Seule une crise, réelle ou supposée, peut produire des changements. Lorsqu’elle se produit, les mesures à prendre dépendent des idées en vigueur dans le contexte. Telle est, me semble-t-il, notre véritable fonction : trouver des solutions de rechange aux politiques existantes et les entretenir jusqu’à ce que des notions politiquement impossibles deviennent politiquement inévitables.
Milton Friedman, 1982
Dans son ouvrage édité en 1962, Capitalisme et liberté, Milton Friedman défend l’idée selon laquelle le capitalisme est l’unique moyen de construire une société libre. Il soutient ainsi qu’il n’y a aucun moyen pour améliorer la situation de l’homme de la rue qui arrive à la cheville des activités productives libérées par un système de libre entreprise. Plus tard, en 1980, dans La liberté du choix, il s’attachera à démontrer la supériorité du libéralisme économique sur les autres systèmes économiques tels que l’interventionnisme et ceux en rapport avec les idées prônées par le marxisme.
Il convient, bien évidemment, de préciser ce sur quoi repose la doctrine libérale prônée par Friedman. Dans un tel monde, l’économie n’est bridée par aucune contrainte et aucune ingérence de la part de l’État n’est tolérée car les marchés s’autorégulent. Auteur de The Shock Doctrine paru en 2007, Naomi Klein résume la doctrine de Friedman en ces termes :
« Premièrement, les gouvernements doivent faire sauter toutes les règles et les régulations qui se dressent sur le chemin de l’accumulation des profits. Deuxièmement, ils devraient vendre tous les biens qu’ils possèdent, et que des entreprises pourraient gérer dans un but lucratif. Troisièmement, ils devraient radicalement diminuer le financement des programmes sociaux. »
Pour Friedman, un « traitement de choc » est le seul remède possible pour la mise en place d’un système libéral et ce sur le long terme. Il s’agit, somme toute, d’imposer immédiatement après un choc (sans égard à sa nature) des réformes économiques douloureuses pendant que la population est trop occupée à assurer sa survie pour se révolter. Toujours est-il que dans ce contexte, la terreur devient un élément prépondérant de la transition vers une économie de marché. Ce qu’il qualifie de « traitement de choc » n’est, pour d’autres, qu’un « capitalisme du désastre. » Selon Naomi Klein, cette théorie développée par M. Friedman permettrait d’annihiler les capacités critiques de la population pour faire passer des mesures économiques drastiques pouvant par là même porter atteinte aux libertés fondamentales des individus.
Le remède préconisé par Friedman semble se transposer parfaitement à l’époque où nous vivons, et en Afrique tout particulièrement. Les gouvernements l’ont certes modernisée, mais l’idée principale a traversé les années sans prendre une seule ride : profiter d’une crise pour s’autoriser tous les excès. La récente crise financière reste un exemple très éloquent, surtout au sein des pays africains où les prix sont montés en flèche ; sans parler du chômage et de la pauvreté.
La Banque Mondiale et le Fonds Monétaire International : des institutions pro-Friedman ?
Friedman ne croyait pas particulièrement au FMI et à la BM bien qu’elles furent bien positionnées pour appliquer sa théorie des crises. Toutefois, pour certains comme Davison Budhoo, ancien économiste du FMI, l’ajustement structurel tel que pratiqué par le FMI dans les années 80-90 pouvait être assimilable à de la torture dans la mesure où l’institution faisait fi des conséquences que pourraient avoir sa politique sur les populations des pays concernés.
Ces programmes visaient, lors de leur mise en place, à augmenter les exportations des pays endettés en vue de leur donner des liquidités qui devaient, par la suite, servir à rembourser les prêts accordés. Quantité d’économies africaines ont à cette époque bénéficié de ces programmes (Sénégal, Ghana…). Le FMI exigeait le plus souvent de ces pays qu’ils dévaluent leur monnaie tout en procédant à des coupes budgétaires sur les dépenses en services sociaux, en soins de santé et dans le secteur de l’éducation ; sans compter les privatisations et les baisses de salaires qui suivirent. L’application des ces mesures aura ainsi contribué à faire croître les inégalités dans la quasi totalité des pays concernés. À partir de ce moment, le FMI et la BM ne se contentaient plus de leur rôle de supervision, mais se retrouvaient à gérer les pays eux-mêmes. Malheureusement, il est déplorable que pareille chose continue de se produire pour la plupart des pays africains.
Les modèles économiques ne sont pas éternels. À certains moments, ils sont utiles ; à d’autres, ils deviennent désuets et doivent être abandonnés.
Michel Camdessus
Dans presque tous les pays, Afrique comprise, où ont été appliqués les fondements de cette doctrine ultralibérale, et ce, à la suite de crises, les résultats se sont révélés être un échec cuisant — l’exemple le plus marquant étant celui du plan économique proposé par les Chicago Boys au Chili après l’accession au pouvoir du Général Pinochet. La principale conséquence du « traitement de choc » tel que préconisé par Friedman a toujours été et restera l’accroissement des inégalités socio-économiques. La libéralisation à outrance n’est, de toute évidence, pas un modèle à appliquer aux pays africains au risque de voir leur situation s’empirer. Un crédit illimité auprès du FMI ne nous sera d’aucune utilité si nos gouvernements ne font preuve de plus d’efficacité.
Nous devons souligner qu’il n’est pas exclu que la mise en place d’une économie de marché soit une réussite, à condition que celle-ci se fasse progressivement. La grande majorité des économies africains, mais aussi des pays émergents, dont la Chine, en sont de bons exemples. Mais la question qui se pose est la suivante : que faire quand ce « capitalisme du désastre » s’opère déjà et appauvrit les sociétés africaines qui en sont victimes ? Si la doctrine de l’ultralibéralisme nous a enseigné une chose, il s’agit de jamais laisser les politiques décider seuls des changements auxquels nous aurons à faire face. Il est donc de la responsabilité et du devoir de tout un chacun d’agir et de faire entendre sa voix. À cette fin, l’information reste la seule arme dont nous disposons. C’est en étant informés que nous pouvons comprendre et prévenir les dérives des politiques qui dirigent nos pays.
Mame Diarra Sourang
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Merci pour cet article qui met en garde contre les dangers de l'application stricte et bornée du Consensus de Washington. D'ailleurs les institutions internationales que tu as citées (FMI Et BM) changent enfin leur fusil d'épaule à ce sujet.
En 2007, dans son Rapport mondial sur le développement, la BM reconnaît la nécessité de l’intervention de l’État. En 2008, le rapport de la mission croissance et développement conclut que, pour faire reculer la pauvreté, un État fort est nécessaire.
Avec la crise de 2008, le FMI appelle les États à utiliser leur budget, y compris en pratiquant le déficit, pour éviter une dépression. Dans 16 des 19 plans du FMI de la période 2008-2009, il recommande des hausses des budgets sociaux.
Le document dont tu parles est vraiment intéressant. L'essentiel est que les gens puissent être, un temps soit peu, informés de ce qui se passe dans leurs pays et qu'ils soient capables de revendiquer leurs droits. En outre, un modèle économique ne peut être appliqué de la même manière dans des pays aux réalités économiques totalement différentes.