Un article précédent discutait de la trajectoire des BRICS en matière de réduction de pauvreté et des inégalités. S’il dépeint une situation plutôt mitigée, l’expérience de ces pays constitue néanmoins une source d’enseignements pour les pays africains, qui aspirent tous à améliorer leur situation socio-économique. De cette précédente analyse, il ressort essentiellement trois points qui méritent une attention particulière pour garantir que les plans et autres stratégies de développement dressés par les pays puissent favoriser une croissance robuste, inclusive et suffisante pour soustraire les populations de leur situation de précarité. Il faut préciser que les points discutés dans les lignes à suivre, relèvent davantage de l’expérience de la Chine, de l’Inde et dans une moindre mesure du Brésil, la situation de l’Afrique du Sud étant assez particulière. Il ne s’agit pas ici de donner un canevas pour les stratégies de développement mais plutôt d’attirer l’attention sur des dispositions à observer pour que ces stratégies ne contribuent pas à approfondir la pauvreté et les inégalités.
Premièrement, l’accès aux ressources apparaît comme l’un des facteurs clés permettant de garantir que la main d’œuvre locale contribue et tire profit de sa richesse. En Afrique subsaharienne où l’agriculture demeure un secteur prépondérant, faciliter l’accès à la terre devient donc crucial. A cela, il faudra ajouter les compétences permettant de valoriser cette ressource. Les performances chinoises en termes de croissance et de réduction de pauvreté montre à juste titre que les efforts des autorités pour garantir l’accès à la terre tout en mettant en place un réseau d’infrastructures performantes en milieu rural (électricité, centre de santé, réseau routier, école) ont permis aux ruraux de valoriser leurs terres, en ne se limitant pas à la production de culture de subsistance et en s’impliquant aussi dans d’autres activités génératrices de revenus. Les deux sont indissociables. En effet, garantir l’accès aux ressources (financières ou foncières) sans renforcer le capital humain conduit à la situation de l’Inde : une croissance forte (portée par des secteurs intensifs en capital) mais non génératrice d’emplois, canal principal de diffusion de la richesse créée.
Si en Chine la stratégie visant à assurer une distribution quasi-équitable des ressources a été portée par la politique communiste des autorités ; en Inde, ce fut plutôt la réforme du secteur financier qui a favorisé l’accès aux ressources (notamment financières). Au Brésil, la mise en œuvre de la politique de redistribution conditionnée à une meilleure prise en charge de la santé et de l’éducation des enfants a permis de relever le niveau du capital humain (pour les générations futures) tout en permettant aux parents d’accéder à des ressources financières qui leur ont permis de financer des activités génératrices de revenues.
Deuxième, il est nécessaire d’intensifier les investissements dans les secteurs à forte valeur ajoutée et générateurs d’emplois. De fait, les nouvelles aptitudes de la force de travail ne garantissent pas à elles seules qu’il y ait de la croissance, et encore moins qu’elle soit inclusive, si l’économie ne s’y prête pas. La main d’œuvre doit être absorbée afin de contribuer effectivement à l’accroissement de la richesse. Il faut donc pour se faire, identifier et promouvoir les secteurs porteurs de croissance capables de générer suffisamment d’emplois pour absorber la main d’œuvre. C’est le cas aujourd’hui dans certains pays d’Afrique où la jeunesse est suffisamment qualifiée mais au chômage. Une situation qui peut trouver son explication dans le fait que les secteurs pouvant absorber cette main d’œuvre ne sont pas ceux qui bénéficient le plus des investissements. L’expérience des BRICS est particulièrement édifiante sur la question. Si en Chine, la stratégie d’amélioration des conditions d’accès aux ressources et de renforcement du capital humain s’est accompagnée d’une politique d’intensification des investissements dans des secteurs intensifs en ressources humaines, notamment dans le secteur agricole; en Inde, les investissements étaient plus orientés dans les secteurs intensifs en ressources financières. On pourra toujours avancer l’argument de l’entreprenariat mais la réalité est que l’intensification des investissements dans les secteurs intensifs en capital (très généralement tournée vers l’exportation) crée ou maintient les obstacles à l’entreprenariat et contraint la main d’œuvre à s’orienter vers l’informel où les salaires sont très bas et la productivité très faible.
Enfin, la sécurité sociale constitue une mesure importante qui permet une redistribution de la richesse. Si en Chine et en Inde, la question n’est pas au centre des stratégies socio-économiques, au Brésil, elle a permis de réduire considérablement la pauvreté et les inégalités. Comme le signale Lagassane, un système de protection sociale qui fonctionne bien, permet de soustraire les plus vulnérables de leur situation tout en favorisant une relance continue de l’économie par la demande[1]. Cette sécurité sociale peut prendre plusieurs formes (un revenu minimum aux chômeurs et aux retraités, facilitation de l’accès à l’éducation et aux services de santé, etc) mais elle doit : (i) se positionner comme un complément au revenu et non un substitut, (ii) affecter les ménages et non l’individu, (iii) être conditionné à des mesures visant soit à renforcer le capital humain (inscription des enfants à l’école, santé maternelle, etc.), soit à encourager l’entreprenariat.
Au-delà de ces différents aspects, la croissance ne serait inclusive si elle ne relève pas d’une détermination politique. En effet, différents modèles peuvent permettre d’atteindre des taux de croissance forts sur une longue période mais ceci ne garantit pas qu’ils puissent profiter aux populations. Il faut que le caractère « inclusif » soit une priorité des autorités. C’est le cas en Inde et en Afrique du sud, où les autorités accordaient beaucoup d’importance à la croissance, espérant que cela suffise pour réduire la pauvreté et les inégalités, s’attachant donc moins à savoir « comment » cette croissance était générée et à « qui » elle profitait. Au Brésil et en Chine (d’avant 1978), la question de l’inclusion sociale était au centre de la stratégie des autorités; une importance moindre étant accordée aux performances économiques. Il revient donc aux autorités, selon le contexte de chaque pays, de définir la stratégie optimale qui puissent permettre, non pas de faire des taux de croissance à deux chiffres (comme l’indique de nombreux « plan d’émergence ») mais plutôt d’avoir des performances socio-économiques portées par le potentiel réel (potentiel qui peut considérablement être amélioré) du pays et par son capital humain, afin que le développement des pays africains s’assimilent davantage à une course d’endurance plutôt qu’à une course de vitesse.
Foly Ananou
[1] Les ménages disposant plus de revenus, augmentent leur propension à consumer, ce qui se traduit par une hausse de la demande globale et donc à augmenter l’offre (à produire plus), à la condition que les habitudes de consommations du pays ne soient pas satisfait par des produits importés.
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