L’offensive diplomatique du Tchad en Afrique : Une coûteuse opération

Moussa Faki Mahamat est le nouveau président de la Commission de l’Union Africaine ( UA). Élu au septième tour d’un scrutin serré, cet ancien ministre des affaires étrangères est le fleuron de la diplomatie tchadienne qui en Afrique est, – c’est désormais le moins qu’on puisse dire – incontournable. Mais à quel prix ?

 La puissance militaire comme principal argument diplomatique

On peut penser que l’offensive diplomatique tchadienne a commencé après la chute du régime libyen de Mouammar Kadhafi en 2011 : une place de « gendarme du sahel » – prestigieuse et péjorative – était alors à prendre dans une région en proie à de vives tensions sécuritaires. Le Tchad paraissait avoir les qualités au moins militaires, et un intérêt géopolitique avéré pour jouer ce rôle. En effet, le pays sortait d’une guerre civile avec les rébellions de l’Est (2004-2010), transformée en affrontement avec le Soudan jusqu’à l’accord de paix conclu entre les deux pays en 2010. Ainsi, en bénéficiant d’un partenariat militaire fort (avec la France et l’Ukraine notamment) N’Djamena a fait de ses capacités militaires la plateforme privilégiée du rayonnement de sa diplomatie.

Les capacités et les réussites militaires du pays ont nourri l’argumentaire du candidat tchadien à la présidence de la Commission de l’Union Africaine. En effet, en sa qualité de chef de la diplomatie du Tchad durant une décennie, il a acquis une maîtrise certaine des crises sécuritaires récurrentes en Afrique subsaharienne en participant directement à la résolution de plusieurs d’entre elles.  Aussi, parce que ce péril sécuritaire s’est installé durablement avec une multiplication des attentats perpétrés par les groupes terroristes, parce que le Tchad a démontré sous sa diplomatie, un leadership constant dans la lutte anti-terroriste en prenant la tête de la force mixte de lutte contre le groupe terroriste Boko Haram, l’ancien ministre d’Idriss Deby semble être le candidat idéal pour conduire la présidence de la commission de l’UA. Les résultats fulgurants des armées tchadiennes dans leur engagement contre Boko haram et dans les pays voisins viennent attester cette analyse. Cependant, ce leadership Tchadien sur le terrain de la lutte anti-terroriste sera difficile à assumer tant sur le moyen que sur le long terme.

Un coût économique et social démesuré

Les poudres qui faisaient bondir de victoires en victoires les colonnes tchadiennes n’ont pas mis le feu aux seules poches de résistance des terroristes du Nord du Nigéria. Elles ont aussi flambé les dépenses militaires d’un pays à l’économie déjà modeste, avec plus de 7% du PIB investi dans l’armement en 2015. Or avec la chute des cours du pétrole – représentant plus de 30% du PIB – les effets négatifs causés par les engagements militaires du Tchad pourraient s’intensifier au plan économique et social. L’on en voit déjà la préfiguration avec la grève des fonctionnaires dont les arriérés de salaire représentent désormais 3,9% du PIB non-pétrolier du pays, selon la Banque mondiale. Il faut ajouter à cela un flux grandissant de réfugiés sud-soudanais, centrafricains et nigérians, estimé à 400 000 personnes, soit près de 4% de la population tchadienne ; un climat des affaires plus qu’hésitant – le pays se classe 183e sur 189 dans le rapport Doing Business 2016 sur l’environnement des affaires dans le monde – et une croissance économique réduite de moitié entre 2015 et 2016 selon les données de la Banque africaine de développement. 

La rhétorique sécuritaire structurée et crédible rencontre un écho favorable au sein de la classe dirigeante africaine de plus en plus démunie devant la multiplication des défis sur le continent. Cette rhétorique a contribué à placer la diplomatie tchadienne dans une position centrale dans la politique africaine. Il faut cependant craindre que le coût économique, social et humain des engagements militaires qui légitiment cette position, fasse le lit à une plus grande instabilité sociale et politique pouvant conduire à de nouvelles menaces, y compris sécuritaires à l’intérieur du territoire Tchadien. Le Tchad ne peut dès lors, détenir le monopole du rôle de « gendarme du sahel » ; pas plus qu’aucun autre pays de la région. Il est urgent d’opérationnaliser et de renforcer les mécanismes militaires conjoints mis en place pour lutter contre l’insécurité et pour équilibrer le poids de dépenses militaires désormais prohibitives pour d’aussi petites économies.

                                                                                                                                                                            Claude BIAO