Peinture rupestre en Afrique : et si la première salle de cinéma était une grotte ?

peinture rupestre cinema
Peinture rupestre Bushman, Namibie.
Parler de peinture rupestre à notre époque revient à évoquer des peintures plus ou moins approximatives, des silhouettes d’hommes et d’animaux peints à même la roche des grottes de Lascaux, d’Amérique latine ou d’Afrique du Sud. Il est rare que l’on aborde ces oeuvres "primitives" autrement que comme la tentative de l’homme du paléolithique de rendre compte de son environnement. Pourtant, ceux qui ont observé cet art avec attention se sont aperçus qu’il était tout autre chose, de bien plus surprenant : une forme de récit évolutif. L’art rupestre, ancêtre du cinéma ?

Regarder en marchant

La première fois que j’ai entendu évoquer cette hypothèse, j’assistais à la présentation de projets innovants au domicile d’une Brésilienne férue de nouveautés. Benjamin Rassat, journaliste et réalisateur, nous a alors proposé de poser un regard nouveau sur les grottes peintes comme à Lascaux : « Il faut les visiter la nuit, avec une lampe torche. On avance pas à pas, éclairant à chaque pas les parois avec la lampe, et le récit d’une bataille épique, d’un exploit de chasse, ou d’un voyage, vous est raconté image par image. J’imagine les hommes de cette époque, un flambeau à la main, parcourant la grotte avec à leur suite un groupe d’enfants ou d’adultes qui regardent et écoutent le récit, comme nous allons au cinéma aujourd’hui. ».

Ce n’est pas tant le fait que les hommes du Paléolithique furent conteurs autant que chasseurs qui est étonnant ; c’est le fait qu’ils aient utilisé l’image comme instrument de récit, pour accompagner la parole. En cela, ils ne diffèrent guère de nos réalisateurs contemporains, si ce n’est qu’à la place des rochers et des grottes nous utilisions l’écran, à la place de la torche nous utilisions des projecteurs, et qu’au lieu de marcher nous restions assis.

Leroi-Gourhan et les symboles mouvants

André Leroi-Gourhan, anthropologue controversé des années 40, a longuement évoqué cette possibilité.

En étudiant l’art paléolithique de la graphie sur les parois des cavernes, il constate un fait : sur un dessin ou une peinture, les animaux sont placés selon une logique précise, prenant en compte une place qu’ils ont pu occuper, soit dans le quotidien des personnes, soit, plus intéressant, dans le récit qui a donné naissance au dessin.

En effet, dans plusieurs cavernes, on peut constater un schéma de ce type : bisons et chevaux au centre, bouquetins et cerfs sur les bords du cadre, lions et rhinocéros à la périphérie. Le placement nous force à comprendre qu’il ne s’agit pas d’une représentation accidentelle d’animaux de chasse, mais d’autre chose qu’une écriture ou un tableau. Il s’agit, pour Leroi-Gourhan*, d’un récit que l’on a conservé par un symbole matériel sur un objet matériel. Les dessins évoluent avec le récit : « derrière l’assemblage symbolique des figures a forcément existé un contexte oral avec lequel l’assemblage symbolique était coordonné et dont il reproduit spatialement les valeurs » (LG, Le geste et la parole, P. 273-274, fig 92 et 93).

Cela n’est pas sans rappeler le couple évolutif récit-graphie que l’on retrouve dans les dessins sur le sable des Chokwe en Angola, que les travaux de Paulus Gerdes* ont permis de mettre en avant. Ou, plus récemment, hormis le cinéma, nos pésentations Powerpoint et nos murs sur Pinterest…

De quoi regarder avec un œil nouveau nos ancêtres et notre rapport au temps et au progrès : et si le progrès n’était rien d’autre que la répétition par l’homme des mêmes actions, mais avec des matériaux différents selon les civilisations?

Pour aller plus loin : 

  • André Leroi-Gourhan, Le geste et la parole, 1983, Albin Michel. 
  • Paulus Gerdes, Une tradition géométrique en Afrique : les dessins sur le sable, L’Harmattan, 1995

Comores : De l’art et des femmes puissantes

Marche des femmes dans la capitale pour les droits des femmes, 2014. Copyright RFI
Marche des femmes dans la capitale pour les droits des femmes, 2014. Copyright RFI

"Ce dont une femme a besoin, c'est d'une chambre à soi, et d'un peu d'argent", disait Virginia Woolf. En attendant la chambre, les femmes Comoriennes s'attaquent depuis longtemps aux fondements mêmes leur société, à travers l'art notamment, et parfois sans avoir conscience de leur impact sur les tabous qui les encerclent. Peut-être grâce au droit de cité que leur cède, bon an mal an, la structure matrilinéaire de leur société, elles posent les problématiques propres au pays : Education des enfants, condition féminine, vivre-ensemble dans un pays morcelé. Echo de ces voix qui s'expriment principalement par la musique, le cinéma et, plus récemment, la littérature.


Bora : Le chant-transmission

Comme un secret murmuré a l'oreille, le bora dévoile plus que ne le laisse soupçonner son.rythme entrainant. Le refrain de cette litanie poétique populaire, fréquente dans les mariages et les cérémonies,  se chante en chœur et accompagne une soliste qui, la plupart du temps, se sert des confidences quelle fait dans ses couplets pour sonder la société dans laquelle elle vit. Ainsi, dans ulindo mgu, on retrouve la problématique du mariage arrangé et de la déchéance programmée de la femme en tant que sujet de la société : mariée jeune, mère (trop) tôt, puis affublée par son époux d'une coépouse ou d'une maîtresse plus jeune, car flétrie avant l'âge. Le chant deplore la situation de cet être Éternellement défini selon une autre personne et jamais selon ce qu’il est. Debe, un autre chant, prend le parti de triompher de la vie malgré tout et de célébrer l' éternité dans l éphémère de la beauté féminine. Ce faisant, le chant érige la femme, perdante dans de nombreuses batailles, en gagnante de la guerre, car il lui reste finalement les mots et leur poésie :
 

" C'est le destin qui m' a donné cet homme, ô Tarora ; mais il n' a pas mon coeur
Et quand je me drape de mon hami, que je l' attache à ma hanche pour en faire un pli
Quiconque me voit ne baisse point les yeux, mais me fait du sourcil ! "


Côté nouvelle génération, on connaît surtout Imany et sa voix atypique.  Avant elle, les deux voix engagées du pays, Chamsia Sagaf et Zainaba Ahmed, ont assuré une transition entre les complaintes formulées a demi voix dans les bora et l'entrée dans la  musique contemporaine. Leurs chansons a messages démontrent une prise de position plus ferme dans tous les apsects qui touchent à la sociét, comorienne. Tantot Controversées, tantôt louangées, Zainana Ahmes, « la voix d’or », et Chamsia Sagaf, sa congénère, ont exhorté la femme d' aujourd'hui à sortir de son mutisme, à "rompre ses chaînes", à "se prendre en charge sans tarder" et à participer activement à l'avenir de l'humanité comme égale de l'homme. Aujourd'hui, les voix de Nawal et Mame, pour ne citer que celles-là,  font entendre l’héritage spirituel soufi de l’archipel, et continuent de percer la coquille.

 

L'identité et la maternité au cinéma

Le cinéma comorien est encore tout jeune, mais ce qu'il a de surprenant, c'est que les femmes en sont les pionnières. Dans une communauté réputée pour surprotéger ses femmes, la matrilinéarité, en faisant de la femme la gardienne des traditions, semble évoluer avec son temps et pousser, malgré les tabous sociaux, des femmes à libérer leur parole. Ces trois dernières années, deux des  héritières de cette parole  se sont distinguées par leurs productions : Sania Chanfi, réalisatrice d'Omnimum, et Hachimiya Ahamada, réalisatrice de L'ivresse d'une oasis. Les sujets abordés sont loin du plaidoyer pour le droit des femmes, et s'attaquent directement à des questionnements profondément universels. L'ivresse d'une oasis, deuxième œuvre de Hachimiya Ahamada, suit la réalisatrice dans son  parcours à travers un  pays-archipel morcelé par la mer, dont les habitants se ressemblent bien plus qu'ils ne se connaissent entre eux. Omnimum traite, avec transparence et délicatesse, des  méandres de la monoparentalité, situation d'extrême solitude dans une communauté où le mariage est une institution sacrée.


Littérature : Le corps censuré

Taboue dès la puberté, destinée au mariage et a la maternité, car  "femme avant tout" : Le corps de la femme comorienne serait il un prêt, dont elle ne peut se servir que comme support de sa tête en attendant que les propriétaires le récupèrent ? C'est en tout cas le message qui ressort dans les discussions féminines, et gare à celle qui oserait affirmer un peu trop fort son droit  de propriété sur son propre corps. Faiza Soulé Youssouf, auteure du roman Ghizza, (éditions Coelacanthe 2015, 12e), en a fait les frais : La présence d"une scène érotique dans son ouvrage, où il est question d'une jeune fille qui tente de reprendre le contrôle de son corps confisqué par la société, a soulevé le débat sur les réseaux sociaux. Une polémique qui dessine, à n'en pas douter, les contours du prochain grand thème artistique comorien : L'appropriation par la femme de son propre corps. A l’instar de Woolf, de Simone de Beauvoir ou de Sylvia Plath, on  peut compter sur les intéressées pour s'emparer de la question, avec ou sans une chambre à soi. 

Touhfat Mouhtare-Mahamadou

Interview de Tonjé Bakang, fondateur de la plateforme streaming du cinéma afro


Tonjé Bakang afrostream cinema afroBlue jean, baskets blanches et sourire naturel, Tonjé Backang, fondateur de la plateforme de streaming Afrostream, nous accueille chaleureusement à l'entrée des cinémas publicis, avenue des Champs Elysées, pour l'avant-première du film « Un homme parfait ». Salle comble pour cet événement VIP réservé aux abonnés de la plateforme de cinéma afro. Derrière ce succès naissant, la start-up, composée d'une dizaine de personnes met tout en œuvre pour répondre aux besoins de ses quelques 35 000 abonnés. L'objectif ? Proposer le meilleur des séries et films afro-américains et africains en illimité, en Europe et en Afrique Sub-saharienne. Un défi de taille pour cet homme de 34 ans, passionné par tous les cinémas et bien décidé à faire bouger les lignes.
 

Par Marine  Durand

Afrique des Idées : Une centaine de films et séries sont aujourd'hui disponibles sur Afrostream.tv.com, comment arrivez-vous à proposer tous ces contenus ? Entrez-vous directement en contact avec les producteurs ?

 

T.B : Nous proposons aujourd’hui plus d’une centaine de contenus afro de qualité sur Afrostream et chaque mois des nouveautés sont mises en ligne. La plupart du temps, nous entrons directement en contact avec les producteurs et nous négocions un prix fixe pour assurer la diffusion des films et séries. Néanmoins la difficulté reste de sourcer tous ces contenus et d’obtenir leurs droits. Pour ce faire, nous devons enquêter, naviguer pour trouver les bons interlocuteurs et cela prend énormément de temps.

 

Les films pouvant coûter des centaines de milliers d’euros, et Afrostream  étant encore une petite entreprise, nous rappelons souvent à nos abonnés qu’en nous aidant à avoir plus d’abonnés, ils nous permettront d’obtenir plus de films. A notre étonnement, nous nous sommes  rendus compte que certaines personnes pensaient qu'Afrostream était une grande multinationale. C'est flatteur mais nous n'en sommes pas encore là ! En revanche, mon équipe a réussi à signer avec un studio, là où d'autres mettent des années à le faire. J'en suis très heureux !

 

Dernièrement vous avez posté une vidéo pour présenter votre équipe et les bureaux d'Afrostream sur la page Facebook de la start-up. Une façon de rappeler que votre « tech company » est loin d’être une multinationale…Pouvez-vous nous parler de votre fonctionnement interne ?

T.B: Nous avons une petite équipe d'une dizaine de personnes et nous sommes implantés à Paris, Nantes ainsi qu'aux Etats-Unis dans la Silicon Valley. Ludovic Bostral, mon associé, est le co-fondateur d'Afrostream. C'est aussi le directeur technique. Il coordonne le travail de tous nos développeurs, ce qui représente un travail énorme !

 

Vous savez, le streaming est une technologie compliquée à mettre en place. Les utilisateurs ont tous des configurations différentes, des navigateurs différents, des mise à jours différentes et il faut que la plateforme fonctionne pour tout le monde. Notre équipe d'ingénieurs est installée à Nantes. Les États Unis nous aident plutôt pour l'écosystème Média et Startup.

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Où voyez-vous Afrostream dans 5 ans?

Je vois Afrostream à l’international bien sûr mais aussi sur smartphones et box (mais je ne peux pas tout vous dévoiler pour le moment !). Nous visons 50 000 abonnés à la fin 2016 et ciblons, pour vous donner une idée, 15 millions de personnes afro descendantes en Europe et 936 millions Africains d’ici les prochaines années. J'aimerais également qu’Afrostream puisse produire elle-même son propre contenu. Nous apprenons beaucoup des envies de nos abonnés et cela nous encourage à mieux les servir avec des contenus inédits, presque sur-mesure.

 

Vous proposez du contenu américain, français, nigérian, kenyan, ghanéen, caribéen…
Pourquoi vous semble-t-il important que les Afriques se racontent? Pensez-vous que tous les films "afro" racontent bien l'Afrique?

Je pense que l'Afrique est une source d’histoires encore peu exploitée. A l'heure de l'uniformisation des contenus il est nécessaire d'avoir des points de vue différents sur le monde. Tous les films Afro n'ont pas pour vocation de bien raconter l'Afrique. Ils ont pour vocation de partager la vision d'un auteur et d'un réalisateur, ce qui est différent. Nous pensons simplement qu'il y a de la place pour tous les cinémas et nous défendons les productions afro, d'où qu'elles viennent.

 

Afrostream n'est pas un media de service public. Nous serons quelquefois conservateurs, d'autres fois irrévérencieux. Notre vocation n'est pas de faire pas dans l'ethnologie. Ce n'est pas un musée, c'est un site de streaming. Nous proposons des contenus très différents (drame, comédie, documentaires, thriller, concerts, dessins animés pour enfants…) pour satisfaire au maximum nos abonnés. Nous accordons, bien sûr, de l'importance à la qualité des contenus proposés et restons vigilants sur ce point.

 

Que diriez-vous à ceux qui doutent encore de la qualité des contenus d'Afrostream?

Je ne peux pas leur dire grand-chose à part leur proposer d’essayer. Nous continuerons à faire de notre mieux !

 

Marine Durand

Une nouvelle génération de cinéastes francophones pour prendre la parole? 

Pape_SeckAlors que l'Afrique des idées continue sa réflexion sur le cinéma africain, ses initiatives nouvelles, ses réussites et ses lacunes, il nous semble pertinent de donner la parole à de nouveaux jeunes cinéastes Africains. Lauréat de plusieurs prix internationaux pour son court métrage  Sagar, le sénégalais Pape Seck fait partie de cette nouvelle génération et il répond à nos questions.

Bonjour Pape Seck, vous êtes un jeuneréalisateur sénégalais, formé à l’école du cinéma de Marrakech, start-uper et vous appartenez à un nouveau courant du cinéma africain francophone. Mais le mieux serait que vous vous présentiez vous-même, n’est-ce pas?

Pape Seck :

Bonjour et merci beaucoup de la belle opportunité que vous m’offrez à, travers cette vitrine, de pouvoir échanger avec vous et avec nos chers amis internautes.

Je m'appelle Pape Abdoulaye SECK, jeune réalisateur sénégalais, comme vous dites, diplômé de l’Ecole Supérieure des Arts Visuels de Marrakech (Esav Marrakech). Je suis également « start-uper », fondateur de Doli’Motion Film et co-fondateur de Nabisso, un projet en innovation numérique.

Pour ce qui est du nouveau courant du cinéma africain francophone, je fais effectivement parti de ces jeunes qui essaient de bien orienter le boom de l’audiovisuel et du cinéma en Afrique, facilité par le numérique.

Vous avez réalisé un premier film qui a été primé dans certains festivals. Pouvez-vous nous parler de ce film, du sujet et des moyens avec lesquels vous avez pu le réaliser?

Pape Seck :

En effet j’ai écrit et réalisé le court métrage « Sagar », dans le cadre de mon travail de fin d’étude à l’Esav Marrakech en 2014. Le film a connu sa première consécration au FESPACO 2015, en remportant le prix du meilleur film fiction des écoles.

 

« Sagar » est un drame intime tourné dans les limites de la folie. L'échec chronique à l'enfantement rend une jeune mère mentalement dérangée au point de se fabriquer un bébé en tissu qu'elle essaie de protéger contre tout et tout le monde, sous le regard impuissant de son mari, partagé entre son amour pour sa femme et sa dignité d'homme qui importe à sa mère.

 

Sagar est très connu comme nom dans la société sénégalaise. Mais il signifie avant tout "chiffon". Et les deux significations ont chacune une histoire dans le film.

 

A la base, le nom Sagar est issu de nos us et coutume "Ceedo" et s'alligne dans la même catégorie que les noms "Kenbougoul" (personne n’en veut), "Yadikone", "Yakha Mbootu", etc. Ces noms servaient, suite à des rituelles, de sauver la vie de l'enfant en gestation, dont la mère peinait à avoir d'enfant, ou à les avoir vivant. Et c'est dans ce premier sens que film trouve son inspiration dans ce titre de "Sagar". Par ailleurs, le protagoniste du film utilise une pagne tissé qui métaphorise le "Sagar" (chiffon), en guise de bébé. Et donc j'ai beaucoup travaillé dans les ambigüités dans ce film. 

 

J’ai essayé d'explorer la question de l'attachement dans cette histoire. C’est l’attachement du protagoniste principal à l’inexistant (le faux bébé). Mais c’est également l’attachement du mari à sa femme et celui de la belle mère, à la dignité de son fils et celle de sa famille. J’ai fait recourt à la folie pour arriver à cerner cette question d'attachement au néant.

 

Le film a été tourné en 3 jours sur Marrakech, alors que l’histoire dans le film se déroule au Sénégal. Nous avons été, dés le départ, limité par plein de paramètres dont les décors extérieurs et les possibilités en terme de casting et autres. Mais à quelque chose malheur est bon. 

 

Les contraintes nous ont poussés, mon équipe et moi, à beaucoup réfléchir, creuser et échanger avec dextérité pour réussir le challenge du film que nous nous étions lancé.

 

Pourquoi faire des films quand vous savez que les canaux de distribution classique du cinéma ont échoué, que les salles de cinéma ont fermé depuis des années et que la plupart des films francophones ne sont vus que par des festivaliers à Ouagadougou ou en Occident?

Pape Seck :

Votre question me donne envie de vous en poser une : Pourquoi écrire des livres quand les gens ne lisent quasiment plus ?

 

Je pense que nous faisons un métier qui n’est pas forcément conditionné par le marché. Je ne vais pas vous mentir en vous disant que je ne cherche pas à vivre de mon “art”, mais ce n’est pas ce qui me motive. Je pense que, tout comme les productions littéraires, quand on fait un film, on laisse un héritage à la postérité. Et donc pour répondre à la question du “pourquoi faire des film…” c’est tout simplement parce que nous avons un regard sur notre temps que nous cristallisons à travers nos histoires, nos films, qui sont des témoins très puissants de notre époque.

 

Aujourd'hui, fréquenter les salles de cinéma n'est plus inscrit dans nos habitudes d'Africain à cause de la disparition de ces derniers dans nos pays. Mais nous sommes très télé et internet, surtout notre génération. Donc je pense que le problème est encore gérable. Il est important que les politiques suivent et que des conventions soient signées avec toutes les chaines de télévisions qui ont le potentiel de se positionner en  numéro 1 des partenaires et distributeurs du cinéma de nos pays.

 

En dehors de ça, avec des amis basés sur Paris, Djeydi Djigo, son frère Alpha et Jérome Arouna, nous travaillons sur un concept d'application et de plateforme web pour la diffusion exclusive du cinéma africain, à l'image de netflix… Affaire à suivre.

 

Juste pour dire que nous avons encore un grand potentiel pour proposer de meilleurs canaux de distribution et de diffusion plus efficaces et mieux adaptés à notre époque.

On constate, mais peut-être me démentirez-vous, que le cinéma d’Afrique francophone est une institution assistée par les fonds européens et que cela se ressent dans le contenu et certaines thématiques des films. Qu’en pensez-vous et comment vous situez-vous par rapport à cette réalité?

Pape Seck :

Personnellement, je suis conscient de la difficulté de faire un film de qualité, avec toute la logistique, les coûts et les compétences que cela implique. Donc, c’est très aisément que l’on comprenne que les cinémas d’Afrique francophone soient ainsi assistés par les fonds européens et autres – à préciser qu’ils y trouvent également leur intérêt vu que, souvent dans les conventions signées, leurs techniciens sont engagés dans les projets.

 

Mais cela reste un grand problème dans la mesure où, la liberté d’expression idéologique et artistique du réalisateur est menacée par des obligations de révision et réaménagement de certains aspects de ses propos sur des questions politiques, économiques et/ou sociales. D’où la nécessité de trouver les moyens de s’autonomiser. La question du financement du cinéma est très politique. Mais encore, faut-il qu’en Afrique, nos dirigeants comprennent les enjeux et la puissance de ce média. JEAN-MICHEL FRODON disait dans son livre « La projection Nationale – Cinéma et nation » : " Pas de nation sans cinéma. Pas de cinéma sans nation. Il existe une affinité de nature entre cinéma et nation, qui repose sur un mécanisme commun, qui les constitue l’un et l’autre : la projection. C’est en se projetant, en offrant une image reconnaissable et désirable, que s’institue la nation comme « forme » supérieure à l’existence d’un territoire et d’un Etat. » Donc avec le cinéma, il nous est possible de forger les individus ou le type d’individu que nous aimerions avoir pour nos sociétés. En cela, le valeureux Thomas Sankara disait, « un peuple qui t’impose son cinéma, éduque tes enfants, que tu le veuilles ou non. » Il avait bien compris.

 

Cette année, dans le cadre du fond pour la promotion du cinéma et de la production, le Sénégal a fait le pas en investissant un milliard de nos francs dans la production cinématographique. Il est important que cette dynamique se multiplie un peu partout en Afrique francophone, ne serait-ce que pour lancer le mouvement. Car, je reste convaincu que, si la machine de nos productions se met en marche, avec un marcher africain de notre industrie cinématographique bien maitrisé, plus rien ne nous arrêtera.

 

Toujours à propos du cinéma du continent africain, Nollywood se développe et de plus en plus avec des films ambitieux, tout en ayant un véritable contact populaire au Nigeria  et une exportation vers l’extérieur de leur cinématographie. Quels ponts existent-ils entre les jeunes réalisateurs et techniciens francophones et l’industrie du cinéma nigérian? Est-ce que les barrières nationales sont si étanches que cela?

Pape Seck :

À ce jour, je n’ai pas eu écho de collaboration de grande ampleur entre Nollywood et les cinémas d’Afrique francophone en terme de production. Mais j’ai espoir que nous arrivions à cela avec cette belle et nouvelle dynamique de partage et d’échange qui s’est instaurée au sein de la jeune génération de cinéastes africains.

 

Aujourd’hui, avec le numérique et les facilité de communication, nous discutons de plus en plus entre jeunes cinéastes et un véritable horizon de coopération se dessine entre nous, au delà des barrières nationales.

 

Par ailleurs, de manière plus large en terme de collaboration entre réalisateurs africains, la dynamique a été lancée depuis l'époque de Sembène. Il est à noter qu'à cette époque, les réalisateurs de  cinéma africain n'étaient pas aussi nombreux qu’aujourd’hui… Sembéne a d'ailleurs manifesté l'importance de ces rapports de collaboration dans son dernier film "Moladé" qu'il a tourné au Burkina Faso et dans lequel ont travaillé des sénégalais, des ivoiriens, des burkinabés. En tant que jeune héritier de ce grand homme, et ayant bien saisi ce dernier message fort de sens, dans sa dernière réalisation, je me suis naturellement inscrit dans cette même dynamique. Et c'est avec une très grande joie que je me suis rendu compte que la plus part des jeunes réalisateurs africains sont dans cette même logique.

Nollywood a mis en place des plateformes de streaming qui permettent d’étendre son aura et d’impacter un public de la diaspora. Un modèle économique intéressant. Comment vous situez-vous, en tant que francophone dans ce contexte?

Pape Seck :

Lors de la précédente édition du sommet de la francophonie à Liège (Belgique), nous présentions, avec mes 3 collaborateurs que j’ai cités en début de cet entretien, notre application et plateforme web Nabisso, spécialement dédié à la diffusion en streaming et VOD de films africains. Nous y travaillions depuis déjà 2 ans et nous en sommes en phase de finalisation pour son opérationnalité qui est pour bientôt. 

De manière générale, pouvez-vous nous parler de l’impact de la révolution numérique sur le cinéma africain en termes de création, de diffusion, de renouvellement du public et de marketing?

Pape Seck :

Le numérique donne un grand souffle à la production cinématographique africaine. Je pense que si nos cinémas (d'Afrique) tendent de plus en plus vers une certaine indépendance, c'est grâce au numérique. Il nous a facilité l'accès par rapport à beaucoup de chose, non pas simplement dans le domaine du cinéma. Aujourd'hui, toutes les grosses logistiques dont on avait besoin pour faire un film, nous sont dispensées grâce au numérique.

 

Ceci dit, j'aime souvent tirer la sonnette d'alarme sur la question de la qualité et de la profondeur dans notre travail. Il ne faut pas que nous nous laissions nous rendre paresseux par autant de facilité. Aussi avancée que sera la technologie, sophistiquées, les machines, ils ne feront jamais tout à notre place. La réflexion, c'est nous qui la menons. Donc l'exigence de qualité et de profondeur nous incombe.

 

Nous assistons à une floraison de séries africaines bien diffusé dans les chaines de télés et sur internet, dont l’audience après du publique africain est très appréciable. Qu’importe la qualité de ces séries. Ce qui suscite beaucoup d’espoir en ce qui concerne le future de cinéma africain, auprès de son publique. Et c’est assez réconfortant je trouve.

Dans Sagar,  traitez vous l'incapacité à faire le deuil d'une mère ou la stérilité dans un couple ? Pourquoi avoir voulu traiter l'un de ces deux sujets ?

Pape Seck :

« Sagar » traite bien de la stérilité dans une société où l’enfant est capital pour la survie d’un ménage. C’est une valeur qui assure une certaine stabilité dans le couple. Mais en même temps, il n’est pas donné à tout le monde d’en avoir. Et je voyais autour de moi la souffrance de ces personnes, ces femmes qui peinaient à donner de la progéniture à leurs belles familles et qui au final étaient plus des coupables que des victimes. Nous n’avons pas trop cette culture d’essayer de nous mettre à la place de ces gens pour comprendre leur souffrance au lieu de les juger avec autant de gratuité.

 

Sur cette question du jugement, il me fallait impérativement ne pas tomber dedans dans ma manière de caractériser mes personnages. Il me fallait donner à chacun d’eux des motivations qui nous font comprendre qu’au final, nous sommes tous des humains et que, ce qui cause tous nos problèmes réside peut-être dans notre incompréhension des uns et des autres.

Dans cette histoire, j’ai également essayé d’explorer la notion de l’attachement, mais surtout, à l’attachement au néant. Le mari

s’attache à sa femme malgré sa folie, la belle mère s’attache à la dignité de sa famille et le personnage principal en question s’attache à ce néant, ce bébé inexistant que j’ai essayé de faire vivre avec le son, pour raconter l’histoire que se raconte ce personnage dans sa bulle. Et donc avec  la folie, je suis arrivé à cerner cette question d’attachement au néant.

Merci pour votre disponibilité.

Pape Seck :

C’est moi qui vous remercie pour votre amabilité et pour l’intérêt que vous portez à mon travail et à ma modeste personne. 

Propos recueillis par Lareus Gangoueus pour l'Afrique des idées

 

 

Bruits de couloirs à Nollywood week

J’ai pris mon pied à aller voir ces films montés, produits au Nigéria. Chaque soir, au cinéma l'Arlequin, la crème des réalisateurs nigérians étaient présents avec leurs tenues aux couleurs vives et chatoyantes, bonnets yoruba pour certains. Ces artistes, producteurs, réalisateurs prenaient un plaisir fou à discuter entre eux. Ce genre de rencontres permettent souvent le temps d’un week-end, loin des bases du pays, d’échanger autour de nouveaux projets, de repenser le pays sinon le continent.

Il y avait entre eux et moi, la barrière de la langue. Ma maîtrise de l’anglais se réduisant à la simple lecture, je n’allais pas livrer ma nudité à ces anglophones arrogants qui peinent à faire le moindre effort pour dire un simple mot en français. J’ai contourné la situation en discutant avec des spectateurs. Il faut le dire, à chaque séance, la salle a rarement été pleine. Mais il y a tout de même eu du monde si on considère que la principale salle du cinéma L’Arlequin a une capacité d’au moins quatre cent personnes. Les personnes présentes, souvent des femmes d’ailleurs avaient des profils différents. Avant la projection du film Octobre 1 de Kunlé Afolayan, j’ai pu discuter avec une chef de projet informatique Nigériane, très sympathique, accompagnée par un brésilien, du moins je pense. Elle a souligné le fait d’avoir été agréablement surprise par la qualité des films présentés. Mais entre nous, est-elle objective ?

De manière générale, me dit-elle, l’élite Nigériane se tient à distance de Nollywood. Le succès de cette industrie repose avant tout sur sa réception par la base populaire nigériane. Il y a une forme de snobisme pour ces productions qui, il est vrai, ne sont pas toujours de très bonne qualité sur le plan technique. Son père, par exemple, cadre supérieur, abhorre les productions nigérianes. La mère de mon tinterlocutrice ne va pas rejeter un programme Nollywood s’il passe à la télévision, mais elle n’investira pas un écu dedans. Ce rapport quelque peu méprisant de l'intelligentsia nigeriane me fait sourire, même si on peut y voir une critique de l'esthétique et de l'improvisation qui caractérisent ces projets qui relèvent souvent de l'artisanat.

Un peu plus tard dans la soirée, assistant aux mondanités africaines et m’apprêtant à voir le dernier film du festival, à savoir Dry de Stéphanie Okéréké, deux jeunes nigérianes sont venues s’asseoir à mes côtés. Plus jeunes que ma précédente interlocutrice, elles ont un profil différent et elles sont de vrais fans des petites productions populaires de Nollywood. Ayant eu vent du festival, elles sont venues par curiosité au cinéma l’Arlequin. D’ailleurs, pour « immortaliser le moment », l’une d’entre elles ne se gêne pas  de sortir son smartphone pour filmer le film. Piraterie en direct sachant qu’il s’agissait de la première de Dry en France et qu’il n’est pas sorti au Nigeria. Courtois, je n’ai pas eu l’énergie pour faire des remontrances. Le saint des producteurs existe puisque la batterie du smartphone est tombée en rade en plein milieu du film. Cocasse. J’avais là une illustration en live de l’énorme problème que rencontre cette industrie : un téléphone portable puissant et Internet pour diffuser, tout cela étant fait avec une profonde naïveté et dans un souci de partage que pour des enjeux mercantiles. Un film n’est pas un logiciel open source.

J’ai naturellement saisi l’occasion d’échanger avec un vrai francophone, à savoir Jimmy Jean-Louis. Si je vous parle de la série américaine à succès Heroes et en particulier du personnage nommé l’Haïtien, vous verrez tout de suite qui est le comédien haïtien. Il est le parrain de cette 4ème édition de Nollywood week à Paris. L’homme est avenant et d’une extrême franchise à l’image du documentaire Jimmy goes to Nollywood.

Sur la qualité des films présentés, Jimmy Jean-Louis indique que sur ce qu’il a pu voir, les films ne sont pas encore au point. Techniquement parlant, il y a des aspects à retravailler. Disons qu’on passe un bon moment, on rigole bien, mais les standards sont loin d’être respectés.

A propos de la question de l’esthétique qui est un point souvent relevé, n’y a-t-il pas là un risque de rupture avec le public populaire qui a porté les productions de Nollywood ? Tant que les thématiques originales qui sont au cœur de Nollywood sont traitées avec qualité, la question ne se pose pas.

Comment selon lui est perçu Nollywood à Hollywood ? Pour l’instant, la perception qu’en ont les américains, c’est un épiphénomène. 

Doit-on voir une corrélation entre la place grandissante à Hollywood des comédiens d’origine nigériane comme Chiwetel Ejiofor, David Oyelowo et l’émergence progressive de Nollywood ? Non, il n’y a aucune connexion entre ces deux faits.

Entretien avec OC Ukeje, acteur nigérian

gonetoofar11La différence de production est importante entre Gone Too Far, film de petit budget produit au Royaume-Uni et les autres productions du festival.

Interrogé sur la différence de ses expériences anglaises et nigerianes, OC Ukeje, l’une des figures de cette édition 2015, confirme avec humour

 

« Il y a définitivement une différence de professionnalisme, en terme de sécurité, en terme de timing, en terme de logistique, c’était beaucoup plus standardisé à Londres. Il reste encore beaucoup de choses à accomplir au Nigeria».

Pour lui, ce manque de standards et d’exigence explique en partie l’attirance des acteurs et actrices nigérianes pour l’Occident

« Si certaines personnes se contentent de se faire un nom au Nigeria, il est important pour d’autres d’aller plus loin et de se confronter à une industrie plus compétitive».

Hollywood un Eldorado pour les acteurs nigérians ? «C’est possible» selon OC Ukeje qui avoue lui même être attiré à l’idée. Il n’en demeure pas moins parfaitement conscient du pouvoir de Nollywood sur la société nigériane. Pour lui, il reste crucial que Nollywood continue à produire des films abordants des sujets sociétaux ordinairement tabous et ce, avec un ton progressiste.

Si Before 30 a choisi de le faire par la comédie, Dazzling Mirage, de Tunde Kelani, prend un ton plus sérieux. Le film lauréat de l’édition 2015 de la Nollywood Week est saisissant en ce qu’il présente une double problématique en mettant en scène l’histoire d’une femme atteinte de la drépanocytose. Ce drame romantique, adapté du roman d’Oyinka Egbokhare montre la capacité de Nollywood à devenir une vitrine de la culture et de la littérature nigériane.

award_winners_2015                                                                                                    

Dazzling Mirage a des chances de conquérir un public autre que le public nigérian, car Nollywood s’exporte de mieux en mieux. La preuve, c’est le film Gone Too Far qui a fait de Destiny Ekaragha la première réalisatrice noire dont le film a été distribué en cinéma au Royaume-Uni.

        Un article écrit à quatre mains de Lareus Gangoueus et Ndeye Diarra

Regards multiples sur Nollywood week Paris

Dans le cadre d’un partenariat avec le festival Nollywood, l’Afrique des idées s’est proposée d’être présente sur les lieux du spectacle, à savoir le cinéma l’Arlequin, pour observer les discours de celles et ceux qui font Nollywood, capter les mots du spectateur, prendre le pouls de l'événement. Avec Ndeye Diobaye, nous avons donc été les yeux, les oreilles et occasionnellement la voix de notre thinktank sur la place du cinéma nigérian. Cet article apporte nos regards sur plusieurs oeuvres présentées au Festival Nollywood Week à Paris : Les film Gone too far de Destiny Ekaragha, Dazzling mirage de Tunde Kelani, le documentaire Jimmy goes to Nollywood (avec Jimmy Jean-Louis) et les deux épisodes de Before 30.

Before 30 / Parole de Ndeye

Le hasard fait que ma première séance n’est pas celle d’un film, mais d’une série. Au Nigéria, comme partout dans le monde, m’explique OC Ukeje, acteur dans la série Before 30, « il y a une vraie demande pour du contenu télévisé aujourd’hui ». Le binge-watching n’a donc pas de frontières.

Au vu de son synopsis, Before 30 me rappelle vaguement An African City, une série ghanéenne qui a fait beaucoup de bruits sur les réseaux sociaux l’an dernier. L’histoire est narrée par une jeune avocate, la vingtaine finissante, confrontée aux pressions familiales et sociales qui accablent les femmes nigérianes (voire africaines de façon plus globale) à se marier avant la trentaine.

Même s’il est difficile de conclure sur une série dont il nous a été donnés de voir que le pilote et le second épisode, Before 30 met en avant de manière peu subtile, le cliché de la femme nigériane accomplie cherchant désespérément un potentiel mari. Pour accompagner notre narratrice, Before 30 met en scène une palette de différentes déclinaisons de la femme africaine des temps modernes : une femme musulmane mariée, une chrétienne assez infantile qui ment sur sa virginité et pour finir une femme qui semble bien se moquer des moeurs et entend vivre librement sa sexualité.

Et si j’ai apprécié le ton franc parfois employé par les personnages, le tropisme sur le sujet des hommes était peut-être redondant. A force de tourner en dérision le cliché de femmes accomplies à la recherche du bonheur, on peut parfois se demander si la série est vraiment dénonciatrice de la pression subie par certaines femmes vis-à-vis de la nécessité de se marier. Nous saurons toutefois apprécier la mise en avant de l’histoire d’un groupe de femmes, narré par une femme : OC Ukeje, qui figure dans la série, interrogé après la diffusion répond « Il est temps que l’on parle plus des histoires des femmes dans cette industrie».

Là où Before 30 innove également, c’est dans sa représentation d’une élite nigériane, elle-même d’ordinaire peu friande des productions audiovisuelles nationales. L’accent du décor est exagéré, entre chaussures de marques, restaurants de luxe et mariages à l’étranger : 

Il présente « une Afrique au visage différent de celui généralement montré dans les médias ou dans les films» explique OC Ukeje.

« Il est important que les films soient désormais représentatifs de l’Afrique qui bouge ».

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Cette Afrique qui bouge est-elle celle qui fréquente les hôtels de luxe comme présentée dans Before 30 ? Si cette série a le mérite, en effet, de montrer les étendus du boom économique que le continent africain connaît aujourd’hui, il est tout aussi important de dénoncer le fait que les femmes sont toujours confrontées aux aléas de sociétés patriarcales.

Si Before 30 a choisi de le faire par la comédie, Dazzling Mirage, de Tunde Kelani, prend un ton plus sérieux. Le film lauréat de l’édition 2015 de la Nollywood Week est saisissant en ce qu’il présente une double problématique en mettant en scène l’histoire d’une femme atteinte de la drépanocytose. Ce drame romantique, adapté du roman d’Oyinka Egbokhare montre la capacité de Nollywood a devenir une vitrine de la culture et de la littérature nigériane. Pour Tunde Kelani, qui a trouvé sa niche dans l’adaptation de romans, Dazzling Mirage a également la lourde tâche de déconstruire les préjugés qui visent les personnes atteints de cette maladie et dénoncer plus particulièrement la condition des femmes atteintes. Bien que tourné dans un anglais parfois maladroit, on peut penser que ce choix de langue est lié à la volonté de permettre à la notoriété du film de dépasser les frontières du Nigéria.

Gone too far vu par Ndeye

Cette comédie, tournée à Londres, qui met en avant le talentueux OC Ukeje, nous expose à la capacité de Nollywood aujourd’hui à franchir les frontières et s’adresser à la diaspora. Dans Gone Too Far, Yemi, un adolescent originaire du Nigéria qui n’a jamais connu Lagos,  est confronté à de nombreuses questions identitaires, alimentées par la rivalité existante entre caribéens et africains en Grande-Bretagne. L’arrivée de son grand frère, resté à Lagos, n’arrange en rien les choses pour l’adolescent. La salle est conquise, prise de fous rires et on se prend rapidement à ce déversement de cliché sur le « blédard » tout droit débarquer du continent-mère.

Gone too far vu par Laréus

https://www.youtube.com/watch?v=IEbIkZJgNGgLe premier film qui m’introduit dans le festival s’intitule Gone too far de Destiny Ekaragha. Deux frères séparés par les coutumières contraintes administratives se retrouvent à Londres. L’un a été élevé avec sa mère à Peckham, un quartier difficile de la capitale anglaise et l’autre a évolué dans un internat à Lagos. Tout heureux d’être enfin à Londres. Ce film est une sympathique comédie au coeur d’un Londres qu’on ne connait que très peu et qui met en scène le blédard absolu joué remarquablement par OC Ukéjé qui doit être un acteur de référence à Nollywood. Il est tout simplement étincelant. La réalisatrice de ce film met en scène le choc des identités au sein de ce que beaucoup appelle la communauté noire de Londres. Entre Africains et caribéens, les clichés et zones d’incompréhension sont très nombreux et, de mon point de vue, légitimes. Je ne pense pas m’avancer trop imprudemment en disant que Destiny Ekaragha a été nourrie par les univers de Spike Lee. On retrouve dans l’expédition complexe, que ces deux frères qui ne se connaissent pas, monte pour acheter le « gombo » maternel, un état de lieux, une revue de quartiers qui rappelle des plans si chers au réalisateur américain. Porté par l’humour d’OC Ukéjé, ce film remarquablement tourné traite aussi de l’immigration avec intelligence. Sur la forme, il est très peu crédible d’envisager en moins de 24 heures, autant de péripéties autour de notre blédard bien heureux. Toutefois, quel plaisir de voir un bon film…africain.

Jimmy goes to Nollywood

Banniere Nollywood WeekC'est le film documentaire qui a lancé le festival. Jimmy Jean-Louis y raconte son voyage à Lagos où il doit diriger une importante cérémonie de remises de prix récompensant les meilleures productions de Nollywood, les AMAA. Avec beaucoup d’humour, il raconte cette expédition mais surtout, il donne la parole aux acteurs de cette industrie dynamique, jeune et balbutiante. Car si en terme de volumétrie, Nollywood est bien la seconde source de production cinématographique au monde, les intervenants interrogés sont assez lucides pour souligner le manque de professionnalisme et la faiblesse des moyens qui ont longtemps accompagné les productions nigérianes. Ce qui explique le fait que les films sortent très peu en dehors du périmètre africain. Ici, il y a avant tout le constat d’une adhésion d’un public local à ce cinéma. Engouement qui s’appuie sur le fait que ces films parlent avant tout de sujets dans lesquels le public se reconnait. D’ailleurs, il n’est pas surprenant que la salle de l’Arlequin soit pleine.

Nollywood est le deuxième secteur économique du Nigeria. En travaillant sur un imaginaire spécifique dans lequel beaucoup se reconnaissent, cette industrie a tissé une vraie relation avec le public. D’ailleurs, quand Jimmy Jean-Louis sillonne les grands marchés de la capitale économique nigériane, les vcd sont partout. D’ailleurs s’agit-il des productions authentiques ou de piratages ? Les copies sont une plaie qui plombe l’économie de ce secteur d’activités. Ici, une interpellation est faite à l’endroit de l’état fédéral qui suit de loin l’émergence de ce modèle. La plue value de Nollywood étant reconnue à l’extérieur, très peu par les autorités du pays. La question importante qui revient est celle de savoir, comment passe-t-on de la quantité à la qualité, comment porte-t-on par une certaine esthétique un discours qui dépasse les frontières du Nigéria et du continent. On ressent dans le propos des intervenants qui répondent à Jimmy, à la fois la conscience d'avoir un contenu original et en même temps une soif de reconnaissance à l’international. Ce qui fait naturellement réfléchir. Parce qu’il est difficile de dire que Nollywood ne se résume qu’à un cinéma local nigérian. Son influence en Afrique subsaharienne est indiscutable. Que cache cette quête d'une reconnaissance occidentale? Est-ce que les indiens se posent une telle question?

En fait, le reportage de Jimmy Jean-Louis surprend par l’extrême lucidité des intervenants nigérians. Et c’est extrêmement positif. Car, avec cette prise de conscience, les choses peuvent évoluer de manière rapide.

Notes de Ndeye Diarra et Lareus Gangoueus

Timbuktu, d’Abderrahmane Sissako

Parmi les favoris pour la Palme d'Or au Festival de Cannes, nominé aux Oscars dans la catégorie Meilleur film en langue étrangère, raflant 7 trophées aux Césars 2015, avec Timbuktu, Abderrahmane Sissako a marqué l'année 2015 de son empreinte géniale. Loin des sirènes un peu lourdes, connaissant déjà le travail de ce réalisateur rigoureux dont l'Afrique des idées avait déjà croqué l'excellent Bamako dont le spectateur exigeant n'oubliera pas les larmes d'Aïssa Maïga ou les plaidoiries alter-mondialistes de Maître William Bourdon contre les institutions financières internationales, à savoir le FMI et la Banque Mondiale. L'élégant mauritanien au port altier ne prend pas sa caméra pour ne rien dire.

Parlons de Timbuktu

Quel magnifique film! Naturellement, je vais devoir développer ce propos afin de le justifier. D'abord sur le fond. Je l'ai dit plus haut, Abderrahmane Sissako fait partie de ces rares personnalités capables de produire un discours sur des sujets extrêmement divers et sensibles sans tomber dans les lieux communs. Dans Timbuktu, il nous fait toucher du doigt l'occupation par des djihadistes d'une ville aux abords du Sahara qui pourrait être Tombouktou. Le film a été tourné à Oualata, en Mauritanie, pour des raisons de sécurité que l'on peut aisément comprendre. Il débute avec un homme masqué circulant dans la ville avec un haut parleur déblatérant les nouvelles consignes du pouvoir islamiste en place. Pas de musique, pas de tenues vestimentaires non conformes à leurs préceptes, pas de football, etc. Le ton est donné. Plusieurs personnages vont faire l'objet d'une focale par le réalisateurs : les leaders djihadistes, une famille touareg vivant dans une tente hors de la ville, un pécheur, des jeunes de la bourgade, l'imam de la cité saharienne, une folle haïtienne… Si l'occupation et la radicalité de son expression s'abattent sur le quotidien d'une population qui a du mal à en comprendre les ressorts, Abderrahmane Sissako y évoque également des conflits séculiers comme le rapport difficile entre les nomades et les sédentaires, la question de l'exil, la destruction de toute forme de repères culturels, le dialogue profond entre musulmans remarquablement mis en scène entre l'imam et les frondeurs djihadistes.

Le regard de Sissako
La force de ce film est avant tout dans la manière avec laquelle Sissako fait son observation. Taiseux, observateur comme j'ai pu le percevoir lors de ma discussion avec lui au théâtre de Nanterre-Amandiers, Abderrahmane Sissako déploie un regard qui ne juge pas. Il ne cède pas à la facilité du manichéisme. Ils montrent des hommes dans leurs contradictions sans forcer le trait pour appuyer un message. Il conte les petits espoirs dans un univers exotique loin de tout à priori, mais connecté au reste du monde. Via le satellite. Il choisit de s'attarder sur une famille touareg. Un homme. Une femme. Une fille. De l'amour. Un troupeau. Et des questions. Au travers de la caméra de Sissako, la logique impitoyable des islamistes interroge et frappe toutes les communautés. Partir ou pas et comment? Ce portrait est, à la fois, touchant et ambigu. Car le père de cette famille ôte une vie suite à une rixe banale. L'orientation donnée à la solitude de cet homme mérite un arrêt sur images.

Un autre aspect du film touche aux hommes en armes. Ici, l'absurde est le moyen par lequel Sissako critique cette prise d'otages. L'adhésion au projet collectif est loin d'une évidence pour les miliciens qui dirigent la cité. Le sous-bassement de la doctrine est compris par un cercle restreint dont certains membres ne sont pas investis par les vertus et les valeurs qu'ils pronent aux populations qui leurs sont soumises. La vision de ce Tombouktou, au départ étonnante, finit par être littéralement terrifiante.

Le désert
On peut se montrer critique sur le scénario. L'enchaînement de certaines séquences, l'entremêlement des différentes tranches de vie n'est pas l'élément le plus intéressant de ce film. Certaines figures auraient gagné à être plus développées. Mais, ce que je retiendrais de ce film, c'est le désert et cette famille tamashek. Je n'oublierais pas ce petit berger qui n'arrive pas à tenir son troupeau. Scène à la fois cocasse et dramatique. Il y a beaucoup d'amour dans la manière avec laquelle Sissako filme ces deux points. Il nous offre un dépaysement total, introduit une sorte de prise de recul proposé au spectateur. Il y a des tranches de vie très différentes. Mais riches. Il nous laisse aussi sur le désespoir d'une vie lâchée dans le désert. Touchant. Magnifique. Un film qui m'a replongé dans ma récente lecture d'Ousmane Diarra. Un dernier petit mot pour signaler la présente de la chorégraphe haïtienne Kettly Noël. Figure de la place culturelle à Bamako, sa présence, sa force, sa folie traduit bien une volonté de rupture et de résistance.

Lareus Gangoueus

4ème FIFDA – W.A.K.A, un film de Françoise Ellong

 

WAKA affiche  La 4ème édition du FIFDA- Festival des films de la diaspora Africaine s’est tenue cette année du 5 au 7 septembre à Paris. Parmi la sélection du jury, le film W.A.K.A, premier long métrage de la réalisatrice Françoise Ellong, paru en 2013 et projeté le dimanche lors de la journée consacrée aux « migrations-transmigrations ».

Le film entièrement tourné à Douala par une équipe franco-camerounaise raconte l’histoire de Mathilde une jeune femme qui élève, seule, son fils Adam. Mathilde, interprétée par Patricia Bakalack, recherche une source stable de revenus afin de subvenir aux besoins de son fils mais nulle part elle ne parvient à faire accepter sa condition de mère et de surcroit célibataire. A court d’options, Mathilde se résigne à accepter une proposition lourde de conséquences: Mathilde devient Maryline, une W.A.K.A. 

Dans l’argot camerounais, une « waka » désigne une prostituée. Ce nom dérive du verbe anglais « to walk » qui signifie marcher et par extension, les WAKA sont celles qui marchent la nuit, à la recherche de clients. Le jour Mathilde est la mère d’Adam et la nuit elle devient Maryline, la WAKA. Mathilde pouponne Adam, l’emmène à l’école et lui fournit un toit et pour permettre cela Maryline doit se laisser aller à des pratiques humiliantes, parfois violentes avec des inconnus. La frontière qui sépare ces deux mondes est donc bien fine et les rend, résolument, interdépendants. Ainsi, alors que Mathilde essaie tant bien que mal de protéger son fils du monde de la prostitution plusieurs personnages et situations influencent le destin de ce couple mère-fils. Famille, voisins ou encore camarades de classe, tous observent et sanctionnent le choix de cette mère qu’ils accablent ou saluent. Il faut également composer avec les rencontres qui rythment la vie nocturne de Maryline et leurs intentions peu scrupuleuses. A cet égard, on ne peut manquer d’évoquer Bruno, le proxénète intransigeant qui refuse de voir son affaire impactée par la situation de Mathilde. Celle à qui il a donné le nom de Maryline doit travailler quoiqu’il lui en coûte et il compte bien y veiller. Arrivera t-elle à l’écarter d’Adam ? Quel prix devra t-elle payer pour cela ? 

A bien des égards le film proposé par Françoise Ellong est convaincant. D’abord le scénario est cohérent et tient les spectateurs en haleine tout le long par des mises en scènes crédibles. Le jeu des acteurs, plus ou moins confirmés, est remarquablement mis en valeur par un sérieux travail cinématographique. Les sons, images, plans et montages participent à créer l’atmosphère adaptée à chaque scène en révélant tantôt l’ambiance lugubre d’un trottoir où s’agitent des prostituées ou la tendresse partagée à un anniversaire. A ce titre, il faut saluer notamment le choix des lieux qui donnent à voir une ville de Douala diverse et propice aux tournage de jour comme de nuit.

Grâce à tous ces éléments, W.A.K.A met en scène des personnages complexes permettant de se questionner sur des sujets qui le sont tout autant. Ils sont à la fois attachants et repoussants ; par moments on aimerait les soutenir mais on ne peut ignorer leurs écarts et on s’empresse de les juger. Mathilde est certes une prostituée mais est-ce que solution qu’elle choisit à un moment précis pour de multiples raisons doit annuler tout son passé, diminuer son combat ou la condamner dans ses rapports avec les autres et la soustraire irrémédiablement à leur amour? Est-ce parce que des femmes sont réduites à ce moyen qu’elles en perdent leur humanité ? Ce sont ces questions difficiles et ô combien nécessaires que le spectateur est amené à étudier à travers à ce film. 

On aura donc rapidement compris que l’intention du film va au-delà qu’une plongée dans l’univers de la prostitution à Douala mais se concentre sur le parcours d’une jeune mère en difficulté. En réalité, la prostitution n’est rien de plus qu’un cadre, un prétexte pour raconter le combat de Mathilde en tant que mère. Françoise Ellong explique et justifie d’ailleurs ce choix dans la note d’intention qui accompagne le film :

« En choisissant de confronter cette femme à l'univers de la prostitution, le but est clairement de la mettre dans une position jugée dégradante au regard de la société, afin de montrer au mieux sa force et son combat en tant que mère. Au delà de ce que ce barbarisme évoque spécifiquement aux Camerounais, la lecture du titre doit être faite sous la forme d'un acronyme. Ainsi, W.A.K.A dans ce contexte, bien que référant à l'univers global de la prostitution, signifie Woman Acts for her Kid Adam. »

Travail sincère des acteurs, rendu cinématographique intéressant, histoire touchante et réalisatrice engagée, finalement, W.A.K.A est un film camerounais à voir et à soutenir pour diverses raisons qui somme toute se résument en une seule : c’est un BON film. 

 

Claudia Muna Soppo

Vue panoramique sur le 4ème FIFDA, Paris

Pour sa rentrée, l'Afrique des idées vous propose de revenir sur quelques unes de ses réalisations de l’été.

5588755031_1d8cfef16e_bPartenaire de la 4ème   édition du Festival International de Film de la Diaspora Africaine, l'Afrique des idées a déployé un petit dispositif pour couvrir l’événement qui s’est tenue à Paris du 05 au 07 septembre dernier. Le temps d’un week-end plusieurs lieux ont accueilli des films que l’on ne voit pas forcément, des productions qui, sans ce genre d’organisation auront beaucoup de mal à rencontrer un public. Un week-end de voyage, de rencontre, de débat pour donner à voir d’autres univers et à entendre un autre discours.

Installé à Paris en 2009, prolongement d'une expérience qui se poursuit aux Etats-Unis, le Fifda est un espace de visibilité pour des productions cinématographiques en lien avec l’Afrique et ses diasporas. C’est un domaine d’intervention très large dans lequel se croisent des sensibilités différentes, plusieurs esthétiques et une diversité de public. Sous la direction de Diarah N’daw-Spech et Reinaldo Barroso-Spech, au fil des années le festival prend ses galons. L’évolution se lit à la fois par les nombres des films et des lieux proposés. Chaque année, la programmation s’élargit autant qu’elle gagne un nouveau bastion, un nouveau territoire. Au cinéma  la Clef (75005) qui était le seul à « ouvrir » ses portes au FIFDA en 2012, se sont progressivement ajoutées les salles Etoiles Lilas, Le Brady, Le Comptoir général, et Le Lucernaire. Ce développement dans l’espace permet de créer plusieurs spots qui mettent en lumière la très riche activité cinématographique des Afriques. Croissance également pour le festival lui-même qui, selon la codirectrice Diarah N’daw-Spech, intéresse un public plus important, bénéficie d’une bonne couverture médiatique et arrive à fédérer plus de partenaires. Ainsi, le parcours de cette 4 è édition, traversant presque Paris, nous a mené dans 4 lieux à la découverte d’un cinéma vivant, ambitieux et très contemporain.

La soirée de lancement a eu lieu au Cinéma Etoile le vendredi 05 septembre. En ouverture, la première européenne de Freedom summer, le dernier film de Stanley Nelson, un réalisateur connu du Fifda. En 2012, sa précédente réalisation et pendante de l’actuelle, était déjà dans la programmation du Festival. Cette soirée co-organisée en partenariat avec l’Observatoire de la diversité et l’Ambassade des Etats-Unis en France a connu une participation active de l’Afrique des idées, dans le débat après la projection. Stanley Nelson (réalisateur) et Lareus Gangoueus (Afrique des idées) ont conversé avec Fulvio Caccia (modérateur/ Observatoire de la diversité) sur l’historique du film, son contenu et surtout son importance pour la jeunesse actuelle, pour les minorités en France et ailleurs. Dans ces prolongements, Awa Sacko publiera très prochainement un entretien avec Stanley Nelson dont le film (une présentation dans le dossier) a enthousiasmé le public venu nombreux.

Ce départ réussi augurait de la bonne tenue d’un festival qui, en dépit de la diversité des films proposés, gardait une grande cohérenceHomeAgain. Le cycle migration-transmigration autour duquel gravitaient plusieurs films, pas forcément récents, était le noyau de la programmation. Le fait de faire se côtoyer des œuvres de différents âges est bien méritoire à plusieurs égards. Il permet de (re)découvrir des pièces du patrimoine cinématographique d’Afrique et  de sa diaspora rappelle la trajectoire du septième art dans ces contrées tout en soulignant la permanence de certains questionnements. Tout ce qui a trait au départ, à l’exil, à la vie ailleurs est alors appréhendé dans un dynamisme entre le présent et le passé. Dynamique est aussi le changement de prisme : les allers retours entre la fiction et le documentaire sont un double éclairage qui permettent de saisir la complexité des phénomènes. Dans ce sens, Home again de Sudz Sutherland et Expulsés de Rachèle Magloire et Chantal Regnault sont deux faces de la même pièce. Ces films qui passaient pour la première fois en France, traitent autant de la difficulté du retour que de la citoyenneté instable de la diaspora africaine dans plusieurs pays occidentaux. L’un comme l’autre met l’accent sur l’absurdité des systèmes judicaires à l’égard des ces « migrants de l’intérieur » qui, pour la plus part, ont toujours vécu dans les pays qui les expulse, après qu’ils aient purgé une peine de prison pour un délit mineur.

Mais le Fifda c’est surtout l’Afrique avec laquelle l’équipe entretient des liens de travail à travers les festivals : elle se rend régulièrement au Fespaco et Diarah N’daw Spech a participé en tant que membre du jury au dernier festival de Durban. C’est aussi l’Afrique à l’écran dans toute sa diversité, dans sa contemporanéité. Et quoi de plus contemporain que les rues, celle de Douala ou celles encore plus tumultueuses de Kinshasa ? Trois films, trois regards (dynamisme et multiplicité de point de vue) nous ont fait vivre la pulsation kinoise à travers sa musique, ses contradictions. De la figure de Papa Wendo, l’immortel interprète de Marie-Louise, chanson récemment samplée par le jeune rappeur Alex Finkelstein, à Kinshasa la pieuvre du sculpteur Freddy Tsimba, nous avons ici aussi l’idée de transmission, la recherche de ce lien entre le passé, le présent et l’avenir.

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Le festival s’est achevé avec la projection du documentaire de Dom Pedro dans lequel  le cinéaste effectue une plongée dans les profondeurs du Tango et remonte à la surface l’africanité de cette musique.

Pour ceux qui auront raté l’un ou l’autre de ces films, le fifda assure travailler de concert avec les salles pour qu’ils soient reprogrammés tout en essayant de les rendre disponibles en DVD. En session rattrapage, il y a les ciné-clubs à Paris tout au long de l’année mais aussi l’équipe d’Afrique des idées. Claudia Soppo Ekambi, analysera pour nous le film W.A.K.A. de Françoise Ellong et Touhfat Mouhtare, en amatrice des (mé)tissages entreprendra une conversation avec Dom Pedro autour de son film, Les racines africaine du Tango.

Ramcy Kabuya

« Des Étoiles » de Dyana Gaye, une constellation de vies !

La critique attendait Dyana Gaye pour son premier long métrage. Elle a honoré de belle manière le rendez-vous! Avec Des Étoiles, la franco-sénégalaise signe une œuvre sur l’immigration et les drames qu’elle génère. Des drames humains majestueusement mis en scène par la jeune cinéaste.xetoiles-film-dyana-gaye-L-fuiDJR.jpeg.pagespeed.ic.gv0EO4cHe9

Pourtant, quand le cinéphile décide d’aller voir Des Étoiles, il est quelque peu saisi par la petite crainte d’être confronté à ce qu’il a déjà vu, notamment sur ce thème de l’immigration et son corollaire d’échecs devenu un peu le sujet de prédilection des artistes africains depuis le fabuleux Le ventre de l’Atlantique de Fatou Diome.

Au cinéma, il y a deux ans, Moussa Touré, avec La Pirogue, commettait un remarquable film sur la tragédie de ces hommes qui ont décidé de braver la Nature pour un ailleurs prometteur et hostile. Heureusement, chez Dyana Gaye, point de cadavres ni de rafiots fous dans un océan en furie. Dyana Gaye choisit un angle différent : point de cadavres ni de rafiots fous dans un océan en furie. Elle filme l’immigration de « l’intérieur ». Elle montre « l’après ». Ce que deviennent nos cousins, frères, amis et camarades, partis chercher pitance ailleurs, dans le grand ventre quotidien de l’Occident.

Des Étoiles est une fiction subtile et discrète qui n’est pas un coup de lumière géant sur une tragédie africaine, mais une distillation de véritables infiltrations lumineuses sur des vies, des individus, des noms et des destins.

Oui, l’autre réussite de Dyana Gaye est d’avoir su montrer des vies dans la solitude de leur douleur respective, qu’elle étale dans des espaces différents. Ici, la migration n’est pas prise comme un bloc monolithique induisant juste la réalité du migrant, cet individu-concept-problème. Dans Des Étoiles, il y a des vies, des cœurs, des âmes, des hommes et des femmes, une constellation d’étoiles peu lumineuses, dans la diversité de leurs parcours, dans la pluralité de leurs souffrances et dans la violence de leur solitude.

Cette solitude que connait tout homme qui quitte sa terre natale pour affronter la rudesse de l’ailleurs, certains la domptent sinon l’apprivoisent. D’autres, en revanche, sont engloutis par elle.

Solitude de Sophie, partie avec candeur rejoindre un mari volage et menteur. L’archétype de toutes ces femmes constamment dans l’attente jusqu’à ce qu’on leur indique « qu’ici une femme peut vivre sans mari ». Pour moi, voici la plus belle phrase du film. Solitude d’Abdoulaye, Outre-Atlantique où il subit les affres d’une société individualiste américaine, le froid, la trahison d’un proche et l’appel constamment refoulé du pays natal. Solitude de Mame Amy, femme dynamique et surtout femme libre, de retour pour le deuil de son mari, mais qui verra qu’un rideau de fer est dorénavant installé entre elle et sa famille rendant ainsi impossible toute forme de communication.

Le Sénégal est un pays dur pour ses fils qui ont préféré prendre congés de lui quelques années. On dirait qu’en retour, Il se venge de leur abandon.

Des Étoiles est aussi une invite au voyage. Un film chirurgical avec une caméra qui n’effleure pas les comédiens mais les pénètre au point de nous transmettre de façon foudroyante les émotions.
Dyana Gaye a presque réalisé un documentaire avec une mise en scène qui ignore l’unité de lieu pour épouser les contours d’un monde globalisé. Pas de césure, pas de transition. Elle nous surprend en nous faisant voyager de ville en ville, entre l’Afrique, l’Europe et l’Amérique – une œuvre triangulaire -, à chaque fois furtivement. New York, Dakar, Turin, des métropoles où, dans la fièvre urbaine, se produisent des drames poignants. Le film nous oblige radicalement à une prise en compte de tous ces solitaires qui meublent nos rues, et que nous narguons dans la niaiserie de nos certitudes quotidiennes.

Enfin, il faut noter la remarquable prestation de Marième Demba Ly dans l’innocence d’une femme partie, des rêves plein la tête, rejoindre son « homme » et celle de Souleymane Seye Ndiaye qui a une nouvelle fois habité son rôle avec une rare précision. Une valeur sûre d’un cinéma sénégalais en quête de résurgence et porté par sa nouvelle vague.

 

Hamidou Anne

4è Festival International des Films de la Diaspora Africaine FIFDA à Paris


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L’Association Festival des Films de la Diaspora Africaine (FIFDA) a été établie à Paris en 2009 comme association de la loi de 1901.  Elle a pour  mission de présenter au plus grand nombre des films issus de l’Afrique et de sa diaspora et de renforcer le rôle des réalisateurs africains et d’origine africaine dans le cinéma mondial contemporain.

UntitledOn pourra retrouver une présentation du FIFDA sur son site internet dédié. Mais si nous devions en parler, au niveau de l'Afrique des idées, nous vous encouragerions à parcourir les bandes-annonces des films à l'affiche de ce festival, de vous faire ainsi votre petite idée sur cette programmation, puis ensuite d'investire les salles sombres. La programmation offre des films très différents dans leurs formats, passant du documentaire à la fiction, du court-métrage au long-métrage. L'écclectisme de ces films s'exprime également par la diversité des lieux d'observation de cette diaspora : La RDC, le Cameroun, Haïti, la Jamaïque, les Etats Unis, l'Argentine, l'Allemagne, la France. La liste n'est pas exhaustive. Un thème : Migration – Transmigration. Une histoire revisitée aussi tel que le film de Stanley Nelson : Freedom summer qui revient sur l'été 1962, point culminant de la lutte des afro-américains pour leurs droits civiques. 

L'occasion sera donnée au public de pouvoir échanger avec le réalisateur de ce film. Une oeuvre qui permet de mesurer les pas de géant que les Etats Unis ont réalisé en plaçant à la tête de cette fédération Barack Obama.

Les combats des africains-américains  sont une illustration intéressante d'une communauté qui a survécu de multiples péripéties, tragédies et qui par des moyens culturels souvent à sû tenir la tête haute.

Et quand, parfois, la disparition de cette population déportée semble avoir été atteinte, les traces de l'Afrique dans le tango, par exemple, nous rappellent ces survivances si fortes d'une population hier exploitée, ostracisée et aujourd'hui disparue en Argentine.

Cependant, comme ce fut le cas l'an dernier, le FIFDA n'a pas pour vocation de faire dans le pathos et le misérabilisme. Ce sont des Afriques modernes qui sont proposées au regard du cinéphile, des films qui traitent de sujets souvent méconnus, d'êtres humains en mouvement constant confrontés aux problématiques de l'exil, celle de la clandestinité, celle du rapatriement forcé mais surtout, à la réalité des points de départ à la fois violente et ancrée dans une joie de vivre simplement.

Le crédo de ce festival est contenu dans les deux sentences des organisateurs :

 Ouvrir la réflexion sur le vécu des personnes d’Afrique et d’origine africaine partout dans le monde

Diarah N'daw-Spech

 Bâtir un pont avec une production audiovisuelle riche et variée pour enrichir le dialogue des cultures 

 Reinaldo Spech-Barroso

Toutes les informations sont disponibles sur le site du festival qui aura lieu sur Paris du vendredi 5 au dimanche 7 septembre 2014. Vous êtes attendus nombreux pour le film d'ouverture Freedom Summer ce vendredi 5 septembre 2014 à 20h, au cinéma Etoiles des Lilas.

Laréus Gangoueus

 

Photo Stanley Nelson, copyright WFYI Public Media

Quelques bandes annonces :

Home again (2012, 104min, Jamaica/Trinidad Tobago/Canada, fiction, Sudz Sutherland, dir.)

Otomo (1999, 84min, Allemagne, fiction, Frieder Schlaich, dir.)

Tango ya ba Wendo (1993, 52 min, Belgique/RDC, documentaire, Roger Kwmani Mambu Zinga et Mirko Popovitch, dirs)

Kinshasa mboka té (2013, 52 min., DR Congo/Belgium, documentaire, Douglas Ntimasiemi, dir.)

Tango negro (2013, 93min, documentaire, France/Argentine/Uruguay, Dom Pedro, dir.)   

Fiction-Miroir-Réalité et vice versa : Le cas Nollywood

ARLEQUINMusique, cinéma, séries tv, mode : des secteurs liés à l'image. Des secteurs qui rapportent. Des secteurs à la vitalité économique témoin de la capacité et du besoin du continent de créer de la valeur ajoutée à partir de ses cultures et pour répondre à ses préoccupations. Des secteurs rangés sous le fanion : Industries créatives.

Et les industries créatives Chers Tous, sont, comme nous l'indique notre ami commun Wikipédia, « les acteurs majeurs de l'économie de la connaissance. Leur développement rapide est le reflet de la contribution de plus en plus importante de l'économie de l'immatériel à la croissance économique. » Je reviendrai vers vous sur les effets de cet immatériel dans nos vies, à l'occasion d'autres articles.

Je vais ici vous rapporter la voix d'un des acteurs de cette industrie.

E-Interviews

Il s'est déroulé du 5 au 8 juin 2014 au cinéma l'Arlequin à Paris, la deuxième édition du Nollywood week festival.

Serge Noukoue en est le Directeur exécutif. Afféré et très sollicité, c'est par e-mail qu'il a finalement pu nous consacrer quelques minutes d'un temps toujours précieux.

Suivra l'interview de Shari Hammond, Responsable des partenariats.

J'ai demandé à ces deux personnes clefs du festival, de répondre à des questions sur cet événement, sur les industries créatives et sur l'interpénétration entre fiction et réalité.

Clic-Text-Send avec Serge Noukoue – Directeur exécutif

SN(1)GLF : Serge, quel est votre parcours ? Votre histoire ? Votre relation avec les industries créatives ?

SN : Après un Master en Management de Projets Culturels à Paris, je me suis dirigé vers l'audiovisuel de manière générale, en faisant tout d'abord des stages. Puis, très rapidement, je me suis mis en tête de contribuer au développement du secteur audiovisuel en Afrique. C'est une vaste tâche et ce n'est pas évident de savoir par où commencer quand on a à cœur une mission comme celle-là.

J'ai d'abord travaillé en tant que Chargé de projets à Canal France International. Par la suite, j'ai décidé de voler de mes propres ailes en montant ce projet de festival, que j'envisage comme un outil de développement au service de l'industrie du cinéma nigérian.

GLF : Nollywood week festival est un événement organisé par Okada Media, une association loi 1901 en France et créée en 2013.

Quel objet poursuit cette association ? Qui en sont les membres ? L'association est-elle la meilleure structure juridique pour encadrer un tel évènement ?

SN : L'association nous a en effet semblé être la meilleure forme juridique pour ce projet. Mais le projet a précédé la création de l'association. Okada Media a donc été créée parce qu'il fallait une entité juridique pour porter le festival.

Ses membres sont les 3 personnes qui dirigent le festival : Nadira Shakur, Shari Hammond et moi-même. Nous avons également d'autres personnes qui nous ont aidées tout au long de la préparation du festival et qui souhaitent s'impliquer à long terme autour de ce projet.

En tout, l'association compte une petite vingtaine de membres.

GLF : La NWF existe(ra)-t-elle dans d'autres pays ? Présumez-vous ou connaissez-vous le besoin des consommateurs en cinéma nigérian sur les différents continents ? Quelle est votre unité de mesure ?

SN : Potentiellement oui, la Nollywood Week peut avoir lieu dans d'autres endroits. Nous ne nous y sommes pas encore attelés car cela nécessite un travail important en amont et en premier lieu un modèle économique.

GLF : « Okada est l'appellation communément donnée aux moto-taxis que l'on trouve dans de nombreuses villes du Nigéria. Synonyme de débrouillardise et de créativité, l'arrivée de l'Okada a permis de combler un vide et de faciliter l'accès à des zones autrement inaccessibles. En tant que créateur d'accès au meilleur du contenu "Made in Nigeria", ce nom s'est imposé comme une évidence aux organisateurs de la Nollywood Week. » in nollywood.com

Quel est votre ambition à court, moyen et long terme ? Est-ce d'être une courroie de transmissions pour d'autres industries, d'autres géants du continent ? Ou est-ce de travailler dans cette industrie ?

SN : Créer un accès qualitatif au contenu Nollywoodien de qualité est notre objectif. On peut estimer que notre festival nous permet de remplir cet objectif. Cependant, le combat est encore long. Et nous aurons gagné la bataille que lorsqu'il sera normal de voir au cinéma en France, des films nigérians à l'affiche, ou alors sur les grandes chaînes de télévisions de ce pays.

Il est important que l'Afrique consomme ses propres produits culturels et il est important qu'elle les exporte également. Nous avons décidé de nous focaliser sur un pays : le Nigéria. Mais globalement, c'est de ça dont il s'agit. Le cinéma est un secteur stratégique, mais il n'est pas impossible que dans le futur on élargisse notre action à d'autres disciplines.

SALLEGLF : Dans un avenir plus ou moins lointain, le Nigéria pourrait-il devenir un centre de formation cinématographique pour le continent ?

SN : C'est possible, mais ce qui serait davantage intéressant serait que le modèle nigérian fasse des émules ailleurs sur le continent.

Et ce que j'appelle le modèle nigérian ici, consiste à produire des films de manière indépendante avec une véritable optimisation des coûts de production et une autonomie financière.

Dans d'autres parties du continent, les longs-métrages de cinéma ne voient le jour que lorsque les financements en provenance de l'Occident sont obtenus. Cette situation n'est pas acceptable et le Nigéria représente à cet égard un exemple.

GLF : L'Etat nigérian, accompagne-t-il, encadre-t-il cette industrie ? De quelle manière ?

SN : Au Nigéria, qui est un Etat fédéral, force est de constater que depuis peu, le gouvernement central tout comme les Etats locaux – avec une mention particulière pour celui de Lagos qui fait partie des plus dynamiques en la matière – ont donné le La pour que l'investissement culturel soit considéré comme un élément clé de la politique publique.

Des prêts sont proposés aux réalisateurs, des salles de cinéma voient le jour un peu partout. L'importance du secteur est enfin reconnue par l'administration qui y voit un pourvoyeur d'emplois pour la jeunesse, ainsi qu'un vecteur de bonne image du pays à l'étranger.

GLF : Vous étiez présent au Forum économique de la Cade sur Bâtir des industries modernes et compétitives en Afrique. Jeudi 12 juin, vous avez, aux côtés de Sylvestre Amoussou (Réalisateur-Producteur de cinéma), Xavier Simonin (Directeur technique du Festival A Sahel Ouvert de Mbumba au Sénégal) et Jacques Nyemb (Avocat associé), été invité d'honneur de la rencontre-débat de la Cade sur Economies culturelles et créatives d'Afrique : Quelles contributions au développement socio-économique ?

Doit-on comprendre que miser sur la culture et incidemment sur les valeurs ajoutées créées par les activités de ce secteur-industrie peut-être un levier de développement pour notre continent ?

SN : La Culture, les Industries créatives représentent effectivement un outil pour le développement. La difficulté est qu'il faut  avoir conscience de cela pour pouvoir élaborer des stratégies appropriées et les mettre en œuvre. Les industries créatives doivent créer de la richesse et des emplois en Afrique, comme elles le font ailleurs. Le potentiel est là. Les stratégies un peu moins. Mais c'est pour ça qu'il faut regarder vers ce qui fonctionne.  Et le Nigeria, malgré tous les problèmes auquel ce pays est actuellement confronté, semble avoir pris conscience de l'importance des industries créatives. Il faut que d'autres pays s'inspirent de ce qui se fait là-bas et adaptent certains procédés à leurs réalités propres.

GLF : Pour finir, j'aimerais en revenir à des considérations socio-philosophico-culturelles. Le continent est confronté comme partout ailleurs à des problématiques identitaires. Et vous ? Etes-vous un Français d'origine béninoise ou un Béninois de nationalité française ?

SN : J'ai les deux nationalités. Les deux passeports. Maintenant en ce qui concerne mon identité personnelle, elle est on ne peut plus hybride. J'ai vécu en France certes, mais aussi au Sénégal, au Cameroun, en Centrafrique, aux Etats-Unis, au Brésil et ma femme est Afro-Américaine.

Tous ces voyages m'ont nourri. J'ai toujours été curieux et ouvert sur le monde. Le Nigeria m'influence énormément. J'y puise mon inspiration pour beaucoup de choses. Je rêve de décloisonnements, d'échanges. L'Afrique en a besoin. J'ai été dans toutes les régions en Afrique, qu'il s'agisse d'Afrique Centrale, d'Afrique de l'Ouest, d'Afrique Australe, d'Afrique de l'Est, du Nord… Et même si j'ai horreur des généralisations, je peux affirmer une chose : Personne ne connait moins l'Afrique que les Africains eux mêmes… C'est une triste réalité qui puise ses sources dans un passé douloureux que nous connaissons tous. Mais c'est bien à nous-mêmes de choisir si l‘on veut que ce passé continue de nous définir ou pas.

FILE ATTENTEGLF : Quel est l'accès des Nigérians à son cinéma ? Que reflète ce cinéma de ce pays ?

SN : Cet accès pourrait être amélioré. Le cinéma nigérian est populaire sur place bien évidement, mais nous sommes loin de ce que représente Bollywood pour les Indiens par exemple.

GLF : Vous ne semblez pas être un prestataire au service de la culture nigériane, mais un entrepreneur qui investit avec toute l'acuité d'un citoyen conscient des différents enjeux, dans un domaine à forte valeur ajoutée.

J'évoque là votre sélection méticuleuse, aussi bien dans la diversité des sujets évoqués dans les différents films, que dans les personnalités de la délégation nigériane. Des personnes que je qualifierais d'éclairées et engagées. Pouvez-vous nous édifier sur ces points? Quel public visait cette programmation ?

SN : L'idée était de mettre en avant la qualité de l'industrie cinématographique nigériane et de mettre également en avant sa diversité. Il fallait donner à voir un panel de films qui traite des thèmes différent les uns des autres.

L'idée était aussi de présenter ce pays sous son meilleur jour. C'est une sorte d'Opération-séduction d'une certaine manière.

Je pense que ça permet de tordre le cou aux idées reçues. Le Nigeria fait partie de ces pays qui font l'objet de beaucoup de clichés. Clichés négatifs la plupart du temps. Il est important d'aller à l'encontre de tout ça et de rendre possible un véritable échange, un véritable dialogue.

GLF : Afrique anglophone/Afrique francophone, avez-vous observé des disparités entre ces deux blocs ? Que ce soit au niveau culturel, structurel, économique ou autre ?

SN : Les disparités sont importantes… L'Afrique Anglophone est plus avancée économiquement. Peut-être plus décomplexée culturellement aussi. Mais ce qui est primordial, c'est de faire en sorte que ces deux blocs se parlent et échangent, parce qu'ils n'ont finalement que très peu l'occasion de le faire. Et la Nollywood Week sert aussi ça. A décloisonner.

J'ai la chance de parler anglais et français et je suis assez content que cela permette à des Nigérians d'échanger avec des Sénégalais pendant le festival par exemple. Ce sont de petites choses, mais on peut en espérer d'heureux résultats : des amitiés qui se créent, qui pourront déboucher sur des partenariats, sur des co-productions… Qui sait ? C'est aussi ça la magie des rencontres et c'est pour ça qu'il faut plus de rencontres entre Africains francophones et Africains anglophones.

GLF : Serge Noukoue, merci.

SN : Merci à vous. Merci pour votre intérêt et pour vos bonnes questions!

Clic-Text-Send avec Shari Hammond – Responsable Partenariats

SH(1) Chers internautes, Shari Hammond est en ce moment entre deux voyages, non pas de type astral, mais professionnel et d'ordre privé. Dès qu'elle posera un pied sur la terre ferme d'Ile-de-France (région administrative de France au coeœur de laquelle se niche sa capitale : Paris), je m'en irai lui porter un verre d'eau fraîche, lui transmettrai vos meilleures salutations et lui demanderai de m'accorder pour vous un entretien.

En attendant cet autre rendez-vous, j'espère que cette petite e-causerie avec Serge Noukoue vous a édifié sur l'importance de donner à voir du beau, de la qualité, du rêve, sans nier ou renier la réalité.

Mais surtout, à ceux qui sciemment ou pire en moutons de Panurge méconnaissent, sabotent, outragent leurs cultures, empêchant rayonnements culturels et retombées économiques, sachez qu'il n'est pas trop tard pour faire amende honorable, revenir à de meilleurs sentiments et surtout affronter votre miroir culturel en toute sérénité.

Gaylord Lukanga Feza.

Tey, conte philosophique sur la vie et la mort

GOMIS_Alain_2012_Tey_00_2013Comment vivre tout en sachant qu’on est en train de passer son dernier jour sur la terre, à côté de ceux qui vous aiment et vous méprisent?
 
Satché, le personnage principal du film Tey du Sénégalais Alain Gomis, en a fait l’expérience. De son vivant, il a entendu les uns et les autres faire leurs témoignages de sympathie et d’antipathie à son endroit, comme lors des veillées funèbres et funérailles tout à fait normales. Certains trouvaient qu’il était gentil, serviable, quand d’autres évoquaient son côté un peu lâche et égoïste. En dehors de cela, Satché voyant sa mort venir est allé chez son oncle, qui prépare les morts avant leur départ pour l’au-delà, pour qu’il l’aide à vivre la même expérience. C’est ainsi que l’oncle l’a fait allonger pour lui montrer comment il prépare les morts avant leur dernier voyage. Grâce à une esthétique qui mêle le théâtre et la poésie, Alain Gomis a su allier les moments joyeux et pénibles, pour mieux montrer les réactions des proches de Satché, face à l’imminence de son départ du monde terrestre. “Ne pars pas, ne pars pas mon fils”, lui soufflait sa mère à l’oreille, tout en le serrant très fort dans ses bras. Des moments d’émotion que le cinéaste a su bien immortaliser grâce à un maniement assez juste de la caméra.
 
En faisant un usage assez judicieux et modéré des flash-back, le réalisateur franco-senégalais a permis au spectateur de remonter au passé de Satché pour découvrir le grand amour qu’il a pour sa femme. Un amour tellement fort que cette dernière refuse qu’il la touche à quelques heures de sa disparition annoncée, de crainte de ne plus pouvoir vivre les mêmes moments de joies par la suite.
 
Film difficile à comprendre par moments, à l’instar de Pegase du Marocain Mohamed Mouftakir, Tey (aujourd’hui) est un conte philosophique sur la vie et la mort, sur leur signification pour chaque être humain, sur l’utilité de la présence de l’Homme sur cette terre. Tey qui veut conquérir l’étalon d’or de Yennenga 2013, est aussi une réflexion sur la place qu’occupe chaque personne dans notre coeur, dans notre vie. Cela est d’autant vrai qu’après avoir su que sa mort est imminente, Satché a rendu visite à des parents, à son premier amour, aux amis avec qui il a passé de bons moments et visité des endroits de Dakar qui lui sont chers. Mais après toute cette randonnée à travers la ville de Dakar, Satché a tenu à revenir à la maison, pour passer ses dernières heures en compagnie de sa femme et de ses deux enfants. Ce qui montre la place qu’ils occupent dans son coeur. Un peu comme l’immigré qui rêve de mourir à côté des siens au pays, Satché a préféré rentrer chez lui pour vivre quelques heures d’intenses joies, en improvisant une partie de jeux avec ses enfants.
 
Pourquoi une réflexion sur la mort quand les humains aspirent généralement à la vie? C’est la question que peut se poser légitimement le cinéphile après avoir vu ce long-métrage de 88 minutes, dont la fin ne montre pas clairement que Satché est effectivement mort. C’est certainement une façon pour le cinéaste de dire qu’après la mort il y a une autre vie, et que l’être humain ne devrait pas avoir peur de la mort, qui n’est rien d’autre qu’une autre forme de vie.
 

Article publié initiaement sur http://blog.cineafrique.org par le journaliste et critique cinéma Anoumou AMEKUDJI

Viva Riva !

« Viva Riva ! » est le film que j’attendais depuis longtemps. J’en avais marre des films africains – je parle ici de l’Afrique subsaharienne francophone – qui racontent des histoires de villages, des comédies parfois marrantes mais sans plus, des drames sur la période coloniale ou pré-coloniale, parfois poignants, mais pas le genre de films qu’on veut voir un vendredi soir pour passer un bon moment. « Viva Riva » est tout ce que ces films ne sont pas. Un film qui vous fait passer un super moment en vous scotchant sur votre fauteuil. Un thriller moderne qui dépeint les réalités d’aujourd’hui, qui dépeint la misère quotidienne tout en vous donnant du rêve. Une peinture moderne de Kinshasa et de la jeunesse urbaine qui y vit, de manière énergique et trépidante, mais sans repères, perdue dans une course nihiliste vers l’argent facile et les satisfactions matérielles et sexuelle immédiates.

L’histoire est celle de Riva, jeune congolais qui revient à Kinshasa d’un exil de dix ans en Angola. Il ramène dans ses bagages une cargaison d’essence qu’il a volée à son ancien boss, un mafieux angolais, qui est à sa poursuite. Le contexte général est celui d’une économie de pénurie – les voitures ne roulent plus parce que les stations n’ont plus d’essence, les coupures de courant s’enchaînent parce qu’il n’y a plus de fuel – où le contrôle de l’essence devient un élément stratégique de pouvoir et d’argent. Autant dire que Riva joue désormais dans la cour des grands, lui l’ancien petit gangster flambeur. L’histoire se complique lorsqu’il tombe amoureux de Nora, danseuse rencontrée un soir, accessoirement la maîtresse d’un parrain de la mafia locale, dont il n’aura de cesse de conquérir le cœur et le corps.

 

Le film est cru – la jolie fille qui pisse dans un buisson – les scènes adultes nombreuses et osées, la violence récurrente, sans que cela nuise au déroulement de l’histoire, bien au contraire. Une multitude de personnages secondaires viennent apporter de la densité à ce film, résolument moderne dans la manière d’être filmé et scénarisé. Il y a l’enfant des rues, sans qui le tableau de Kinshasa serait incomplet, serviteur intéressé, serviable mais plus fidèle et loyal à Riva que bien d’autres de ses supposés amis. Il y a la « commandante », une officier des douanes lesbienne plus ou moins corruptible, mais qui n’est pas méchante en tant que telle, juste une débrouillarde prise en otage par les difficultés de la vie. Il y a le père curé qui traficote un peu de tout, tout en jouant de la carte de la moralité quand cela l’arrange. Et au centre de l’histoire, Riva, flambeur, sympa, bon vivant, inconscient, imprudent, sans autre but dans la vie que gagner de l’argent, sans intérêt pour l’histoire, la culture, juste le présent et le plaisir.

En écho à Gangoueus qui se demandait si la musique contemporaine – et par extension la culture – congolaise était masochiste, « Viva Riva ! » semble plutôt indiquer qu’elle est nihiliste : elle ne croit en rien d’autre que le plaisir personnel immédiat, que l’argent incarne, avec ses différents attributs: belles filles, beaux vêtements, belles caisses. Ce film reflète bien cette course effrénée de la vie sans destination connue. Pas de morale – si ce n’est celle que distille le personnage de Nora, elle-même poule de luxe, qui dit à Riva que « l’argent est un poison qui finit par te brûler » – juste une peinture de la comédie humaine qui se joue en Afrique, où faute de repères idéologiques, éthiques ou religieux solides, nos contemporains vivent au jour le jour en quête de légitimes satisfactions immédiates. L’histoire met d’ailleurs bien en lumière les failles de ceux qui se réclament d’une morale (les parents de Riva, le prêtre, Nora, la femme de J.M) qui guiderait leur vie, alors qu’ils sont réduits à l’impuissance ou aux compromissions.

« Viva Riva » est un film important. J’espère qu’il ouvre les vannes d’une nouvelle génération de films d’Afrique francophone. Des films qui vous donnent juste envie de payer votre place de cinéma et de passer un bon moment.

 

Emmanuel Leroueil

Case Départ

« Case Départ » est un film que je n’avais pas du tout l’intention de voir, en cette période où un racisme pernicieux suinte de blagues pas drôles, mais qui reviennent de plus en plus souvent au nom de la liberté d’expression, et dont on doit rire de peur de se voir reprocher son manque d’humour. Je craignais que ce film ne reprenne tous les clichés du genre, avec des blagues grasses à chaque scène, ou, au contraire, avec de petites blagounettes consensuelles qui feraient glousser quelques esprits bien-pensants, sans réellement aller au fond du sujet. Je me disais qu’à la limite je le verrai sur TF1, quand il sera rediffusé pour la douzième fois un dimanche soir pluvieux, si je n’ai rien à faire. Mais quelques retours positifs sur le film me poussèrent à aller le voir. C’est ainsi donc que je me retrouvai dans une salle de cinéma, coincé entre un jeune couple et un trio de kékés qui ont passé tout le film à chahuter – ces cinq charmantes personnes réussiront d’ailleurs l’exploit de se battre entre eux en plein film, ce qui m’a coûté deux minutes de concentration à un moment important de l’intrigue… Tout ça pour dire que je m’attendais donc à voir un navet, mais ce fut un peu plus compliqué que ça.

« Case Départ », c’est l’histoire de deux frères antillais vivant en France, Joël et Régis, qui ne se sont pas vus depuis vingt ans et qui ont pris des chemins opposés dans la vie. Joël, interprété par Thomas Ngijol, est un jeune oisif fraîchement sorti de prison qui vit chez sa mère, passe son temps à pester contre un système dont il s’exclut au nom de la « cause noire », et rackette la meilleure amie de sa fille pour payer l’amende que lui ont collé les contrôleurs de bus. Régis – Fabrice Éboué, de son coté, est un conseiller municipal propre sur lui, qui se veut « assimilé », et qui pour le coup, n’hésite pas à déguster du cantal avec son pinard à table, rabroue les Africains qui viennent piquer le travail des français, rit des blagues douteuses du maire de sa commune, mettant ainsi son couple en péril, sa femme ne le reconnaissant plus. Les deux frères sont convoqués aux Antilles par leur vieux père mourant qui leur confie le trésor de la famille, la lettre d’affranchissement de leur ancêtre esclave. Dépité, les deux hommes déchirent la lettre et, frappés d’une malédiction, se retrouvent catapultés au XVIIIème siècle, confrontés à l’esclavage et aux réalités de l’époque…

Autant le dire tout de suite, le film m’a affreusement ennuyé pendant les trente premières minutes, lorsque les deux protagonistes sont encore en 2011. Les scènes censées animer mes exigeantes zygomatiques souffraient d’un terrible air de « déjà-vu » On n’assiste là qu’à une succession de poncifs habituels sur les jeunes des cités et les petits « nègres assimilés ». Par contre, dès lors qu’ils débarquent en 1780, le rythme du film change, les gags s’enchaînent ; ils ne sont pas toujours du meilleur goût, mais le décalage entre les deux personnages et l’époque reste hilarant !

Au-delà de l’humour et de certaines vannes à rallonge – notamment une scène immonde d’aide à la procréation à la sauce « XVIIIème siècle » – qui témoignent de l’inexpérience de l’équipe, le spectateur arrive à saisir les messages qui lui sont destinés ; Ngijol et Éboué prennent vite leur aise devant la caméra, et torpillent tous les poncifs qu’ils ont pourtant allègrement distillés au début du long-métrage, avec un sadisme parfois jouissif. À la fois acteurs, scénaristes et coréalisateurs du film, on leur pardonne alors plus aisément le jeu d’acteur parfois très cabotin, les gros plans redondants et les inutiles plans rapprochés façon blockbuster hollywoodien, les scènes ennuyeuses qui durent une éternité – l’agonie de leur père – et quelques incohérences qui témoignent d’un certain manque de rigueur dans l’écriture. La végétation cubaine – lieu du tournage– est magnifique, et fait bénéficier au film une certaine crédibilité. À cela s’ajoute une très belle bande originale. On aurait pu craindre le pire, car, à la réalisation, ils sont assistés par Lionel Steketee, qui en France aura travaillé sur des navets aussi innommables que Lucky Luke –avec Lambert Wilson, Fatal – avec Mickaël Youn… Mais finalement, le trio tire bien son épingle du jeu.

Le projet des deux anciens membres du Jamel Comedy Club était ambitieux, et ils s’en sortent plutôt pas mal. Bien sûr, « Case Départ » aura souffert de l’inexpérience de ses auteurs, mais ne trahit à leur réputation d’humoristes caustiques porteurs de message. Ngijol et Éboué font une entrée plutôt honorable dans le monde du cinéma, en espérant qu’ils restent sur la même lancée, tout en affinant leur jeu et leur écriture au fil du temps. Démentant la fameuse loi de la « première fois », l’expérience se révèle bien moins pénible, moins douloureuse que prévue – non, je vous vois venir, je n’ai pas participé au scénario du film…

Souleymane LY