur à son rendement privé.
De ces éléments, les infrastructures sont sans doute ceux qui ont eu jusque là le plus d’impact sur la croissance africaine. Des études empiriques montrent en effet qu’elles ont contribué au cours des dernières années à plus de la moitié de l’amélioration des performances économiques de l’Afrique. Selon Caldéron[7], entre 1990 et 2005, les infrastructures « ont contribué pour 99 points de base à la croissance économique par habitant, contre 68 pour les autres politiques structurelles ». Cette contribution relève essentiellement des télécommunications tandis que la détérioration des infrastructures énergétiques au cours de la même période a ralenti la croissance, « enlevant 11 points de base à la croissance par habitant de l’ensemble du continent ».
Il ressort de cette analyse qu’il est nécessaire pour l’Afrique de continuer à investir massivement dans les infrastructures afin de soutenir la croissance économique à long terme. Les 15 dernières années ont été celles d’investissements considérables dans les infrastructures de télécommunications. Il faut désormais concentrer les efforts sur les infrastructures de transport et d’énergie qui sont des leviers évidents d’amélioration de la compétitivité des pays et des conditions de vie des populations. Il est d’ailleurs intéressant de noter dans ces deux domaines, l’explosion démographique des 60 dernières années ainsi que la croissance économique constatée au cours de la dernière décennie accentuent de façon quasi mécanique les attentes des populations et leurs besoins en infrastructures. On se retrouve ainsi dans une situation où la croissance et la prospérité observée au cours des dernières années et celle estimée pour les prochaines années multiplient la demande d’infrastructures dont la pénurie est déjà l’un des plus grands obstacles au développement du continent.
Il ressort aussi de cette analyse sur les fondements de la croissance à long terme que les pays africains doivent multiplier leurs efforts d’investissements dans le capital humain, en particulier l’éducation et la formation professionnelle. La plupart des pays africains comme le Bénin et le Sénégal ont réussi à améliorer l’accès des enfants à l’éducation ; l’enjeu est aujourd’hui de les y retenir le plus longtemps possible i.e. jusqu’au baccalauréat. Au Sénégal par exemple, en 2011, tandis que plus de 93 % des enfants âgés de 7 à 12 ans ont été scolarisés, le taux de scolarisation n’a été que de 53 % pour l’enseignement moyen et secondaire[8]. La formation professionnelle s’inscrit aussi dans ce sillage. Les pays africains, francophones en particulier, ont encore un complexe du diplôme trop marqué qui amène tout parent à rêver que son enfant devienne Docteur es Lettres, es Mathématiques, ou es Droit. Or nos pays ont davantage besoin d’ingénieurs que de docteurs en mathématiques.
En somme, la plupart des pays africains doivent résolument focaliser leurs efforts de développement sur les infrastructures de transport et d’énergie d’une part et d’autre part sur l’éducation et la formation professionnelle. Dans un cas comme dans l’autre, ces enjeux s’inscrivent dans la durée – pas seulement celle de la croissance à long terme mais aussi celle d’un financement et d’une mise en œuvre qui peuvent prendre beaucoup de temps. Or l’Afrique ne peut pas se payer le luxe de prendre 50 ans pour asseoir solidement les fondements d’une croissance à long terme. Dans ces circonstances, le rapport au temps i.e. la capacité à mobiliser rapidement les ressources nécessaires au financement des infrastructures de transport et d’énergie, à élaborer des réformes pertinentes pour l’éducation et la formation professionnelle, et surtout à mettre en œuvre de façon efficace les projets entrant dans ce cadre, devient fondamental pour les gouvernants.
Nicolas Simel
[1] Perspectives Economiques en Afrique, Banque Mondiale, Banque Africaine de Développement, Commission Economique pour l’Afrique, 2012 http://www.africaneconomicoutlook.org/fr/
[2] Idem
[3] Solow, Robert, 1956, A Contribution to the Theory of Economic Growth, The Quarterly Journal of Economics, Vol. 70, No. 1, pp. 65–94
[4] Romer Paul, Increasing Returns and Long Run Growth, Journal of Political Economy, octobre 1986
[5] Sévérino Jean Michel, Ray Olivier, Le temps de l’Afrique, Paris, Odile Jacob, 2011, 407 pages
[6] African Development Bank, « Africa in 50 Years’ time : The Road Towards Inclusive Growth », September 2011 http://www.afdb.org/fileadmin/uploads/afdb/Documents/Publications/Africa%20in%2050%20Years%20Time.pdf
[7] Caldéron (2008), cité par la Banque Mondiale dans une étude intitulée « Infrastructures africaines : une transformation impérative », 2010
[8] Perspectives Economiques en Afrique, 2013, Fiche Pays sur le Sénégal, page 12
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Bravo pour cet article. Clair et précis.
c'est une bonne facon de nous dire : "L'espoir n'est pas encore perdu". félicitation vraiment cher frère.
Bel article en effet. Je suis tout à fait d'accord avec la nécessité de mettre l'accent sur la formation professionnelle. Mais est-ce une raison pour écarter les études doctorales? C'est vrai qu'elles sont longues, mais leur impact se fait sentir sur le long terme justement, car ce sont elles qui favorisent la recherche, et donc l'innovation et le développement. Je pense plutôt qu'il faut que les Africains s'orientent plus vers la recherche et que celle-ci soit mieux accompagnée par nos gouvernants. Parallèlement, on peut envisager la professionnalisation des doctorants en facilitant leur insertion professionnelle, pas seulement après, mais en même temps qu'ils mènent leurs recherches.
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