« Le génie ne peut respirer librement que dans une atmosphère de liberté »
De la liberté (1859), John Stuart Mill (trad. Laurence Lenglet),
éd. Gallimard, coll. Folio, 1990 (ISBN 2-07-032536-9), p. 160
Nous vivons aujourd’hui dans une société dont le principe de base est la liberté. C’est elle qui garantit le développement économique et social des nations.[1] Cependant, les récentes révélations sur l’espionnage électronique de l’Agence Nationale de Sécurité américaine (NSA) indique que ce principe est sérieusement menacé. S’il est vrai que tous les Etats se livrent à l’espionnage, la particularité de la NSA est de dépasser la limite des affaires étatiques pour rentrer dans la vie privée des dirigeants politiques voire même de simples citoyens.[2]
Depuis la première révélation de l’ex-consultant du renseignement américain, Edward Snowden, il ne se passe plus un jour sans que nous apprenions de nouvelles techniques d’espionnage électronique pratiquées par la NSA. En plus de la simple interception de communications téléphoniques, l’agence recueillent secrètement des données dans les serveurs des fournisseurs de contenus internet comme Google, Yahoo ! et Facebook. Tous les messages sont donc passés aux cribles par les agents de la NSA dans le but de « prévenir les attaques terroristes ». Au-delà de cette justification, et compte tenu de l’ampleur de l’espionnage, ce que l’on craint c’est surtout les répercussions de ces pratiques sur les relations économiques, les négociations internationales voire sur la stabilité des pays les moins avancés.
L’Afrique étant globalement moins avancée dans les nouvelles technologies de la communication, elle est particulièrement vulnérable à ces effets de l’espionnage électronique à grande échelle. Combien de négociations économiques ont été biaisées en défaveur de l’Afrique à cause de l’asymétrie d’information ? Combien d’Etats sont menacés de chantage sur la base des informations dont disposent les services de renseignements électroniques sur les affaires personnelles des dirigeants. La liste devrait être longue.
En réaction aux révélations, les Etats européens envisagent actuellement la création d’un Cloud Européen pour se prémunir des intrusions de la NSA dans les affaires publiques et privées des dirigeants européens. Il s’agit d’un réseau interne de serveurs hébergés en Europe dans des zones sécurisées et qui stockent toutes les données issues des communications électroniques. Il est temps que les Etats Africains travaillent aussi à la mise en place d’un Cloud Africain sécurisé. L’enjeu est de taille car il n’y a pas que les Etats-Unis d’Amérique qui surveillent la toile ; tous les pays développés s’y livrent également.
Par ailleurs, il s’agit aussi d’un impératif pour l’émergence de la société de l’information ; c'est-à-dire une société où les TIC modifient profondément les relations sociales, le fonctionnement de l’Etat et l’organisation des entreprises. L’avènement d’une telle société dépend de la confiance qu’ont les acteurs qui doivent y prendre part dont les citoyens, les entreprises et les gouvernements. Avec l’expansion de l’espionnage électronique il y a des risques d’une perte de confiance dans les réseaux de communications. Cela conduirait au mieux à un ralentissement du développement de la société de l’information. Or compte tenu de sa capacité à se substituer aux infrastructures classiques de développement, l’Afrique sera le grand perdant d’un tel ralentissement. Ainsi, l’espionnage électronique, en diminuant la confiance dans les réseaux de communications électroniques, est une menace sérieuse pour le développement de l’Afrique.
En évoquant la lutte contre le terrorisme pour justifier l’espionnage électronique, les pays qui disposent d’un avantage technologique nous offre le choix entre la liberté et la sécurité. Au vu de la problématique sécuritaire en Afrique, les pays Africains risquent de choisir la sécurité tout en sacrifiant les vertus de la protection des libertés individuelles sur développement économique. Dès lors, il y a lieu que les discussions sur les coopérations en matière de sécurité prennent en compte la question de la protection des données personnelles.
Georges Vivien Houngbonon