RD Congo : accord probable, paix impossible ?

nord kivu negociationAprès Lusaka, Windhoek, Pretoria et Kampala, Addis-Abeba est devenue ce dimanche 24 février 2013 la cinquième capitale africaine à accueillir la signature d’un accord de paix en République Démocratique du Congo (RDC). Réunis dans la capitale éthiopienne à l’invitation du secrétaire général de l’ONU Ban Ki-moon, 11 chefs d’Etat de la région ont approuvé un « Accord-Cadre sur la Paix, la Sécurité et la Coopération pour la RDC et la région » préparé par les Nations Unies. Ban Ki-moon a réussi à rassembler autour d’une table toutes les parties prenantes du conflit dans les Grands Lacs, ce qui en soi n’est pas une mince affaire. Mais au-delà du titre pompeux et des cérémonies fastueuses, que peut-on attendre de cet énième texte visant à trouver une solution négociée à « l’insoluble question congolaise » ? 

La réunion d’Addis-Abeba inaugure une nouvelle période d’activisme international, qui fait suite à la faillite évidente des efforts régionaux pour la résolution du conflit. Bien que reléguée au second plan par les évènements en Syrie et au Mali, la rébellion initiée en avril 2012 par le M23 dans le Nord-Kivu, a tout de même retenu l’attention de la communauté internationale, et s’est même propulsée sur le devant de la scène pendant quelques jours de novembre, lorsque les rebelles ont brièvement occupé la capitale régionale Goma. Dans la lignée des précédentes tentatives de paix dans la région, c’est d’abord une solution régionale qui a été privilégiée, à travers la Conférence Internationale sur la Région des Grands Lacs (CIGRL). 

Les négociations de Kampala : la faillite d’une solution régionale

Le M23 et le gouvernement congolais se sont ainsi retrouvés début décembre à Kampala pour des pourparlers officiels sous la médiation du ministre de la Défense ougandais Crispus Kiyonga. Des négociations qui, aux yeux de beaucoup d’observateurs, étaient dès le départ vouées à l’échec. L’Ouganda n’avait certainement pas les traits du médiateur idéal neutre, capable de peser de tout son poids sur les deux parties, et de combiner de manière équitable encouragements et menaces de sanctions : directement impliqué dans les rébellions anti-Kabila du début des années 2000, il a été pointé du doigt par le Groupe des Experts de l’ONU pour son soutien humain, financier et matériel au M23… Difficile dans ces conditions d’instaurer la confiance entre les négociateurs. D’autant plus que les délégations sont arrivées dans la capitale ougandaise sans agenda clairement défini : alors que le gouvernement de Joseph Kabila voulait restreindre les négociations au problème sécuritaire initial – l’occupation militaire du Nord-Kivu par un groupe rebelle – le M23 a rapidement cherché à transformer le processus de Kampala en une tribune contre le régime de Kabila, et ainsi à revendiquer des réformes politiques radicales à l’échelle nationale. Résultat : les deux parties ont passé la plupart des mois de décembre et janvier à débattre du programme des discussions ultérieures plutôt qu’à aborder les véritables points de désaccord. 

Un seul document a finalement émergé, début février, de ces deux longues et laborieuses négociations : une évaluation de l’accord de paix du 23 mars 2009, qui mettait fin à la précédente rébellion du CNDP (duquel est largement issu le M23), long document technique reconnaissant que certains points du traité n’avaient pas été mis en œuvre, mais n’offrant aucune avancée pour le problème présent. Après que le gouvernement congolais ait proposé d’intégrer les officiers de bas rang du M23 en échange de la reddition de son leadership militaire – proposition bien évidemment inacceptable pour les rebelles -, les négociations sont maintenant au point mort. 

Négocier pour négocier : les dividendes de la paix

Une fois de plus, le processus de Kampala aura montré l’inefficacité d’une solution bilatérale étroite, menée dans un cadre régional. Pour le gouvernement congolais comme pour les rebelles, être présent aux côtés d’un médiateur et offrir aux yeux de tous une posture de négociation semblait être plus important que de traiter des sujets de discorde : on en vient alors à se demander si les bénéfices à récolter de la négociation ne leur importeraient pas plus que les avantages de la paix elle-même…

A ce titre, ce qui s’est joué ces derniers mois dans l’est de la RDC n’est que la nouvelle version d’une partition plusieurs fois déroulée au cours de ces dernières années. La dynamique cyclique est la suivante : des leaders locaux aux intérêts menacés se constituent en groupe armé, avec le soutien plus ou moins explicite des voisins rwandais et ougandais ; s’en suit des affrontements armés entre le nouveau groupe de rebelles et les forces armées congolaises (FARDC), affrontements qui se soldent souvent par un retrait de ces dernières, sous-équipées, mal entraînées et rongées par la corruption ; après quelques mois (et parfois l’occupation de villes importantes comme Goma ou Bukavu), les rebelles se déclarent prêts à négocier, tandis que le gouvernement congolais, soucieux d’éviter de nouvelles humiliations militaires qui pourraient mettre son pouvoir en danger, est lui aussi favorable à des négociations ; un accord est alors signé, qui offre aux rebelles certains avantages immédiats (intégration dans les FARDC, positions de pouvoir, démobilisation financièrement avantageuse…) ; un semblant de stabilité (trompeur) revient alors dans la région, jusqu’à ce que les « dividendes de la paix » offerts aux rebelles par l’accord perdent de leur valeur ; alors un nouveau cycle est susceptible de s’enclencher. 

Le M23, au-delà de son plaidoyer public pour un renversement du régime de Kabila à Kinshasa, se situe clairement dans cette stratégie des « dividendes de la paix » : la conquête territoriale ne l’intéresse qu’à des fins d’obtenir une meilleure position de négociations, et ainsi des avantages plus conséquents dans les accords de paix. C’est dans cette logique qu’il faut comprendre sa décision – a priori surprenante – de n’occuper Goma que pendant quelques jours avant de se retirer sur les hauteurs de la capitale régionale du Nord-Kivu. 

L’internationalisation du dossier congolais

On observe ainsi dans l’est de la RDC un mécanisme d’auto-reproduction de la violence, ô combien difficile à enrayer. La communauté internationale semble en tout cas avoir pris conscience que dans les conditions actuelles, un cadre bilatéral de résolution de conflit (gouvernement contre rebelles) semble plutôt contribuer à perpétuer cette dynamique conflictuelle. En « internationalisant » le dossier congolais en main à travers l’Accord-cadre signé dimanche à Addis-Abeba, elle peut peut-être lui insuffler un nouveau souffle, et l’on ne peut que se réjouir qu’un certain volontarisme international succède enfin à des années d’indifférence à l’égard de la région. 

Rien n’est toutefois garanti en RDC, cimetière des idéalistes de la paix depuis plus de quinze ans, et on ne saurait attendre des miracles d’une simple déclaration de principes. Car tout rempli de bonnes intentions qu’il soit, l’Accord-cadre pourrait bien n’être qu’une nouvelle coquille vide : avec seulement trois pages faites de mesures très générales (« poursuivre la réforme structurelles des institutions congolaises », « ne pas interférer dans les affaires intérieures des Etats voisins »…), la phase d’implémentation sera cruciale pour mettre en œuvre ce document, et nécessitera un suivi actif des quatre garants identifiés par l’accord : l’Union Africaine, la CIRGL, la SADC (Communauté des Etats d’Afrique australe) et l’ONU.

Alors que l’investissement international dans la résolution du conflit congolais a été jusqu’alors uniquement réactif, la formule 11+4 (onze parties, quatre facilitateurs) ne pourra tenir ses promesses qu’avec un changement d’approche radical. Plusieurs axes d’intervention requièrent en effet un engagement constant et permanent, et non seulement du « management de crise » tel qu’il a été pratiqué ces dernières années : réforme des institutions congolaises, traitement de la violence locale, amélioration des relations entre RDC et Rwanda… Mais sur ce dernier point, si déterminant dans la résurgence des rébellions dans l’est de la RDC, les mauvaises relations entre les présidents Kabila et Kagame semblent constituer un obstacle sérieux à tout effort de résolution de conflit. 

Du côté de Kigali, il ne faut s’attendre à aucun bouleversement majeur : le Rwanda a montré sa capacité à naviguer subtilement sur un chemin diplomatique étroit, qui lui permet d’avancer ses intérêts dans les Kivus sans pour autant se mettre à dos la communauté internationale. L’aide au développement s’interrompt, puis reprend, au gré des déclarations habiles de Kagame et des visites dans les capitales occidentales de sa ministre des Affaires étrangères Louise Mushikiwabo. 

En revanche, en RDC, le pouvoir de Joseph Kabila apparaît de plus en plus fragilisé depuis les élections frauduleuses de novembre 2011. Un changement de régime à Kinshasa : voilà sans doute, à côté d’un véritable engagement international, le deuxième évènement susceptible de rebattre les cartes dans la relation RDC-Rwanda… pour le pire ou le meilleur. 

Vincent Rouget