Les négociations entre l’Etat malien et les mouvements sécessionnistes touareg, sur quelles bases ?

Mali_KidalPendant que les rapports islamistes-populations étaient très tendus dans les autres régions du Nord-Mali, Kidal (fief des Touaregs) continuait d’entretenir un climat de dialogue avec les groupes islamistes. Tout au long du processus de négociation en cours (fin 2013), la situation parait aussi délicate que floue, quand on sait que djihadistes et sécessionnistes touaregs ont pu nouer des liens de circonstances, souvent concrétisés par des alliances familiales. Et confuse quand on sait que pour continuer d’exister sereinement, des djihadistes peuvent simplement hisser le drapeau du MNLA sur leurs véhicules.

Derrière leur unité de façade, les groupes touaregs MNLA (Mouvement national pour la libération de l'Azawad), HCUA (Haut conseil pour l'unité de l'Azawad) et MAA (Mouvement arabe de l'Azawad), semblent cacher de sérieuses divergences (revendications divergentes et ambitions personnelles des différents leaders). La stratégie des autorités maliennes, constituant à s’appuyer sur les fractures existantes entre ces groupes afin de les fragiliser et de rester en position de force dans le cadre des négociations, est inopportune compte tenu de la conjoncture. En amont des pourparlers, le gouvernement malien devrait au contraire s’assurer d’une union solide des groupes touaregs, et de leur légitimité à représenter le peuple touareg. Car sceller un accord avec des groupes fractionnés, c’est courir le risque d’une résurgence du problème en question, comme cela s’est produit lors des précédentes rebellions touarègues.

Les contraintes de l’aboutissement des négociations.

Pour mieux comprendre la rudesse de la tâche du gouvernement malien, il convient de se reporter aux véritables sources du problème touareg, qui remontent à l’époque coloniale. La France imposa sa main mise sur le Sahara central en 1906. La force coloniale concède toutefois aux touaregs, une relative autonomie qui devait les laisser libre de leur mouvements, la liberté étant au cœur de la culture touarègue. L’avènement des indépendances en Afrique occidentale française et le découpage territorial, éparpillèrent le peuple touareg désormais repartis entre plusieurs pays. Mais bien avant l’indépendance, l’accession en 1957 des anciennes colonies françaises à un régime semi-autonome, en vertu de la loi cadre (loi Defferre du 23 juin 1956), poussa le peuple nomade à caresser dès cette période le rêve d’un Etat touareg. Les chefs traditionnels touareg de l’époque, avec à leur tête Mohamed Ali Ag Attaher[1], s’accordaient pour rejeter une fusion avec les "Noirs" au sein d’un même Etat. La notion de nation se fonde sur le désir de vivre ensemble. Pourtant, il apparait clairement que l’irrédentisme touareg s’est manifesté en amont de la création de l’Etat malien, c’est-à-dire bien avant l’indépendance du pays en 1960. «L’existence d’une nation est un plébiscite de tous les jours» (Ernest Renan, 1882). Ce plébiscite du peuple touareg, dans l’Etat du Mali, dont le parcours postcolonial fut jonché de contestations à caractère sécessionniste,  ne s’est manifesté que de façon intermittente.

En réaction à l’indépendance du Mali, Mohamed Ali Ag Attaher disait : « Il faut que la France, qui a tailladé notre nation et notre pays, sache que ni l'argent ni le feu ne nous feront jamais accepter d'être dirigés par ses nouveaux serviteurs ». Sa détermination pour la création d’un Etat touareg est à l’origine de la première rébellion touarègue en 1959. Face à la résolution irrédentiste du peuple nomade, le président malien Modibo Kéita (1960-1968) n’envisage guère de solution politique. La minimisation du problème va même conduire les autorités maliennes à qualifier les leaders de la contestation de bandits armés. Et la réponse de l’Etat malien à la fronde touarègue ne fut autre que l’usage disproportionné de la force. Les Touareg sont, dès lors, sujets d’une surveillance accrue à travers une forte militarisation de leur zone. Deux ans après l’indépendance du Mali, la période  1962-1964 était marquée par la première rébellion touareg du Mali indépendant. La suivante déclenchée le 27 juin 1990, concomitamment au Mali et au Niger, fut définitivement résolue par les accords d’Ouagadougou du 15 avril 1995. Et le 27 mars 1996 a lieu la cérémonie de la Flamme de la paix à Tombouctou au cours de laquelle, environ 3600 armes d’anciens rebelles sont publiquement détruites. Les mouvements touareg, après avoir proclamé leur dissolution, ont bénéfice d’une amnistie générale. La résurgence de la contestation touareg suivit son cours, et le 23 mai 2006 éclata une nouvelle rébellion. Dès juillet 2006, des accords de paix censés mettre fin aux hostilités étaient signés à Alger. Pourtant en 2007 et 2008, les affrontements reprirent avant la signature des accords du 7 octobre 2009 entre le gouvernement et les groupes rebelles.

Certaines des solutions proposées par le gouvernement d’Ibrahim Boubacar Kéita, figurent dans le Pacte national d’avril 1992, signé entre le gouvernement malien de transition présidé par le lieutenant-colonel Amadou Toumani Touré et les représentants des mouvements et front unifiés de l’Azawad. Le pacte prévoyait d’accorder aux trois régions du nord, un statut particulier. Un projet de décentralisation proposé  par Edgar Pisani y était inclut. Il prévoyait un nouveau découpage administratif du Nord-Mali, fondé sur des assemblées locales, régionales et interrégionales. Le pacte national fut un échec car des dissensions continuaient  d’exister entre les différents mouvements touaregs. L’ensemble des populations civiles, ni les milliers de réfugiés ne furent pas associés à son élaboration. Les bailleurs de fonds internationaux, censés soutenir la paix en finançant les projets de développement, n’honorèrent pas leurs promesses.

La sècheresse des années 1970

La sédentarisation des Touareg, due à la grande sècheresse des années 1970, posa un gros problème aux populations nomades qui étaient accueillis dans des camps de réfugiés. Ils sont donc forcés à une sédentarisation, due, à la fois, à un évènement climatique mais aussi à des logiques d’Etat défavorables au nomadisme. Au regard de la conjoncture, un nombre important de  jeunes touaregs décident d’émigrer vers des pays du Moyen-Orient et du Maghreb. Nombreux parmi eux sont accueillis en Libye où Kadhafi leur accorde la nationalité libyenne, avant de les insérer dans l’armée. En mars 2011, la France lançait en Libye, sous le commandement de l’OTAN, l’opération militaire Harmattan, visant à soutenir la branche armée du Conseil National de Transition libyen. Elle n’envisagea guère les conséquences collatérales d’une telle intervention en termes de déstabilisation de la région. Après la mort du guide libyen, ces Touareg qui étaient admis dans l’armée libyenne en tant que membres supplétifs investissent le Nord-Mali lourdement armés. C’est ainsi que débutait la dernière rébellion touareg, les prémices d’une succession de crises de différentes natures.

Les Touareg (représentés par les différents mouvements sécessionnistes) apparaissent ainsi comme un peuple distinctement irrédentiste, dont l’aspiration à l’indépendance ne s’est jamais estompée, même au travers des principaux accords de paix précédemment signés avec les gouvernements maliens successifs.     


[1] Mohamed Ali Ag Attaher est devenu chef des Kel Intesar à la mort de son père en 1926. Soupçonné de diriger la révolte touarègue qui en 1963 éclate dans l'Adrar sous une forme violente, il est extradé par les autorités marocaines et remis au gouvernement malien. Sa détention à Bamako durera de 1963 à 1977. Jusqu’à sa mort en juillet 1994 au Maroc, il a toujours refusé tout compromis avec l'Etat malien.

 

 

TAMIKREST : Rencontre avec un Bluesman du désert

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Published on novembre 6th, 2013 | by TroisCouleurs

Le groupe de blues-touareg Tamikrest était en concert au mois d’octobre à Paris pour faire découvrir leur 3ème album, Chatma, sorti en septembre. Rencontre avec leur jeune leader, le compositeur chanteur-guitariste Ousmane Ag Mossa.

On les appelle les Touaregs, pourtant ce n’est pas le mot le plus juste pour nommer ce peuple nomade  habitant du Sahara et du Sahel : « Ce sont les étrangers qui nous ont appelés ainsi. Ce n’est pas notre vrai nom. Nous sommes les Kel Tamasheq, c’est-à-dire ‘’ceux qui parlent le tamasheq’’» explique Ousmane de sa voix douce et basse. Blouson de cuir, chevelure ébouriffée à la Bob Marley des débuts, dont il porte le t-shirt, il est plongé dans ses réflexions, une mélancolie dans les yeux, rompue de temps à autre par un sourire. Comme le maître du reggae, il fait une musique engagée, révolté de voir son peuple souffrir : « Je voulais être avocat pour défendre la cause tamashèque. Notre peuple est privé de son territoire, sans cesse en exil, réfugié, marginalisé. Il souffre de pauvreté, de chômage, de racisme. Avec la musique j’accomplis ce besoin de dénoncer les injustices dont il est victime, d’exprimer ses douleurs, d’attirer l’attention sur ses problèmes.» Une quête de liberté et d’espoir à travers la musique : « Pour que nous soyons enfin libres chez nous, que l’on respecte notre culture, notre terre le désert, notre mode de vie. »

C’est la puissante musique de Tinariwen, les pères du blues-touareg, qui a décidé Ousmane à s’armer d’une guitare : « J’ai chanté et joué leurs chansons comme si c’étaient les miennes. Et c’est grâce à eux que j’ai découvert le rock et le blues anglais, qui font partie de mes influences : Dire Straits, Pink Floyd, Eric Clapton… » Originaire de Kidal au Nord-Est du Mali, Ousmane est un « héritier du désert », comme il le chante dans son album précédent, et s’y ressource dès qu’il le peut. « Dans le désert, tu habites le silence. Seul avec ta guitare, sans internet ni téléphone, c’est idéal pour créer de la musique. Même si ça peut aussi être un environnement dangereux, où il est facile de se perdre. »

Tamikrest signifie nœud, rassemblement, en tamasheq : « Parce que c’est la musique qui nous a rassemblés, qui nous unit. » Leur dernier opus est une petite merveille. Son titre Chatma veut dire sœurs : «Un hommage aux femmes tamashèques, mais aussi à celles du monde entier, à la force et au courage dont elles font preuve pendant les guerres. Elles résistent malgré les souffrances endurées. Ce sont toujours les hommes qui sont à l’origine des conflits, mais les premières victimes sont les femmes et les enfants. »  Riche de ses diverses influences (blues, rock psyché, reggae…), le groupe nous offre une musique composite, dense, épaisse : différentes lignes de guitare tissées les unes aux autres, soutenues par une rythmique composée d’une batterie, de frappements de mains, d’un djembé, d’une guitare basse, d’une calebasse. Des moments intimistes, parfois expérimentaux, succèdent à des morceaux dynamiques, plus rock, où la voix basse d’Ousmane dialogue avec les chœurs puissants, aigus de la chanteuse Wannou Wallet Sidaty.

Coup de cœur pour le morceau de clôture, Timtar (souvenirs) : une nappe de synthé planante et la guitare rythmique lancinante installent une atmosphère mystérieuse. Des coups de grosse caisse marquent le rythme, évoquant la lente cadence d’une procession. Le solo de guitare aérien semble fendre le silence d’un désert, se réverbérer au lointain. Et le chant d’Ousmane, confié au creux de l’oreille, exprime délicatement l’émotion, sa voix finement éraillée de nostalgie. Une errance entre songes et souvenirs.

Pour écouter Tamikrest, cliquer ici.

Article initialement publié sur Trois couleurs

Astrid Krivian

Les rébellions Touarègues

Les affrontements qui ont ont lieu dans le nord du Mali depuis janvier 2012 et la crise humanitaire qui en découle (172.000 déplacés selon l’ONU) révèlent l’instabilité chronique que connait cette région du Sahel. Ils constituent un conflit d’une série de rebellions Touarègues au Niger et au Mali qui remontent à près d'un siècle.

Les rébellions de 1916 et 1962

La révolte de Kaocen, qui a soulevé les tribus touaregs du Nord du Niger en 1916 et 1917 contre la colonisation Française, est considérée comme la première rébellion des populations touaregs de l’époque contemporaine. Elle réussit à prendre le contrôle du massif de l’Aïr, et à mettre le siège devant la ville d’Agadez et la garnison Française qui y était placée.  La révolte fut progressivement étouffée à partir de mars 1917 par l’arrivée de renforts stationnés dans le sud du Niger, obligeant les combattants Touaregs à se retirer vers le nord en direction du Fezzan (Libye), où le leader de la révolte Ag Mohammed Wau Teguidda Kaocen, fut tué par des forces locales hostiles à son mouvement.

La rébellion de 1962-1964 a quant à elle touché le nord du Mali, peu après son indépendance, opposant une insurrection Touareg à une armée Malienne qui comptait à l’époque à peine 1500 hommes. Elle découle des aspirations autonomistes d’une partie de la population Touareg et sa déception à l’égard du gouvernement indépendant, avec pour projet d’établir un Etat indépendant dans la région. L’insurrection fut de courte durée, mais la répression qui en suivit laissa des séquelles qui alimentèrent des soulèvements ultérieurs plus longs et plus violents.

La rébellion de 1990-1995

Les révoltes Touaregs au Mali et au Niger à partir de 1990 résultent du sentiment de marginalisation et la menace ressentie sur l’identité de ces minorités, et de la détérioration des conditions socio-économiques qu’a connu le Sahel, particulièrement face à la sécheresse et la faiblesse de l’Etat central.

Au Niger, la revendication portait au départ sur l’enseignement du Tamashek, (langue pratiquée par les Touaregs), avant de s’étendre à une demande autonomiste. La réponse de l’armée Malienne fut particulièrement forte au début, notamment dans la zone de Tchin-Tabaradene. Par la suite, des combats sporadiques persistèrent pendant plusieurs années dans le massif de l’Aïr, la région touristique d’Agadez et la région riche en uranium d’Arlit, occasionnant des pertes économiques importantes pour le pays et l’évacuation des ressortissants étrangers. Finalement, les deux principaux mouvements Touaregs (ORA et CRA) acceptèrent de signer des accords de paix le 15 avril 1995 à Ouagadougou, prévoyant notamment l’intégration d’une partie des rebelles dans l’armée régulière Nigérienne.

En parallèle, la rébellion Touareg au Mali évolua différemment. Après des attaques sur la ville de Gao, l’insurrection a connu une accalmie en 1992 après l’élection d’Alpha Oumar Konaré et la formation d’un nouveau gouvernement, avant de reprendre en 1994 et de faire sombrer la région dans un début de guerre civile entre milices Touaregs et Songhaï.  En effet, le conflit exacerba les tensions ethniques et l’opposition ancienne entre sédentaires et nomades, entrainant de  nombreuses victimes. La paix fut symboliquement conclue lors de la Cérémonie de la Flamme de la Paix à Tombouctou, au cours de laquelle des milliers d’armes utilisées durant l’insurrection furent brulées publiquement.

La rébellion de 2007-2009

 Un nouveau soulèvement Touareg  éclata le 23 mai 2006 dans le nord du Mali, dénonçant le non application des accords conclus dans les années 1990 et la marginalisation de la région par l’Etat Malien. De nouveaux accords de paix furent signées  dés juillet 2006 à Alger, prévoyant notamment des programmes de développement pour les régions de Kidal, Tombouctou et Gao. Néanmoins, des affrontements reprirent en 2007 et 2008 avant qu’une nouvelle médiation Algérienne aboutisse au retour d’une paix précaire dans la région.

Au Niger également, un soulèvement eu lieu à partir de 2007. Il faut préciser néanmoins qu’il n’existe vraisemblablement pas de lien direct ou de coordination avec les mouvements Touaregs au Mali. L’importance stratégique des réserves d’uranium, l’enlèvement de quatre employés d’AREVA le 22 juin 2008 (libérés quelques semaines plus tard) et l’apparition d’AQMi (Al Qaida au Maghreb Islamique) donnèrent un écho international à cette crise. Toutefois, la paix revenue au Mali encouragea une évolution similaire au Niger, ce qui fut finalement acquis au printemps 2009 avec une médiation de la Libye.

Le déclenchement d’une nouvelle insurrection dans le nord du Mali en janvier 2012 révèle l’instabilité que connait cette région et la difficulté des Etats Malien et Nigérien à répondre efficacement aux défis sécuritaires, politiques et socio-économiques auxquelles ils sont confrontés. Alors que la région connait depuis plusieurs décennies une grave détérioration de sa situation, l’apparition de nouvelles menaces que représentent AQMI et le trafic d’armes lourdes constituent des motifs de grande inquiétude pour l’avenir et soulignent l’importance d’une action régionale concerté pour garantir la stabilité du Sahel et répondre aux besoins humanitaires urgents des populations affectées par ces conflits.

 

N. KAID SLIMANE

Pour que le Mali demeure une mauvaise idée

Le Mali a toujours été une mauvaise idée. De géographie. De Fédération. De politique de développement. De démographie. De protection des femmes . De trajectoire historique. De placement en demi-finale de la CAN. Et probablement une mauvaise idée de chronique dominicale. L’affaire, c’est que les Maliens ne font jamais rien comme il faut, même si, l'un dans l'autre, ça leur réussit plutôt bien.

Le Mali avait bien commencé. Entre l’idolâtrie francophile de Senghor ou l’obsession de stabilité et de contrôle d’Houphouët-Boigny d’un côté et l’irréductible et dangereuse radicalité de Sékou Touré, le Mali accéda à l’indépendance sous la houlette d’un panafricaniste non-doctrinaire, résolument non-aligné mais pragmatique : Modibo Keïta, une sorte de Kwame Nkrumah sans la folie des grandeurs. Et si Keïta se goura, en matière de politique économique (l’endettement colossal du Mali, c’est d’abord une mauvaise idée de Modibo Keïta), il reste définitivement l’un des « socialistes » africains les moins sanguinaires et son éviction du pouvoir fut des plus pacifiques. Mieux, il demeura jusqu’à sa mort (probablement par empoisonnement) un partisan résolu de la démocratie (sinon du multipartisme).

Puis, il y eut les deux décennies de la dictature de Moussa Traoré (1968-1991). Et là encore, à l’aune des calamités que connut l’Afrique des années 70 et 80, cette brave Afrique de l’Apartheid, de Mobutu, Amin Dada et Bokassa, de la Gukurahundi, des guerres civiles angolaise, éthiopienne, mozambicaine ou tchadienne, et même dans cette sereine Afrique de l’Ouest qui vit l’éclosion du conflit casamançais, le coût humain et financier de la dictature de Traoré reste assez mineur. Le Mali réussit même, au tournant de la décennie 90 (oui, celle-là même du génocide rwandais et des guerres civiles en Sierra Léone et au Libéria) à mettre Moussa Traoré aux arrêts, à le faire juger et condamner. Et derechef, le Mali se résolut à décevoir : non seulement, Traoré ne fut pas exécuté, il vit d’abord ses deux peines capitales commuées en détention à perpétuité, avant d’être gracié en 2002 et de bénéficier d’une villa officielle et de 1200 euros de rente publique par mois ; pour aggraver leur cas, les autorités militaires maliennes non seulement présentèrent leurs excuses à la population mais organisèrent une étonnamment rapide dévolution du pouvoir politique aux civils.

Et depuis vingt ans, cahin-caha, le Mali est une démocratie relativement paisible et passablement ennuyeuse. Pauvre, désespérément pauvre mais pas trop misérable, ni sous complète perfusion. Une mauvaise idée quand on a pour voisins la Côte d’Ivoire, l’Algérie ou la Mauritanie.

Voilà que le Mali s’apprête soudain à en prendre une « bonne » : suivre l’exemple de ses voisins et transformer un conflit politico-économique (les griefs des populations Touareg du Nord du Mali) en véritable crise militaro-ethnique.

Depuis la mi-janvier 2012, le Mali doit faire face à la quatrième rébellion Touareg de son histoire. Ce chiffre est assez significatif : de 1961 à maintenant, cet immense Nord malien n’a cessé de gronder, sans que Bamako ne sache exactement quelle solution apporter aux griefs de ses habitants. La pauvreté du pays, sa trajectoire politique depuis l’indépendance et les hérésies du découpage géographique n’expliquent qu’en partie cet échec. Une autre mauvaise idée malienne.

En 1961, une première rébellion éclate. Les chefs Touaregs de la région de l’Adrar des Ifoghas se révoltent contre l’autorité du pouvoir central et la politique de Modibo Keïta. Ce dernier, soutenu par le Maroc et l’Algérie écrase brutalement ces soulèvements, tout en en niant la réalité jusqu’en 1964. La dissidence Touareg n’en est qu’à ses débuts. Le terrible bagne-mouroir de Taoudéni bientôt fonctionnera à plein régime.

La grande sécheresse de 1972-74 fait 100.000 morts dans les régions de Gao et Tombouctou (Nord/Nord-est). L’indifférence coupable du régime de Moussa Traoré est interprétée à raison comme une mesquine revanche contre cette indocile partie du territoire. Pire : l’aide humanitaire reçue pour cette sécheresse et la suivante en 1982-85 est détournée par le gouvernement. Le Mouvement national pour la libération de l'Azawad (MNLA) est créé en 1988. Dès 1990, un second soulèvement éclate, qui voit l’attaque de la ville de Ménaka et des postes militaires avancés. Les accords de Tamanrasset signés en janvier 1991 sont censés régler définitivement la question : la région de Kidal est créée, Taoudéni est fermée, 240 prisonniers politiques sont libérés. Un calme précaire s’établit.

En 2006, les troubles reprennent : l'Alliance démocratique du 23 mai pour le changement dénonce le non-respect des accords de 1991. Le développement économique n’est pas venu, l’administration publique est inefficiente et jugée éloignée des populations. Les Touaregs s’aperçoivent peu à peu que cette administration est essentiellement originaire du Sud. La Côte d’Ivoire a ouvert la voie. Le GSPC et Kadhafi y ont certainement ajouté leur grain de sel. Les Accords d’Alger sont signés en juillet 2006 : un fonds d'investissement, de développement et de réinsertion socio-économique des régions du Nord-Mali sera mis en place et doté de 700 milliards de francs CFA, une nouvelle région administrative (Ménaka) doit être crée. La mécompréhension s’accentue : la majorité du pays est pauvre, elle aussi et ne comprend pas la facilité avec laquelle le gouvernement cède aux desiderata des minorités berbères du Nord du pays. Qu’importe l’état réel (profondément désastreux, même pour le Mali) des infrastructures publiques et sanitaires dans le Nord… Désengagement de l’Etat qui ne semble pas s’améliorer puis qu’une quatrième révolte touareg éclate, cinq ans seulement après ces Accords.

Depuis la mi-janvier 2012 le MNLA mène une violente offensive contre les forces armées maliennes. Les rebelles occupent désormais la ville de Tinzaouatène. L’armée républicaine essaie de contenir leur avancée. La classe politique appelle à l’unité et soutient le Président Amadou Toumani Touré. La crise humanitaire est grande : 30.000 déplacés internes, près de 20.000 réfugiés au Niger, en Algérie, au Burkina et en Mauritanie; les villes de Gao, Kidal, Ménaka, Adaramboukare, Tessalit et Tombouctou sont quasiment désertes, en état de siège.

La rébellion est mieux armée, en partie grâce à l’afflux d’armes sorties de Libye à la suite du « printemps » libyen, en partie grâce au soutien non-assumé d’AQMI. Et pour la première fois, malgré les dénégations du MNLA, le caractère ethnico-culturel de ses revendications est au cœur du problème : des affrontements ont opposé à Bamako, d’un côté, les parents des militaires maliens et les forces de l’ordre ; de l’autre, populations malinkés et Touaregs. Le gouvernement est désormais accusé de trahison et d’abandon par une part non-négligeable de la population. Sa réaction immédiate aux attaques du MNLA est jugée faible et brouillonne. De plus, les populations des principales villes du Sud vivent assez mal ce qu’elles considèrent comme une agression injustifiée de la part du Nord. Les appels au calme fusent de partout. Les incitations à éviter les amalgames entre les rebelles et le reste de la population Touareg, arabe, mauritanienne ou « nordiste » du pays, se multiplient. Pas sûr qu’elles soient suivies. Et ceci d’autant moins que le conflit semble s’accentuer. Ce que n’arrangeront pas les désertions au sein de l’armée malienne

Le libéral en moi, voit ici une autre conséquence de l’interventionnisme étatique (in fine, tout le monde l’accuse de tous les maux puisque tout le monde l’imagine omnipotent), l’Ivoirien ressent, en revanche, une terrible impression de déjà-vu. Il vaudrait mieux que le Mali reprenne sa tradition de mauvaises idées – modérées et progressives.
 

 

Joël Té-Léssia