Nous avons coutume de dire que la presse est le quatrième pouvoir dans une démocratie. Au-delà de ce rôle, somme toute symbolique, intéressons-nous précisément à l’impact des médias sur la vie politique et économique des nations. C’est à cette question que répondent des chercheurs dans deux études académiques récentes. L’une analyse l’impact à long terme des médias sur la lecture des journaux et l’implication citoyenne en Afrique sub-saharienne, et l’autre examine l’impact des médias sur la croissance économique en Europe.
La première étude, menée par Cagé et Rueda en 2013, nous apprend que le développement des médias permet d’augmenter l’implication citoyenne des populations dans la vie politique de leur pays. En effet, pour garantir l’exactitude de cet effet, les deux auteures ont croisés les données issues de l’enquête Afrobaromètre sur l’implication citoyenne avec des données géo-localisées sur les régions où ce sont implantées les premières industries d’imprimerie en Afrique sub-saharienne.[1] Elles constatent que ces régions ont connu un développement plus rapide et durable de la presse privée. En plus, les populations qui vivent aujourd’hui dans ces régions lisent davantage les journaux et participent plus aux discussions et actions politiques comme les débats publics et les marches de protestation. Il s’agit de régions situées dans des pays comme l’Afrique du Sud, le Nigéria, le Kenya, l’Ouganda ou la Tanzanie.
Quant à la deuxième étude, publiée par Dittmar en 2011, elle montre que le développement des médias a un impact positif sur la croissance économique. Plus spécifiquement, cette étude utilise la même méthodologie que celle de Cagé et Rueda ; mais adopte plutôt une approche globale en regardant l’impact des médias sur la croissance économique. Elle démontre que les villes européennes dans lesquelles se sont implantées les premières industries d’imprimerie dans les années 1400 ont connu au cours du siècle suivant une croissance économique 1,6 fois supérieure à celle de villes similaires.
Même si ces études ne donnent pas les détails précis sur les mécanismes qui expliquent ces effets, elles apportent néanmoins la preuve formelle que le développement des médias a un impact significatif sur la vie économique et politique d’une nation.[2] Une implication générale qui résulte de leurs résultats est que tout ce qui entrave l’expansion des médias est mauvais pour le développement. Cependant les ramifications de ces résultats vont au-delà de cette conclusion. Ils montrent aussi que le retard dans l’adoption et l’expansion des médias à des impacts qui persistent dans le long terme. Comme la montre l’étude de Cagé et Rueda sur l’Afrique, l’introduction tardive de la presse écrite au début du 20ème siècle dans certaines régions d’Afrique sub-saharienne a entraîné aujourd’hui une faible lecture de la presse et une faible implication dans les activités politiques de la part des populations. C’est notamment le cas des pays francophones. Par exemple, selon cette même étude, le premier journal africain édité par des africains a été publié en janvier 1876 en Afrique du Sud, soixante ans plus tôt que le premier journal publié dans l’espace francophone à Abidjan en 1935.
Pour éviter ces implications à long terme, il importe donc d’éviter toute entrave à l’expansion des médias et surtout en Afrique. Comme le montre les résultats du dernier round de l’Afrobaromètre ci-dessous, très peu d’Africains ont accès aux médias en dehors de la radio. Par exemple, ces résultats nous indiquent qu’environ 20% de la population n’écoute jamais la radio, plus de 40% ne regardent jamais la télé, plus de 55% ne lisent jamais les journaux et plus de 7 personnes sur 10 n’a jamais été informé grâce à l’internet. Quant à la radio, elle est écoutée quotidiennement par environ 40% de la population entre 2011 et 2013. Au regard des précédents résultats, on peut craindre que l’implication citoyenne des populations de même que les effets des médias sur la croissance économique soient très limités. Cette situation n’est pas de nature à favoriser les transformations institutionnelles tant souhaitées pour un véritable décollage de l’Afrique.
Dans ces conditions, l’émergence des nouveaux médias grâce aux NTIC peut être une occasion exceptionnelle pour révolutionner l’accès aux médias et à l’information pour tous et en particulier en Afrique. Par exemple, avec le fort taux de pénétration du téléphone mobile en Afrique, les opérateurs de réseau mobile peuvent fournir des services d’information par SMS. Le développement de l’internet par mobile ne serait que salutaire dans ce sens.
Georges Vivien Houngbonon
Annexe: Pourcentage de la population ayant accès aux différents types de médias en Afrique (Source: Afrobaromètre)
[1] Le fait que ce soit les premiers colons protestants qui aient apporté l’imprimerie en Afrique constitue une variation exogène de l’ampleur des médias. Cependant, on peut évoquer la sélection endogène des colons dans les colonies qui étaient déjà prédisposées à lire et à s’impliquer dans la vie politique. Les résultats résistent à cette éventualité.
[2] Il est vrai que les résultats portent sur le développement de la presse écrite, qui n’est qu’un type particulier de média. Il est vrai aussi que l’impact peut dépendre du type de média, mais nous estimons que l’impact de la presse écrite est que minimal compte tenu de l’étendue de leur public cible.
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