Festival d’Essaouira : la musique Gnaoua éveille les esprits

L'été dernier, la petite ville portuaire d’Essaouira au Maroc a accueilli le Festival Gnaoua et Musiques du Monde comme elle le fait depuis 16 ans. Evènement gratuit, ce festival de renommée internationale rassemble chaque année des milliers de personnes, marocains mais aussi  mélomanes du monde entier, venus écouter la musique des Gnaouas et sa fusion avec d’autres musiques du monde.

Au crépuscule, le soleil fond comme une bougie dans l’Atlantique, des goélands vagabondent au-dessus du port, et sur la grande scène, les chants des Gnaouas s’élèvent haut dans le ciel. Le public, massé en nombre, reprend en chœur ces paroles mystiques, danse et se défoule, porté par la furieuse énergie et la malice des danseurs et musiciens.

Confrérie religieuse du Maroc, les Gnaouas sont des descendants d’anciens esclaves. Leur culte, très complexe et codifié, mêle des pratiques et croyances animistes originaires d’Afrique noire avec la religion musulmane. Leur musique fait partie d’un rituel de transe destiné à guérir les adeptes, c’est par elle que l’on invoque les esprits, les génies, les Saints, et que l’on exécute la danse de possession.

Passons les rues où la multitude de restaurants et de boutiques touristiques nous donne l’impression d’être dans un Maroc en carton-pâte. Rappelons-nous que c’est par le port d’Essaouira qu’arrivaient les esclaves venus d’Afrique subsaharienne par bateaux, et par caravanes depuis Tombouctou. Cette ville a donc une place singulière dans la vie des Gnaouas, dont beaucoup sont originaires. Boujemâa Soudani est un maâlem, c’est-à-dire un maître de musique gnaoua. Dans la zaouïa, une maison sainte, il nous montre les photos de ses ancêtres. « Mon grand-père a été vendu à un caïd du Maroc. Il y a encore ses menottes d’esclave chez moi. C’est lui et mon père qui m’ont appris la musique. Chez nous les Gnaouas, on connait la musique bien avant de venir au monde. Et plus qu’un art, c’est une médecine. »

Les Gnaouas portent des habits de scène très colorés, chatoyants : la couleur est un élément fondamental de leur culte. A chaque couleur correspondent une énergie, une métaphore, un esprit, un Saint, un répertoire de chants et de rythmes différents, une fonction thérapeutique particulière.

L’ouverture d’un concert commence avec un cortège de tambours, dont le rythme répétitif, envoûtant, cavale et s’accélère peu à peu, pour convoquer les esprits, pour nous transporter : c’est «un moyen de locomotion spirituel », comme le définit l’anthropologue Viviana Pâques *. Puis viennent les chants et les danses. Le maâlem chante et  joue du guembri, un luth dont les sonorités basses vibrent dans le sol et semble faire monter une force depuis la terre. Il dirige ses musiciens, à la fois choristes, danseurs et  joueurs de qraqeb, sorte de castagnettes en métal qui marquent le rythme. Le choeur forme une masse sonore puissante à nous soulever la poitrine. L’énergie mystique de cette musique nous emporte, même nous, non-initiés.

Mélanger les cultures différentes et les styles autour des racines africaines de la musique est l’une des valeurs du festival. Des artistes internationaux de style variés sont invités à jouer et à fusionner avec les musiciens Gnaouas. On se retrouve ici, en Afrique, en terre racine, pour mêler ces musiques sœurs (blues, jazz afro-cubain …).

Des étrangers toujours plus nombreux se pressent chaque année pour assister à cet évènement, qu’on a longtemps surnommé le « Woodstock marocain ». Et pour beaucoup de marocains, de toute classe confondue, c’est un rendez-vous essentiel. On fait le voyage pour venir, en quête de cette ambiance unique que l’on ne trouve nulle part au Maroc.  « Dès sa 1ère édition, ce festival a été un marqueur dans notre paysage culturel, social et politique. » nous raconte Neila Tazi, productrice et directrice du festival. « Il y avait très peu de concerts de musique à l’époque. Ainsi, une fenêtre s’est ouverte, des gens épris de liberté – à tout point de vue – venaient y chercher un bol d’air. Les marocains de toute part se sont appropriés le festival. » Pour elle, la rencontre de la musique gnaoua avec des musiciens étrangers s’est imposée de suite : « Lors de son 1er concert au Maroc, Carlos Santana avait invité le maâlem Mahmoud Guinéa.  Cet échange musical fut fantastique. J’ai alors compris à quel point cette musique pouvait fasciner un musicien d’une autre culture. »

Cette manifestation a permis la reconnaissance de la musique gnaoua à l’international, mais aussi au Maroc, où elle était surtout jouée dans des maisons saintes, des lieux réservés aux initiés. Elle est désormais devenue une musique populaire. Et depuis trois ans, les musiciens les plus célèbres ont enfin accès au statut d’artiste et à la carte professionnelle.  Un juste retour des choses pour ces artistes issus d’une population longtemps marginalisée.

Astrid Krivian, cet article a été initialement publié sur le site Trois couleurs

Pour écouter de la musique gnaoua : http://www.deezer.com/fr/album/4686241

Site du festival : http://www.festival-gnaoua.net/fr/

*Film documentaire «  Les 7 couleurs de l’univers : une leçon d’anthropologie » de Jacques Willemont  (2005)

TAMIKREST : Rencontre avec un Bluesman du désert

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Published on novembre 6th, 2013 | by TroisCouleurs

Le groupe de blues-touareg Tamikrest était en concert au mois d’octobre à Paris pour faire découvrir leur 3ème album, Chatma, sorti en septembre. Rencontre avec leur jeune leader, le compositeur chanteur-guitariste Ousmane Ag Mossa.

On les appelle les Touaregs, pourtant ce n’est pas le mot le plus juste pour nommer ce peuple nomade  habitant du Sahara et du Sahel : « Ce sont les étrangers qui nous ont appelés ainsi. Ce n’est pas notre vrai nom. Nous sommes les Kel Tamasheq, c’est-à-dire ‘’ceux qui parlent le tamasheq’’» explique Ousmane de sa voix douce et basse. Blouson de cuir, chevelure ébouriffée à la Bob Marley des débuts, dont il porte le t-shirt, il est plongé dans ses réflexions, une mélancolie dans les yeux, rompue de temps à autre par un sourire. Comme le maître du reggae, il fait une musique engagée, révolté de voir son peuple souffrir : « Je voulais être avocat pour défendre la cause tamashèque. Notre peuple est privé de son territoire, sans cesse en exil, réfugié, marginalisé. Il souffre de pauvreté, de chômage, de racisme. Avec la musique j’accomplis ce besoin de dénoncer les injustices dont il est victime, d’exprimer ses douleurs, d’attirer l’attention sur ses problèmes.» Une quête de liberté et d’espoir à travers la musique : « Pour que nous soyons enfin libres chez nous, que l’on respecte notre culture, notre terre le désert, notre mode de vie. »

C’est la puissante musique de Tinariwen, les pères du blues-touareg, qui a décidé Ousmane à s’armer d’une guitare : « J’ai chanté et joué leurs chansons comme si c’étaient les miennes. Et c’est grâce à eux que j’ai découvert le rock et le blues anglais, qui font partie de mes influences : Dire Straits, Pink Floyd, Eric Clapton… » Originaire de Kidal au Nord-Est du Mali, Ousmane est un « héritier du désert », comme il le chante dans son album précédent, et s’y ressource dès qu’il le peut. « Dans le désert, tu habites le silence. Seul avec ta guitare, sans internet ni téléphone, c’est idéal pour créer de la musique. Même si ça peut aussi être un environnement dangereux, où il est facile de se perdre. »

Tamikrest signifie nœud, rassemblement, en tamasheq : « Parce que c’est la musique qui nous a rassemblés, qui nous unit. » Leur dernier opus est une petite merveille. Son titre Chatma veut dire sœurs : «Un hommage aux femmes tamashèques, mais aussi à celles du monde entier, à la force et au courage dont elles font preuve pendant les guerres. Elles résistent malgré les souffrances endurées. Ce sont toujours les hommes qui sont à l’origine des conflits, mais les premières victimes sont les femmes et les enfants. »  Riche de ses diverses influences (blues, rock psyché, reggae…), le groupe nous offre une musique composite, dense, épaisse : différentes lignes de guitare tissées les unes aux autres, soutenues par une rythmique composée d’une batterie, de frappements de mains, d’un djembé, d’une guitare basse, d’une calebasse. Des moments intimistes, parfois expérimentaux, succèdent à des morceaux dynamiques, plus rock, où la voix basse d’Ousmane dialogue avec les chœurs puissants, aigus de la chanteuse Wannou Wallet Sidaty.

Coup de cœur pour le morceau de clôture, Timtar (souvenirs) : une nappe de synthé planante et la guitare rythmique lancinante installent une atmosphère mystérieuse. Des coups de grosse caisse marquent le rythme, évoquant la lente cadence d’une procession. Le solo de guitare aérien semble fendre le silence d’un désert, se réverbérer au lointain. Et le chant d’Ousmane, confié au creux de l’oreille, exprime délicatement l’émotion, sa voix finement éraillée de nostalgie. Une errance entre songes et souvenirs.

Pour écouter Tamikrest, cliquer ici.

Article initialement publié sur Trois couleurs

Astrid Krivian