Timbuktu, d’Abderrahmane Sissako

Parmi les favoris pour la Palme d'Or au Festival de Cannes, nominé aux Oscars dans la catégorie Meilleur film en langue étrangère, raflant 7 trophées aux Césars 2015, avec Timbuktu, Abderrahmane Sissako a marqué l'année 2015 de son empreinte géniale. Loin des sirènes un peu lourdes, connaissant déjà le travail de ce réalisateur rigoureux dont l'Afrique des idées avait déjà croqué l'excellent Bamako dont le spectateur exigeant n'oubliera pas les larmes d'Aïssa Maïga ou les plaidoiries alter-mondialistes de Maître William Bourdon contre les institutions financières internationales, à savoir le FMI et la Banque Mondiale. L'élégant mauritanien au port altier ne prend pas sa caméra pour ne rien dire.

Parlons de Timbuktu

Quel magnifique film! Naturellement, je vais devoir développer ce propos afin de le justifier. D'abord sur le fond. Je l'ai dit plus haut, Abderrahmane Sissako fait partie de ces rares personnalités capables de produire un discours sur des sujets extrêmement divers et sensibles sans tomber dans les lieux communs. Dans Timbuktu, il nous fait toucher du doigt l'occupation par des djihadistes d'une ville aux abords du Sahara qui pourrait être Tombouktou. Le film a été tourné à Oualata, en Mauritanie, pour des raisons de sécurité que l'on peut aisément comprendre. Il débute avec un homme masqué circulant dans la ville avec un haut parleur déblatérant les nouvelles consignes du pouvoir islamiste en place. Pas de musique, pas de tenues vestimentaires non conformes à leurs préceptes, pas de football, etc. Le ton est donné. Plusieurs personnages vont faire l'objet d'une focale par le réalisateurs : les leaders djihadistes, une famille touareg vivant dans une tente hors de la ville, un pécheur, des jeunes de la bourgade, l'imam de la cité saharienne, une folle haïtienne… Si l'occupation et la radicalité de son expression s'abattent sur le quotidien d'une population qui a du mal à en comprendre les ressorts, Abderrahmane Sissako y évoque également des conflits séculiers comme le rapport difficile entre les nomades et les sédentaires, la question de l'exil, la destruction de toute forme de repères culturels, le dialogue profond entre musulmans remarquablement mis en scène entre l'imam et les frondeurs djihadistes.

Le regard de Sissako
La force de ce film est avant tout dans la manière avec laquelle Sissako fait son observation. Taiseux, observateur comme j'ai pu le percevoir lors de ma discussion avec lui au théâtre de Nanterre-Amandiers, Abderrahmane Sissako déploie un regard qui ne juge pas. Il ne cède pas à la facilité du manichéisme. Ils montrent des hommes dans leurs contradictions sans forcer le trait pour appuyer un message. Il conte les petits espoirs dans un univers exotique loin de tout à priori, mais connecté au reste du monde. Via le satellite. Il choisit de s'attarder sur une famille touareg. Un homme. Une femme. Une fille. De l'amour. Un troupeau. Et des questions. Au travers de la caméra de Sissako, la logique impitoyable des islamistes interroge et frappe toutes les communautés. Partir ou pas et comment? Ce portrait est, à la fois, touchant et ambigu. Car le père de cette famille ôte une vie suite à une rixe banale. L'orientation donnée à la solitude de cet homme mérite un arrêt sur images.

Un autre aspect du film touche aux hommes en armes. Ici, l'absurde est le moyen par lequel Sissako critique cette prise d'otages. L'adhésion au projet collectif est loin d'une évidence pour les miliciens qui dirigent la cité. Le sous-bassement de la doctrine est compris par un cercle restreint dont certains membres ne sont pas investis par les vertus et les valeurs qu'ils pronent aux populations qui leurs sont soumises. La vision de ce Tombouktou, au départ étonnante, finit par être littéralement terrifiante.

Le désert
On peut se montrer critique sur le scénario. L'enchaînement de certaines séquences, l'entremêlement des différentes tranches de vie n'est pas l'élément le plus intéressant de ce film. Certaines figures auraient gagné à être plus développées. Mais, ce que je retiendrais de ce film, c'est le désert et cette famille tamashek. Je n'oublierais pas ce petit berger qui n'arrive pas à tenir son troupeau. Scène à la fois cocasse et dramatique. Il y a beaucoup d'amour dans la manière avec laquelle Sissako filme ces deux points. Il nous offre un dépaysement total, introduit une sorte de prise de recul proposé au spectateur. Il y a des tranches de vie très différentes. Mais riches. Il nous laisse aussi sur le désespoir d'une vie lâchée dans le désert. Touchant. Magnifique. Un film qui m'a replongé dans ma récente lecture d'Ousmane Diarra. Un dernier petit mot pour signaler la présente de la chorégraphe haïtienne Kettly Noël. Figure de la place culturelle à Bamako, sa présence, sa force, sa folie traduit bien une volonté de rupture et de résistance.

Lareus Gangoueus