La Démocratie culturelle comme rempart contre l’exclusion dans les sociétés multiculturelles : le cas de la Ville du Cap

L’effectivité du principe démocratique selon lequel chaque voix compte peut s’avérer complexe dans un environnement multiculturel où des minorités peuvent être exclues. A partir de l’exemple de la ville du Cap en Afrique du Sud, cette étude montre comment la démocratie culturelle, c’est-à-dire un système politique où chacun est libre d’affirmer ses positions, son identité et sa culture par des moyens d’expression et des manifestations culturelles, peut être une solution à l’inclusion politique dans un environnement multiculturel. Les enseignements qui en découlent peuvent être utiles aux pays africains multiethniques. Lisez l’intégralité de ce Policy Brief.

Le regard du professeur Kom

Ambroise Kom est un professeur de littérature reconnu qui longtemps a dispensé son savoir aux Etats-Unis. Il fait partie de ces critiques qui ont beaucoup travaillé sur des auteurs de la trempe de Mongo Beti. Pour le lecteur que je suis, c’est toujours un plaisir d’échanger avec une telle sommité pour confronter une lecture et dans le fond, ouvrir le champ d’une lecture variée d’une oeuvre…


Nous avons donc eu le plaisir d’échanger sur une oeuvre que j’ai rangée dans le rayon de mes coups de coeur 2016 : Racines d’amertume du béninois Landry Sossoumihen.                                                                                                                                                                    

Je ne pense pas que le professeur m’en veuille de rendre public cet échange passionnant. La CENE littéraire a organisé des tables rondes durant le salon du livre de Genève sur les oeuvres qui ont fait partie de la sélection finale du Prix du livre engagé. Je ne sais plus trop comment notre discussion a démarré. Le professeur Kom a relevé le fait que ce premier roman s’il traite de manière relativement intéressante la question du retour des élites africaines sur le continent, il comporte quelques lacunes qui se centrent autour de la récurrente démonstration de la compétence de ce médecin urgentiste béninois basé à Cherbourg dont Landry Sossoumihen relate le combat constant contre la mort. Cette permanence des cas cliniques a été relevée par plusieurs lecteurs soulignant peut être une limite pour l’auteur à fictionnaliser le sujet. Il me semble pourtant dans la lecture que j’ai faite de ce roman qu’il s’agit plus d’une toile de fond importante, un contexte que le romancier propose à ses lecteurs. 

Ce contexte brosse une forme de réussite, le portrait de cette élite africaine qui tente de s'intégrer en France. Une place saisie par le mérite et l'application d’un savoir chèrement acquis. Un renversement d’un certain rapport de force. En effet, si le challenge de Vandji – personnage central – est avant tout de maintenir ses patients en vie, de repousser les affres et offensives de la mort, le lecteur lit aussi une quête passive chez Vandji de la reconnaissance du patient. Je ne serais pas naïf en sous-estimant ce regard à rebours où la question raciale ne peut être expurgée. Toutefois les rapports de force s’expriment dans ce regard premier. D’ailleurs ce regard est proposé sous trois formes différentes dans ce roman. Celui d'un milieu socio-professionnel pédant, se cachant derrière des statuts et des lois pour refuser à Vandji la reconnaissance de ses pairs. Celui d’une vieille dame affable et sans intention trouble qui souligne à Vandji de manière douce qu’il n’est pas indispensable en France et que le vrai challenge pour lui est de répondre aux attentes en terme de santé des Béninois. Enfin, il y a celui de François Pesnel qui offre par sa folie, l’expression d’un discours franc et sans équivoque : vous êtes en France un sous-médecin, un médecin esclave. Ambroise Kom souligne que ce regard dans la sphère publique est beaucoup plus important à analyser que ce qui est exprimé dans les salons ou dans le secret du lit conjugal.

Dans le fond, la réussite sociale est finalement dans le rapport à ce regard. La discussion prend une tournure passionnante. On sent dans les mots que la réussite des élites en France est une imposture si ce regard est sous-pesé. Et d’une certaine manière les démonstrations en compétence de Vandji ne font que souligner un mensonge qui ne dit pas son nom. Produit du système américain, j’ai le sentiment qu'Ambroise Kom à une lecture outre-Atlantique du sujet. Mais il rappelle qu’aux Etats Unis, le rapport à l’autre est différent. Dans le fond, si le job est bien fait, on se fout du regard de l’autre. La condescendance ne s’exprime donc pas de cette manière. Et pout caricaturer la chose, je dirai qu'en France, avant que la question de la compétence soit posée, il est demandé au Noir en France : "Que fais-tu là ?"

Il y a donc une débauche inutile d’énergie de Sossoumihen selon le point de vue exprimé par Ambroise Kom à vouloir prouver quoique soit à celui qui décide d’accueillir ou pas. De plus, il pousse son analyse plus loin en rappelant que sur la terre d’origine, Vandji n’est pas attendu et le sentiment d’impuissance est criard.  Ce que j’aime dans cette discussion avec cette homme de lettres camerounais droit dans ses bottes, ce sont les partis pris assumés. Et la littérature, c’est avant tout cela. La sphère familiale qui, de mon point d'attaque, est intéressante puisqu’elle est dans le cas de Vandji un lieu de perpétuels questionnements, est relativement secondaire pour l'universitaire camerounais. Tenir debout dans la sphère publique repose pour moi sur cet exo-squelette. Le combat intérieur dans la cellule familiale est essentielle. Il permet de bâtir des hommes et des femmes solides prêts à affronter n’importe quel système, raciste ici, corrompu là-bas. Nayline est la gardienne des rêves de son mari, l’élément non corrompu par le confort et un projet de dissidence. Le discours sur la structure familiale est donc à mon sens tout aussi importante que les combats menés sur la place publique.

Dans le fond, tous les regards sur Vandji sont instructifs et révélateurs de la réussite ou pas de cet homme et de son intériorité. Mais, le plus important est celui qu'il porte sur lui-même. Face au rejet, le sensibilité de médecin urgentiste béninois touchera un grand nombre de lecteurs. Droit dans les yeux, le professeur Kom me regarde.

Lareus Gangoueus

Reflections: From the Misery of Lucid people in a Simple World

lucides les deux fridas"And no doubt our time … prefers the image to the thing, the copy to the original, representation to reality, appearance to being … What is sacred to him, Illusion, but what is profane is the truth. Better still, the sacred grows in his eyes as the truth diminishes and the illusion grows, so that the height of illusion is also for him the height of the sacred.’’

Feuerbach, (Preface to the second edition of The Essence of Christianity).  

The propensity not to be interested in what really makes sense, which is characteristic of our century and many others, however, which is stronger in ours, diverts our attention from the questions we should ask ourselves in order to guarantee our progress in the long march of humanity. Yet to believe that man, although rational, self-conscious and present to the world, spontaneously asks questions about what is the basis of his existence, is only an additional illusion. To interrogate oneself in this way presupposes the habit of thinking, thinking hard.Now thought, which only requires time and availability of the mind, is made more and more difficult. The conditions of its exercise at least, more economic, and therefore social conditions, influencing production and dissemination of culture, promote cultural products, which, far from questioning us sternly and illustrating our troubled situation, like the works of the Greek tragedians and their successors (Shakespeare, Corneille, Racine), divert major concerns so that it is even sacrilegious to pay attention to it. Distracted by stupidity and inconsistency, such is the man of our times. Projected in a fictitious world free from the difficult condition of man, the consumer, whose only concern is the passive use of products, has replaced the citizen who, because he is a responsible actor, endeavours to understand his society and participate in its progress.

Spared from the frightful wars that seventy years ago were raging on almost every generation, his civil and political freedoms guaranteed by the victory of liberal democracy, robbed of individualism, spared from harsh material conditions through unbridled growth for three decades, The West, a longtime defender of the greatness of man and the fundamental values ​​of the latter (despite the very serious aberrations due to the belief in the inferiority of other races), gives signs of lassitude. The West is no longer the irreverent and fiery thought that, at the cost of bitter fighting, shakes up every idea of ​​enslavement, domination, in short, irrational behaviour. The obscurantism and the tutelage of all kinds conquered by audacious thought have been replaced by another flaw, one of the crux of his economic philosophy: the desire for simplification.

Yet, simplify, simplify! The condition of man, though modern, will remain complex and predominantly tragic! The need to think, to understand will never be replaced by technology and culture. Those who propose the dangerous goals of sparing difficulties without which man does not actualise, are merely quixotic: they take windmills for giants. This loss of sense of reality to shut oneself up in the ideal decreases the ability to face reality, and diminishes the capacity to negotiate in the face of destiny, but rather exposes it to being subjected to it. Indeed, it is not by dodging reality that one gets in front of it and that one finds a modus vivendi, but by getting involved with it.

Merely thinking in a context in which everything is organized to hold reflection at a distance, supposes, when one is not born a philosopher, that awareness has been marked by a phenomenon or an event which refers so deeply into itself. That, confronted with this self, that is questioned and which in turn questions us, births an inner dialogue whose synthesis will form our own apprehension of reality, and therefore our thought. The impressions the world makes on us are reflected upon our consciousness, and from this relation arises our own vision. It is only through the friction of the ego with phenomena or reality that we are able to react. Thus one becomes aware of oneself and hence, the fact that a real relation to the world requires the prior analysis of the latter by self. It is thanks to the frequent trade and practice of thought that one confronts reality, that it is decomposed because thought (logein) promotes an understanding of what binds phenomena to one another. And they are said to be intelligent those who, by by reason of their clairvoyance, readily bind the facts among themselves. The habit of observation, of reflection, of concern for objectivity, truth and rationality, which therefore characterises souls marked by movement and courage to see and accept reality as it is, are melted like a nugget in the crucible of lucidity.

Unlike the romantics who live according to their feelings and their imagination, animated by the hubris. These are characters of tragedies carried to the height and crash in the manifestation of their person, which, accordingly as their extra energy and disorder are tame or not, produce either the very great, the very beautiful, or the pitiful, the lucid.Armed with that light that makes them perspicacious, having the passion of the real to which they have no desire to escape. They accept it because they do not reinvent it, but only modify it by confrontation. Such an ability to analyze phenomena in the details that underlie the relevance of views; the security of judgment assured by prudence and doubt, which refuse the ease of appearances, produce strangeness that always ends up disturbing others. As most humans, driven by their moods, passions, and interests, rather than by sacred reason, do not forget the characteristic, certainly restrictive, but most important, of humans.

This is the beginning of the misery of the lucid. Having abhorred the natural propensity, which marks the history of humanity, to be led by group, national, regional, partisan, religious affinities and any reconciliation based on something other than objective truth, they defeat emotional ties if necessary. They brave the authorities when proven unjust and violate the laws. One would think of such heartless people as they reason and analyse perpetually; who are, on the contrary, when one looks at them well, people of great sensitivity, but who shun all sensibility.

Translated by:

Adaeze Akaduchieme

 

Le khanga, témoin du patrimoine culturel et historique Swahili

khanga tissu zanzibar
Femmes de Zanzibar portant le khanga. Source : African Fashion Design.

Khanga, c'est le nom swahili de l'un des tissus les plus répandus en Afrique du Sud-Est. Il est orné de motifs d'une beauté impressionnante, mélange surprenant d'Afrique et d'Orient, et porte toujours un message sur l'une de ses bordures, ce qui en fait un véritable moyen de communication entre les femmes. Le khanga puise ses origines dans un passé alourdi par l'esclavage et sublimé par la résilience d'un peuple : il est le témoin, par son histoire, mais aussi par les messages qu'il porte, de l'Histoire et des bouleversements culturels de tout un pan de la côte swahilie, depuis le Burundi et le Kenya jusqu'aux îles Comores, en passant par le carrefour culturel qu'est l'île de Zanzibar. 

Une étoffe d'amour, de politique et d'autres choses

Le khanga est avant tout une histoire d’amour. Les mères l’offrent à leurs filles à l’âge de la puberté pour célébrer leur passage à l’âge adulte. Symbole de féminité, il les accompagne tout au long de leur vie, orné de motifs qui évoluent avec le temps. Leur particularité, c’est le message qu’ils portent, et que les femmes véhiculent en le portant. Une femme blessée peut arborer un khanga porteur d’un message plein d’un esprit de revanche sur la vie ; deux amies peuvent porter le même khanga où est inscrit un ode à l’amitié ; l’amour n’est pas en reste. Lors de la saison des mariages aux Comores par exemple, les familles des mariés commandent de nombreux khanga aux motifs similaires pour que les femmes les portent durant les danses et fêtes au programme, avec un message évoquant l’amour, les vœux de bonheur, le triomphe de l’amour. Chaque khanga véhicule un message, ce qui fait que chaque khanga est unique : c’est ce qui fait la particularité de cette étoffe, héritage de la rencontre violente entre l’Afrique et l’Occident lors de la traite négrière.

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Un khanga en l'honneur d'Obama, Tanzanie.

Le khanga est aussi un instrument de propagande politique : il se recouvre du portrait des candidats aux élections présidentielles ou gouvernementales, avec force messages et slogans de campagne. C’est aussi un support religieux : à Zanzibar, il peut porter des versets bibiques ou coraniques, célébrer des personnages hautement révérés tels que Jésus, et inciter les gens à s’en remettre à Dieu.

Une étoffe, plusieurs histoires

Il est difficile de retracer l’histoire du khanga. Le nom khanga, qui signifie pintade en swahili, viendrait de ce qu’en général, les motifs du khanga sont dessinés sur un fond de points noirs, imitation du pelage de la pintage. Chaque élément a son nom : le motif, la bordure, toujours noire, et le message (jina). L’histoire la plus répandue fait état d’une mode qui serait née dans les années 1800 à Zanzibar, après que les négriers aient débarqué des esclaves enveloppées dans des étoffes grossières qu’elles se sont ensuite appropriées en les ornant de motifs. N’ayant pas le droit de s’exprimer, elles auraient pris le parti d’inscrire leur pensée sur ces étoffes. Une autre version relate qu’une comerçante zanzibarite a décidé de se procurer des carrés de tissus venus d’Europe pour les orner avec des motifs orientaux et swahilis. Quoi qu’il en soit, le khanga a fait son petit bonhomme de chemin, et constitue aujourd’hui l’élément central de la garde-robe féminine. On les vend par paires, appelées leso, que les époux offrent à leurs femmes tous les deux mois, et que l’on garde précieusement dans un coffre embaumant l’encens.

Une célébration des âges de la féminité

Le khanga sert aussi de relais entre les âges. Tous les khangas n’ont pas la même épaisseur. Toujours en coton, ils sont fins pour les jeunes filles, et s’épaississent et s’anoblissent en fonction de l’âge et du statut social, selon les codes culturels du pays en question. Le plus souvent, on passe à la texture supérieure après trois événements fondateurs d’une vie de femme : la puberté, la maternité, et le mariage de la fille aînée, summum de l’accomplissement pour la mère.

Khanga, 101 uses. Guide de portage du khanga, d'hier à aujourd'hui, par Jeanette Hanby.

Si les femmes se sont davantage tournées vers les vêtements occidentaux, mettant en danger l’économie florissante du khanga, celui-ci revient en force, poussé par l’engouement des jeunes stylistes et de leur public pour un retour à la culture des pays d’origine sur le continent, et par l’avènement de la mode ethnique en Occident. Le khanga, messager silencieux, a encore de beaux jours devant lui. 

Les nouveaux agriculteurs : Anturia Mihidjai, la femme qui change la vision de l’agriculture aux Comores

nutrizone-agriculture-anturiamL’agriculture est, avec la pêche, le pilier de l’économie dans l’archipel des Comores. Mais elle est de loin la plus plébiscitée. La société lui préfère les emplois de bureau, les hauts postes politiques, et les fonctions culturelles, plus prestigieux en surface que les métiers de la terre. Pourtant, la donne est en train de changer. Entretien avec Anturia Mihidjai, fondatrice de Nutrizone Foods, qui instaure le changement avec une démarche innovante : valoriser les ressources alimentaires locales.  

Pouvez-vous nous présenter Nutrizone Foods ?

J’ai créé Nutrizone Foods vers fin 2014, dans le but de valoriser les produits alimentaires locaux et d’encourager leur consommation par la population a travers la transformation agroalimentaire.

Comment vous est venue l’idée d’entreprendre ?

L’idée de créer une entreprise m’a habitée depuis mes études universitaires au Kenya. L’environnement entrepreneurial Kenyan m’a vraiment impressionné par son dynamisme. J’ai su, durant mes études, que l’entrepreneuriat était ce que je voulais. De  retour au pays en 2012, je me suis dit que l’agriculture était mon domaine : elle me permettait de commencer avec un capital minimal. Je suis partie avec un avantage non négligeable : celui d’être issue d’une famille d’agriculteurs.

Quelles difficultés avez-vous surmonté pour réaliser ce projet ?

Je n’avais pas fait d’études commerciales : je suis infirmière et prothésiste dentaire. Cela a occasionné quelques doutes. D’autre part, il me fallait convaincre ma famille, ce qui n’était pas simple : culturellement, l’agriculture est vue comme un métier dégradant, « sale », aux Comores. Il était impensable qu’ayant fait mes études à l’université, je décide de m’investir dans une telle activité. Mais à présent, mon entourage l’accepte.

L’autre difficulté est liée à la pénétration du marché, l’environnement entrepreneurial aux Compres étant un peu plus compliqué qu’ailleurs pour un concept nouveau comme le mien. Ce n’est qu’après avoir présenté le projet devant un concours entrepreneurial national en 2013, au cours duquel j’ai été sélectionnée, que j’ai compris que je pouvais bien faire quelque chose.  J’ai commencé a m’impliquer, et à chercher des opportunités de formation.

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Farine de sagou, par Nutrizone Foods.

Et l’environnement entrepreneurial du continent africain, était-il plus favorable ?  

En 2014, j’ai été selectionnée par le Programme Young African Leaders Initiative (YALI) grâce auquel j’ai beneficié de ma toute première formation en entrepreneuriat et affaires a la Clark Atlanta University. J’avais toute la motivation dont j’avais besoin, et tout mon temps aussi : les six semaines durant lesquelles je m’étais absentée de mon travail d’infirmière de pharmacie pour suivre la formation du YALI m’ont valu la perte de mon emploi ! Je n’avais donc qu’un seul choix : exploiter ma motivation et les 150 euros que j’avais avec moi.

Aujourd'hui, l'agriculture est encore vue comme un métier de "paysan", donc forcément dégradant, peut-être à cause des relations féodales qu'entretenaient les grandes cités avec leurs serfs, à qui était réservée l'activité agricole…

Avant, j'avais la même vision que celle que notre culture entretient envers l’agriculture et la pêche. A l’école, j’avais honte de dire que ma mère payait mes frais de scolarité en produisant et en vendant des tomates et des feuilles de feleke*. Ce projet, c’est un hommage à mes parents et à leur noble métier.

 Je me rendais dans les champs de ma famille, je cueillais les sagous*,  les cassais et les séchais. Puis je payais pour le broyage et j’emballais ma farine dans des sachets à fermeture zip que je me suis procurés durant mon séjour aux Etats Unis.

 Je distribuais gratuitement les échantillons a des amis en échange de leur avis sur la manière dont je pourrais améliorer le produit. Apres plusieurs essais, j’ai fini par y arriver. L’étape la plus difficile fut ensuite de convaincre les supermarchés et autres distributeurs d’accepter de proposer ma farine dans leurs rayons. Le sagou est un produit qui d’habitude ne se vend qu’au marche local et non en rayons, et j’avais de bien faibles compétences en vente. Le premier magasin à accepter mes produits fut le supermarché Mag Market.

Les plus grands soutiens que j'ai eu, ont été mes coachs et mentors, et un financement de la fondation Tony Elumelu.

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Le sagou n'est vendu que sur le marché; local. Le commercialiser (ici, sachet de sagou précuit) contribue à changer la vision d'un métier essentiel.

Comment avez-vous fait face aux barrières culturelles ?

Ce qui m'a aidé à continuer, c’est d’abord l’envie de me prouver à moi-même que je suis capable de changer les choses, notamment dans un contexte où la plupart des jeunes sont convaincus que pour réussir dans la vie, il faut soit vivre à l'extérieur, soit s’impliquer dans la politique et les nombreux travers dont elle souffre.

Ayant vécu au Kenya, j'ai été contaminée, si l’on peut dire, par cette niaque entrepreneuriale. Je ne suis pas près d'accepter que ce projet échoue alors que chez mes amis, dans d'autres pays, ce concept fonctionne.

* Le feleke (ou bredy mafana à Madagascar) est une plante dont les feuilles sont appréciées pour leur goût proche de la menthe, et utilisées en sauce. 

** Le sagou est une fécule du sagoutier, probablement un lointain cousin du palmier, connue pour ses qualités nutritives. 

Réflexions : de la misère des lucides dans un monde simplifié

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Les deux Fridas. Frida Kahlo, 1939.
« Et sans doute notre temps… préfère l'image à la chose, la copie à l'original, la représentation à la réalité, l'apparence à l'être… Ce qui est sacré pour lui, ce n'est que l'illusion, mais ce qui est profane, c'est la vérité. Mieux, le sacré grandit à ses yeux à mesure que décroît la vérité et que l'illusion croît, si bien que le comble de l'illusion est aussi pour lui le comble du sacré. »

Feuerbach, (Préface à la deuxième édition de L'Essence du christianisme).

 

La propension à ne point s’intéresser à ce qui a réellement du sens, caractéristique de notre siècle et de bien d’autres aussi, toutefois plus forte dans le nôtre, détourne notre attention des questions que nous devrions nous poser pour garantir notre progression dans la longue marche de l’humanité. Pourtant, croire que l’homme, quoique rationnel, conscience de soi et présence au monde, se pose spontanément des questions sur ce qui fonde son existence, n’est qu’une illusion supplémentaire. S’interroger de la sorte suppose l’habitude de penser, de penser dru.

Or la pensée, qui n’exige que temps et disponibilité d’esprit, est rendue de plus en plus difficile, les conditions de son exercice du moins, tant nos conditions économiques et par conséquent sociales, influençant la production et la diffusion de la culture, font la promotion de produits culturels, qui loin de nous interroger sévèrement et d’illustrer notre condition tourmentée d’inquiétude, comme les œuvres des tragiques grecs et de leurs successeurs (Shakespeare, Corneille, Racine), détournent des préoccupations majeures si bien qu’il devient même sacrilège d’y faire attention. Distrait à force de bêtise et d’inconsistance, tel est l’homme de notre de notre temps. Projeté dans un monde factice libéré de la difficile condition d’homme, le consommateur, dont la seule préoccupation est l’usage passif de produits, s’est substitué au citoyen qui, parce c’est un acteur responsable, se fait le devoir de comprendre sa société et de participer à son progrès.

Epargné des épouvantables guerres qui, il y a encore soixante-dix ans, sévissaient sur presque chaque génération, ses libertés civiles et politiques garanties par la victoire de la démocratie libérale, gavé d’individualisme, épargné de conditions matérielles pénibles du fait d’une croissance effrénée pendant trois décennies, l’Occident, longtemps défenseur passionné de la grandeur de l’homme et des valeurs fondamentales de cette dernière (malgré les très graves égarements dus à la croyance en l’infériorité d’autres races), donne des signes de lassitude. L’Occident ce n’est plus la pensée irrévérencieuse et fougueuse qui au prix d’âpres combats bousculait toute idée d’asservissement, de domination, bref de conduite irrationnelle. L’obscurantisme et les tutelles de toute sortes vaincues par son audacieuse pensée ont été remplacés par une autre tare, l’un des travers de sa philosophie économique : la volonté de simplification.

Pourtant, simplifiez, simplifiez ! La condition de l’homme, même moderne, demeurera complexe et surtout tragique ! Le besoin de penser, de comprendre ne sera jamais remplacé par une technologie et une culture. Celles qui se proposent les dangereux buts d’épargner des peines et difficultés sans lesquelles cependant l’homme n’émerge pas, sont simplement donquichottesques ; elles prennent des moulins à vent pour des géants. Cette perte du sens de la réalité pour s’enfermer dans l’idéal réduit la capacité à affronter le réel, et diminue la capacité de négocier face au destin, mais expose plutôt à le subir. Ce n’est en effet pas en esquivant la réalité qu’on lui tient tête et qu’on trouve un modus vivendi, mais en s’y frottant.

Seulement, penser dans un contexte où tout est organisé pour tenir la réflexion à distance, suppose, lorsqu’on ne naît pas philosophe, que la conscience ait été marquée par un phénomène ou un évènement qui renvoie si profondément en soi même, que, confronté à ce soi qu’on interroge et qui nous interroge à son tour, naît un dialogue intérieur dont la synthèse formera notre appréhension propre du réel, donc notre pensée. Les impressions que le monde fait sur nous se réfléchissent sur notre conscience, et de ce rapport naît notre vision propre. Ce n’est en effet que par la friction du moi avec les phénomènes ou le réel que nous sommes capables de réagir. Ainsi on prend conscience de soi et, partant de là, du fait qu’un véritable rapport au monde nécessite l’analyse préalable de ce dernier par le moi. C’est grâce au commerce et à la pratique fréquents de la pensée qu’on affronte le réel, qu’on le décompose car penser (logein) favorise la compréhension de ce qui lie les phénomènes entre eux. Et sont dits intelligents ceux qui, du fait de leur clairvoyance, lient aisément les faits entre eux. L’habitude de l’observation, de la réflexion, le souci d’objectivité, de vérité et de rationalité donc qui caractérisent les âmes marquées par le mouvement et par le courage de voir et d’accepter la réalité telle qu’elle est, se fondent comme un lingot, dans le creuset de la lucidité.

A la différence des romantiques qui vivent selon leurs sentiments et leur imagination, animés par l’hubris, personnages de tragédies portés à l’éclat et au fracas dans la manifestation de leur personne, qui, selon que leur surcroit d’énergie et de désordre sont apprivoisés ou non, produisent soit du très grand et du très beau, soit du pitoyable, les lucides, armés de cette lumière qui les rend perspicaces, ont la passion du réel auquel ils n’ont aucune envie d’échapper. Ils l’acceptent parce qu’on ne le réinvente pas, mais on ne le modifie que par la confrontation. Une telle capacité à analyser les phénomènes dans les détails qui fondent la pertinence des vues, la sureté du jugement assurée par la prudence et le doute qui se refusent à la facilité des apparences, produisent des étrangetés qui finissent toujours par déranger leurs semblables, comme la plupart des humains mus par leurs humeurs, leurs passions et leurs intérêts plus que par la sainte raison, elle aussi, ne l’oublions pas caractéristique, certes contraignante, mais sans doute la plus importante, de l’humain.

Là est le début de la misère des lucides. Ayant en horreur la propension naturelle, qui marque l’histoire de l’humanité, à se laisser conduire par les affinités groupales, nationales, régionales, partisanes, religieuses et tout rapprochement fondé sur autre chose que la vérité objective, ils défont des liens affectifs si cela est nécessaire, bravent des autorités quand elles se montrent injustes et violent les lois. On croirait de telles personnes sans cœur tant elles raisonnent et analysent en permanence ; ce sont, au contraire, lorsqu’on y regarde bien, des personnes d’une grande sensibilité, mais qui fuient toute sensiblerie.

Le nouveau couple mixte : essai d’analyse de la psyché masculine

couple mixteL'une des beautés de notre temps est le couple mixte, symbole de la rencontre des communautés. Je ne vais pas trop être sage, je vais plutôt essayer de réfléchir à un fait social qui, si l’on y regarde de plus près, deviendra à une plus grande échelle, un sujet historique, d’envergure. La race noire est-elle en déperdition ? Les vrais noirs seront-ils dans quelques siècles, une sorte d’êtres rares ? Je le dis, tant est grand le désir aujourd’hui, chez les hommes, surtout, de se lier à des femmes blanches. Non pas que je cherche à dire que tout couple ou union mixte soit problématique. Au contraire, à l’ère de la mondialisation, ce type d’union est inévitable, et représente une beauté de  notre temps.

Je veux analyser, questionner les couples mixtes de stars afro-américaines qui ont choisi de n’envisager la vie qu’avec une partenaire blanche [1] (quand ce n’est pas une femme noire ultra light qui a tous les apparats de l’Occidentale).

De la vision de la féminité

Les apparats ou attributs de l’Occidentale ce sont les cheveux longs et raides, les rondeurs, l’absence de muscle ; et un je-ne-sais-quoi de léger dans l’attitude. Anaïs Bohuon[2]  évoque le cas des sportives noires dont le physique est sans cesse remis en question : sont-elles encore féminines ? Les sportives noires américaines par exemple ont choisi l’anticipation à ces regards qui les condamnent (ce male gaze), en usant d’artifices matériels et esthétiques comme les cheveux ultra apprêtés, les ongles faits et les tenues de plus en plus sexualisantes. Une hyperféminité dérangeante, dans un contexte où le corps est censé être asexué.

La femme noire a en effet nombre de "problèmes"[3]qui compliquent les choses, visiblement, du point de vue des hommes noirs. Ces derniers évoquent le cheveu crépu ou les extensions ; les humeurs (ou concept de la black angry woman) ; et l’insoumission. De nombreux auteurs et penseurs comme W.E.B Dubois ont montré que la situation esclavagiste a forcé les femmes noires à travailler[4]. Ces dernières ont donc renoncé à leur féminité (du point de vue de la féminité judéo-chrétienne ou comme-il-faut) afin de répondre à une subordination légale : le travail continu dans les plantations. Par la suite, les handicaps économiques l’ont forcée à se lancer dans le monde du travail ; tandis que la femme blanche était toujours conservée comme le bien le plus précieux des blancs. Alors que la blanche était valorisée, la noire était mise au pilori, décrétée inférieure à toutes les autres femmes.

Le difficile héritage de la couleur

Le corps, le niveau de vie sociale étaient et sont encore les éléments qui rebutent les hommes noirs (américains surtout, c’est mon contexte) à se lier avec une femme noire. Des réalités dues à un contexte américain raciste ont également formaté l’image d’une couleur problématique et maudite.[5] De nombreux hommes, surtout très foncés, se sont ainsi promis de ne pas léguer à  leur descendance une tare, un fardeau. Chacun (regardez les Instagrams de certaines stars afro-américaines du monde du rap et du R&B), tend à blanchir sa lignée.  La femme blanche représente une manière pour eux de se laver à la source pure ; ils entrent par la porte de la rédemption. Avoir une femme blanche représente encore chez beaucoup un sacre, la chance de ne plus rebâtir un cadre ancien avilissant, mais un nouvel éden, reposant ; sans bruit ; odeur d’ail et de fritures ; sans problèmes d’acception sociétale (on réussit plus vite avec une femme blanche ; la noire porte la guigne[6]). Et surtout, le but ultime : la possibilité d’avoir une descendance à la peau "sauvée".

Il y a donc quelques jours je me suis arrêtée sur un de ces Instagrams, et j’en ai encore vu un, mettant en avant son enfant aux yeux verts, devenu mannequin chez IGM. Et sur un autre site pour enfants aux cheveux bouclés, frisés, je remarque que l’avantage est mis sur les enfants ‘clairs de peau’. Le site met en avant les enfants métis, mais ne récolte le maximum de likes que pour ceux dont l’apparence est occidentale : peau claire, yeux clairs, nez droit. On voit ici que la conception commune a intégré des éléments de la beauté qui passent par les critères occidentaux, blancs. Les pauvres "négrions" (nez épaté, peau trop noire…), récoltent moins de likes, et de commentaires.

La construction des modèles et des représentations, est le travail des médias[7]. Ces derniers au travers des images valorisées et des discours construits et répétitifs fixent des attentes, et des conformités. Les médias, pro-blancs pour la plupart,  distillent donc des valeurs conformes aux puissants. Ainsi, vous ne verrez que majoritairement des femmes, hommes blancs en une de magazines. Si les noirs Américains font un travail colossal en terme de visibilité noire (la communauté afro-américaine a  ses propres émissions de télévision, ses programmes de récompenses, ses entreprises, ses maisons de production…), il n’en demeure pas moins que le marché dominant est blanc, riche et judéo-chrétien. Les valeurs de ce groupe vont donc être partout, et influencer les autres médias.

Donc, nous disons que c’est la faute à Kunta Kinte d’avoir été attrapé ce jour où il allait couper du bois pour se faire un tambour ; et puis, chemin faisant, il a eu, mais vraiment eu la mal chance de se faire attraper et d’être emporté, au milieu de son propre vomi en Amérique. Sa descendance a dû trimer dans les plantations, et n’avait rien, mais vraiment rien, pour se faire beau ou belle. Les femmes noires mettaient une graisse horrible sur les cheveux,[8] et n’avaient rien pour se mettre sur le dos. Les figures d’aunt Jemima[9] ont traversé les mangas et les feuilletons, en personnifiant cette grosse femme black obèse, à l’accent soupçonneux.

"L'homme" de la maison est une femme

Evidemment ce que je viens juste d’écrire est une caricature[10]. Ce qu’il fallait retenir est que le contexte de déportation et d’acculturation du Noir l’a fragilisé. Ce dernier s’est retrouvé en train de travailler pour quelqu’un d’autre et n’avait rien pour sa famille. Mal instruit, et chosifié, il va devenir la figure de l’homme brutal et absent ; forçant la femme noire à devenir  "l’homme de la maison". Les femmes noires américaines en premier lieu (et même du monde), n’ont pas vraiment eu l’occasion ni le temps d’être de "vraies femmes", au sens où la société des phallocrates l’entend. La femme noire américaine a eu d’abord à gérer sa survie alimentaire, pour elle et pour ses enfants. Ou tout simplement : sa survie. Elle est de fait devenue un genre double, mi-homme et mi-femme.  Car oui, il y a de l’homme dans la femme noire : une hauteur de ton, de stature, une forte mentalité et une autorité. Passons le raccourci et reconnaissons que oui, la femme noire est forte et qu’elle a sa propre beauté ; pas moindre, au contraire, mais sienne ; tout comme les Asiatiques en ont une propre. Que de blanches qui mettent des extensions, mais les noirs n’en savent rien. Que de noires chefs d’entreprise, mais les noirs les méprisent, pensant qu’elles sont forcément en recherche de maris et dans la galère.

Nous disons donc que l’Histoire aujourd’hui nous permet de voir une génération de femmes noires, qui, petitement, mais sûrement, sortent de leur invisibilité, et prennent de  l’espace. Ceci, parfois aussi pour être visibles malgré elles (au travers d’une lecture hyper-sexuelle, notamment) ; mais dans la majeure partie des cas, celles-ci sont ignorées. Gageons qu’elles vont aussi commencer à sortir des carcans, et alors qu’elles lorgnaient encore leurs pauvres compères ; vont aller explorer (de plus en plus hein…), d’autres nuances…


[1] Voir la Barbie comme phénomène de la beauté blanche idéale. Ouvrage : Hanquez-Maicent, Marie-Françoise, Barbie, Poupée Totem : Entre mère et fille, lien ou rupture ?, Editions Autrement, collection Mutations n°181, 245 pages, p. 11.

 

 

 

[2] Bohuon, A., Le test de féminité dans les compétitions sportives, une histoire classée x ?

 

 

 

[3] Gammage, Marquita Marie, Representations of Black Women, Routledge, 2015.

 

 

 

[4] Idem.

 

 

 

[5] Fanon, les Damnés de la terre, Paris, La Découverte, 2004 (rééd.); et Peau noire, masques blancs, Paris, Seuil, 1952, coll. Esprit ».

 

 

 

[6] Pensée populaire. Je ne serai pas responsable de tous les chocs cosmiques que vous aurez durant cette lecture.

 

 

 

[7] Hall, Stuart, Representation : Cultural representations and signifying practices, London, Thousand Oaks, New Delhi, Sage publications, 1997.

 

 

 

[8] Fauvelle-Aymar François Xavier analyse dans L’invention du Hottentot, histoire du regard occidental sur les  les  Khoisan (XVè- XIXè siècle), les stéréotypes conçus à l’égard des noirs.   Elsa Dorlin dans  La matrice de la race : Généalogie sexuelle et coloniale de nation Française, montre les  rapports de domination depuis l’origine du corps féminin dominé, depuis la plantation.

 

 

 

[9] Le Sphinx de Kara Walker en est une représentation.

 

 

 

[10] Paul Gilroy et la Black Atlantique montre les périples noirs selon l’axe triangulaire. Ouvrage en anglais :  The Black Atlantic : Modernity and Double Consciousness,  New York, Verso, 1993.

 

 

 

Une librairie ambulante dans nos capitales

Vendeur de livres ambulant
Vendeur de livres ambulant à Bitam, Gabon. Source : businessattitude.fr.
Les librairies à la criée, vous connaissez ? 

Dans un texte publié chez l’éditeur togolais Awoudy, l’écrivain belge Charles Manian donne cette représentation de la ville de Lomé :

« Lomé, c’est la ville partout. Les bagnoles coulent, s’écoulent des grands axes dans les rues de sable noir, gras, huileux. Lomé c’est une foule sans cesse recommencée qui s’agglutine au Grand Marché, des milliers de boutiques, de tout : des tissus, du riz taïwanais, des éviers germaniques, des bidets sud-africains, des boutiques avec trois articles ou trois mille, l’odeur de viande frite, des odeurs épaisses dans la chaleur plus suffocante encore avec cette foule dense, bruyante. Fripes, sacs à main  en skaï accrochés à un présentoir de bois maladroit, posé sur un trottoir inondé, invisible, submergé, bananes, ananas, frigos d’occase chez Petit-à-Petit, et parfois une grande façade balafrée par une écriture incertaine : à ne pas vendre. Lomé vend tout. »  (Mélancodo, 2013, p. 16)

La capitale togolaise n’est pas seule à vendre tout partout. Cotonou, Ouagadougou, Lagos, Dakar, Accra…, beaucoup de capitales africaines connaissent la même réalité : la prolifération de marchands ambulants avec des techniques de vente parfois hilarantes, parfois agaçantes, dans tous les cas théâtrales. Parmi ces marchands ambulants, émerge de plus en plus un personnage qui mérite attention : le libraire ambulant.

A la librarie comme au théâtre

Novembre 2013 à Ouagadougou. L’hôtel de ville fut témoin d’un jeune homme qui me  convainquit d’acheter L’aventure ambiguë qu’il arracha d’une pile de livres de poche. « C’est un bon livre, vous allez trop aimer », m’avait-il lancé avant d’ajouter qu’un « gars d’Afrique (y) joue à un philosophe d’Europe et comme personne ne le comprend, on a chargé un fou de le tuer. »

Février 2012, Cotonou au soleil couchant. L’homme qui m’arrêta au carrefour « Sacré Cœur », avait le bras gauche chargé de nourritures d’esprit. Je lui ai pris La secrétaire particulière pour éviter à Jean Pliya des maux de tête, dus aux gros commentaires de l’ami marchand.

Novembre 2015, Lomé. Dans un bar, au sens plein du terme, un jeune homme réussit à me vendre Œuvres poétiques de Senghor. Deal facile, il déclama Femme nue, femme noire… avec une étonnante théâtralité.  Le jeune homme me fit penser à bien des choses…

J’ai pensé à la part du théâtral dans le commerce et les négoces. J’ai pensé à Bernard-Marie Koltès, Dans la solitude des champs de coton. Seul compte l’objet de la transaction. La démarche du vendeur consiste à capter le désir de l’acheteur. L’identité de celui-ci passe en second. Il faut donc imaginer par exemple l’embarras de cet auteur togolais : « Une fois, se souvient-il, un libraire ambulant a tenté de me vendre mon propre livre ».

J’ai pensé aussi aux bouquinistes de l’université de Lomé et d’autres places de la ville, qui exposent à même le sol ocre couvert d’un plastique, des livres de tous genres. « Une librairie par terre », selon la formule populaire, où parfois la voix taquine du marchand laisse tomber ces mots : « trois livres pour un seul prix ».

Vendeur des ouvrages en occasion au coin d’une avenue de Kinshasa. Radio Okapi/ Ph. John Bompengo
Vendeur des ouvrages en occasion au coin d’une avenue de Kinshasa. Radio Okapi/ Ph. John Bompengo
La littérature faite par tous 

À quelle échelle ces acteurs presque anonymes participent-ils à l’économie d’un pays? Comment obtiennent-ils les livres qu’ils vendent ? Quelle place occupent-ils réellement dans la chaine du livre ? Il faut rêver que ces questions susciteront intérêt auprès des personnes autorisées. Pour l’heure, on peut se satisfaire que le libraire ambulant est entré dans la fiction littéraire. Une lecture de L’ombre des choses à venir de Kossi Efoui peut nous en convaincre. Son personnage Axis Kémal « tenait une librairie, Le Quai des livres anciens, dont la spécialité n’était pas des livres anciens à proprement parler, du genre qu’affectionnent les amateurs d’imprimerie, de reliure, de parchemins et d’autographes, mais des volumes de deuxième, troisième, douzième main qui constituaient l’essentiel du stock et justifiaient l’enseigne ». (p. 59). Le bouquiniste Kémal sait rester sur place, mais il sait aussi être ambulant et marchand à la criée, une façon pour lui de ramener le livre dans l’alimentation quotidienne des humains. Écoutons le narrateur raconter leur saga :

«J’ai commencé à déserter les cours pour garder la boutique d’Axis Kémal, Le Quai des livres anciens, pendant qu’il partait avec un stock de livres sur une bicyclette aussi récalcitrante qu’un âne et qu’il engueulait à hue et dia. Parfois, je le rejoignais dans une cour d’école où il avait autorisation d’étaler ses livres et de haranguer les élèves comme un vendeur de fruits, pour leur « faire goûter », comme il disait, quand il faisait des lectures à haute voix au micro, debout sur un amplificateur qui servait de tréteaux, invitant les élèves à l’imiter en prenant sa place sur « la plus petite scène du monde ». Les élèves souriaient, applaudissaient, attendaient la fin pour se ruer sur les bandes dessinées. » (pp. 57 – 58).

Il parait que l’un des vœux de Ducasse fut de voir la littérature faite par tous. Le libraire ambulant serait en fait une articulation de ce vœu. L’écrire, la promouvoir, la transmettre fait partie du même « faire »…pourvu qu’on prenne garde à ne pas mêler les enfants au « vendre » !

Anas Atakora

La culture africaine à l’épreuve de la tentation identitaire

Culture-Narcisse, par Le Caravage. XVIème siècle.
Narcisse, par Le Caravage. XVIeme siècle.
Sont suspects ces hommes de culture qui ne savent pas déchausser leurs lunettes pour fondre leur regard dans celui de l'autre afin de le mieux connaitre; sont étranges ces hommes de culture qui s'assignent comme tâche la farouche défense d'un lumignon quand le ciel de l'humanité brille d'une multitude d'étoiles.

La vanité de la sanctuarisation

 

Il est remarquable et inquiétant à la fois que dans les moments de crispation se ravive la volonté de définir les points d’ancrage d’une entité sociale. Si encore cette tentative prenait la forme du débat, peut-être en sortirait-il quelque chose. Mais passionnée, son expression se veut péremptoire et emprunte souvent à l’ignoble. La défense de ces points d’ancrage qu’on fixe sous l’appellation de culture adopte presque toujours l’expression brusque du rejet de ce qui déborde des colonnes de classification, menaçant de leur impureté l’éclat de ladite culture, profanant la pureté des origines aussi sans doute. Le postulat trois fois douteux de la permanence d’une culture, par essence mouvante, fluctuante, s’enrichissant, s’appauvrissant tel le lit d’un fleuve au gré de ses affluents ou des conditions météorologiques, nourrit ce désir d’homogénéité. Sans apports extérieurs qui la dynamisent, heureusement ou non, une culture se dévitalise ainsi qu’une langue peu à peu délaissée finit par mourir.

Il n’est donc, quoiqu’imaginent les partisans d’une identité figée, aucune culture qui puisse se targuer de sa permanence. L’Occident aux racines judéo-chrétiennes, la première. Sa foi chrétienne, sa citoyenneté romaine et ses idéaux culturels hellènes n’ont pas empêché qu’hier Germains, Goths, Lombards, Vandales et Arabes, entre autres, y laissassent un peu d’eux ; qu’aujourd’hui l’individualisme, la subjectivité et la laïcité y sèment les germes d’un ordre nouveau. Toujours les cultures, les civilisations empruntent, adaptent, assimilent. Le projet caressé par une partie de l’élite politique française, érigeant l’identité au rang de projet politique, est symptomatique de cette erreur brandie au peuple avec l’enthousiasme d’une croisade. Comme si ce dernier n’avait vocation qu’à humer le nauséabond.

Passons, car la France comme le reste de l’humanité n’a pas le monopole de la bêtise. Comme ailleurs elle a établi son règne en Afrique. Ce en dépit du ferme sentiment chez certains de son caractère immaculé, rêveurs d’une Afrique en apesanteur, épargnée de l’humaine férocité. Toujours les maux décriés ailleurs leur paraissent des bizarreries dont ils se croient exempts.

Les sociétés étant confrontations d’intérêts divers, parfois antagonistes, que parvient à peine à réguler la norme, un espace de socialisation si lisse relève simplement du mythe. L’Afrique, constate-t-on, est aussi percluse de sottise que les autres. La tentation identitaire quant aux œuvres de l’esprit qu’on constate chez certains Africains, en est avec d’autres la coupable empreinte. Seraient-ils sortis du dernier village du Sahel ou du Bassin du Congo que je ne le relèverais pas, mais il s’agit d’une tendance remarquable chez une partie sa fleur intellectuelle. Volontairement elle chausse des œillères et ne daigne considérer une œuvre que si elle porte l’estampille africaine.

L’autre jour en séjour chez un ami, comme je lui partageai mon désir de visiter le musée Balzac au château de Saché, ce dernier, déçu, s’engagea dans une critique de mon envie saugrenue et de mon intérêt pour l’illustre maitre Français. Comment, peut-on, Africain, éprouver le désir d’aller visiter un musée Balzac alors qu’on pas épuisé l’œuvre des écrivains Africains ? Rien que ça ! Un autre, promoteur passionné des lettres, me surprit lorsqu’au cours d’une discussion il tança sévèrement les penchants occidentalisants de la plume d’un écrivain africain nationaliste. J’entendis dans ses propos un reproche sous-entendu des choix plastiques de l’auteur, un peu trop éloignés, à son gout, d’une certaine esthétique africaine. Caricaturale, dirais-je.

Repli sur soi et culture : deux attitudes antinomiques

Défendre des intérêts nationaux, encourager la production culturelle d’une certaine aire, revendiquer son appartenance obligent-elles à verser dans l’inculture ? Dans la mesure où la culture est ouverture, élan vers l’autre qu’on approche d’abord pour son génie propre et qu’on découvre plus tard si on souhaite. L’inculture c’est l’esprit de clocher, c’est l’entre soi, c’est le sentiment de son propre génie, convenables aux esprits étriqués, enclins à limiter leur regard sur le vaste monde sur ce qui leur est familier. Ce repli sur soi-même, vulgaire crispation simpliste et bigote qui, si l’on fouille bien, réduit l’identité – subjective, mélange des diverses substances d’ici et d’ailleurs assimilées par le sujet -, à une seule appartenance, signe une culture chétive, avilit ce grand idéal.

Elégante, solide et gaillarde la culture souffle sur l’esprit, le nourrit, l’affermit et le rend agile. Elle est à l’esprit ce qu’est au corps l’exercice. Modérant et apprivoisant les affects, elle fait réaliser aux hommes leur ressemblance. Tout le contraire du carcan nombriliste. Par la puissance de leur beauté, la sincérité de leurs accents le Jazz et le Blues explosèrent leurs frontières primitives et séduisirent une partie de l’Amérique ségrégationniste. Qui se souvient du contexte de leur éclosion ? Aujourd’hui ces musiques sont assimilées blanches, mêmes dans l’esprit des Africains.

Amasser les lectures et les références intellectuelles ne cultive que si on se laisse transformer par la sève des lectures, et des arts en général, puissante source de révolte, d’irrévérence et d’élégance. Avoir des prétentions à la culture et n’apprendre jamais à regarder l’homme par-delà les montagnes et les océans, est une imposture ! On dit de l’Allemagne nazie qu’elle était policée, cultivée. Bien non ! Quoiqu’ayant lu tout Schiller, tout Goethe assimilé son romantisme, traquer Arendt, Zweig Mann, Brecht, Heine, était preuve de la barbarie la plus sombre. Et chaque fois qu’on nie la voix de l’autre simplement par idéologie ou par racisme, on se rapproche des autodafés et de l’exclusion.

Relativiser dans la douleur, dialoguer dans la différence

Nécessaire, le besoin de connaitre la culture de son terroir ou d’augmenter ses connaissances quant aux cultures des aires avec lesquelles on revendique une attache ne se fait pas sur le dos des autres cultures, fussent-elles celles d’un pays avec lequel on entretient des rapports difficiles du fait de la politique ou de l’histoire. C’est de culture donc qu’était imprégné l’auteur Africain blâmé par mon ami. Malgré ses griefs, il ne s’était pas débarrassé de la langue française, continuait, malgré sa mise au ban par la France de son temps, de célébrer ses beautés, et d’exprimer son génie par son truchement. Il avait réussi à prendre le recul nécessaire pour que son combat ne le brouillât jamais avec les grands esprits admirés au sein de la nation combattue.

A-t ‘on jamais entendu l’âme révoltée et anticolonialiste de Césaire renier Shakespeare ou Hugo ? L’a-t ’on jamais entendu cracher sur sa culture classique occidentale ? C’est en articulant l’idéal de dignité de cette culture à sa révolte de nègre qu’il nous est devenu ce grand poète, dénonciateur du colonialisme et pourfendeur des roitelets nègres. Allons-nous lui faire un procès en infamie ou en aliénation pour avoir crié sa négritude en français ?

La mémoire douloureuse des africains, légitime, continue de souffrir de la relégation du continent noir aux confins de l’humanité, chosifié, n’ayant « inventé ni la poudre ni la boussole », n’a pas fait sienne l’injonction du poète : « sois calme ma douleur ». Mieux que sombrer dans une valorisation agressive de l’histoire et des cultures africaines, au risque non seulement de graves incohérences et d’un criard manque rigueur, mais aussi de déshumaniser l’Africain, nettoyé des pesanteurs constitutives de l’homme que l’idéal d’humanité rêve de gommer, n’est-il pas préférable que l’Afrique embrase et réchauffe le cœur refroidi de l’humanité gagné par les démons de la discorde par ce rire fraternel et insoumis qui la sauva de la disparition ?

Développement des Comores : il faut (aussi) regarder au-delà des facteurs économiques!

Avec un indice de Développement humain faible, (moins de 0.550)[1],  les Comores sont un des pays africains les plus inégalitaires du continent. En plus des inégalités, c’est un pays qui connait des problèmes dans sa transformation avec une urbanisation galopante avec plus de 60 % des citadins vivant dans des bidonvilles. À cela, il faut ajouter la crise énergétique qui pèse sur la croissance économique, qui n’a pas dépassé 1.1 % en 2015, et un chômage élevé chez les jeunes. Ces problèmes économiques doivent inciter à  repenser l’économie et les politiques de développement du pays pour répondre aux attentes du peuple comorien comme l’a souligné Son Excellence Monsieur Le Président Azali Assoumani lors de son discours d’investiture en mai 2016: «  Je mesure pleinement l’ampleur de vos attentes et plus particulièrement, l’unité, la paix, la sécurité et le décollage économique de notre pays». Mais au-delà des facteurs économiques qui limitent son développement, les Comores font face également à des problèmes sociaux qui ne sont pas sans effets sur les progrès économiques du pays et qui demandent une remise en cause des comoriens. La question est donc de savoir comment les comportements influent-ils sur le  développement socio-économique des Comores ? Cet article traitera de certaines caractéristiques de la société comorienne qui pourrait être un frein au progrès économique et social des Comores.
 

La faculté de choix
Ces dernières décennies, la recherche sur les sciences naturelles et sociales a développé des théories stupéfiantes sur la façon dont les individus pensent et prennent des décisions. Alors que les gens posent toujours comme hypothèse que les décisions sont prises de façon délibérative et autonome, selon des préférences logiques et des intérêts personnels, de récents travaux montrent qu’il n’en est presque jamais ainsi : on pense de façon automatique – au moment de prendre une décision, les individus utilisent généralement ce qui vient naturellement à l’esprit ; on pense de façon sociale – les normes sociales influent en grande partie sur notre comportement et bon nombre de personnes préfèrent coopérer tant que les autres coopèrent ; et on pense par modèles mentaux – ce que les individus perçoivent et la façon dont ils interprètent ce qu’ils perçoivent dépendent de visions du monde et de concepts issus de leurs sociétés et d’histoires communes.

La belle tradition du ‘Anda’ aux Comores

À l’origine, le ‘Anda’ symbolise le Grand Mariage mais c’est devenu un phénomène social qui joue un rôle primordial dans la vie de chaque comorien. Je ne vais pas ici faire un bilan global du mariage et dire qu’il est mauvais ou pas car ce serait ignorer les maintes ramifications, irremplaçables et essentielles dans le déroulement de la vie aux Comores et qui ne relèvent pas du seul domaine économique. Les effets du ‘Anda’ tels que la gestion du quotidien, la structuration villageoise, le maintien d’une cohésion sociale et l’établissement de systèmes de gouvernance à l’échelle locale et régionale, nous permettent de voir à quel point ce phénomène est ancré en chacun de nous depuis notre naissance. Notre conduite et notre prise de décisions est programmée tel une machine dès notre jeunesse à suivre et respecter tout cela au risque d’être traité de non désirable, d’être banni de la société ou même au sein de nos propres maisons. La majorité des comoriens en sait quelque chose et beaucoup d’intellectuels y ont laissé leurs marques mais le plus important  concernant  le ‘Anda’ est que nous devons trouver le moyen d’allier coutume et modernité et faire en sorte que cette coutume se modernise de façon à répondre aux impératifs de développement du pays.


L’islam est-il un frein pour le développement ?

La religion joue un rôle fondamental en tant que déterminant du développement économique d’une région donnée et dispose d’un impact considérable sur la formation et l’évolution du corpus juridique et institutionnel d’une société, qui est lui-même un déterminant majeur et reconnu de longue date du développement économique. Dans les pays musulmans, l’influence de l’islam est si envahissante qu’elle empêche de nombreux États comme les Comores de s’interroger sur les vraies raisons de leur retard. Toutes les réponses apportées sont religieuses… Si les choses vont mal, nous sommes punis par Dieu pour avoir abandonné le droit chemin comme on a tendance à le souligner quand on est confronté à la mort : « c’est la volonté de Dieu ! » et on met de côté toutes les causes médicales, etc. Toutefois , comme on peut le constater dans plusieurs pays musulmans comme les Émirats Arabes Unis, le Qatar, l’Arabie Saoudite et autres qui sont très avancés qu’aucune religion ne puisse être «  par essence » défavorable au développement économique, puisque l’effet de ses dogmes est contingent aux conditions économiques, sociales et historiques du moment. Dans le cas des Comores où la pratique des lois islamiques que ce soit dans le collectif ou l’individualisme laisse à désirer. Surtout avec la nouvelle génération de «  musulman non pratiquant » qui semble croire qu'il suffit pour être musulman, de le déclarer avec la bouche et cela, même si on n'applique rien des obligations de l'Islam. Tous cela pour dire qu’aux Comores, on a plus nos repères dans la religion mais on tâtonne, nous devons soit nous déclaré pays laïc ou être de vrais musulmans pour le bien de notre développement.


La jeunesse comorienne est-elle une bombe à retardement ?
De nos jours, les jeunes comoriens, s’engagent en politique, et dans beaucoup d’autres secteurs. Ces nouveaux militants ont comme objectif de faire bouger les choses dans notre pays. Défendre les intérêts de la jeunesse paraît être leurs préoccupations majeures. Ils se lèvent ainsi pour revendiquer leurs droits à des conditions de meilleures conditions de vie. Ces jeunes comoriens longtemps défavorisés, veulent à travers leur engagement, avoir la liberté de choisir leur mode de vie. Et s'il n’y avait pas à choisir et que nous étions réduit à un seul mode de vie : la pauvreté ? Devraient-ils abandonner et continuer à critiquer les dirigeants sans bouger le petit doigt ou brandir le drapeau national et construire leurs vies par leurs propres mains ?

Plusieurs études montrent de façon concrète comment ces théories s’appliquent aux politiques de développement. Une meilleure compréhension et une vision plus subtile du comportement humain peut générer de nouveaux outils d’intervention et aider à atteindre des objectifs de développement a beaucoup d’égards – développement du jeune enfant, situation financière des ménages, productivité, santé et autres. En apportant même de légers ajustements au contexte décisionnel, en préparant les interventions sur la base d’une compréhension des préférences sociales et en exposant les individus à de nouvelles expériences et de nouveaux modes de pensée, on peut créer de meilleures conditions de vie.
Cependant n’y a-t-il pas un danger à essayer de changer les normes culturelles et religieuses d’une communauté par un «  big push » visant à modifier rapidement l’équilibre culturel d’une population, et donc ses normes coopératives ? Comme dit l’adage, qui va doucement, va surement. Il y a beaucoup à faire pour ce beau paradis et jeune pays que sont les Comores pour notre développement socio-économique et cela ne dépend que de notre mode de vie individuel et collectif  à nous tous peuple comorien car c’est uniquement ensemble qu’on mènera le bateau à bon port.

 


[1] African Economic Outlook 2016

La lente évolution de l’édition numérique africaine – volet 1

Quid de l'édition numérique en Afrique ? Une étude a été réalisée sur la période du 15 mai 2015 au 15 octobre 2015 dans le cadre d’une thèse professionnelle en marketing digital portant sur les leviers de promotion pour une plateforme de livres numériques. Elle porte essentiellement sur les maisons d’édition localisées en Afrique francophone ou spécialisées sur le monde africain. A partir des plateformes Afrilivres et Francographies, une soixantaine d’éditeurs référencés ont été identifiés, accessibles par les moyens du numérique. 20 maisons d’éditions ont bien voulu répondre à nos questions, soit 34% des sites identifiés. Avant d’éplucher les données recueillies, nous avons tenu à réaliser une photographie de la présence de ces acteurs du livre sur le web francophone.
 

Chiffres clés et Infographie 


Numérisation de l'édition africaine : infographie

Il est important de noter le caractère jeune des maisons d’édition dédiées aux lettres africaine L’historique éditeur Présence Africaine a été créé en 1947. Le chiffre de 66 éditeurs représente le nombre d’acteurs de l’édition répertorié dans le cadre de cette enquête. Nous avons tenu à traduire le niveau d’expérience respective.

Le catalogue moyen de ces maisons d’édition contient 237 livres en tout genre. En phase de développement, l’éditeur Athéna Diff (Sénégal) récemment créé en 2014 comprend une douzaine d’ouvrages (chiffres recueillis sur la période de l’étude) tandis que la maison d’édition Chihab (Algérie) compte le catalogue le plus fourni de nos interlocuteurs.

Chiffres : ventes annuelles

Ces chiffres sont très fluctuants d’une maison d’édition à une autre. De plus, ils sont augmentés pour certains éditeurs qui comprennent dans leur catalogue des manuels scolaires (à l'instar des éditions Chihab, en Algérie ou Eburnie Editions en Côte d’Ivoire). Il est essentiel de souligner que le modèle économique des plus grandes maisons d’édition localisées en Afrique et qui se sont exprimées dans le cadre de cette enquête, repose sur le marché du manuel scolaire et des ouvrages scientifiques et/ou universitaires. La littérature générale n’est réellement bankable que lorsqu’un roman rentre dans le programme d’enseignement général ou technique de l’éducation nationale d’un pays. Pour peu qu’il ne soit pas aux prises avec le piratage et le photocopillage de masse. Donc les chiffres ci-dessus sont plutôt encourageants dans leur globalité.

Nous sommes en présence des chiffres de l’année 2014 en termes de publications par maison d’édition, soit 22 publications en moyenne. Certaines données relatives à la publication peuvent paraître importantes. C’est le cas pour les Nouvelles Editions Numériques Africaines (NENA) qui font un travail de numérisation constant et acharné (155 publications en  2015). Les données de publications annuelles sont logiquement importantes pour cet acteur singulier du livre en Afrique. De manière générale, il faut compter en moyenne une vingtaine de publications annuelles par maison d’édition. 

Ligne éditoriale

35% des éditeurs choisissent de s’enfermer dans des silos nationaux comme l’éditeur comorien Cœlacanthe basé en région parisienne. Il y a donc pour ce type d’éditeur la volonté de ne promouvoir que des auteurs venant des îles Comores, choix respectable. La réticence pour les solutions numériques est donc naturelle pour ce profil d’acteurs du livre. Il existe même des cas d’éditeurs centrés sur une littérature régionaliste. En considérant que pour beaucoup d’éditeurs locaux, un lien étroit existe avec l’éducation nationale et le besoin d’avoir des ouvrages pédagogiques produits localement ou répondant à des besoins spécifiques. La stratégie de ces éditeurs nationaux ne se soucie pas de la nécessité d’élargir le cercle du lectorat. Toute solution technique poussant le développement d’un réseau n’est d’aucun intérêt dans ce cas de figure.

Malgré les résistances que les plateformes de numérisation constatent dans leur travail de démarchage et d’engagement des éditeurs locaux sur le continent ou pour les éditions africaines en Europe, il est important de réaliser que 60% des éditeurs sont favorables à la numérisation de leurs fonds éditoriaux. Mais il est essentiel d’entendre les points d’inquiétude que mentionnent les autorités publiques, les éditeurs ou les écrivains quand ils sont questionnés.


 La transparence autour des données commerciales

 
1. Le point de vue des éditeurs 
Les retours des éditeurs qui tentent de s’essayer au numérique sont très intéressants. Par exemple, un éditeur explique lors du salon du livre de Genève (avril 2016) ses déboires avec Amazon. Cette plateforme propose un processus de numérisation assez rapide et automatisé. Mais quand l’éditeur progresse dans sa relation avec Amazon, le constat d’une impossibilité d’avoir un suivi détaillé des ventes sur les échantillons numérisés par le géant américain du numérique. Cela peut paraître étonnant, mais cela dénote pour cet opérateur d'un manque d’accompagnement des petits éditeurs censés enrichir la longue traîne par un contenu diversifié. Ce questionnement, cette inquiétude est aussi le fait de certaines autorités dans le domaine du livre comme Ibrahima Lo (directeur du livre et de la lecture au Sénégal) qui exprime une réserve sur une numérisation non contrôlée. Une volonté de contrôle légitime pour ce représentant de l’état sénégalais dans le conseil d’administration des Nouvelles Editions Africaines du Sénégal, éditeur historique de grands classiques de la littérature africaine comme Une si longue lettre et Un chant écarlate de Mariama Ba, La collégienne de Marouba Fall, Le revenant d’Aminata Sow Fall…

2. Le point de vue des auteurs 
En questionnant quelques auteurs, il est surprenant d’entendre le peu d’intérêt, l’attention distraite qu’ils prêtent à la question du livre numérique et de leur droit lié à la propriété numérique. Certains ne font d’ailleurs pas attention en signant leur contrat d’édition aux clauses relatives au volet numérique de leur droit d’auteurs. Ce qui peut donner des pourcentages de rémunération de l’œuvre étonnamment bas (i.e le cas d’un auteur rémunéré à 2% sur le prix d’achat de son livre). Ces pratiques qui peuvent relever de l’escroquerie donnent le sentiment aux écrivains que ce qui se vend bien et mieux, au final, c’est le livre papier. A un point tel que de nombreux écrivains vivants et édités dans de grandes maisons d’éditions européennes ne semblent pas se soucier de la présence de leur œuvre au format numérique. Il semble donc y avoir de la part des auteurs une méconnaissance ou un désintérêt pour le sujet. Le rapport au livre papier, ouvrage matériel, y forcément pour quelque chose. Mais, dans le cadre de la rencontre d'un public, est-il logique pour des acteurs qui produisent des œuvres dans un environnement où la chaîne du livre n'a jamais fonctionné de n'avoir qu'une corde à son arc. Si on doit rajouter la question des ayants droit sur certaines œuvres appartenant au pantheon des lettres africaines, ayants droit qui parfois peinent sinon s'opposent à toute forme de numérisation de quelques grands auteurs, nous nous retrouvons face un contenu du catalogue numérique des littératures africaines peu fourni pour ne pas dire pauvre et rebutant pour les primo e-lecteurs.

 

 

Catalogue de l'édition numérique africaine 


Catalogue de l'édition numérique africaine

Sur le niveau de numérisation des fonds éditoriaux, les chiffres sont assez révélateurs d’une forme de réserve des éditeurs. En abscisse, nous avons le pourcentage de numérisation de fonds éditoriaux et en ordonnées, les valeurs proposées nous permettent de nous représenter le nombre d’éditeurs par niveau de numérisation. Plus de la moitié des éditeurs locaux africains n’ont pas procédé à une numérisation de leurs fonds éditoriaux. Nous passons à 71% de ces éditeurs si nous étendons notre regard à ceux dont 5% du catalogue est numérisé. A noter que l’intégralité du catalogue des Nouvelles Editions Numériques Africaines est numérisée. Néanmoins, cette étude souligne tout de même que 60% des éditeurs interrogés dans cette enquête estiment que le numérisation des œuvres est une opportunité pour la chaîne du livre en Afrique.

Nous aborderons dans un prochain article les axes de résistance à la numérisation relevés par les éditeurs.

Laréus Gangoueus

Cet article est extrait de la thèse professionnelle de Réassi Ouabonzi, sur le thème "Quels leviers du marketing digital pour la promotion d'une plateforme de livres numériques en Afrique" – MBA Marketing et Commerce sur Internet – Institut Léonard de Vinci, Paris la Défense
Les chiffres ci-dessus cités ont été obtenus à partir d'une enquête réalisée auprès de 23 éditeurs basés sur le continent Africain ou étant spécialisés sur les littératures africaines.
Voir l'infographie reprenant tous les chiffres ci-dessus et complétée par d'autres pointsest consultable en ligne en cliquant ici

 

Conflits sociopolitiques et crises électorales en Afrique subsaharienne francophone

LCrises électorales’inscription des pays africains francophones dans un processus de consolidation démocratique témoigne des importants progrès accomplis ces dernières années sur cette voie. Cependant, comme l’illustre la récurrence des crises électorales, l’expérience demeure encore fragile. En effet, l’exacerbation des conflits sociopolitiques antérieurs aux élections lors de leur déroulement, conduit parfois à des irrégularités électorales ou des fraudes électorales. L’intensification des conflits sociopolitiques lors des élections présidentielles est donc l’une des principales causes des crises électorales dans certains pays d’Afrique subsaharienne francophone. La prévention des crises électorales, et surtout l’enracinement de la démocratie électorale, doivent, par conséquent, et en dépit de ces conflits sociopolitiques, s’appuyer sur une véritable culture démocratique parfois défaillante.  Lisez l’intégralité de ce Policy Brief.

Réenchanter l’Afrique : le défi de la pensée et de la foi

worship-435108_640Par la quantité de sa production intellectuelle, ses nombreuses universités, sa féconde littérature, l’Afrique prive de moyens sérieux ceux qui brulent d’intenter contre elle le procès de la faiblesse de sa pensée que l’écart en ce domaine entre elle et l’Occident ne permet pas de déduire. Quant à la foi, contrairement à l’Occident où elle est en constant déclin, la religion y est avec l’Amérique latine des plus dynamiques. Dans leurs zones d’implantation les deux grands monothéismes, le christianisme et l’Islam, revendiquent des fidèles nombreux et enthousiastes. Pourtant il n’y a pas là de quoi jubiler. Sa foi vivante et sa pensée trépidante n’ont pas réussi, comme jadis avec l’Occident, à faire de l’Afrique une terre d’ascèse. Les choses de l’esprit, la spiritualité et la culture peinent à mettre l’homme face à lui-même et à l’orienter vers sa vocation véritable. Pour une fois les politiques sur qui l’on fait peser – à bon droit – la dérive de l’Afrique, ne sont pas en cause, mais les intellectuels et les hommes d’église, ayant renoncé à l’effort de réflexion et de méditation, sans quoi il est impossible, du moins difficile, qu’advienne ce regard lucide sur son expérience et la correction de ce qui est de travers.

 

La fine fleur des diplômés du supérieur, n’ayant en général de leurs grades qu’une conception utilitariste, en ce qu’ils les propulsent aux sommets de l’ordre social, ont réussi le rare exploit de sortir de leur formations aussi frustes qu’ils y étaient entrés, faisant mentir l’ouverture à l’universel et à l’homme qu’est l’université. Fréquenter les grandes œuvres, des sculptures de Phidias aux poèmes de Senghor, ça donne autre chose que des lettrés épais, grands dieux ! Pour s’être formés dans le seul but d’augmenter leur science, d’échapper à leurs bidonvilles, de devenir des cadres, peu ont été humanisés, pénétrés de la puissance subversive du logos, du beau, du vrai et du juste.

Or la culture est bien plus que la simple érudition.

« Elle participe, dit Jean Pelotte, à la connaissance universelle, à la recherche de la vérité de l’homme engagé dans le monde des hommes. L’homme qui partage la vie d’une communauté particulière, mais aussi de la communauté universelle, cherche à exprimer les sentiments qui montent du plus profond de lui dans sa vérité. »[1]

Et c’est de la rareté de ce genre d’hommes dont pâtit l’Afrique. Victorieux dans la conquête du savoir, trop d’Africains ont envisagé ce dernier, non pas comme moyen de connaissance de soi et de transformation du monde par leur souci constant de justice et de vérité, mais uniquement comme moyen d’ascension sociale et de se constituer de colossales rentes sur l’Etat pillé sans vergogne.

 

La religion, tournée vers le sacré et le culte des divinités, organise les dévotions, inculque à travers ses enseignements à détourner le regard de la mesquinerie humaine, à se libérer des pesanteurs de la chair pour gravir la pente escarpée qui mène au bien, c’est-à-dire l’existence selon les exigences de la divinité. Anticonformiste, résolument moderne et révolutionnaire, le message du Christ, par exemple, est une invitation à transformer le monde en se renouvelant de l’intérieur par la pratique de l’amour. Intransigeant dans ses visées, il n’hésite pas à rompre avec les traditions, dénonce avec fermeté l’égoïsme et l’hypocrisie de l’homme, mais, ne le jugeant pas cependant, le hisse toujours vers plus de justice et de charité. Hélas, la fermeté, l’humilité et la compassion du Christ semblent ne plus avoir d’échos dans l’Afrique chrétienne. Ceux qui prétendent conduire à Dieu foulent aux pieds ses commandements, font un vil commerce de son nom, le peignant en un dieu vulgaire et facétieux qui monnaie ses grâces.

Il semble donc qu’en Afrique, culture et religion, censés libérer de la tyrannie des instincts et des désirs, soient les meilleurs moyens pour s’y vautrer, quand elles devraient les dénoncer avec la dernière énergie. Comment expliquer autrement le grand nombre d’intellectuels et d’hommes d’église versés dans de honteuses pratiques dont rougissent même les incultes et les païens ? En proie aux ravages du matérialisme le plus abjecte, maîtres caboteurs, voguant de maroquins en maroquins, attirés par les dorures, peu enclins à la tempérence.

Culture et foi, si elles ont parfois tendance à s’exclure, se retrouvent en ce qu’elles ne révèlent leur puissance qu’à ceux qui se laissent féconder par leur sève; se refusent à ceux qui n'en revêtent que la forme. Si croître en humanité n’est pas le bénéfice que retire toute personne attirée par la prière, les arts, la réflexion et la méditation, à quoi bon s’encombrer de ces choses si ce n’est pas pour en tirer le meilleur ?

"Que nous sert-il, demandait Montaigne, d'avoir la panse pleine de viande si elle ne se digère? si elle ne se transforme en nous? si elle ne nous augmente et nous fortifie?".

 

Pour que culture et spiritualité, parce qu’elles révèlent à l’homme le meilleur de lui-même et civilisent ses relations avec l’autre, contribuent à façonner une Afrique moins barbare, il faudrait qu’émergent une race d’hommes et de femmes qui ne soient plus ces cagots qui, pour faire valoir leur piété ou leur savoir, sombrent dans une ostentation ridicule, que chez les clercs, laïcs et ecclésiastiques, l’hypocrisie de l’apparence soit remplacée par l’adhésion sincère à leurs finalités véritables. Ce continent qui souffre d’une éclipse du bon sens a, en effet, grand besoin d’ouvriers de l’esprit. Pénétrés et transformés par leur foi et leur culture, leur rayonnement sera une source d’inspiration, témoignage de spiritualité, de vérité et de justice.

 

Le déferlement d’hommes de pensée et de foi, poursuivant leurs idéaux, lucides quant à la distance qui en sépare leur société, jamais certain de toucher au but, mais qui redoublent continuellement l’ardeur de leur marche, race de saints et de héros qui a produit un Mandela, pourra remettre un peu d’ordre et raviver les valeurs de l’esprit, véritables remparts contre les antivaleurs, la barbarie et la tyrannie qui minent l’Afrique. Mandela, alliance d’une grande culture et d’une profonde spiritualité avait cette hauteur de vue rare que confère l’amour du bien et des hommes. Il flottait sur lui un tel parfum de grandeur qu’on en oubliait les faiblesses.

Philippe Ngalla-Ngoïe

Photos – Crédit Valeria Rodrigues  (Foi et église) et Arthimedes (Photo à la une)


[1] http://www.catholique-dijon.cef.fr/content/pdf/ECO-fevrier-2011.pdf

 

 

 

 

Cultures chamarrées d’Afrique, le défi de la citoyenneté

Afrique_cultureLa notion de citoyen, aujourd’hui sujette à une inflation de sens, désigne dans son acception première le sujet d’un Etat. il y jouit de droits et s’acquitte d’obligations. Si à l’origine, dans la Grèce antique, cette notion désignait une catégorie limitée d’habitants d’une cité, – en étaient exclus, les étrangers, les femmes, les enfants, les esclaves -, elle s’élargit avec les Romains : l’édit de Caracalla (212 apr. J.-C.) octroie la citoyenneté romaine, à tous les hommes libres de son immense empire. Après une longue période de sommeil elle ressurgit au XVIII e siècle avec les révolutions anglaise, américaine et française, pour prendre progressivement le sens que nous lui connaissons aujourd’hui avec la naissance des nationalismes, au XIX e siècle.

Seulement, limitée à son acception juridico-politique, la notion de citoyenneté serait incomplète ; car le sujet de droit, le citoyen, est d’abord un homme (anthropos, muntu), il est donc le produit d’une société, d’une culture. Et toute société en tant que telle s’organise autour d’us, de rites, de valeurs, et de croyances, qui l’élèvent non seulement au-dessus du biologique, mais la singularisent, est une entité culturelle à part entière. Ne pas tenir compte de ce cadre particulier d’humanisation, serait faire du citoyen une simple abstraction juridique car ignorant les procédés d’organisation sociale qui le structurent en tant que personne. Ce serait oublier que le droit, corpus de règles coercitives que se donne un Etat pour réguler les rapports entre ses membres, se superpose à la singularité des différentes communautés culturelles, mais ne l’efface pas complètement ; et encore jamais que dans le long terme.

Parce que la culture, telle que nous venons de l’entendre, constitue le socle de son identité, l’homme lui voue un attachement irrationnel. La conséquence pour les Etats multiculturels en est un repli identitaire incompatible avec la citoyenneté qui se caractérise par l’intériorisation et la manifestation des valeurs de cohésion, d’unité nationale, de recherche de l’intérêt général (défense et sauvegarde du bien public par tous) .En effet, lorsque les différentes entités culturelles ou ethnies composant un Etat n’ont pas subi un processus historique long les fondant dans un même creuset de sorte qu’on peut alors parler de nation, le sentiment d’appartenance à la communauté nationale, est vague, voire inexistant. Solidement amarrés à leurs marqueurs identitaires, les ethnies, attachées à leur terroirs et particularismes, menacent sans cesse de déchirer le tissu national. La communauté linguistique et culturelle l'emportant en légitimité sur l'Etat en tant que mosaïque de peuples, c’est d’abord à cette dernière qu’ils doivent attachement et loyauté, de sorte qu’on est d'abord de telle ethnie, la notion de nationalité comme valeur n’étant intériosée que superficiellement. C’est la configuration des Etats Africains hérités de la colonisation: assemblages d’ethnies bigarrées qui ont entre elles des rapports de méfiance. Impossible donc qu’advienne le citoyen sans le sentiment d’appartenance par lequel la nation prime sur le terroir.

Cependant, parce que l’homme a besoin d’enracinement, ériger une république de citoyens ne peut se passer des différences culturelles. Ces dernières sont donc à articuler avec les valeurs citoyennes et républicaines de sorte que peu à peu elles l’emportent sur le repli identitaire. Seulement, une telle articulation ne peut réussir qu’à la condition que les différentes ethnies d’un Etat sachent se considérer par-delà leurs différences, simples contingences ; qu’elles apprennent à considérer les autres selon ce qu’ils ont nécessairement en commun : leur humanité : homme comme soi-même ; l’autre partageant l’intégralité de ma condition, le bon comme le mauvais. Or, rien n’égale le polissage de la culture, entendue cette fois comme l’ensemble des œuvres ayant le beau pour vocation, pour rappeler aux hommes l’universalité de leur condition ; aussi semble-t’elle la mieux qualifiée pour rassembler les sujets d’un Etat donné sous la bannière de la citoyenneté.

La réflexion sur soi-même et l’homme en général que la culture aiguise est l’exercice indispensable à l’esprit citoyen selon lequel le sujet de droit agit par adhésion et responsabilité. Prenant conscience de son individualité grâce à elle, le sujet est capable de mettre à distance les idéologies grégaires et groupales, d’y réfléchir, de les nuancer ou de s’en soustraire lorsqu’elles sont contraires à ses enseignements: la conscience de valeur intérieure supérieure de tout homme, l’égalité de tout homme par-delà les contingences raciales, ethniques, sociales ; les invariants anthropologiques. Parce qu’elle aspire au beau, et parce que le beau conduit au bien véritable (Platon, Le banquet, Hippias majeur), la culture affine et anoblit ceux qu’elle pénètre et féconde ; elle élève au-dessus des passions non pas pour les supprimer, mais pour les contrôler. Mixte de sensibilité et de raison, elle favorise l’éclosion de sentiments élevés, débarbarise et aide à relativiser les éléments de sa propre culture et leur préférer des aspects d’autres cultures. Une ouverture, la culture !

Autre bénéfice de la culture quant à la concrétisation de l’idéal citoyen : la conscience de l’unité de la condition humaine. Par l’ouverture à l’autre qu’elle favorise, la littérature et les arts permettent de sonder les tréfonds de l’âme humaine que les mêmes ressorts font vibrer fût-on des Amériques, du Botswana ou du Japon. Les différentes cultures à travers leur production esthétique nous montrent des haines implacables, de belles amitiés, des bassesses et des magnanimités aisément transposables tant dans leurs ressorts que dans leurs conséquences dans d’autres cultures. La Grèce classique (Ve siècle av JC) l’avait compris qui s’attela à produire des œuvres qui soient toujours le reflet de cette universalité. Leurs réalisations artistiques (littérature, architecture, sculpture) ont ce parfum d’éternité qui depuis ne cesse de nous émouvoir. Qui ne regarde pas avec admiration les restes du Forum Romain ou ceux de l’Acropole ? Quelle noblesse chez Ulysse dans l’Ajax de Sophocle ; comment ne pas s’émouvoir, même Nègre, de la tragédie d’Antigone ? Plus près de nous, dans Lettre d’un Pygmée à un Bantou (Dominique Ngoïe-Ngalla), le pygmée Aka de Pygmidie, ayant vu le monde, pétri de culture, rentré chez lui « plein d’usage et de raison » rappelle dans lettre plein de lyrisme et de dérision que tous les hommes malgré les différences , le mépris et les haines, sont frères en humanité.

Cependant, occupation luxueuse, car exigeant un temps dont ne dispose pas la plupart des hommes préoccupés par leur survie, la culture, si elle ne peut pas être le loisir de tous, devrait être le souci des élites. Car qui veut conduire les hommes doit en connaitre l’essence, « doit s’élever aux hautes sphères, parmi ceux qui par leur formation et leur culture, dirigent les destinées de leur époque »1. Tel est le souhait que nous formulons pour les élites africaines. Tant qu’elle ne sera pas cultivée dans le sens où nous l’entendons dans ce texte, l’avènement de la citoyenneté demeurera terriblement problématique.

Philippe Ngalla-Ngoïe

1 Stéphane Zweig, Montaigne, PUF, pp43-44.

Copyright – Photo L'homme africain / Darmvlinder

 

Paul Sika : Portrait d’un photo maker

511px-Paul_Sika_portraitPaul Sika est un diamant. Vous songez à arrêter votre lecture, cet article serait trop flatteur ? Détrompez-vous. L’artiste a plusieurs facettes, l’une facétieuse, l’autre spirituelle. A la fin de notre entretien, je suis rentrée songeuse. Une ambivalence qui intrigue…

D’une initiation impromptue à une quête absolue

L’ambiguïté apparaît d’emblée dans son parcours : en pleines études d’informatique à Londres, le jeune étudiant a une révélation.  Sa vocation est scellée devant la bande-annonce de Matrix 2, en devanture d’un magasin d’électroménager. Désinvolte, Paul ajoute qu’il s’agissait d’une « chaine inconsciente ». Biberonné aux mangas et aux jeux vidéo, son étincelle de l’art jaillit d’un blockbuster américain… Le déclic le pousse alors à investir dans un bel appareil photo professionnel, quoi qu’en disent les jaloux, et à mettre en boite tout et n’importe quoi. Le choix de la photo et non de la vidéo, a priori curieux, se justifie patiemment : le temps statique du médium intermédiaire de la photo offrirait un meilleur entrainement, collant à sa personnalité méticuleuse. Finalement, entrainement et bien plus avec affinités, Paul y est resté. Lui qui se revendique du « photo making », il nous offre des œuvres où la technique cinématographique semble transposée sur le papier glacé. Autodidacte, il poursuit son apprentissage par une cinéphilie boulimique, notant des détails sur un petit carnet dans les salles obscures. Il s’intéresse brièvement à la photo de mode, avant de la trouver ennuyeuse. Progressivement, son cheminement de petit Poucet se double d’une jolie vision. L’artiste apprenti construit alors sa théorie, expliquant son parcours et sa recherche. Un idéal de beauté, s’épanouissant dans l’art, les mathématiques ou le sport – chaque pot a son couvercle – serait enfoui dans chacun de nous. Il importe de se mettre en route pour découvrir ce « joyau ».  Le mot est jeté, « transcendance » ; ne vous effrayez pas, « chacun son truc », mais il s’agit de percer. Le peintre-photographe nous parle de Drogba, lui qui ne le connaissait pas jusqu’à peu. Le footballeur a trouvé son joyau, parvenant à ce niveau de beauté, et a transcendé ce qui semblait inaccessible au profane. Platon des temps modernes en quête d’un éblouissant Graal et amoureux de Bob l’éponge. Tout en contrastes. 

Le réel pris entre histoires et matière

At the Heart of Me - Paul SikaL’ambivalence demeure dans la conception de l’art pour Paul Sika. Il se décrit comme une éponge, absorbant le réel avec appétit. La matière est saisie à plein objectif, les objets bruissent et grouillent dans un éclat de couleurs assourdissant. Ces aplats s’épurent par le lien tendu par l’artiste : la photo n’est qu’un médium visuel pour « ce qui doit être beau ». Paul Sika délaisse la politique et les bavardages pour convoquer « l’imaginaire pur », il se veut conteur.  « Je raconte une histoire, une saga » : le flash des images, leur mélange, forment un puzzle qu’il est libre à chacun de recevoir. Toucher d’abord, et puis, éventuellement, signifier.  Paul orchestre un processus où la découverte prime sur la créativité, où la quête revient au galop, même pour le spectateur. Au milieu de ce questionnement éthéré, des pincées enfantines sont saupoudrées. L’artiste rêve à la mention des BD et des mangas de son enfance ; son monde est tissé par ses fils animés, qu’il identifie comme un univers de « vrais artistes », loin des galeries glacées de Londres ou Paris. Attention, l’homme est geek mais esthète. Un jeu vidéo, s’il n’est pas « joli », est renvoyé aux oubliettes. La gaieté est aussi un critère clef : Bob l’éponge rafle la mise : le personnage jaune égaye les gens, il ferait « davantage pour l’humanité » que d’absconses œuvres d’art contemporain. Toucher les gens, le fin mot de l’histoire. 

Enfance et pragmatisme : « la cool attitude »

Et puis, ou surtout, Paul est cool. Avec son air intello et un sourire rigolo, il nous invite à « kiffer la vie ». Etre connu n’a aucun sens sinon d’avoir ses œuvres vues, qu’elles appartiennent aux autres et qu’elles soient aussi « cool pour eux ». 

Cette désinvolture va de pair avec son attrait pour l’enfance. Elle se lit dans son admiration pour le monde de Mickey et Minnie : pour Paul,  Disney est un « super grand artiste », créateur d’émotions et capable de guérir les plaies enfouies. Si l’enfance est un état « où tout est cool et possible », Paul nous invite à ne pas avoir peur de son imagination, à la nourrir et à ne pas s’arrêter de chercher à retrouver ce que l’on a délaissé en grandissant. 

La tête dans la lune ? Pas tout à fait. A nos questions sur l’industrie de l’art en Afrique, l’artiste est sceptique.  Contrairement à certains de ses confrères, il ne rejette pas cette pragmatique expression. Pour Paul, l’art est à un état embryonnaire en Afrique, surtout en raison d’un manque d’accessibilité : les canaux de distribution sont à développer et les propositions sont à adapter à la réalité africaine. En particulier, la vision des galeristes serait à remodeler sur le terreau local, et à la déraciner d’une éducation ou d’une projection européenne qui sonne faux ici.  Le partage doit primer, pour que les gens puissent s’approprier l’art, qui reste malheureusement trop perçu comme n’étant « pas pour eux ». A la question méta-conceptuelle « Art en Afrique ou art africain ? », Paul nous balance un sourire malicieux et nous envoie nous référer à notre joyau… 

Les pieds sur terre, Paul les a indéniablement. Sa vision enfantine est comme contrebalancée par un pragmatisme lucide sur le marché de l’art. Il emploie des termes encore une fois souvent dénigrés par beaucoup d’autres. Paul souligne la nécessité de comprendre le métier, notamment pour pouvoir distribuer, partie majeure de son business. Il nous dit s’intéresser de près à la partie administrative de sa carrière, justifiant qu’il faut comprendre son business pour en faire partie. A ce titre, il fait partie d’un projet de formation et d’accompagnement aux jeunes entrepreneurs ivoiriens et est engagé dans les initiatives entrepreneuriales locales. Ne pas se disperser est sa hantise, il n’aime pas trop la casquette de vendeur mais endosse celle du communicant avec plaisir et volonté. Sa bipolarité nous impressionne : entre créativité et gestion, l’artiste dirige son affaire en maitre. Tellement qu’il en paraitrait surdoué, comme l’y enjoint un autre artiste et ami ivoirien, Jean-Etienne Yangzi : « L’Afrique nous demande d’être des surdoués aujourd’hui ». 

En guise de mot de la fin, Paul Sika nous glisse de foncer, « d’impacter l’humanité ». Rien que ça…

Pauline Deschryver et Stephane Madou

Nous vous invitons à découvrir le travail de Paul Sika sur son site internet.