L’offensive diplomatique du Tchad en Afrique : Une coûteuse opération

Moussa Faki Mahamat est le nouveau président de la Commission de l’Union Africaine ( UA). Élu au septième tour d’un scrutin serré, cet ancien ministre des affaires étrangères est le fleuron de la diplomatie tchadienne qui en Afrique est, – c’est désormais le moins qu’on puisse dire – incontournable. Mais à quel prix ?

 La puissance militaire comme principal argument diplomatique

On peut penser que l’offensive diplomatique tchadienne a commencé après la chute du régime libyen de Mouammar Kadhafi en 2011 : une place de « gendarme du sahel » – prestigieuse et péjorative – était alors à prendre dans une région en proie à de vives tensions sécuritaires. Le Tchad paraissait avoir les qualités au moins militaires, et un intérêt géopolitique avéré pour jouer ce rôle. En effet, le pays sortait d’une guerre civile avec les rébellions de l’Est (2004-2010), transformée en affrontement avec le Soudan jusqu’à l’accord de paix conclu entre les deux pays en 2010. Ainsi, en bénéficiant d’un partenariat militaire fort (avec la France et l’Ukraine notamment) N’Djamena a fait de ses capacités militaires la plateforme privilégiée du rayonnement de sa diplomatie.

Les capacités et les réussites militaires du pays ont nourri l’argumentaire du candidat tchadien à la présidence de la Commission de l’Union Africaine. En effet, en sa qualité de chef de la diplomatie du Tchad durant une décennie, il a acquis une maîtrise certaine des crises sécuritaires récurrentes en Afrique subsaharienne en participant directement à la résolution de plusieurs d’entre elles.  Aussi, parce que ce péril sécuritaire s’est installé durablement avec une multiplication des attentats perpétrés par les groupes terroristes, parce que le Tchad a démontré sous sa diplomatie, un leadership constant dans la lutte anti-terroriste en prenant la tête de la force mixte de lutte contre le groupe terroriste Boko Haram, l’ancien ministre d’Idriss Deby semble être le candidat idéal pour conduire la présidence de la commission de l’UA. Les résultats fulgurants des armées tchadiennes dans leur engagement contre Boko haram et dans les pays voisins viennent attester cette analyse. Cependant, ce leadership Tchadien sur le terrain de la lutte anti-terroriste sera difficile à assumer tant sur le moyen que sur le long terme.

Un coût économique et social démesuré

Les poudres qui faisaient bondir de victoires en victoires les colonnes tchadiennes n’ont pas mis le feu aux seules poches de résistance des terroristes du Nord du Nigéria. Elles ont aussi flambé les dépenses militaires d’un pays à l’économie déjà modeste, avec plus de 7% du PIB investi dans l’armement en 2015. Or avec la chute des cours du pétrole – représentant plus de 30% du PIB – les effets négatifs causés par les engagements militaires du Tchad pourraient s’intensifier au plan économique et social. L’on en voit déjà la préfiguration avec la grève des fonctionnaires dont les arriérés de salaire représentent désormais 3,9% du PIB non-pétrolier du pays, selon la Banque mondiale. Il faut ajouter à cela un flux grandissant de réfugiés sud-soudanais, centrafricains et nigérians, estimé à 400 000 personnes, soit près de 4% de la population tchadienne ; un climat des affaires plus qu’hésitant – le pays se classe 183e sur 189 dans le rapport Doing Business 2016 sur l’environnement des affaires dans le monde – et une croissance économique réduite de moitié entre 2015 et 2016 selon les données de la Banque africaine de développement. 

La rhétorique sécuritaire structurée et crédible rencontre un écho favorable au sein de la classe dirigeante africaine de plus en plus démunie devant la multiplication des défis sur le continent. Cette rhétorique a contribué à placer la diplomatie tchadienne dans une position centrale dans la politique africaine. Il faut cependant craindre que le coût économique, social et humain des engagements militaires qui légitiment cette position, fasse le lit à une plus grande instabilité sociale et politique pouvant conduire à de nouvelles menaces, y compris sécuritaires à l’intérieur du territoire Tchadien. Le Tchad ne peut dès lors, détenir le monopole du rôle de « gendarme du sahel » ; pas plus qu’aucun autre pays de la région. Il est urgent d’opérationnaliser et de renforcer les mécanismes militaires conjoints mis en place pour lutter contre l’insécurité et pour équilibrer le poids de dépenses militaires désormais prohibitives pour d’aussi petites économies.

                                                                                                                                                                            Claude BIAO

Le procès Habré ne doit pas être la justice des vainqueurs

JPG_AffairePetroTim060115Le procès qui s’est ouvert le 20 juillet 2015 à Dakar contre l’ancien Président tchadien Hissène Habré, représente un moment clé dans l’histoire judiciaire du continent africain. Les Chambres africaines extraordinaires, créées dans le cadre d’un mandat de l’Union africaine à l’Etat sénégalais, ont ouvert une page inédite du droit pénal international, et vont livrer un verdict qui, quel qu’il soit, fera date dans la justice mondiale en matière de droits humains. Hissène Habré est jugé pour crimes contre l’humanité, torture, et crimes de guerres commis au Tchad entre 1982 et 1990, après de longues années de lutte des victimes, familles et ONG.

Cependant, le triomphe que représente en soi la tenue de ce procès ne doit pas occulter la nécessité de faire la part de responsabilité que d’autres ont eue dans la commission de ces crimes. En effet, il serait dommage de faire porter à Habré seul la responsabilité de tous ces crimes. Les Chambres africaines extraordinaires doivent saisir l’occasion pour rendre justice entière. Pour la première fois, un ancien chef d’État africain est jugé dans un pays africain pour des crimes qui relèvent de la justice internationale par des juges africains. Cette possibilité offerte par le principe de la compétence universelle prévue par la Convention de New York sur la Torture, doit permettre de juger tous les responsables des forfaits commis.

La première raison est qu’Hissène Habré n’a certainement pas agi seul dans ces forfaits, et qu’en matière pénale les peines ne doivent pas être partagées, a fortiori en matière de droits humains et de torture. Habré est devenu président en juin 1982 à la suite d’une longue période d’instabilité ouverte par la chute du régime de François Tombalbaye (1960-75), avec l’aide de puissances étrangères comme la France et les Etats-Unis, et gouverné avec leur soutien. Certes, son pouvoir dictatorial a fait environ 40 000 victimes sur des bases ethnico-politiques, notamment lors de l’Opération « Septembre noir » en 1984 au sud du pays. C’est exactement pourquoi il faut faire juger ceux qui y ont pris part, sachant que certains d’entre eux occupent de hautes fonctions au Tchad et ailleurs en Afrique. L’actuel Président tchadien Idriss Déby, qui était chef des Forces armées nationales de 1983 à 1985, a organisé un procès contre ceux qui étaient soupçonnés d’y avoir participé. Cet empressement montre une volonté de faire taire des voix gênantes et de protéger certains.

La deuxième raison est que la justice africaine doit garder son indépendance et sa souveraineté : la responsabilité des Etats-Unis et de la France, qui ont aidé le Tchad d’Habré dans son conflit contre la Libye de Mouammar Kadhafi, doit clairement être établie dans le cadre de ce procès. Habré a voulu libérer le Nord du Tchad, si convoité par le guide libyen. Les victimes qui ont porté l’affaire devant un tribunal belge, et obtenu du Sénégal qu’il juge Habré après l’injonction de la Cour internationale de justice de « juger ou extrader », doivent fournir les mêmes efforts pour réclamer la mise en lumière du rôle des puissances étrangères dans les actes commis par son régime, pour respecter le principe d’égalité devant la justice. L’opération Épervier déclenchée par les forces françaises au début de 1986 en réponse à l’invasion de troupes libyennes, ainsi que l’aide américaine ont été cruciales dans le maintien d’Habré au pouvoir. C’est pourquoi il faut situer toutes les responsabilités, même à l’étranger.

Si ce procès ne permet pas de faire la lumière sur toutes les responsabilités dans ces crimes, le Sénégal et l’Afrique vont perpétuer l’image d’une justice internationale partiale –  celle des vainqueurs. Une justice qui sert à faire des exemples, mais pas toute la lumière. Tous ceux qui sont passés à La Haye, Africains ou pas, restent des bouc-émissaires de violences collectives qu’une poignée d’individus n’ont pas pu commettre seuls entre eux. Les Chambres africaines extraordinaires ont l’immense occasion de démontrer que la justice internationale peut être équitable, et ne doit pas simplement être une justice symbolique, ni celle des seuls vainqueurs.

Mouhamadou Moustapha Mbengue

La mauvaise idée de juger Hissène Habré

HabréLe Sénégal juge l'ancien président tchadien Hissène Habré. J’ai rarement été d’accord avec l’ancien Président Wade mais si je trouvais ses tergiversations ignobles, j’ai toujours trouvé que son refus de juger Habré était la seule décision non seulement honorable mais également réaliste pour le Sénégal et l’Afrique. J’aurais juste préféré qu’il ait exprimé un refus clair et net de juger Habré au lieu de louvoyer avec la soi-disant communauté internationale.

Je n’ai strictement aucune sympathie pour Habré. C’est un affreux personnage, un tortionnaire, un assassin et un dictateur de la pire espèce. Je lui souhaite de mourir dans d’atroces souffrances et de griller en enfer. Je trouve malgré tout qu’il aurait dû bénéficier de la protection de l’État du Sénégal contre vents et marées. Non pas, comme le disent certains, parce qu’il s’est intégré à la communauté sénégalaise, a épousé une sénégalaise et a corrompu nos chefs religieux – ça, c’est les raisons pour lesquelles nous aurions dû le juger – mais tout simplement à cause de la continuité de l’État.

À un moment en 1990, l’État du Sénégal s’est engagé à accueillir un ancien dictateur de sorte que ne se perpétue pas dans son pays une sanglante guerre civile [1]. Quoi qu’on pense du personnage, dès l’instant où l’État du Sénégal a décidé de l’accueillir et de lui accorder l’immunité, je crois que la seule attitude républicaine était de s’y tenir de manière trans-temporelle. Par ailleurs, au delà de cet aspect républicain dont j’estime qu’il devrait suffire à clore le débat si nos dirigeants n’étaient pas des carpettes décidées à plaire à tout prix aux desiderata des occidentaux, j’estime que ce procès est dangereux pour l’Afrique. On peut le déplorer mais il y a encore des dictateurs en Afrique.

Ce sont des vestiges de l’histoire mais leur pouvoir de nuisance est grand et il faudra au moins une vingtaine d’années pour que nous en soyons débarrassés. Une question qui se pose est de savoir comment nous allons nous en débarrasser. Sera-ce sanglant ou pacifique ? Ce qui pourrait inciter certains dictateurs à ne pas mourir au pouvoir, c’est la certitude qu’en cas de départ négocié, ils peuvent vivre une retraite paisible aux Almadies et que les cris de leurs victimes ne les y dérangeront jamais. S’ils savent qu’en cas de démission, ce n’est qu’une question de temps avant qu’on ne les juge, ces psychopathes préféreront, à l’instar de Bachar El-Assad bombarder leur propre peuple et mourir au pouvoir que de s’exiler et être rattrapés par la justice 25 ans plus tard.

On parle ici de milliers voire de millions de morts potentielles. Je préfère un Mugabé ou un Sassou Nguessou qui se prélassent dans le luxe à Dakar à un Zimbabwe ou un Congo totalement ravagés par la guerre civile juste parce qu’ils ont peur de se faire juger quelques années après avoir volontairement cédé le pouvoir. Or, c’est exactement ce message que le procès Habré envoie à tous les dictateurs africains : accrochez-vous au pouvoir ou bien il n’y aura pas un endroit dans le vaste monde où vous pourrez tranquillement jouir de la fortune que vous avez volée.

Je crains de savoir ce que ces psychopathes choisiront confrontés à une telle alternative et je ne crois pas que ce soit bénéfique à leurs victimes actuelles et futures. Quid de la morale ? Habré, comme je l’ai dit plus haut est un horrible personnage et je suis de tout cœur avec ses victimes. Malgré tout, je crois que le plus immoral dans cette histoire, ce n’est pas que Habré ne soit pas jugé ; c’est que son jugement ne soit rien d’autre qu’une vengeance. Habré sera jugé. Gageons qu’à aucun moment ne seront évoqués ses liens avec la CIA et l’État français.

Habré n’est pas n’importe quel chef de guerre inculte ; c’est d’abord un intellectuel diplômé de Sciences Po Paris, qui ayant pris le pouvoir, a gouverné et torturé avec l’aide de puissances occidentales en guerre contre la Libye. Juger Habré en restant muet sur les bras qui l’armaient et l’aidaient à contrôler sa population, ce n’est pas de la justice, c’est du théâtre. Si Human Rights Watch veut aider les Africains, je lui suggère de s’intéresser aux forces économiques qui pillent méthodiquement le continent et empêchent que n’émergent de vraies démocraties.

Ce sont ces forces là qui nous empêchent de mettre en place des systèmes de santé et d’éducation viables et c’est cette oppression économique là qui permet la naissance de monstres comme Habré. Juger Habré 25 ans plus tard nuira peut-être au Zimbabwe et ne fera rien pour le Niger dont Areva continuera à voler l’uranium tout en polluant la région d’extraction.

[1] Je sais, ce n’est là que la raison officielle. La vraie raison est que le mec avait rendu des services à la CIA et aux français et qu’on lui renvoyait l’ascenseur. Sur les liens entre Habré et la CIA, cet article de Foreign Policy est instructif: http://foreignpolicy.com/2014/01/24/our-man-in-africa/

Hady Ba

 

Article initialement paru sur le blog de Hady Ba : https://hadyba.wordpress.com/2015/07/20/pour-habre-et-le-zimbabwe-accessoirement/

Focus sur l’électricité au Tchad

 A l’aube d’une relative période de paix et avec l’ambition affichée d’émerger à l’horizon 2025, le Tchad s’est doté d’un nouveau schéma directeur de l’énergie[i] pour atteindre ses objectifs. Cet article se propose de faire le point sur le secteur électrique dans le pays.


Il n y a pas lieu de s’attarder sur les chiffres, le Tchad à l’instar de la plupart des pays africains connait une crise énergétique majeure. Il est l’un des plus mal approvisionnés en électricité. Un petit rappel suffit à saisir l’ampleur du problème:

  • La consommation électrique représente seulement 0,5% de la consommation totale de l’énergie dans le pays
  • Plus de 90% de la consommation énergétique est issu de combustibles ligneux – bois et charbon de bois-  3% seulement de produits pétroliers
  • Le taux d’accès à l’électricité de la population tchadienne est de 4%. Il varie de 14% dans la capitale à 1% dans les provinces.
  • La capacité de production de la Société Nationale d’Electricité (SNE)- principal opérateur du secteur-  est inferieur à 200 MW
  • 53 MW disponible pour 349 000 MWh produit en 2010) essentiellement par des centrales thermiques à gazoil.
  • Le coût de ce dernier absorbe la quasi-totalité des recettes de la société.
  •  La capitale N’Djamena totalise 80% de la production électrique du pays mais le délestage est fréquent.
  • Seul le tiers de la ville est alimenté régulièrement.
  • Moins d’une dizaine de villes sont électrifiées et disposent de réseau de distribution.

 

TchadLa sécurité avant tout

Cette situation est le produit de plusieurs facteurs techniques, structurels, institutionnels, financiers qui plombent l’essor économique et social du pays. Juste après son indépendance acquit en 1960, le pays est rentré dans un cycle de violence et de conflit qui aura duré plus de trente ans. Le Tchad n’a connu une véritable période de paix que ces quatre dernières années. Les efforts ont été longtemps tournés vers la sécurité au détriment de tout développement d’infrastructures. La faiblesse institutionnelle liée à l’instabilité, la mauvaise gouvernance, la corruption sont autant de facteurs qui ont aggravé la situation énergétique du pays. Ces conditions n’ont pas favorisé les investissements public et privé et malgré la libéralisation du secteur en 1999, la SNE détient toujours le monopole dans le secteur électrique.

Une dépendance de l’extérieur jusqu’à en 2011 en matière d’hydrocarbures, un manque de savoir-faire et de maintenance des équipements, une performance médiocre de la société opératrice en matière de recouvrement des créances, des pertes commerciales dues aux branchements illégaux et à la vétusté du réseau ont conduit à faire de l’électricité au Tchad, l’une des plus chères au monde. Malgré une large subvention gouvernementale, le tarif moyen de vente du kWh par la SNE était par exemple de 145 FCFA en 2007 ; largement à perte car le coût de revient du kWh était estimé à 250 FCFA au même moment.

Nouveaux revenus

Exportateur de pétrole depuis octobre 2003, l’Etat a profité des nouveaux revenus (issus essentiellement des royalties versées par les compagnies opératrices et des taxes) pour développer les infrastructures notamment énergétiques. Il s’est doté d’un schéma directeur de l’énergie et entend mettre en œuvre un nouveau code de l’électricité. Ainsi plus de 150 milliards de FCFA ont été investi ces deux dernières années pour améliorer la production, le transport et la distribution de l’énergie électrique dans les principales villes du pays.

En juin 2011, une raffinerie a été mise en activité à Djarmaya situé à 50 km au Nord de la capitale. Elle a permis l’arrivée sur le marché intérieur des produits pétroliers locaux. Elle fournira également 20 MW à la SNE pour ravitailler les quartiers périphériques de la capitale. Une ligne haute tension vient d’être construite pour l’acheminement de l’électricité.

Production électrique non-raccordée au grand public

Il faut noter que la plus grande unité de production électrique au Tchad est une centrale de 120 MW installée au terminal pétrolier de Komé et propriété de la multinationale ESSO. Malgré cette puissance, elle n’est malheureusement pas raccordée au réseau public. A l’instar de ce qui s’est fait avec la raffinerie de Djarmaya, les autorités tchadiennes doivent négocier systématiquement avec les entreprises pétrolières par exemple une fourniture d’énergie aux régions de leurs installations. Cela peut rentrer dans le cadre de la responsabilité sociétale et environnementale RSE des entreprises qui n’y sont pas forcement hostiles quand elles se font accompagnées par l’Etat.   

Par ailleurs, on estime que la puissance totale des groupes diesel des auto-producteurs industriels est de l’ordre de 20 MW, sans compter les micros groupes électrogènes privés (de l’ordre de quelques kW chacun) pratiquement présentent dans chaque foyer à N’djaména et au-delà essentiellement pour des besoins d’éclairage et de petite consommation. Un potentiel énorme de consommation existe cependant pour peu que les infrastructures se mettent en place. Le renforcement des cadres institutionnel et réglementaire permettrait les investissements privés, l’organisation et l’émergence d’un véritable marché moderne de l’électricité et de l’énergie globalement.

Pas de réseau électrique national interconnecté

L’immensité du territoire national (1284 000 km², 2000 Km du sud au nord et 1000 km d’est en ouest), conjuguée à la faible densité de population contribuent à priviligier des réseaux locaux isolés. Le pays de par sa position géographique possède un grand potentiel d’énergie renouvelable : Un très bon gisement solaire sur l’ensemble du territoire, un bon gisement éolien au Nord et un bon gisement de biomasse dans le sud. Bien que le coût des énergies renouvelables demeure encore élevé par  rapport à l’énergie fossile (au moins sur du court terme) dans certains pays, dans le contexte Tchadien avec une électricité déjà chère, le mix électrique est une solution à la crise Tchadienne.


[i] Les données citées dans cet article sont essentiellement tirées du Schéma directeur de l’énergie, FICHTNER 2012

 

 

 

Affaire Hissène Habré : la justice panafricaine en construction

HISSENE-habreMercredi 16 janvier, la ministre de la Justice sénégalaise, Aminata Touré, annonçait qu’en février se tiendrait à Dakar, l’ouverture du procès de l’ex dictateur tchadien Hissène Habré. Le soulagement qu’a suscité cette annonce a de loin dépassé la sphère des victimes du régime. Cette annonce signe l’épilogue d’un long feuilleton juridico-politique dans lequel sont apparus de nombreux acteurs. On compte parmi les participants à ce feuilleton, les institutions politiques sénégalaises, tchadiennes et belges, d’importantes organisations internationales de droit international et de défense des droits de l’homme (CIJ, UNCAT, HRW). Dernière, mais pas des moindres, l’Union Africaine a aussi contribué à cette saga de deux décennies de désaccords. L’aboutissement vers un procès est d’autant plus applaudi qu’il marque un moment décisif pour la justice africaine. Le procès Habré déterminera sa capacité à poursuivre l’un de ses dirigeants de façon équitable. On nomme déjà le « précédent Habré », une source d’inspiration pour les futures poursuites des dirigeants du Continent.

L’ascension d’un ancien « chouchou » de l’occident

Considéré par ses partisans comme un fervent combattant contre l’impérialisme occidental, Hissène Habré s’empara du pouvoir le 7 juin 1982 à l’aide de ses Forces Armées du Nord. Son régime succéda ainsi à celui de Goukouni Oueddei. 
Dans son ascension, Habré a reçu le soutien non-négligeable des États-Unis et de la France. Les deux puissances occidentales sont à l’époque très intéressées par le personnage qui pourrait leur servir de contrepoids face au déroutant leader libyen, Kadhafi. Notons au passage qu’Hissène Habré est un ancien de la rue St G. à une lointaine époque où Sciences Po formait de futurs dictateurs…

Malheureusement pour ses soutiens américains et français, Habré ne tarda pas à devenir lui-même le modèle du dirigeant qu’il devait aider à combattre. Arrivé au pouvoir, Habré s’attèle à la construction d’un régime autoritaire. Il restreint l’indépendance des institutions politiques, se munit d’une police politique (DDS) et viole les libertés politiques. S’ensuit alors la systématique chasse aux opposants du régime orchestrée avec un usage régulier et massif de la torture et d’autres formes de violations graves des droits de l’homme.

Rendant son rapport en mai 1992, la Commission d’enquête nationale créé par décret d’Idriss Déby a publié une estimation du nombre de victimes de la terreur de Habré qui serait de 40 000 morts, 54 000 prisonniers politiques et 200 000 victimes de la torture. La commission précise que ces chiffres sous-estiment certainement la réalité des choses. 
Des tchadiens, épaulés par des organisations de défense des droits de l’homme, décident de poursuivre l’ancien dictateur pour obtenir des réparations et recouvrer leur dignité. En revanche, lorsque que l’association des victimes est créée, Hissène Habré a déjà été chassé du pouvoir par Idriss Déby et a trouvé refuge au Sénégal.

Comment l’ex-dictateur est-il resté impuni à travers quatre mandats présidentiels sénégalais ?

Vingt deux-ans, c’est le temps qu’ont attendu les présumées victimes du régime avant qu’Habré n’ait à répondre des accusations dont il fait l’objet.

Il aura déjà fallu dix ans à la justice sénégalaise pour se pencher sur le cas Habré, qui aurait trouvé refuge à Dakar avec, dit-on, la modique somme de 16 milliards de francs Cfa. Abdou Diouf se serait laissé convaincre par Mitterrand d’accepter la présence d’un hôte si encombrant. Abdoul Mbaye, actuel premier ministre, à l’époque directeur général de la CBAO, avait alors donné son feu vert pour qu’une partie de cette somme soit déposée dans les caisses de sa banque. Certes, les deux hommes ne sont pas les seuls grands noms qui sortent du chapeau des personnalités citées dans le séjour quasi touristique Hissène Habré. Le soutien de l’ex-dictateur est grand dans les institutions politiques sénégalaises et chez une bonne partie de la hiérarchie maraboutique. L’ex dictateur serait très généreux en effet avec les familles religieuses.

Dix ans après le feu vert d’Abdou Diouf, l’affaire prend une tournure nouvelle lorsque des présumées victimes, appuyées par la Belgique, adressent une plainte contre ce dernier à Dakar. Le volet politique de l’affaire Habré s’approfondit avec l’arrivée d’Abdoulaye Wade au pouvoir. Le nouveau président ne cache pas son manque de volonté sur ce dossier. Bien que Wade ait tenté à plusieurs reprises de se débarrasser du « colis » Habré, son entourage – constitué par des anciens avocats du dictateur – l’en a longuement dissuadé. De nombreuses raisons ont servi à l’administration Wade pour laisser trainer le dossier. 

Les institutions judiciaires sénégalaises annoncent d’abord leur inaptitude à juger le dictateur pour des crimes commis hors du territoire. Cette annonce fait suite à une intervention douteuse du gouvernement sénégalais dans la nomination des magistrats habilités à enquêter. Cette intervention n’échappe pourtant pas aux rapporteurs des Nations Unies, qui rappellent au gouvernement l’importance de respecter l’indépendance de la justice dans cette affaire. 

L’intervention de la Belgique, interpellée par des présumées victimes de nationalité belge, secoue de nouveau l’affaire. Après plusieurs années d’enquête, en 2005, en vertu de la fameuse et critiquée loi de compétence universelle, la Belgique lance contre Habré mandat d’arrêt international, suivi d’une demande d’extradition. Le Sénégal renvoie alors la balle dans le camp de l’Union Africaine qui, à son tour, s’octroie six mois de réflexion sur le cas Habré, retardant ainsi sa mise en accusation. 

habre-manifestationLasses de cette attente, les associations de victimes dénoncent le Sénégal auprès du Comité des Nations Unies contre la Torture. L’instance reconnait qu’en refusant de poursuivre ou d’extrader Habré, le Sénégal ne respecte pas ses engagements relatifs à la Convention contre la torture dont elle est partie. Le Comité demande aux autorités sénégalaises de prendre rapidement une décision. En juillet 2006, l’Union Africaine donne mandat au Sénégal de poursuivre d’ex dictateur « au nom de l’Afrique ». Contraint, Wade accepte, non sans amertume, de juger Habré. Le gouvernement du premier ministre Macky Sall entreprend alors une série de réformes constitutionnelles et législatives pour permettre au a la justice sénégalaise de pouvoir juger l’ex président tchadien. 

Cette avancée sur le plan du droit est toutefois relativisée par une stagnation sur le plan du financement du procès. Alors que l’Assemblée nationale du Sénégal vote une loi permettant la création d’un tribunal apte à juger Habré, il est décidé qu’aucune démarche ne sera entreprise tant que l’aide financière requise ne sera pas reçue.

Le volontarisme des nouvelles autorités sénégalaises

La chronologie de ce « feuilleton juridico-politique » met l’accent sur quelques maux de la justice en Afrique. Elle a une difficulté à conserver son impartialité et son indépendance face à une politique plus qu’intrusive, qui n’hésite pas à aller en l’encontre de la Constitution et des engagements internationaux.

Et dans cette affaire, l’on s’aperçoit que les présumées victimes sont souvent oubliées. C’est à croire que dans ce méli-mélo, l’on a oublié qu’il s’agissait d’accusations de crimes de guerre, de crimes contre l’humanité et d’actes de torture dont les preuves et les témoins ne pouvaient pas se permettre autant de délais. Inutile de préciser que certains accusateurs ne verront jamais les réparations qui leur sont dues le cas échéant. Le procès, dont le caractère juste et impartial a été annoncé pourrait pourtant être influencé par sa dimension temporelle. Pendant les différentes phases de sa préparation interminable, l’on a peut-être laissé à Habré la meilleure chance de s’en sortir : la vieillesse. 

L’affaire Habré dépeint l’avancée à double vitesse de la justice en Afrique subsaharienne. D’un côté, il existe une volonté de respecter les engagements auprès des institutions internationales. L’Union Africaine n’a cessé d’insister sur l’importance de juger Habré en Afrique. De l’autre, il y a ces hommes politiques qui feignent d’avoir saisi l’importance pour l’Afrique d’écrire son propre chapitre dans le droit international, mais continue à protéger ses homologues à n’importe quel prix. Si Wade lui-même semblait s’accorder avec l’UA concernant le fait que le jugement ne pouvait se passer ailleurs que sur le continent, sa négligence sur le dossier a alimenté les soupçons de la confusion entre immunité et impunité.

L’arrivée de Macky Sall a changé la donne. En moins d’un an, le nouveau président sénégalais, appuyé par l’efficacité de sa ministre de la justice, a fait bien plus que son prédécesseur en deux mandats. Coïncidence ? Non. L’affaire Habré sous Macky Sall prend un tournant logique : celui au cours duquel plusieurs leçons semblent enfin avoir été tirées après vingt-deux années d’attentisme et de mauvaise volonté. Entre autres, on saisit enfin l’urgence de clore un dossier qui traine depuis deux décennies. Mieux, les partisans d’Habré encore présents aujourd’hui encore dans l’administration sénégalaise ont perdu leur influence sur les décisions et n’ont pas osé intervenir.

Rien ne sert cependant de crier victoire à l’approche du procès. Nous ne sommes, vingt-deux ans après, qu’au commencement des choses.

Ndeye Diarra

 

N’Djamena, une ville qui se modernise dans la douleur

Sous le soleil écrasant de ce mois de juin, il n’y a pas beaucoup d’âmes qui circulent à midi aux alentours de l’aéroport international Hassan Djamous, pourtant situé en pleine capitale du Tchad. Rien à voir avec l’agitation de la salle de débarquement où des douaniers s’activent fébrilement à fouiller les bagages des passagers. Les environs de l’aéroport se résument à un immense terrain vague. Qui imaginerait qu’il y a à peine deux ans cet endroit abritait les locaux de l’école de la gendarmerie nationale, un camp militaire ainsi que la prison d’arrêt centrale ?

Place de la Nation, N'Djamena

Sorti de l’aéroport, le voyageur peut s’engager dans la mythique avenue Charles de Gaulle, bordée d’une rangée de banques et de grands restaurants et qui débouche sur la désormais célèbre Place de la nation. Elle se trouve juste en face de la présidence de la République protégée farouchement par les bérets rouges de la garde présidentielle. Cette place où se déroulent les grands hommages républicains se veut à la hauteur des nouvelles ambitions des autorités tchadiennes. Elle s’étend sur plusieurs hectares et a été construite à coup de milliards de franc CFA pour célébrer le cinquantenaire de l’indépendance du Tchad en 2010. Faute de jardin public ou de parc digne de ce nom dans la ville, elle est devenue le rendez vous des balades amoureuses du crépuscule.

A peine un kilomètre plus bas, en passant devant l’unique cinéma de la capitale tchadienne, « la Normandie », qui renait de ses cendres, l’on tombe sur le tout nouveau complexe hospitalier de la mère et de l’enfant et sur les bâtiments flambant neuf de la Faculté de médecine. Dire qu’en ces lieux et places se trouvait Gardolé, le plus vieux quartier de la ville… Tout un symbole pour décrire les déguerpissements et expropriations qui accompagnent la réalisation de ces ouvrages urbains. Autant d’opérations d’aménagement passées en force dont on peut imaginer les bouleversements engendrés. En à peine cinq ans, le visage de la ville a complètement changé. Des nouveaux bâtiments sortent de terre : hôpitaux, facultés d’université, ministères, hôtels, lycées… en grande partie réalisés sous la bannière des « grands projets présidentiels» et financés par les fonds issus des revenus du pétrole. Tous les grands axes sont rebitumés et de nouvelles rues, bordées de tous types de commerces, apparaissent.

Le million d’habitants de la capitale tchadienne se lève très tôt. Le plus souvent à moto, casque de rigueur, les travailleurs et les écoliers commencent leur journée dès 7h du matin. Les principales activités commerciales sont informelles. Les deux grands marchés de la ville (le marché central et le marché à mil) ne cessent de grossir et de s’étendre pour engloutir presque toutes les habitations environnantes. Les murs de clôture des habitations sont remplacés par les arcades des nouveaux commerces et l’intérieur transformé en dépôt de marchandises. La démolition il y a deux mois du troisième marché, le marché de quartier de Dembé, ne semble pas décourager les commerçants dans leurs entreprises. Déguerpissement du centre ville, expropriations, démolitions, relogement, indemnisations…ou pas. La marche vers la modernisation de la ville est menée à rythme cadencé et forcé. C’est dit- t- on le prix du progrès. Mais cette dynamique se fait sans réelle concertation ni information des habitants. Elle se fait même avec violence. Et la violence, cette ville en a connu.

Ville martyre, elle est née d’une guerre et en a connu plein d’autres. En 1900, trois colonnes de l’armée française ont convergé sur les rives du fleuve Chari, pour combattre et vaincre un esclavagiste et tyran venu du soudan (Rabah Fadlallah, 1842-1900) avec ses mercenaires qui sévissaient dans la région. Après avoir abattu Rabah, le commandant François J.A. Lamy installa son camp à coté du fleuve et de trois villages. La bourgade qui se développe se nomme Fort Lamy jusqu’en 1973 et le retour « des pères de la nation » à la notion d’authenticité. La capitale fut alors renommée Ndjamena. Ce qui signifie littéralement en arabe tchadien « nous nous reposons » ou « on en a fini » (avec la violence, les guerres…). Mais le martyr de la ville continue, avec la guerre civile de 1979, la dictature des années 80 et son lot de disparus et de victimes, et plus récemment avec les deux attaques rebelles en 2006 et 2008. Depuis, N’Djaména semble jeter aux oubliettes ce passé. Elle fait peau neuve, n’hésitant pas effacer ce qui pourrait faire figure de lieux de mémoire ou de monuments historiques, les remplaçant par des nouveaux. Résolument tournée vers l’avenir et avec l’ambition de devenir la « vitrine de la sous région ».

Djamal HALAWA