Immersion au CTIC Dakar, premier incubateur TIC en Afrique Francophone

37584cdAu cours d’un cours séjour au Sénégal, j’ai eu la chance de pouvoir plonger au cœur de CTIC Dakar, le premier incubateur TIC en Afrique Francophone. Aussi, je vous propose une série d’articles pour découvrir CTIC Dakar, ses facteurs clés de succès, ses défis et enfin ses entrepreneurs.

Cet article est une interview d’Eva Sow Ebion, Responsable Communication de CTIC Dakar, qui nous donne un aperçu général de l’incubateur.

ADI : Pourriez-vous nous présenter votre parcours ainsi que le CTIC Dakar ?

ESE : Je suis Eva Sow Ebion, je suis responsable communication et événementiel au niveau de CTIC Dakar depuis maintenant trois ans, peu après le démarrage de l’incubateur. CTIC a été créé en avril 2011, à l’initiative de la fondatrice des incubateurs TIC en partenariat avec OPTIC qui est l’organisme des professionnels des TIC.

Pour ma part, je suis diplômée en communication et ressources humaines. Je suis aussi journaliste de formation, j’ai eu à travailler pour Diplomat Investissement, un magazine économique canadien. Rentrée au Sénégal depuis trois ans, j’ai pu me créer un réseau rapidement grâce à quelques expériences dans des entreprises d’import-export. Il faut dire que le réseau est une des clés du succès au Sénégal. J’ai ensuite rejoint des associations dans la santé publique, mis en place quelques campagnes de développement durable et apporté conseil en qualité de consultante auprès d’entreprises privées avant de rejoindre l’équipe de CTIC Dakar.

Pour présenter le CTIC, nous sommes un incubateur issu d’un partenariat PPP (partenariat public-privé). L’objectif était d’être à la fois le premier incubateur en Afrique Francophone, et un projet pilote qui pourrait se déployer dans d’autres pays. L’idée pour nous était également d’avoir des partenaires locaux tels que l’ARTP (Autorité de Régulation des Télécommunications et des Postes). Nous sommes sous la tutelle du Ministère de la Communication et du Ministère des Finances (on parle d’économie numérique). Nos autres partenaires sont l’ADIE (Agence de l’Informatique de l’Etat) qui nous met à disposition les bâtiments, Orange qui établit la connectivité, IFC de la Banque Mondiale, Infodev et le CDE – Consortium d’entreprises.

Il était important que le CTIC soit créé car le contexte s’y prêtait; 350 entreprises privées TIC, un bon taux de pénétration du mobile – environ 95%. Le seul problème est que le contexte était peu favorable, il n’y avait pas de fonds d’investissement à la base, il n’y avait pas de fonds d’amorçage prévu pour les entrepreneurs. Certains sont ici confrontés aux problématiques de l’accès à l’internet  haut débit. Les entreprises ont des soucis pour payer les salaires donc il est hors de question pour elles de faire de la recherche-développement. Il y avait ainsi de nombreuses problématiques qui se posaient et on avait matière à pouvoir y apporter des réponses.Selfie avec Eva Sow Ebion

Pour entrer dans le vif du sujet, notre cœur d’activité c’est l’accompagnement. On le fait à travers deux grands programmes. Un premier programme qui dure 3 ans est l’incubation proprement dit, période durant laquelle les entreprises évoluent au sein de la pépinière avec un suivi administratif, comptable et fiscal. Nous apportons également beaucoup de soutien en termes de communication et d’organisation d’événements. Notre grande valeur ajoutée se trouve au niveau du business development. Dans ce cadre, nous allons avec les entrepreneurs en rendez-vous, nous les aidons à gagner des parts de marché, et cela passe nécessairement par la mise à disposition d’un fort réseau ; un réseau personnel pour chacun des membres de l’équipe mais aussi un réseau institutionnel avec les partenaires de CTIC Dakar qui permettent d’ouvrir les portes plus facilement. Le dernier élément est le coaching, toujours dans le cadre de l’incubation, où là, non seulement nous aidons au recrutement des équipes, mais nous les faisons également monter en compétences via des formations, en finance, webmarketing, leadership, etc.

Le second programme que nous proposons est un programme d’accélération qui s’appelle « Buntu Tekki » et qui signifie « la porte du succès » en wolof. Ce programme d’accélération dure 6 mois et se tourne davantage vers les porteurs de projet pas encore établis en tant qu’entreprise. Les deux principaux objectifs de ce programme sont de leur permettre de se formaliser puis de capturer leur premier client, et d’avoir une plateforme réellement fonctionnelle en termes de développement technique.

Il arrive par ailleurs que des entreprises bien établies se rapprochent de nous sans passer par ces deux programmes d’accompagnement. Nous pouvons être amenés à leur apporter un soutien sur certains points bien déterminés. Par exemple, nous faisons du business development pour certains, nous organisons des événements spécifiques pour d’autres. Il peut aussi nous arriver de faire des offres de soft landing, nous l’avons déjà fait pour une entreprise française, une entreprise américaine et deux entreprises canadiennes. En effet, nous avons été quelque peu obligés de développer, en parallèle, des prestations de service car notre principale activité est l’incubation et il faut être conscient du fait que les incubateurs en Afrique ne fonctionnent pas (dans le sens où ils ne sont pas autonomes). Pour nous, le grand challenge était de faire de CTIC Dakar un incubateur viable et autonome.

Photo_Event_TEKKI_48ADI : Etes-vous focalisés sur les activités TIC ou avez-vous une visée plus large ?

ESE : Je trouve qu’il y a beaucoup d’a priori et que les gens ont tendance à penser que le secteur des TIC ne concerne que les nouvelles technologies. En réalité, les TIC ne sont pas faites pour aller toutes seules, le plus souvent elles sont là pour servir les autres secteurs d’activité. Donc même si nous ciblons les TIC nous avons beaucoup de lien avec les autres secteurs. Par exemple, nous avons déroulé un programme TIC pour l’agriculture, un autre pour la santé, dernièrement nous en avons conduit un pour la bonne gouvernance, actuellement nous réfléchissons à un programme TIC pour l’export, il y en aussi eu un pour le tourisme. Le but étant de faire comprendre aux entreprises et aux populations que les TIC ne sont pas là pour changer leur mode de fonctionnement mais pour faciliter leurs pratiques par un usage intégré.

ADI : Concernant les entreprises incubées, quel est le taux de réussite ? Sont-elles soumises à un processus de sélection ? Leur succès est-il lié à la motivation de l’entrepreneur où dépend-t-il d’autres facteurs ?

ESE : Mon avis est partagé car on peut avoir un porteur de projet extrêmement motivé, qui a tout pour réussir et qui ne va pas y arriver. Nous le constatons parfois malheureusement. D’autres fois, des porteurs de projets dont le profil ne nous semble pas idéal réussissent. Donc je pense qu’il y a aussi des paramètres qui ne sont pas professionnels et qui doivent être pris en compte du fait de la société dans laquelle nous nous trouvons.

Sur trois ans, nous avons connu de belles success stories, la plus belle étant People Input qui est aujourd’hui connue à l’échelle continentale. Le fait qu’ils aient été les premiers à se positionner clairement sur le digital a joué un rôle déterminant dans leur ascension fulgurante. Aujourd’hui par contre, la concurrence est rude dans ce secteur. Nous avons d’autres belles histoires à raconter comme celles de Nelam ou Seysoo.

Pour donner une idée, sur les trois premières années d’incubation, sur la totalité des entreprises, une seule a arrêté le programme, et ce pour des raisons personnelles. En 2013, nous étions à 1 milliard de FCFA de chiffre d’affaires cumulé sur toutes nos entreprises, avec environ une cinquantaine d’emplois créés.

De façon générale, les entrepreneurs de CTIC Dakar réussissent au moins à mettre en place une entreprise viable, un modèle économique viable. Il y a un processus de sélection pas facile et ceux qui le réussissent ont forcément un potentiel de réussite. La première sélection se fait au niveau de CTIC Dakar et la seconde avec le comité de sélection composé des parties prenantes de CTIC Dakar (parmi eux sont représentés des Ministères, IFC, Orange, OPTIC, l’ADIE, des experts sectoriels, la Banque Régionale de Solidarité, des entreprises privées, etc.).

ADI : Que pensez-vous du niveau de formation et des compétences des entrepreneurs ? Les ont-ils acquises au Sénégal ou à l’étranger ?

ESE : Il faut dire qu’au départ j’étais très axée diaspora et je me suis rendue compte par la suite qu’il y a une très bonne technicité au niveau local. Nos entrepreneurs Sénégalais sont de très bons techniciens et de très bons ingénieurs. Je les trouve meilleurs que ceux qui viennent de l’étranger, notamment ceux qui ont étudié à l’ESP. Le problème pour eux se trouve davantage dans la diction, le marketing, la communication, le développement commercial. Les Sénégalais de la diaspora sont meilleurs dans le relationnel et savent mettre en avant leur projet. Ils sont également plus exigeants au niveau des ressources humaines mais les « produits sénégalais » n’ont rien à envier aux sénégalais de l’extérieur.

Photo_Event_TEKKI_48_2ADI : L’Afrique anglophone est très en avance dans le développement des TIC (notamment le Kenya, le Nigéria ou encore le Ghana). Quel est de votre point de vue le positionnement de CTIC Dakar et du Sénégal dans ce secteur en Afrique ?

ESE : Je répondrai en trois points à cette question.  En mettant de côté l’Afrique du Sud, pour moi les pays anglophones font beaucoup. Il suffit de voir le nombre d’incubateurs au Nigéria, au Ghana, même au Libéria. Il est donc certain qu’ils sont très en avance mais ils n’ont pas encore trouvé de viabilité financière. Donc je pense que si un incubateur ne fonctionne pas très bien financièrement, cela signifie que les entreprises incubées ne fonctionnent pas nécessairement bien, ou du moins ne font pas suffisamment de chiffre pour porter l’incubateur.

Chez nous, c’est le même principe, on se rémunère sur le chiffre d’affaires des entreprises incubées. Mais nous avons pensé qu’il était important que nous continuions à grandir afin de donner plus d’élan à nos entreprises. C’est pour cela que nous avons tenté de trouver un modèle qui nous était propre et qui permettait qu’on devienne viable en tant qu’incubateur. Ce modèle nous l’avons trouvé à travers des services annexes que nous proposons à des entreprises. Ce sont surtout des évènements Tech. Le second point est la langue et aussi l’instabilité politique qu’il y a eu dans certains pays. Ces deux facteurs ont fait que nous avons pris du retard en Afrique francophone. Il y a dix ans, les sociétés anglophones ont commencé à sensibiliser leurs populations, contrairement à nous. Enfin, il y avait le problème de la connexion et du haut débit.

Notre volonté aujourd’hui est de répliquer notre modèle. Nous l’avons fait en appuyant la création du CIPMEN , centre d’incubation des PME du Niger et nous avons été mandatés dernièrement par la Banque Mondiale pour étudier le potentiel de la Mauritanie. Nous souhaitons répliquer au maximum notre modèle en Afrique francophone subsaharienne. Au niveau national, nous poussons également à la mise en place d’incubateurs régionaux à Thiès, Saint Louis et Ziguinchor.

Interview réalisée par Awa SACKO