Les défis de la circulation des idées et des textes en RDC

L'année 2010 a permis de célébrer le cinquantenaire des indépendances de l'Afrique et a été l'occasion d'une série de manifestations lors desquelles plusieurs personnes ont été amenées à interroger cette supposée indépendance, qui cacherait de nouvelles formes de dépendance. Une dépendance légitime puisque c’est dans le cadre du Centre Wallonie-Bruxelles que s’est déroulé courant mars, les rencontres Congophonies Cha-Cha, traitant de la République Démocratique du Congo d’aujourd’hui au travers du regard des artistes, cinéastes, écrivains, dramaturges, musiciens congolais ou étrangers. Il s’avère que par un concours de circonstance, l’occasion m’avait été offerte de pouvoir visionner le coffret de films de Thierry Michel consacré à la R.D.C qui a eu lors de ces rencontres l’opportunité de s’exprimer sur son travail.

C’est gonflé de toutes ces images, de mes lectures de Jean Bofane ou de Marie-Louise Mumbu, abreuvé par les chroniques des blogueurs de Congoblog ou d’Alex Engwete que je me suis rendu à la rencontre intitulé « de la circulation des oeuvres et des idées en RDC d'aujourd'hui». Avec l’ambition secrète de pouvoir rencontrer les écrivains Nasser Mwanza et In Koli Jean Bofane, mais également la volonté de comprendre la place de la littérature dans cette mécanique. Je dois dire que cette rencontre a été particulièrement édifiante et déroutante. On est partagé par une forme d’émerveillement et d’un profond abattement au sortir d’une telle soirée. Parce que les repères sont complètement autres. La vision du monde est en rupture avec la vision occidentale dans laquelle nous baignons. Sur la consommation par exemple.

de gauche à droite Julien Kilanga Musindé, Jean Bofane, Nasser Mwanza, Colette Braeckmann

Marie Soleil Frère par exemple a introduit les débats sur la diffusion de la presse écrite en RDC. Tout relève de l’acrobatie à ce niveau. La consommation classique, cartésienne, individuelle de la presse n’a pas lieu de citer à Kinshasa. Trop chère. Elle est contournée par des subterfuges comme les « parlements debout » (où les badauds se postent devant les étals des vendeurs pour leur lecture rapide de l’actu), les photocopies de journaux, la location de journal, les lectures multiples. L’usage d’un journal est avant tout collectif. Les revues de presse sur les ondes hertziennes parachèvent le travail de sape de la diffusion lucrative des journaux. A cela vient se greffer l’impossibilité de diffuser les journaux de la capitale vers l’intérieur du pays vu l’absence de solvabilité des intermédiaires. La chercheuse note toutefois l’impact positif de la presse sur Internet à l’intention principalement de la diaspora congolaise.

Se pose cependant la question sur la pratique même du journalisme en RDC. En particulier celle de la crédibilité et de l’indépendance de certains journalistes congolais à l’égard des hommes politiques ou des opérateurs économiques. La commande d’articles par ces derniers est monnaie courante souligne le cinéaste Balufu Bakupa-Kanyinda. Naturellement, on se demande comment il pourrait en être autrement vu la fragilité de la posture des journalistes et des organes de presse quand on considère le mode de diffusion de leur travail.

Le cinéaste s'étend sur le rapport complexe qu’entretiennent les congolais de la rive gauche du fleuve Congo avec le livre. Il donne l’occasion aux personnes présentes peu averties par les effets collatéraux du mobutisme de prendre conscience de l’instrumentalisation et du contrôle que ce système a exercé sur les auteurs (en particulier de fictions). Le livre sous le mobutisme incarne la ligne du parti unique, c’en est un prolongement. « Les idées circulent là où il y a un désir de production et de réflexion. Le potentiel est énorme ». Le paradoxe d’un pays dynamique : l’absence d’infrastructures relais pour la diffusion de la culture. Pas de librairies à Kinshasa. Pas de salle de cinémas. La culture est véhiculée par les brasseurs et les musiciens (sponsorisés par les premiers). Mais peut-être que le vrai problème selon Balufu est le suivant : « Les premiers besoins sont-ils ceux du ventre ou de la tête ? »

de gauche à droite Nasser Mwanza, Colette Braeckmann, Balufu Bakuba-Kipyanda, Marie Soleil Frère

Nasser Mwanza revient sur son expérience de jeune auteur à Lubumbashi. L’occasion de revenir sur ce qu’il appelle la rupture de Lubumbashi avec la francophonie. Les années 90 ont donné lieu à des pillages de centres culturels francophones dans cette région excentrée de la RDC. Absence de correspondances. Pourtant, le jeune auteur congolais se bat dans ce contexte pour diffuser ses textes sur place en procédant à des lectures publiques, par des affichages dans les lieux de rencontres comme les salons de coiffure, par le porte à porte ou par les réseaux estudiantins intéressés. Il regrette l’absence d’une politique culturelle identifiable de l’état congolais. Il souligne toutefois, que le mobutisme a permis au jeune lushois de profiter des cercles culturels de la Faculté de lettres de Kinshasa délocalisée stratégiquement par Mobutu dans la capitale du Katanga.

Jean Bofane revient sur son expérience en tant qu’éditeur au début des années 90 avant son exil. Avec le sourire que l’on retrouve chez ses personnages de fiction, il énumère malgré les promesses de liberté de ce secteur d’activité formulées par le régime mobutiste aux abois, les faits de terreur et d’oppression à l'encontre des éditeurs. Pillage et dynamitage du matériel. Autres espiègleries. Il raconte l’aventure des bandes dessinées qu’il a diffusées par le canal d’un réseau alimentant le grand marché de Kinshasa. Il décrit le processus de création dans ce contexte corrosif. Il constate que les produits tels que son roman « Mathématiques congolaises » auraient du mal à circuler dans le format congolais actuel. Mais il envisage les choses avec optimisme.

Julien Kilanga Musinde, directeur des langues et de l’écrit à l’Organisation Internationale de la Francophonie (O.I.F.) revient sur la variété de l’édition qu’elle fut de nature confessionnelle, étatique, universitaire. Il constate son cloisonnement et son aspect principalement local. S’il fait le constat du retard de la production littéraire congolaise sur la scène africaine, il souligne l’émergence de l’essai politique dans les années 90. Il revient sur la stratégie de diffusion dans l'espace francophone qui se met progressivement en place pour établir des ponts entre l'Europe et le continent africain en général, la RDC en particulier en termes de diffusion des oeuvres. Il cite notamment Afrilivres (constitution de trois pôles de diffusion – Afrique du Nord, Afrique de l'Ouest, Afrique centrale) et Espace Afrique International.

Les questions de l'auditoire ont donné lieu à des éclairages intéressants. Je retiendrai en particulier la sentence de Jean Bofane : "Parler, écrire, cela reste des actes dangereux en RDC". Les assassinats de journalistes congolais sont là pour en témoigner.

Lareus Gangoueus

Crédit photo : Elodie Boulonnais

Pour aller plus loin sur ce sujet, un article de Leila Morghad : L'Afrique a-t-elle peur de la page blanche ?