Des nombreux défis auxquels est confrontée l’Afrique, le chômage des jeunes est certainement l’un des plus graves. Ce n’est pas une situation spécifique à l’Afrique mais présente dans la plupart des pays du monde, sous diverses ampleurs. La question de l’emploi de cette tranche de la population est si stratégique en Afrique, où la majorité de la population est jeune, qu’elle peut conduire aux chutes de gouvernements comme nous l’a montré le printemps arabe (Tunisie, Egypte). D’un autre côté il est admis que la part du commerce africain à l’échelle mondiale est très faible. Par exemple en 2012, la part de l’Afrique dans le commerce mondial ne valait que 3% tandis que le commerce intracontinental affichait un taux de 12% (du commerce total de l’Afrique[1]). C’est dire la faiblesse de l’intégration africaine pourtant reconnue par l’OMC et la BAD comme moteur de croissance potentielle du continent à travers le renforcement des capacités productives et créateur d’emplois[2] notamment pour les jeunes. Dans cet article, nous essaierons d’étudier plus amplement les liens qu’entretiennent le commerce intra-africain et l’emploi des jeunes. Cela se justifie d’autant plus pour un continent comme l’Afrique largement dépendant du commerce dont le taux d’ouverture était de 65% en 2011 selon la Banque Mondiale.
Selon le BIT, le taux de chômage des jeunes[3] africains était de 20% en 2011 et ne cesse de croitre. Des disparités existent cependant entre régions mais aussi entre sexes, les femmes étant les plus vulnérables sur le marché du travail. Par exemple, en 2011, en Afrique du nord ce taux est de 27% contre 19% pour l’Afrique subsaharienne et 50% en Afrique du sud. Les jeunes femmes affichent généralement des taux de chômage plus élevés que les hommes, spécialement en Afrique du Nord où le taux de chômage des jeunes femmes est sensiblement deux fois plus élevé que celui des jeunes hommes sur la période 1991-2011.
Continent le plus fragmenté avec 54 pays, l’Afrique est aussi la région du monde avec le plus faible taux d’échanges commerciaux intracontinental malgré les nombreuses unions économiques régionales. Pendant que la part des échanges intra régionaux en Europe est d’environ 70% contre 50% en Amérique du Nord (2012), elle tourne autour de 12% en Afrique. Cette faible intégration commerciale est en partie due à l’extraversion du commerce africain et l’inadéquation des infrastructures, situation héritée de la période coloniale et restée pratiquement inchangée jusqu’au début de la dernière décennie. Le commerce africain est largement dominé par un petit nombre de produits primaires : les produits miniers et les combustibles représentaient ainsi près des deux tiers des exportations totales du continent en 2010. On pourrait aussi ajouter la faiblesse du secteur privé et le manque de chaines de valeurs régionales ou de réseaux régionaux de production pour stimuler le commerce intra-régional et ce, malgré l’avantage comparatif d’un bon nombre de pays africain dans le secteur des produits de base.
Dans la revue théorique et empirique sur le chômage et l’emploi, on distingue 4 différentes mesures revêtant divers aspects du commerce : l’intégration commerciale mesurée par le volume des exportations et des importations ; l’ouverture commerciale mesurée par le rapport du commerce total sur le PIB ; la libéralisation commerciale mesurée par les changements dans le régime de politique commerciale et les flux d’IDE (Jansen, Peters and Salazar-Xirinachs, 2011). La libéralisation commerciale est associée à la création et la destruction d’emplois.
De nombreuses études ont montré le rôle clé du commerce intra africain dans le développement économique en général, mais aussi sur la création d’emplois et la génération de revenus stables spécialement pour la jeunesse. Ainsi, selon une récente étude de la BAD[4], il existe une relation (corrélation) négative entre le taux de chômage des jeunes et la part du commerce intra-africain. Les pays qui ont les taux de chômage de jeunes les plus élevés sont également ceux dont la part dans le commerce intra est le plus faible (voir figure ci-contre). Globalement, une hausse de 1% du commerce intra-africain entraine une baisse de 1,47% du chômage des jeunes (1,67% pour les femmes et 1,46% pour les hommes). L’augmentation du commerce intra-africain impacte donc plus sur la réduction du chômage des jeunes filles que celui des hommes, étant donné qu’elles sont les plus employées dans les secteurs des exportations.
Bien sûr, il existe d’autres facteurs pouvant contribuer au repli du chômage des jeunes. Il s’agit notamment des investissements domestiques, l’institutionnalisation de la démocratie, l’urbanisation, etc. Ces paramètres ne sont pas incompatibles avec une plus grande intégration commerciale africaine. Au contraire, la stimulation des investissements privés intérieurs et la liberté d’entreprendre conduiront les pays africains à la diversification des leurs économies et à une complémentarité certaine. Le développement économique basé sur l’exploitation des ressources naturelles est bien possible, au regard du Canada et de l’Australie, à condition de se servir des ressources générées par ces ressources naturelles pour diversifier son économie. L’Afrique peut en faire autant. A titre d’exemple l’énorme potentiel énergétique du Congo, de l’Afrique du Sud, du Nigéria pourrait être utilisé pour résoudre les problèmes d’énergie du contient. De nouvelles infrastructures seraient construites, le commerce intra africain augmenterait, et partant une baisse du chômage des jeunes. Les effets positifs ne s’arrêteront pas là et seront davantage nombreux s’ils s’inscrivent dans une approche régionale. Cela implique la levée des barrières tarifaires et non tarifaires au commerce intra africain, la paix et la sécurité.
L’expansion du commerce intra africain nécessite donc une action concertée entre pouvoirs publics et milieux d’affaires. Y parvenir permettra non seulement d’améliorer grandement la situation d’emploi des jeunes mais aussi de résoudre d’autres problèmes qui étranglent le continent. Il existe certes un gap entre la théorie et la pratique, mais il est évident de l’Afrique peut et doit commercer avec l’Afrique pour stimuler la création d’emplois et réduire sa dépendance aux chocs extérieurs. La question essentielle est la vitesse à laquelle elle y parviendra.
Teico Kadadji
[1] http://www.wto.org/french/news_f/news12_f/ddg_12apr12_f.htm
[2] CNUCED, Rapport Commerce intra-africain: libérer le dynamisme du secteur privé, Juin 2013
[3] La tranche d’âge correspondant aux jeunes d’après les standards de l’OIT pour le calcul du taux de chômage est celle des 15-24 ans
[4]Anyanwu, J. C. (2014), Does Intra-African Trade Reduce Youth Unemployment In Africa?, Working Paper Series N° 201, African Development Bank, Tunis, Tunisia.
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Article très intéressant. C'est vrai que le chômage est devenu un enjeu majeur et un défis croissant plus particulièrement dans les pays en dévelloppement. Depuis les annés 60, l'Afrique a connu un taux de croissance démographique très élevé, ce qui favorise l'émergence d'une population jeune. Selon l'Enquête de Suivi de la Pauvreté au Sénégal (ESPS-II, 2011), près de 53,8% de la population sénégalaise a moins de 20 ans. De ce fait, la demande de travail s'accentue alors qu'à l'instar de la plupart des pays en développement, les plus grands secteurs pourvoyeurs d'emplois cormme le secteur agricole et le secteur indistruel restent moins performants.
L’arrivée massive de jeunes sur le marché du travail ajoutée à cette faible capacité de l’économie à générer des emplois accroît les pressions déjà existantes sur un marché du travail caractérisé par l’existence d’un chômage structurel, d’un sous-emploi des personnes occupées et d’une précarité de l’emploi.
Fort de ce constat, la problématique de l’emploi des jeunes est actuellement inscrite au rang des priorités dans l’élaboration des politiques économiques. Cependant l’insuffisance de l’information sur le marché du travail et l’absence d’études sur la question de l’emploi rendent difficile sa prise en charge.
C'est de là découle la nécessité d'accéler le processus d'intégration pour mieux développer les secteurs porteurs d'emplois. D'ailleurs le président Obama l'avait bien souligner en affirmant que "l'Afrique n'a pas besoin de grands hommes mais de grandes institutions".
Malheusement, le contient traine toujours dans la misère malgré l'immensité de nos ressources naturelles.
Maintenant pour développer le commerce intra africain, il n'ya pas mille solutions.Il suffit juste de faciliter la circulation des biens&services et des personnes par la construction de grandes infrastructures routières et féroviaires mais aussi supprimer les barrières tarifaires pour développer le commerce interrégional.Voila un continent bourré de richesse mais qui traite dans la précarité.
Les idées sont nobles mais il ne reste que les initiatives et la mise en oeuvre
Très interressant en effet. Bravo à l'auteur.
Mais comme l'a dit Diouf, il reste de passer à l'action. la description faite de la situation par teico est très claire. et récemment, un sommet a été tenu à Dakar dans le cadre du NEPAD pour le financement des infrastructures en Afrique. J'exhorte Teico Kadadji à nous fournir un autre article sur les efforts consentis actuellement par les Etats pour dynamiser le commerce intra africain. Et surtout, est-ce que la vitesse avec laquelle ces efforts sont fournis sont satisfaisants? Des questions restent donc en suspens suite à la lecture de cet article. je serai très reconnaissant à son auteur de poursuivre la réflexion dans le sens que j'ai indiqué.
Tout est dit:
« Globalement, une hausse de 1% du commerce intra-africain entraine une baisse de 1,47% du chômage des jeunes (1,67% pour les femmes et 1,46% pour les hommes). »
Espérons que ceci soit pris en compte dans les politiques de développement.
Merci à l’Auteur