Audio-livre, e-books, le champ des possibles non exploité du livre africain

Ecoute-t-il un audio-livre ? Peut-être...

Il y a peu, je commentais ma première expérience avec un audio-livre par le biais à partir de la plateforme Audible. Le géant du e-commerce et de la vente du livre en ligne a lancé depuis l’été dernier une campagne extrêmement offensive en France pour développer cette nouvelle expérience de l’audio-livre. Une manière différente d’aborder le livre, d’avoir accès aux textes des auteurs. Pour m’appâter, Amazon m’a proposé une première écoute gratuite. J’ai pendant quatre heures écouté Home, un des récents romans de Toni Morrison, lu par Anna Mouglalis. Pourtant, je n’ai pas souscrit à l’abonnement mensuel. Du coup, dans sa démarche commerciale d’acquisition, Audible me propose quelques mois après un nouveau crédit et naturellement, j’en profite. La gratuité n’existe pas dans ce bas-monde, surtout pour Amazon, la démarche est avant tout de créer un besoin, de faire découvrir cette nouvelle approche, une autre manière de consommer le livre et croyez-moi, si ce second livre audio m’est offert, Audible versera bel et bien les droits d’auteur à l’écrivain dont j’ai téléchargé la version audio de son livre.

Alain Mabanckou ou le désert de la littérature francophone en audio-livre

Alain Mabanckou, écrivain et enseignant

Cette nouvelle sollicitation d’Audible m’a encouragé à explorer l’offre de cette plateforme, en particulier en matière de littérature africaine en langue française. J’ai pu trouver plusieurs romans d’Alain Mabanckou, lu par lui-même. Et en dehors de lui, c’est le désert complet. Même le Sahara est un peu habité. Il y a longtemps que je voulais lire Petit piment, le dernier roman de l’écrivain congolais. J’ai donc passé commande et j’avoue que je savoure l’expérience. J’aurais l’occasion de revenir sur cet audio-livre et la lecture d’Alain Mabanckou. Comme cela a déjà été le cas dans le passé, l’auteur congolais est à l’avant-garde. Sauf erreur de ma part, Demain, j’aurai vingt ans a été disponible au format audio dès sa parution, il y a plus de six ans. On ne peut pas mieux anticiper un mouvement.

J’aimerais revenir sur cette absence de fictions africaines en audio-livre. Elle est révélatrice d’un constat déjà fait avec les auteurs francophones : le peu de préoccupation de ces derniers sur les avancées technologiques et les nouvelles possibilités qu’offrent le numérique pour avoir accès à leur univers. Planqués derrière leurs éditeurs respectifs, leur argument répété, régulier comme s’ils s’étaient concertés consiste à dire que ces aspects ne les concernent pas.  Elles touchent avant tout les éditeurs. Ainsi, que leurs livres ne soient pas numérisés ne leur posent aucun problème. Qu’une rupture de stock arrive quand un livre se vend bien ne les interpelle pas. Car, un livre numérique ne connait pas de rupture de stock. Peu se renseignent sur le livre audio. Peu posent des conditions sur l’exploitation de leurs droits numériques. On me dira que cela vaut pour les écrivains français aussi. J’objecterai qu’ils évoluent dans un écosystème où le livre circule. Toutefois, pour échapper à la dure loi du pilon, là encore le livre numérique est une possibilité de faire vivre le livre plus longtemps. L’écrivain africain qui a envie d’être lu sur le continent, étudié par des universitaires ne peut décemment évacué ce type de questions.

De la sous exploitation des droits numériques des auteurs francophones

Si les choses ont tendance à progresser, la numérisation des œuvres d’auteurs comme Sami Tchak, Gaston Paul Effa pour ne donner que ces exemples évoluent, force est de constater que beaucoup auteurs francophones talentueux et publiés parfois dans de grandes maisons d’édition parisiennes ont  de nombreuses œuvres n’existant pas numériquement parlant. Et au détour de certaines conversations, on peut entendre ces romanciers se plaindre que des étudiants en Afrique ne peuvent pas travailler sur leurs textes parce que ces derniers ne sont pas présents. Aussi, certains chargent leurs bagages de livres lourds, paient des excédents de kilos à Air France ou Ethiopian Airlines. Disons-le, tout ceci est absurde et à mettre sur la délégation ou les pleins pouvoirs que ces auteurs accordent à leurs éditeurs quant à l’exploitation de leur trésor. Malheureusement, intentionnellement ou par méconnaissance du sujet, ces maisons d’édition ne font pas de ce  sujet une priorité. Aujourd’hui, des bibliothèques numériques se développent comme Babelthèque, Cyberlibris ou NENA, des universités et autres institutions s’y abonnent de plus en  plus. Permettant aux œuvres littéraires numérisées d’être accessibles à tous les étudiants de la planète et les auteurs commissionnés modestement mais régulièrement en fonction de la consultation de leurs livres. La question est de savoir combien de romanciers francophones trouvera-t-on dans ces bibliothèques d’un nouveau genre ?

Livre papier VS Audio-livre / e-books

L’an dernier j’animais un débat passionnant à l’OIF sur ce passage du papier au numérique. Et un jeune romancier haïtien défendait avec emphase et âpreté les joies de la lecture du livre papier. Au fond de moi, j’étais consterné que de jeunes auteurs ne comprennent pas mieux que les anciens les enjeux de la révolution digitale, que le livre papier est condamné à mourir à moyen terme et – même si ce n’est pas le cas – le livre numérique et  le livre audio ouvrent un accès à de nouveaux publics, de nouveaux lecteurs. Le livre papier est un luxe. Il maintient des barrières géographiques. Sa diffusion, sa distribution dans la Francophonie du sud n’ont jamais réellement marché comme le téléphone fixe a toujours été l’apanage de quelques familles nantis à Brazzaville ou à Bamako là où le téléphone portable me permet de joindre mes cousines qui habitent le village ancestral, quelque part sur les plateaux Batékés. Le livre papier est une prison à ciel ouvert pour les romanciers produisant depuis le continent africain.

Alors pourquoi prendre un abonnement sur Audible, pousser plus la découverte des audio-livres, si les auteurs que je souhaite lire n’y figurent pas, s’il faut encore leur expliquer que leur éditeur fait au plus simple et que c’est avant tout aux écrivains de croire à ses nouvelles formes de lecture ? Bon, je n’ai rien dit.

LaRéus Gangoueus

Copyright photo : Henry Be et Alain Mabanckou auf der Frankfurter Buchmesse 2017