Le 7 novembre dernier, l’équipementier Puma, sponsor des plus grandes équipes nationales de football (Sénégal, Cameroun, Côte d’Ivoire, etc.) lançait sa Coupe d’Afrique des Nations 2012 en dévoilant les nouvelles tuniques de ses équipes fanions. Rien de spécial, me direz-vous, sauf que pour la première fois, ces maillots ont été créés en collaboration avec des artistes locaux. Ces derniers ont eu la lourde tâche de matérialiser les idéaux et les emblèmes de chacun des pays à travers les maillots qu’arboreront les équipes nationales lors de l’événement le plus suivi sur le continent africain.
Cette intégration des artistes africains dans la conception de ces nouveaux équipements n’est pas anodine. Elle permet de souligner une tendance plus large dans le marketing des marques européennes à destination de l’Afrique. En effet, l’Afrique est promise à un avenir économique radieux. L’émergence d’une classe moyenne sur le continent est en cours, ce qui ouvre des perspectives de marché très intéressantes pour les marques occidentales. Or, l’émergence de nouvelles tendances de consommation apparues avec l’essor des nouvelles technologies et la maturation des consommateurs a complètement bouleversé le rapport marque-consommateur. Tout d’abord, le consommateur est remis au centre de la stratégie des marques ; les marques écoutent ses moindres désirs (présence des marques sur Facebook, Twitter, sondages internet etc.). Ensuite, le consommateur veut une relation, un dialogue quasiment intimes avec sa marque ; il a besoin de s’identifier à elle, à ses valeurs ; il veut se reconnaître dans les différents produits. Les marques se doivent désormais d’écouter un consommateur de plus en plus exigeant et sensible aux marques d’attention.
Et le consommateur africain est désormais un consommateur à part entière. Il réclame autant d’écoute et d’attention que tout autre consommateur. Les marques doivent désormais passer d’un dispositif marketing où les stratégies sont définies dans les QG européens des marques à une approche plus spécialisée où les équipes marketing sont de plus en plus au contact des réalités locales. Et aussi surprenant que ça puisse paraître, les individus les plus à même de parler des us et coutumes des consommateurs africains, ce sont les africains !! En choisissant des artistes africains pour dessiner les nouveaux maillots des équipes nationales africaines, la marque Puma se met à l’écoute des sensibilités africaines. Elle sait combien le consommateur africain est fier en matière de football. Elle produit ainsi des produits auxquels les consommateurs des différents pays du continent pourront s’identifier.
Jusqu’à présent, peu de marques de grande consommation avaient entrepris des initiatives de ce type dans l’approche du marché africain. Elles se contentaient pour l’instant de réaliser des publicités mettant en jeu des acteurs à la couleur locale, plutôt que de véritablement intégrer les africains dans la conception même du produit. Il est évident que vu la mollesse de la croissance occidentale et la rudesse des marchés asiatiques, les marques occidentales seront bientôt forcées, afin de tirer véritablement leur épingle sur les marchés africains florissants, de revoir leur processus de conception et de commercialisation des produits à destination des consommateurs africains.
Le deuxième axe de lecture du choix marketing de Puma de faire appel à des dessinateurs africains tient au rapport entre concepteurs locaux africains et consommateurs occidentaux. En effet, même si l’Afrique semble offre des perspectives alléchantes, Puma génère encore la plus grande partie de ses revenus en Occident. En choisissant de vendre sur les marchés occidentaux des produits conceptualisés par les artistes africains, Puma prend un risque. Il prend le risque de déboussoler les consommateurs historiques peu sensibles à l’art africain. Mais c’est dans ce risque que réside toute la subtilité de la manœuvre marketing. Et c’est là que réside tout l’espoir pour la « production » africaine. Le consommateur du 21e siècle ne veut plus de produits génériques sans âme, il réclame de l’authenticité. Le continent africain est l’un des rares qui conserve sa part d’exotisme, sa part de mystique face à un monde occidental de plus en plus exotique. Est-ce une cause ou une conséquence du « sous-développement », le développement passera-t-il par un reniement de cette authenticité ? C’est un tout autre débat et ici n’est pas le lieu de l’entamer.
Néanmoins, les artistes africains doivent prendre conscience du potentiel économique des traditions et de l’art africain. Ils doivent être conscients du potentiel d’attrait, de surprise, d’exotisme dont recèlent leurs œuvres aux yeux des consommateurs du monde entier. L’essor du marché africain de l’art réside dans un meilleur accès des œuvres d’art africaines au marché mondial. Car si les consommateurs africains ne consomment pour l’instant pas d’art local, ou en consomment très peu, de nombreux consommateurs occidentaux et asiatiques seraient prêts à payer pour l’originalité et l’authenticité de cet art « vierge ». Les gouvernements doivent prendre conscience du gisement culturel et économique sur lequel les pays africains, en retrait autant culturel qu’économique dans le processus de globalisation, sont assis. Ils doivent évidemment faire attention aux dangers inhérents à l’activité artistique : contrefaçon, protection des artistes etc. Ils doivent soutenir les artistes, les aider à attaquer le marché occidental et les accompagner dans ces démarches. Peut-être qu’ainsi les artistes africains pourront ainsi vivre de leur art.
Ted Boulou
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C'est très bien que des artistes africains puissent concevoir les maillots d'équipes africaines pour les grands équipementiers. Mais, à quand un équipementier africain??