Football, Fifa et quotas: Le statu quo qui dérange

Je suis un grand fan de foot, je pense que cela n'aura échappé à personne, mais je suis également un observateur amusé des relations que tissent les pays, les institutions et les continents entre eux. On appelle cela pompeusement la "Géopolitique". Je souhaiterais aujourd'hui vous parler de Géofootball si vous me concédez le néologisme, inspiré que j'ai été par une jeune sœur togolaise nommée Farida Nabourema. Bonne lecture !

FIFA-logoRentrons dans le vif du sujet et partons des faits : L'Afrique et l'Asie s'imposent comme les locomotives démographiques et économiques de ce XXIème siècle à l'échelle mondiale; mais il me semble que le football ne suive pas cette tendance, ce qui est assez curieux car la prospérité démographique et économique s'accompagne très souvent d'un leadership dans des domaines culturels comme le sport de haut niveau, la gastronomie et la production artistique. Les USA ont leur Basketball et en sont les rois incontestés, les Européens ont leur Rugby et le Football qu'ils partagent avec les sud-américains mais l'Afrique et l'Asie, y compris la Chine qui brille dans les sports individuels, semblent être à la traine dans ces grands sports collectifs. S'il est évident qu'il y a un déficit d'infrastructures à combler et un retard culturel du haut niveau à corriger pour ces deux continents, il y a un autre paramètre qui ne peut plus être passé sous silence : le problème des quotas dans les grandes compétitions internationales, particulièrement pour la Coupe du Monde de football. Nous, fans de foot et amateurs observant de loin, noyons probablement le poisson du statut-quo dans les dribbles chaloupés de Messi et les coups de patte de Yaya Touré.

Faisons simple et parlons chiffres : L'Afrique (1,1 milliards d'habitants depuis 2011) et l'Asie (4,4 Milliards d'habitants) regroupent 75 % de la population mondiale. Sur 32 équipes qualifiées pour la Coupe du Monde, ces deux continents totalisent  9 équipes (5 pour l'Afrique, 4 pour l'Asie) soit à peine 28 % du total des équipes. Certes la démographie ne fait pas tout mais il y a là une curiosité qu'il est important de souligner. Pourquoi l'Europe, qui ne regroupe que 10 % de la population mondiale, a-t-elle droit à 40 % des places disponibles à la Coupe du Monde de football ? La réponse nous est donnée par la toute puissante Fifa. Selon l'instance suprême du football mondial dont le siège se trouve à Zurich en Suisse, si l'Afrique n'a pas davantage de places disponibles pour le Mondial, c'est parce qu'elle n'a pas eu de résultats satisfaisants lors des dernières éditions. Logique non ? Disons oui et non. Oui cela est logique car il s'agit là du mode de sélection de tous les sports de haut niveau, qui, rappelons-le, sont aussi des spectacles médiatiques pour le grand public. Les équipes, et ici les continents, se voient attribuer des coefficients liés à leurs performances les plus récentes dans la compétition. En procédant de la sorte, on est à peu près sûr de garantir le retour des meilleurs joueurs et des meilleures équipes afin d'assurer le spectacle. Il ne faut quand même pas déconner : une coupe du monde sans la crête et le sourire de Neymar ou les jolis abdos de Cristiano Ronaldo interesserait à peine 50 % de la population mondiale…N'est-ce pas Mesdames ?

Mais, puisqu'il en faut toujours un, ce système de désignation des quotas basé uniquement sur les performances passées présente des limites évidentes, surtout pour la Coupe du Monde de football. En effet, bien qu'étant avant tout une compétition sportive d'un niveau très élevé, la Coupe du Monde est également une fête mondiale, un spectacle auquel la quasi totalité des terriens ayant accès à une télé consacre un mois entier tous les 4 ans. On estime que 2,2 Milliards de téléspectateurs étaient devant Brésil-Croatie, le match d'ouverture de ce Mondial 2014 et que ce chiffre montera à 3 Milliards pour tout le mondial. Or le jeu de l'audience et de la publicité fait de cet événement une véritable poule aux oeufs d'or pour la Fifa, organisatrice de la compétition et qui vend les droits de diffusion aux TV, Radios et plateformes mobiles du monde entier. La preuve, toujours en chiffres : De 40 Milliards de FCFA (60 M€) en 1990, les droits TV ont progressivement grimpé à, tenez-vous bien, 2100 Milliards FCFA pour cette édition 2014 au Brésil ! En 2010 en Afrique du Sud, la FIFA a gagné 1200 Milliards de FCFA, ce qui représentait 87% de ses revenus entre 2007 et 2010.[1] La FIFA vit, et vit bien, grâce à la Coupe du Monde.

mondial-2014_bresilVous commencez maintenant à voir là où je veux en venir : Si la Coupe du Monde rapporte autant d'argent à la FIFA grâce aux gens qui regardent et que 75 % des habitants de la planète sont africains et asiatiques…pourquoi ces deux continents devraient-ils continuer à accepter d'être des minorités visibles dans cette grande messe du football mondial alors que c'est eux qui fournissent la grande majorité des téléspectateurs ? Moi qui croyais que le client était roi et que les actionnaires avaient toujours raison… Si l'on ajoute à cela le fait qu'il y a de plus en plus de stars africaines et asiatiques depuis le début des années 90 (Ayew, Weah, Etoo, Drogba, Essien, Diouf, Touré, Nakata, Ji Sung Park, Nakamura, Kagawa) ajouté aux belles performances des pays de ces continents (Corée 2002, Senegal 2002 et Ghana 2010 par exemple), il apparaît alors urgent de corriger l'équilibre actuel qui est largement en faveur des nations européennes, et ce, pour des raisons évidemment historiques. Le monde a beaucoup changé depuis quelques décennies et le football, qui fait partie du monde malgré les sensations irréelles qu'il procure, doit également changer. Je doute en outre que l'Egypte, championne d'Afrique en 2006, 2008 et 2010, éliminée en barrages de la zone Afrique par le Ghana, soit moins forte que la redoutable équipe de Grèce…Enfin, et de manière plus terre à terre, si vous n’êtes que 5 sur 32, vos chances de vous qualifier ne serait-ce que pour les quarts de finale, sont statistiquement faibles et c'est le cercle vicieux qui s’enclenche : vous performez moins car vos chances de le faire sont faibles, votre quota n’augmente pas et il vous sera difficile de performer à la prochaine édition. Xalass !

Quelles solutions : Il est évident que les pays africains doivent améliorer leurs résultats en Coupe du Monde comme les pays sud-américains qui ont de bons résultats malgré un quota similaire (5 places + 3 places en Amérique Centrale). Pour cela il faut améliorer sinon ancrer la culture du haut niveau, éviter des grèves pour des primes (n’est-ce pas Messieurs les lions indomptables…), investir dans la formation des jeunes, développer les championnats africains locaux, impliquer les investisseurs privés du continent, bâtir des infrastructures de haut standing . MAIS il faut également ne plus se laisser marcher dessus et faire une chose : taper du poing sur la table. Si l’Asie peut faire valoir son nombre énorme de téléspectateurs, l’Afrique, qui n’est pas aussi bien lotie en termes de pénétration TV, peut néanmoins s’appuyer sur ses nombreuses fédérations de football qui sont 55 et forment la plus grande colonie continentale sur les 209 fédérations qui composent la FIFA. L'élection du Président de la FIFA qui se tient tous les 4 ans avec un prochain scrutin en 2015 en constitue une opportunité pour se faire entendre…

Sepp Blatter, 78 ans, Président depuis 16 ans et candidat déclaré à sa propre réélection, aura forcément besoin des voix africaines pour gagner, surtout s’il fait face au français Michel Platini, ancienne gloire du football mondial et actuel Président de l’UEFA. Basée sur le principe « un pays – une voix » comme à l’ONU, l’élection du Président de la FIFA dépend en grande partie du choix des pays africains. En haussant le ton auprès de la FIFA et avertissant les candidats qu’ils ne voteraient qu’en faveur d’une hausse du nombre de places qui leur sont attribués, il y a fort à parier que les pays africains auront gain de cause. Un objectif raisonnable serait de réclamer 7 places dans un 1er temps et de monter à 10 candidats en 2023, en esperant qu'une ou plusieurs équipes africaines brillent en 2014 au Brésil, en 2018 en Russie ou en 2022 au Qatar. Mais enfin…pour arriver à faire pencher la balance, il faudra que les pays africains parlent d’une seule et même voix, divisés qu’ils sont par l’immortel geyser de lumière Issa Hayatou 1er, 67 ans et inamovible Président de la CAF depuis 27 ans. Il faut néanmoins reconnaitre que le camerounais, surfant sur la vague des réformes de la FIFA destinées à augmenter le nombre de pays participant à la Coupe du Monde, a su faire passer le quota de pays africains qualifiés de 2 à 5 pays. Mais cela ne nous suffit désormais plus car un continent si bouillant, si riche et si jeune doit s’imposer partout, en géopolitique comme en géofootball.

Il est grand temps que la Coupe du Monde soit aussi la coupe de tout le monde.

Fary Ndao